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Longtemps, l’imagerie populaire ou plus érudite a véhiculé l’idée d’un Briançonnais reculé, enclavé voire retardé, peu enclin à accepter la modernité, encore arc-bouté sur ses fondements agricoles. Une approche critique ne peut... more

Longtemps, l’imagerie populaire ou plus érudite a véhiculé l’idée d’un Briançonnais reculé, enclavé voire retardé, peu enclin à accepter la modernité, encore arc-bouté sur ses fondements agricoles. Une approche critique ne peut se satisfaire de cette vision partielle, partiale et donc fausse. Le Briançonnais, pays de montagnes, forme un véritable système, complexe mais construit, qui, certes, en privilégiant les hommes et leur terroir, ne peut être réduit à ses seules activités agricoles. Frontière du royaume de France, Briançon a très tôt embrassé la vocation militaire, ajoutant ainsi à la difficulté de comprendre plus finement ce monde montagnard.
La montagne est l’élément incontournable dans la compréhension de ce système. Elle implique un climat rigoureux, réduit l’étendue des parcelles de terres arables, modifie fortement les paysages par ses calamités naturelles (avalanches, crues torrentielles,…). C’est aussi un espace vécu par l’homme comme une contrainte, une limite au développement de ses activités. Elle empêche ou restreint les déplacements, ou, par son caractère de frontière, est les champs privilégiés des campagnes de guerre et leur lot de désolations. Néanmoins, c’est bien sa pauvreté qui demeure sa caractéristique essentielle. Difficile à cultiver, peu productif, sujet à une très forte pression foncière, ce terroir nourrit peu et mal une population nombreuse. Ses richesses, difficiles à extraire ou à mettre en valeur, nécessitent des efforts importants. Dès le Moyen Age, la population n’a ainsi eu d’autres choix que d’émigrer –temporairement ou définitivement- ou de trouver des revenus complémentaires à ceux de l’activité agricole. Face aux contraintes liées à la montagne, cette lutte a très tôt rythmé la vie quotidienne en Briançonnais. S’offre ainsi, à l’intérieur de ce cadre, une multitude de solutions pour dépasser ces contraintes, tout autant climatiques que physiques, créant ainsi un territoire et des pratiques territoriales originales. Le Briançonnais, espace centré sur Briançon depuis le moyen-âge, est véritablement un espace cohérent, construit, modélisé et vécu comme tel par ses habitants qui le pratiquent au quotidien. Certains ont même poussé le raisonnement jusqu'à la création d’une identité briançonnaise qui aurait traversée les siècles, l’inscription géographique de ce territoire enserré dans de hautes montagnes facilitant cette analyse.
L’utilisation du charbon de terre, dès la fin du XVII°siècle, s’intègre pleinement dans ces pratiques humaines et territoriales. Répondant à plusieurs besoins impérieux, ce charbon ne saurait être la matière première de la première industrialisation mais bien la réponse à certaines problématiques locales. En effet, la rigueur du climat impose aux habitants de se chauffer sur une longue période de l’année, chauffage réalisé pendant longtemps au bois. Après le traité d’Utrecht, Briançon devient une position à protéger sur la nouvelle frontière. Il faut donc l’entourée de défenses et de fortifications. Le besoin de bois de charpente et de combustible pour cuire la chaux utilisée pour la construction des bâtiments augmente donc de manière importante, et ce, dès le début du XVIII°siècle en raison de l’état avancé de dévastation des forêts.
La perspective historique d’un temps long s’impose ainsi à la compréhension de l’activité et de l’exploitation minière, achevée définitivement à la fin des années 1980, et s’étale ainsi de près de trois siècles. Envisagée sur une longue période, l’analyse de l’exploitation minière permet d’aboutir à une compréhension plus complète d’un phénomène durable et complexe. Qui plus est, cette perspective suscite des questions d’ordre économique, historique ou sociologique, plus générales étendues à l’ensemble du bassin briançonnais ainsi que ses différentes implications à d’autres secteurs de l’économie. Si l’ambition apparaît grandes, seules quelques pistes et hypothèses seront envisagées, tout en gardant cette perspective tout au long de l’étude.
Néanmoins, ce parti pris d’une analyse sur une longue durée peut s’équilibrer par la faible étendue géographique de cette étude. D’emblée, embrasser l’ensemble du bassin minier paraît impossible tant les sources sont abondantes. Le choix s’est ainsi vite porté sur Villard-Saint-Pancrace, village composé de plusieurs hameaux sur la rive gauche de la Durance, à quelques encablures de Briançon, sur une des zones cultivables les plus riches de la région. Si son histoire minière semble avoir été une des plus longues de tout le bassin briançonnais, elle a aussi connu la plupart des types d’exploitation connu sur le bassin : du simple grattage de surface à l’exploitation par puits et chevalements – la seule de tout le Briançonnais – de l’exploitation paysanne la plus évoluée et productive aux tentatives de mise en valeur industrielle. Toutes ces pratiques ont modelé un village et ses habitants, ont ajouté une identité minière à ce village profondément agricole, à la culture paysanne très marquée dont il faudra préciser les éléments constitutifs et les limites. Immédiatement surgit la question de la représentativité d’un tel exemple. L’écueil principal serait évidemment d’éviter de systématiser et généraliser ces pratiques à l’échelle du bassin. Mais ce travail serait inutile s’il n’était possible d’éclairer ou plus simplement d’émettre quelques hypothèses, à l’aune du village de Villard-Saint-Pancrace, sur d’autres sites briançonnais : Mônétier-les-Bains ou Saint-Martin-de-Queyrières ont connu, eux aussi une longue histoire minière ; Puy-Saint-Pierre a été l’objet d’une industrialisation poussée sur le site de Combarine ; mais Villard-Saint-Pancrace, sans connaître toutes les situations précitées, les a parfois effleurées, initiées ou imitées. Autre élément important voire décisif, ce village est le seul, ou du moins le fait avec plus d’ampleur que les autres, à faire revivre son passé minier, et ce, depuis une dizaine d’années.