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À travers la diversité de ses visages, le don de livre en Afrique suscite de multiples analyses, critiques et propositions de régulation de ses pratiques depuis les années 90-2000. Portée par l’UNESCO et l’association française Culture et... more

À travers la diversité de ses visages, le don de livre en Afrique suscite de multiples analyses, critiques et propositions de régulation de ses pratiques depuis les années 90-2000. Portée par l’UNESCO et l’association française Culture et Développement, une conception du ’don correct’ a ainsi émergé. Un des éléments centraux du don correct concerne la prise en compte de l’édition locale. Ceci induit une question importante: s’il existe une édition locale en Afrique, comment est-il alors possible qu’on y donne tant d’ouvrages selon le principe d’une ’famine du livre’? En effet, l’idée de base du don de livre veut qu’il y ait trop de livres produits au Nord, et pas assez en Afrique. Il s’agit alors – simplement – de redistribuer plus équitablement ces ressources… sans prise en compte de l’existence historique d’éditeurs africains.

Dans cet article, je réfléchis à la relation entre don et marché éditorial en Afrique francophone ainsi qu’à son évolution. Comme je l’observe, l’intensification du don et la diffusion de l’idée qu’il n’y a pas de livres en Afrique coïncide avec l’essor de ce que l’on appelle ‘la mondialisation éditoriale’ à partir du début des années 80. Je relève par ailleurs que cette période correspond à la mise en place du plan d’ajustement structurel (PAS) par les institutions dites ‘de Bretton-Woods’. Dans les années qui suivront, le secteur éditorial sera un des premiers touchés par les mesures d’austérité imposées par les bailleurs internationaux.

N’y a-t-il pas alors une collusion entre le don de livre, la mondialisation du livre et l’ajustement économique? Jusqu’au développement du ‘don correct’, don et capitalisation éditoriale participeraient-ils de consort à la dérégulation des systèmes éditoriaux africains? De même et alors que la mondialisation du livre et la croissance des dons influencent l’essor d’un contre-mouvement attaché à défendre la présence de l’édition africaine au Nord et à en défendre les intérêts économiques et symboliques (livre équitable, coéditions solidaires…), le mouvement du don correct prend lui-même de plus en plus de poids et contribue à la révision de nombreuses pratiques.

Comme je l’observe, le don de livres importé par une diversité de structures occupe une place historique en Afrique francophone, participant à l’omniprésence de l’édition du Nord. L’édition africaine se trouve alors réduite à la portion congrue de 10% des livres présents en librairies. Idem pour le livre scolaire, monopolisé à plus de 80% par l’édition étrangère, essentiellement française.

Un des arguments prioritaires du don de livre en Afrique, c’est qu’il n’y a pas (ou pas assez) de livres. C’est en fait, peut-être, l’inverse: il y a un monopole du livre étranger qui ne permettrait pas au livre africain de rayonner suffisamment pour être connu/reconnu dans le monde. Le don serait donc la ‘fin de chaine’ d’un processus de minorisation: il contribuerait à la sous-représentation documentaire, voire à la dévalorisation des productions africaines, véhiculant l’image d’un continent de friche éditoriale… Mais tout comme cette vision est simplificatrice, il est réducteur de limiter le don à un processus strictement inégalitaire et partie prenante d’un système économique et idéologique de domination culturelle: c’est précisément cette diversité du don qui en rend l’analyse passionnante.

Dans cet article, je propose une analyse des pratiques de don et de ses différents visages en Afrique francophone. Comme je le montre, son évolution est intrinsèquement liée à une histoire institutionnelle et aux relations de coopération développées entre États africains et bailleurs internationaux, depuis le matin même des Indépendances (fin des années 50/début des années 60). Celles-ci ont tout d’abord concerné séparément les développements structurel et culturel, avant que ne commence à naitre une idée de culture comme condition du développement économique.

Comme je le souligne dans ma réflexion, le système éditorial africain qui a été mis en place intègre dès son origine l’importation d’ouvrages étrangers à travers les circuits commerciaux et philanthropiques et des opérateurs ‘clefs’. Le don n’a ensuite fait que croitre avec l’essor des coopérations bilatérales et multilatérales consacrées à la lecture publique. Mieux encore: il a intégré une place structurelle, renforcée par l’essor des processus de régulation des surplus documentaires en France (années 80). N’est-il pas alors paradoxal qu’une plus grande gestion des ressources en France ait pu, même indirectement, participer à une dérégulation documentaire en Afrique francophone?

J’observe une autre rupture au cours des années 90, qui concerne une partie du discours institutionnel et le développement d’une coopération à visage plus participatif, tenant d’avantage compte des réalités locales et des logiques de décentralisation.

La connexion d’un don plus réfléchi avec le mouvement éditorial de la “bibliodiversidad” (“bibliodiversité”) semble ensuite se faire ‘naturellement’ à la fin des années 90. D’autres formes de coopération et de nouvelles dynamiques de l’édition dessinent une nouvelle cartographie de la philanthropie documentaire Nord/Sud. Le tout est porté par des déclarations de l’UNESCO et le renforcement de la prise en charge de la culture en tant qu’industrie au sein de la coopération multilatérale.

Avec cet arrière-plan a priori profitable à l’instauration durable d’une pratique plus saine du don de livre en Afrique francophone, il est alors étonnant d’observer un certain délitement de ces réseaux de collaboration au milieu des années 2000. Tout en attachant de plus en plus d‘importance à l’existence des ressources et de l’expertise locales, des ONG qui prennent une place croissante dans le champ du don de livre (numérique en particulier) travaillent selon des logiques qui appartenaient jusqu’alors – surtout – aux coopérations étrangères. Ne prolongent-t-elles pas alors une forme de substitution? Tout dépendrait à ce niveau du dialogue que ces dernières entretiennent avec les sphères professionnelles. L’enjeu qui se discute alors, c’est le rattachement du don à la chaine du livre, ou bien son existence ‘à part’, selon des dynamiques et des réflexions parallèles.

Ce que j’espère mettre en lumière dans cet article, c’est que, pour un échantillon de structures prenant en compte des ressources locales (cf. annexes), combien d’opérations de don ‘sauvages’ participent aujourd’hui encore à inonder l’Afrique francophone d’ouvrages étrangers? Ces dons ne sont pas forcément pensés en fonction d’une véritable analyse du ‘terrain’ et répondent plus à un besoin de se sentir utile en donnant, participant au final plutôt à une dérégulation économique. J’aimerais enfin suggérer l’idée que la critique du don ne doit pas non plus oublier l’énorme déséquilibre économique entre l’édition du Nord et l’édition africaine, à travers une concurrence clairement inégale; une situation qui perdure depuis sept décennies déjà.

Première partie de cette étude : https://www.academia.edu/13165497/Book_Donation_Programmes_for_Africa_Time_for_a_Reappraisal_Part_I