Racine Research Papers - Academia.edu (original) (raw)

En 1989, dans Sens et Textualité, François Rastier écrivait « Les mots, les phrases et les textes sont encore dans les faits l'objet de disciplines distinctes que séparent des frontières académiques plutôt que scientifiques » (p. 5) et il... more

En 1989, dans Sens et Textualité, François Rastier écrivait « Les mots, les phrases et les textes sont encore dans les faits l'objet de disciplines distinctes que séparent des frontières académiques plutôt que scientifiques » (p. 5) et il appelait de ses voeux une analyse stylistique qu'il définissait alors comme « étude des corrélations entre niveaux » (p. 10). Trente ans plus tard, si à chaque niveau la recherche a bien progressé, il y a certainement encore beaucoup à méditer sur les corrélations entre les niveaux en question. Persuadé avec Patrice Bonhomme qu'un « poème construit de tel mètre et ordonné de telle façon doit nécessairement signifier de par cette construction » (1995, p. 9), nous nous proposons de revenir sur ce sujet en passant l'alexandrin classique entre les mailles d'un nouvel outil, le faiscsème, à savoir une isotopie sémantique induite d'un faisceau convergent de signifiants appartenant à des niveaux et paliers d'analyse différents. De la ligne alexandrine à l'alexandrin de Racine Les historiens de la littérature sont à peu près unanimes pour dire que le dodécasyllabe apparaît autour de 1130 dans Li Ver del Juïse, ressurgit en 1160 dans La Chanson de Jerusalem puis en 1170 sous la plume de Lambert le Tors de Châteaudun qui l'utilise pour célébrer le plus célèbre des Macédoniens antiques. Autrement dit, dès ses origines, il est le mètre des grands sujets : le jugement dernier, Charlemagne, Alexandre… le Grand. Et d'ailleurs, c'est cette même caractéristique que les théoriciens de seconde rhétorique retiendront lorsqu'ils le nommeront « ligne alexandrine » : Quand j'euz achevé de lire tout ce beau dictier composé de ryme alexandrine, gravé en la planière du rochier ample et spacieux (laquelle taille jadiz avoit grand bruit en France, pource que les prouesses du roi Alexandre le grand en son descriptes es anciens rommandz. (Jean Lemaire de Belges, cité par Roubaud, 2000, p. 8-9) Dans l'introduction de la Franciade, la grandeur ressurgit par un autre biais, celui de la réception : « je devrais composer mon ouvrage en vers alexandrins, pource qu'ils sont pour le jourd'hui plus favorablement reçus de nos seigneurs et dames de la Cour 1 ». Reprendre un siècle plus tard ce mètre, c'est évidemment hériter de ce patrimoine. Le redoubler lexicalement et syntaxiquement, l'emphatiser par des figures de style, c'est confirmer son statut de faiscsème. Dans ses vers, Racine ne se contente pas en effet de refuser le vocabulaire bas. Comme l'a montré Spitzer, il utilise constamment des pluriels de majesté et des métonymies qui grandissent ses protagonistes. Dans Andromaque, il assimile par exemple Pyrrhus à son territoire : « L'Epire sauvera ce que Troie a sauvé » (I, 2). Racine confère aussi à ses personnages « maintien » et « majesté » en utilisant des « verbes phraséologiques » qui ramènent l'action à ses motifs : « une volonté, un droit, un pouvoir, une opinion. » Ainsi, par l'expression verbale périphrastique « porter ses pas », qui répond « au latin vestigia (gressus) ferre (Mesnard) », « l'action d'aller » se meut en « une marche majestueuse » (Spitzer, 1991, p. 226, 236, 244). Un nouveau détour par la réception invite cependant à nuancer ces premières remarques. Il y a en effet parmi les lecteurs des XVII e et XVIII e siècles une quasi-unanimité pour attribuer la « grandeur » non pas à Racine mais à Corneille, l'auteur de Phèdre et d'Andromaque étant, lui, plutôt perçu comme le maître de la juste mesure. Plusieurs des observations de Spitzer vont dans ce sens. Souvent, l'événement est synthétisé par une maxime qui fait rentrer dans le rang l'exceptionnalité ou alors il est atténué par une