Littérature Francophone Research Papers - Academia.edu (original) (raw)

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Tansi. Comment le présenter ?... Te présenter cher Sony, puisque, comme dit mon ami franco-camerounais acteur, chorégraphe et danseur – et pas seulement de la tête –, James Carlès, depuis le jour où nous avons commencé à te lire ensemble à haute voix, et à éclater de rire ensemble de t'entendre parler, tu es pour nous une personne – c'est-à-dire un homme comme nous tous, « fait avec de la viande et du sang, porteur d'espoirs, de rêves, de folies, de peur », un homme de sueur et de salive. Comment te présenter ?... en tous cas, certainement pas en faisant une conférence. Pour les raisons que tu as toi-même dites devant les universitaires de la faculté des lettres et sciences humaines de l'Université Marien-Ngouabi de Brazzaville qui, justement, t'invitaient imprudemment à en faire une : d'abord, parce que les conférences sont « des machins du 20 ème siècle » et que « les races, les tribus, les classes, en un mot le coeur humain n'est pas au 20 ème siècle » ; ensuite parce que les conférences sont le fait d'intellectuels, c'est-à-dire « d'ustensiles de cuisine » que tu digères très mal. Parce que les conférences – nous sommes payés pour le savoir (et pour le faire) – visent bien, comme tu l'as dit, en tirant le plus grand nombre de mots à la seconde, à enseigner non pas à écrire, ou, ce qui revient au même, à exister, mais autant de comportements possibles face à l'écriture (face à l'existence) qu'il en faut pour susciter d'infinies polémiques et un brouhaha de thèses, d'antithèses, de synthèses et de doctorats à rédiger et à soutenir. Autant de manières de disserter l'existence sans écrire, au lieu de prendre la sienne entre les dents – dans tes mots : de s'en « frotter le coeur », de la « frotter crasseusement à celle d'en face ». A la conférence tu opposes et substitues l'adresse. La meilleure façon de te présenter serait alors peut-être de parler de toi en s'adressant à qui on parle « droit dans le fond de la culotte », comme tu dis encore, au lieu de leur parler de dos – et donc, de ne te citer qu'à condition que chaque citation ait la force d'une adresse et ne puisse jamais être l'occasion d'un charcutage intellectuel. Sony est Tansi, parce que la vocation du poète kongo, Marcel Ntsony ou Gérard-Philippe Tchicaya, est de perdre son nom français pour être U Tam'si : celui qui témoigne d'un pays, d'une terre. Ce qui n'a rien à voir avec une quelconque délégation ou représentation. Tansi n'est pas Senghor. Tansi n'est pas le nom d'un député noir au parlement des Blancs, ni d'un fétiche nègre dans un musée parisien. Ni Quai d'Orsay, ni Quai Branly. Mais de quoi témoigne Tansi ? De ce dont nous qui ne sommes pas kongo n'avons pas vraiment idée. Et si nous ne pouvons pas satisfaire ceux d'entre nous qui s'attendaient tout de même légitimement, vu les circonstances, à une dissertation sur la marque de fabrique de ce Sony Labou Tansi, savoir par exemple comment son réalisme merveilleux se positionne à l'égard des choses en soi, du réalisme spéculatif ou pas… parlons au moins du sujet annoncé dans le programme… ce dont témoigne d'abord Tansi c'est du fait que nous n'avons, ici, dans toute l'Europe, comme dans toute l'étendue du monde européanisé qui est partout le même ici, pas de plus dur traumatisme à vivre que celui de risquer de se faire couper la bistouquette par papa, de brailler jusqu'à l'épuisement parce que le maintien de l'ordre social veut qu'un braillard ne reste pas, comme partout ailleurs, accroché jour et nuit au sein de sa mère, au bras de ses tantes, à la tempe de ses oncles – de traumatisme plus terrible à se mettre sous le cerveau que celui de Cécile Münch : l'effondrement d'un pont de chemin de fer suisse construit par le même centralien qui fit dresser en bordure de Seine ce grotesque clou d'Exposition Universelle planté dans le coeur des peuples noirs auquel le poète Tansi, dans La troisième France, réserve deux vers définitifs : « Tu mens la Seine/Tu mens la Tour Eiffel ».