Queer History Research Papers - Academia.edu (original) (raw)

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Ces cinq dernières années, l’histoire des lesbiennes, des gays, des bisexuel·le·s, des transgenres et des queers en Union soviétique et dans l’espace postsoviétique a suscité un intérêt sans précédent élargit notre compréhension de l’histoire de l’expérience queer à la fin de l’Union soviétique et dans les États issus de son éclatement. Ses huit articles portent aussi bien sur le « centre » russe de l’URSS que sur les républiques de sa « périphérie » telles que la Géorgie, le Kirghizstan ou la Lettonie. Et celui qui nous entraîne vers l’Italie en dépasse le cadre en s’intéressant aux campagnes transnationales des années 1970 que menèrent des homosexuel·le·s, des artistes et des socialistes pour libérer le réalisateur Sergej Paradjanov, dont la brillante carrière entremêlait ses trois patries soviétiques : l’Arménie, la Géorgie et l’Ukraine. Dans ce numéro, les articles examinent la manière dont les queers soviétiques appréhendèrent et imaginèrent le désir homosexuel ainsi que la fluidité des genres. Ils s’interrogent sur la manière dont les queers façonnèrent leur subjectivité, construisirent leurs relations, refusèrent ou entérinèrent l’étiquetage médical, juridique, mais aussi social dont elles ou ils faisaient l’objet. Il apparaît que tous les articles de ce numéro sont marqués par des identifications et des intersections plurielles, croisant nationalité, désir sexuel, genre, génération ou classe sociale. Ils révèlent également que les savoirs transnationaux sur la dissidence sexuelle et de genre n’ont pas fait irruption soudainement en Russie et en Eurasie en 1991 ni n’ont été un produit d’importation en provenance d’un « Occident victorieux » de la guerre froide. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces savoirs sont ancrés profondément sur tout le territoire de l’URSS, et cela tout au long du vingtième siècle. Deux articles abordent des questions contemporaines qui plongent leurs racines dans le passé soviétique. L’un examine les pratiques et les obstacles au coming out tels que les ont rapportés des personnes queers en Russie. L’autre montre comment les éditeurs russes publiant des ouvrages d’éducation sexuelle à destination des enfants et de la jeunesse ont réagi à la loi de 2013 sur la « propagande homosexuelle ». Chacune des contributions de ce numéro se penche sur les défis auxquels sont confronté·e·s les queers soviétiques et postsoviétiques dans leur lutte contre la visibilité et l’invisibilité en tant que non-hétérosexuels.
Nous avons tenu à ce que les articles en langue russe ouvrent ce numéro spécial, car, lorsqu’il s’agit de l’histoire des LGBTQ, ce sont souvent les chercheur·se·s extérieur·e·s au monde russophone qui s’expriment en premier et le plus fort. C’est un déséquilibre dont nous sommes conscients et qu’en tant que coéditeurs de ce numéro spécial, nous tentons de corriger en demandant à nos lecteurs de considérer ces voix en premier lieu. Ces trois articles, de Georgy Mamedov et Nina Bagdasarova, de Polina Kislitsyna et de Galina Zelenina, ont suscité notre enthousiasme. En effet, ils offrent des perspectives nouvelles et stimulantes sur la sociabilité, la visibilité et la désidentification des queers. Nous poursuivons ensuite avec les articles d’Arthur Clech, de Rustam Alexander et d’Ineta Lipša qui se penchent sur la voix individuelle d’hommes homosexuels, telle qu’elle se donne à entendre à travers différents types d’ego-documents. Faisant écho à l’article de Zelenina, l’article de Clech aborde les questions de l’intelligentsia et de la classe sociale, tandis que celui d’Alexander nous emmène dans le domaine de la psychothérapie soviétique et des « thérapies » contre le désir homosexuel. Le diariste de Lipša explore sa subjectivité homosexuelle dans son journal intime où il passe, au cours d’une vie étonnante, par différents modèles d’interprétation de ses désirs queers. Enfin, nous terminons ce numéro avec les travaux de Stefano Pisu et de Bella Ostromooukhova. L’exploration par Pisu d’une campagne internationale contre la persécution soviétique des homosexuels masculins montre que l’histoire de la dissidence sexuelle et de genre en URSS ne se limite pas aux frontières de l’État soviétique. L’étude d’Ostromooukhova sur les manuels d’éducation sexuelle édités en Russie et traduits pour le public russe nous ramène au présent et aux controverses contemporaines sur la « propagande gay » ainsi que sur la prétendue influence transnationale sur la « Russie traditionnelle ».
Nous sommes redevables à Arthur Clech, qui a suggéré l’idée d’un numéro spécial des Cahiers du monde russe et qui a rédigé l’appel à contributions. Il s’est inspiré en partie de sa co-organisation et de sa participation au colloque 2017 « Communist Homosexuality, 1945-1989 » tenu à l’université Paris-Est Créteil et à l’École des hautes études en sciences sociales. Arthur a en outre contribué à part égale au travail de lecture, d’évaluation et d’édition des réponses à l’appel à communication et, pour finir, des contributions elles-mêmes. En tant que troïka éditoriale, nous sommes également redevables aux rapporteurs anonymes qui ont fourni à nos contributeurs des commentaires rigoureux et utiles. Que ce travail ait pu être réalisé, alors que chacune des parties avait à faire face à différents blocages liés à la pandémie et aux situations de crise de tous ordres qui en ont résulté, tient presque du miracle !