Metaphysics of Science Research Papers (original) (raw)

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ENTRE ENTRE P P HYSIQUE HYSIQUE ET ET M M ÉTAPHYSIQUE ÉTAPHYSIQUE CHEZ CHEZ P P IERRE IERRE D D UHEM UHEM Lucas Roumengous 4. A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 947. D'après J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 26. 4/137 tuel pensé et étayé par l'auteur, reliant les matières physique et métaphysique ? Et si oui, comment procède-t-elle ? Duhem est un théoricien et un philosophe de la physique, il présente donc un ensemble d'idées déterminé sur cette science. Or, le rapport de la physique à la métaphysique est apparu assez tôt dans sa réflexion, puisqu'il en fait état dès ses premiers articles philosophiques ; ce rapport, du reste, témoigne d'une influence marquée sur son engagement scientifique, et dirige le projet énergétiste de notre savant. Néanmoins, il est incontestable qu'une évolution de la pensée duhémienne se manifeste dans la précision du rapport entre la physique et la métaphysique, de telle sorte que celui-ci nécessite alors une compréhension nettement plus fine : ce qui fait selon nous tout l'intérêt de cette recherche, et d'un auteur comme Pierre Duhem. L'avantage que nous offre un tel axe d'étude n'est certes pas celui de l'exhaustivité, mais il n'en diverge pas tant, car nous pourrons en cet écrit toucher, quoique de manière inégale, aux majeures facettes de Duhem : physicien, philosophe, patriote, historien, apologiste, et métaphysicien. La première partie de ce mémoire sera consacrée à la conception de la physique qui caractérise notre savant. Notre démarche consistera à découvrir la relation de la physique avec la métaphysique, et à montrer son importance et le rôle central qui lui est échu dans la philosophie duhémienne de la physique. Nous montrerons dans le premier chapitre comment le phénoménalisme de Duhem a pu émerger de ses préoccupations scientifiques, et comment il prétend, par son allure positive, exclure toute métaphysique du champ de la physique. Dans le second chapitre, nous nous demanderons si le phénoménalisme vise à séparer absolument physique et métaphysique ou plutôt à les distinguer. Alors, nous introduirons la doctrine de la classification naturelle, qui se rattache au réalisme en établissant un lien patent entre théorie physique et réalité ontologique, et nous tenterons de l'intégrer au phénoménalisme, bien que les deux positions semblent contradictoires. Pour appuyer notre propos, nous détaillerons plus avant l'épistémologie duhémienne au chapitre suivant, en remarquant l'emploi du sens commun qui permet le passage régulier du phénoménalisme à la classification naturelle, c'est-à-dire à une conception où physique et métaphysique se compénètrent. Enfin, nous conclurons dans 5/137 Éclaircir les rapports qui unissent la physique et la métaphysique au sein de la philosophie duhémienne est un travail qui nous permettra, par une approche détournée, de mieux saisir les relations entre le phénoménalisme et le réalisme, en débarrassant cellesci de leur confusion initiale. Nous pensons que de tels rapports se situent au coeur de la doctrine de Pierre Duhem. Ainsi nous espérons contribuer à une meilleure compréhension de l'auteur. 6/137 tion de sa philosophie. Ensuite, il faudra expliciter cette philosophie qui se présente comme une logique de la théorie physique. Après avoir esquissé la recherche que mène Duhem pour trouver une tradition à sa pensée, nous discernerons l'émergence de la métaphysique dans sa conception pourtant si radicale de la physique. L'enjeu sera alors de ne rien atténuer du phénoménalisme proprement dit, tout en y ajoutant une perspective éminemment réaliste. Comment concevoir un phénoménalisme élargi qui, à tout le moins, paraît contradictoire ? Enfin, nous tenterons de souligner deux aspects moins évidents, l'épistémologie et l'histoire de la physique, en attestant le rôle qu'ils doivent tenir dans la justification du phénoménalisme et de la classification naturelle -compris comme une même philosophie de la science, tout à fait cohérente. 7/137 I.1. L'élaboration du phénoménalisme I.1.a. Emprise de l'oeuvre scientifique Si l'on veut comprendre d'où vient chez Duhem sa conception de la science, sans doute faudrait-il nous rapporter à son oeuvre purement scientifique. Comme on l'a déjà dit, Pierre Duhem est avant tout un physicien. Et c'est en tant que physicien qu'il voulut d'abord être reconnu : son refus de la chaire d'Histoire des Sciences au Collège de France en est la marque 5 . Duhem lui-même, par ailleurs, explique que ses idées philosophiques, qui furent développées dans divers articles et condensées notamment dans son livre La Théorie physique, n'ont pu mûrir que par la grande pratique qu'il a eue de la physique 6 . Nous pensons qu'il convient alors de brosser à grands traits son cheminement scientifique. Ce fut au Collège Stanislas que Duhem fit ses premières études, et c'est là qu'il prit goût pour la physique. Or ce n'est pas n'importe quelle physique, mais la physique théorique qui intéressa Duhem au plus haut point. Alors que son siècle s'était plongé dans la physique expérimentale, que les plus grands noms français tels Regnault et Curie y appartenaient, Duhem allait suivre une solide formation qui ne dédaignerait pas les mathématiques. La thermodynamique, branche de la physique reposant sur une forte base expérimentale, ouvrait un champ théorique nouveau qui ne tarda pas à susciter chez Duhem une curiosité féconde. Grâce aux travaux d'un Gibbs et d'un Helmholtz, qui appliquaient les outils de la mécanique en thermodynamique 7 , Duhem entrevit rapidement l'analogie qu'il devait y avoir entre ces deux sciences. Ainsi pouvait-il s'exprimer sur le dessein qu'il allait suivre : Conduire les théories de la Statique thermodynamique par des méthodes toutes semblables, en leur forme, à celles par lesquelles, 5. P. HUMBERT, Pierre Duhem , Paris, Librairie Bloud et Gay, p. 17-18. 6. Voir P. DUHEM, TP, p. 2. Et pour plus de détail, « Physique de croyant », Annales de Philosophie Chrétienne, 77ᵉ année, t. CLI (4ᵉ série, t. I), octobre 1905, n° 1, p. 47-51. 7. Pour Gibbs, voir Équilibre des substances hétérogènes (1876-1878). Pour Helmholtz, voir : « Zür Thermodynamik chemischer Vorgange », Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 1882, vol. 1, p. 23. Pour le détail, voir N. WIPF, Pierre Duhem (1861-1916) et la théorie du magnétisme fondée sur la thermodynamique , p. 39-55. 8/137 depuis Lagrange, se déroule la Statique mécanique, tel avait été le constant souci de Gibbs et de Helmholtz. […] Le désir de mettre plus fortement encore, si possible, cette analogie en évidence guida nos premiers travaux 8 . À vingt-et-un ans, Duhem fut reçu premier à l'École Normale. Et une fois devenu professeur, il se mit à enseigner la thermodynamique, ce qui l'amena à approfondir et perfectionner les travaux de ses prédécesseurs. Un de ses élèves, M. Jouguet, n'hésite pas à témoigner en faveur de son maître que « sa contribution fondamentale consiste dans le fait qu'il a formulé définitivement les équations de la Thermodynamique des corps en mouvement 9 ». Mais ce qui fait de Duhem un des noms les plus remarquables de la thermodynamique, c'est qu'il ne s'est pas contenté de généraliser cette science aux mouvements mécaniques. Supposant une analogie assez profonde entre les diverses modifications physiques et chimiques -contraction, dilatation, fusion, vaporisation, réaction chimique et variation électrique ou magnétique -, dès lors que l'on arriverait à mettre ces phénomènes en équations, pourquoi ne pas les réunir en une science commune qui serait une thermodynamique généralisée ? Cet ambitieux édifice qui devait être comme un pont entre toutes les branches de la physique et de la chimie, un physicien écossais, Rankine, l'avait déjà pensé avant Duhem, en 1855 10 . Or, notre savant ne l'apprit que plus tard au cours de ses recherches. Mais ce projet exprimé dans ses grandes lignes, et dont le but était de fonder l'énergétique, Duhem le fit sien aussitôt. Et cette perspective scientifique fut comme un saut irrésistible : elle guida la suite de ses études et agença la somme de ses travaux. Lui-même nous dit, à propos de ce moment crucial, que « la construction d'une telle science nous apparut comme un objet digne que notre vie fut consacrée à la poursuivre 11 », et certainement, nous pouvons ici le prendre au mot.