Pkk Research Papers - Academia.edu (original) (raw)

L’objectif de cette thèse est de rendre compte de la transnationalisation des mobilisations kurdistes et notamment de la transnationalisation des mobilisations du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), de la Turquie vers l’Europe.... more

L’objectif de cette thèse est de rendre compte de la transnationalisation des mobilisations kurdistes et notamment de la transnationalisation des mobilisations du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), de la Turquie vers l’Europe. Entre 1982 et 2008 en effet, il n’est vraisemblablement aucun mois qui n’ait vu au moins une manifestation kurdiste en Europe et, au-delà, la moyenne annuelle des actions protestataires organisées en Europe pourrait être d’un demi-millier. Ce foisonnement fait peut-être des Kurdes de Turquie, qui constituent une population d’environ un million de personnes « issues de l’immigration », d’une part l’un des groupes les plus protestataires en Europe, et d’autre part le groupe protestataire le plus européanisé.

Dans une perspective interactionniste et comparative, notre hypothèse est que les différentes dimensions des mobilisations kurdistes en Europe (répertoires d’action, temporalités, engagements individuels, etc.) doivent être rapportées non aux structures politiques des pays dans lesquelles ces mobilisations ont lieu mais au système d’interdépendance du mouvement kurde : elles sont fonction de différents systèmes d’interactions (relations avec les autorités, les médias, les autres groupes mobilisés, et relations internes) qui ne se limitent pas aux acteurs présents en un site donné. La démonstration de cette hypothèse a nécessité la mobilisation de sources plurielles : longs terrains en France et en Allemagne, longs séjours en Turquie, observations de manifestations et d'activités associatives, entretiens avec des activistes et sympathisants du PKK, dépouillement d’organes militants (Özgür Politika, Serxwebûn, Kurdistan Report…) et constitution d’un corpus de plus de 1500 événements protestataires et actions auto-sacrificielles exploitable à des fins statistiques. Notre raisonnement s’articule autour de cinq chapitres.

Le premier chapitre vise à saisir comment des mobilisations en faveur de la cause kurde ont émergé en Europe. Nous avons d’abord cherché à mieux penser les caractéristiques des mobilisations kurdistes en Turquie et à rendre compte des raisons qui ont poussé un certain nombre d’organisations politiques turques et kurdes à s’implanter en Europe sur un modèle souvent déjà expérimenté en Turquie, au point de prolonger le système d’interaction entre mouvements en Turquie. Puis nous avons montré que les régimes de citoyenneté et les conditions de vie auxquels sont soumis les migrants en Europe ne sont pas susceptibles d’expliquer la construction d’identités ethniques très politisées en exil, et encore moins l’engagement d’une partie d’entre eux pour une cause située dans leur pays d’origine. Au contraire, ce sont à la fois l’arrivée de réfugiés fortement politisés, le travail de mobilisation des organisations et la dégradation de la situation politique en Turquie qui incitent certains immigrés à redécouvrir leurs « origines » et à s’engager.

Le deuxième chapitre tente de mieux comprendre les opportunités et contraintes du mouvement kurde en Europe en s’interrogeant sur ce que signifie l’internationalisation d’un conflit. La première section vise à analyser les interactions entre différentes autorités politiques européennes et le PKK. Cette étude historique, qui montre qu’une conceptualisation statique ne saurait rendre compte du contexte de l’action protestataire, permet de dégager les perceptions croisées des différents protagonistes, perceptions qui vont motiver leurs actions et réactions. On voit alors combien l’action du PKK en Europe vise d’abord à transformer le contexte dans lequel il s’est inséré et à s’ouvrir des opportunités, notamment à partir du début des années 1990. La deuxième section constitue quant à elle une étude des opportunités médiatiques du mouvement kurde en Europe et une analyse (quantitative et qualitative) de la couverture (française et allemande) des mobilisations du PKK au moment de l’« affaire Öcalan ». Elle a aussi servi à évaluer les conditions de possibilité d’une analyse statistique des événements protestataires kurdistes à partir de sources de presse.

Le troisième chapitre concerne les dynamiques de la mobilisation, c'est-à-dire la structuration temporelle et spatiale de l’action protestataire kurdiste en Europe. Après avoir, dans la continuité du chapitre précédent, mis en évidence certains biais de notre corpus d’événements protestataires et étudié dans quelle mesure une analyse statistique était envisageable, nous avons montré comment la temporalité et le rythme des mobilisations sont à la fois fonction des évolutions du conflit au Moyen-Orient, des interactions du PKK et des Etats européens et de l’agenda interne au mouvement kurde. Si un des principaux objectifs du PKK a été d’homogénéiser l’espace européen de la cause kurde, des variables démographiques et politiques ont placé l’Allemagne dans une position singulière qui a eu des répercussions sur l’ensemble des mobilisations européennes du mouvement. Dans une troisième section, nous avons enfin cherché à mieux analyser comment s’articulent les niveaux d’interaction au cours de quelques vagues de mobilisation.

Le quatrième chapitre revient sur les formes que prennent les actions protestataires du PKK en Europe et réinterroge la notion de répertoire d’action développée par Charles Tilly. Nous avons d’abord mis en évidence la manière dont se constitue le répertoire d’action d’une organisation implantée sur divers territoires : importations, réappropriations, mimétismes, différenciations sont des opérations qui permettent de rendre compte de la genèse des répertoires. Mais si un répertoire apparaît relativement stable, sa structure (c’est-à-dire l’agencement des modes d’action en son sein) peut varier dans l’espace et évoluer dans le temps. La deuxième section vise à analyser la dynamique du répertoire, c'est-à-dire les processus qui conduisent « à choisir telle ou telle arme » en fonction des cibles et des revendications de la protestation mais aussi des configurations locales et temporelles. En particulier, l’utilisation de la violence ne peut être uniquement comprise comme un phénomène accidentel intervenant au cours de processus de négociation à l’origine non-violents, même si les interactions peuvent produire des effets émergents, non contrôlés par les acteurs.

Enfin le cinquième chapitre vise essentiellement à rendre compte des modalités d’investissement de soi au sein du mouvement. Après avoir exposé comment, dans différents espaces, l’institution PKK tente de former et contrôler ses membres (mais aussi la population) dans l’idée que seule la soumission au leader et la transformation de sa personnalité permettra la libération, nous avons observé (à partir de trajectoires biographiques) dans quelle mesure militants et sympathisants s’approprient (ou non) règles, normes et idéaux prônés par le PKK et comment ces réappropriations participent de l’institutionnalisation de ces pratiques de vie et de cet imaginaire politique. Il est alors possible de mieux cerner comment une technique protestataire d’abord utilisée au sein de l’univers carcéral (l’immolation par le feu) a pu se diffuser, d’abord en tant qu’idée, dans tous les réseaux kurdes puis comment le sacrifice de soi a pu constituer, dans certaines circonstances et certains espaces, une option pertinente pour certains militants et sympathisants.