Region Research Papers - Academia.edu (original) (raw)

"Les recompositions territoriales sont à l'ordre du jour à l'échelle planétaire, au Sud comme au Nord. Il s’agit d'une part, d’une vague sans précédent de décentralisations et de redécoupages municipaux et régionaux associés ; et d'autre... more

"Les recompositions territoriales sont à l'ordre du jour à l'échelle planétaire, au Sud comme au Nord. Il s’agit d'une part, d’une vague sans précédent de décentralisations et de redécoupages municipaux et régionaux associés ; et d'autre part, des nouveaux acteurs territorialisés dits de la société civile (ONG, associations, groupements…) souvent partenaires des institutions internationales, qui se constituent leurs propres périmètres d’intervention chevauchant, recoupant, recouvrant ou englobant les mailles administratives officiellement reconnues. La production contemporaine des territoires locaux n’obéit donc plus exclusivement à l’encadrement administratif du territoire national d’un côté et à la gestion des services publics municipaux de l’autre, mais plutôt à une logique de recherche des territoires multiformes du développement, au sens d’espaces de mobilisation des différents acteurs potentiels du développement autour d’un projet. Deux mots d'ordre qui se déclinent en de multiples interprétations, accompagnent, justifient et encouragent ces mutations : "gouvernance" et "développement durable".
Partout, les pouvoirs publics investis dans un travail de recomposition plus ou moins radicale sont en quête de modèles, ils doivent aussi innover pour réussir la mobilisation pour le développement appelée de leurs vœux, parallèle bien souvent à leur désengagement. L’heure n’est plus à la rationalisation cartésienne, mais plutôt à une certaine géométrie variable de type « postmoderne » pouvant accompagner la complexité territoriale ambiante, elle même liée aux multiples ancrages et périmètres des réseaux d’acteurs.
Le Nord est tenté d’aller voir au Sud comment tradition, réseaux sociaux et identitaires ont pu se conjuguer avec administrations territoriales coloniale et postcoloniale, tandis que le Sud tend à s’éloigner d’une démarche de mimétisme et interroge les impasses des modèles du Nord, tout en cherchant à capter les nouvelles rentes du développement durable.
Ce livre constitue une synthèse et une mise en perspective théorique, de travaux en géographie politique sur les techniques et les enjeux de la fabrication des territoires. Chacune des 5 parties constitutives du livre est l’occasion de faire le point sur une des entrées cruciales du champ des recompositions territoriales. Pour chaque partie, une synthèse est produite qui permet de situer les apports des travaux de l’auteur dans le cadre de la production scientifique sur le thème, et de poser une série de questions. Des études et des développements originaux concernant notamment l’Afrique du Sud sont présentés à l’appui de ces parties. Par ailleurs, chacune de ces parties est l’occasion de formaliser des points théoriques sous forme d’axiomes, ou des points méthodologiques sous forme de graphes et grilles de lecture.

« 1. Vers le tout territorial » constitue un cadrage contemporain de la thématique. Cette partie permet de revenir sur l’ampleur du phénomène de construction multiforme de territoires locaux et régionaux, et de proposer une méthode graphique d’appréhension des systèmes d’administration territoriale dans leur complexité. Sont évoquées également les raisons du primat de l’approche territoriale dans les politiques publiques et les modes d’intervention pour le développement. L’axiome exposé dans cette partie concerne : “les logiques des 3 dimensions de l’Aménagement du territoire”.

« 2. Pas mort l’optimum, les formes contemporaines de l’utopie organiciste » revient sur les modèles, les techniques et les référents à l’œuvre dans la fabrication contemporaine des territoires. L’analyse porte plus particulièrement sur la tendance qui s’exprime chez les experts et les scientifiques à la quête d’un optimum territorial renouvelé qui combinerait fonctionnalité, participation et géométrie variable. L’axiome exposé concerne “la géométrie variable des territoires de la durabilité”

« 3. La condition du chef-lieu, de l’effet à l’enjeu » envisage les construits territoriaux sous l’angle de leur centralité. Plus particulièrement, c’est le thème de l’effet chef-lieu qui est traité et qui fait l’objet d’une présentation dans ses déclinaisons sud-africaines. Plus généralement, est proposée une interprétation générale de son paradoxal succès universel qui voit les villes secondaires tenter de se tailler des arrière-pays étendus à l’heure où les dotations publiques aux chefs-lieux se tarissent et où les charges de centralité augmentent. L’axiome exposé concerne “les modes de traitement territorial de la ville”

« 4. Les confins, entre innovation et relégation » aborde cette fois les territoires par leurs marges en défendant la thèse des confins comme lieux potentiels d’innovations territoriales, mais aussi d’atomisation du pouvoir territorialisé. C’est plus particulièrement leur traitement dans le champ de la conservation et de la protection sur le continent africain qui fait l’objet d’un développement. L’axiome exposé dans cette partie concerne “la règle des 1-3 2-4”, autrement dit le principe de contournement de l’échelon inférieur et d’encouragement à l’affranchissement de ses limites.

« 5. La postmodernité territoriale, éclairages africains » C’est donc une réflexion sur la postmodernité territoriale à partir des réalités africaines sur le temps long qui vient clore le mémoire. Elle reprend une notion qui parcourt les interprétations proposées pour les quatre autres entrées thématiques. Les réalités africaines, et singulièrement sud-africaines avec l’Apartheid, permettent en effet de questionner l’apparente linéarité et la succession des pré et des post dans le champ territorial et d’analyser les conditions d’émergence de construits hybrides.

Les axiomes énoncés esquissent une table des combinaisons et des règles d’usage des figures et modèles territoriaux, une grammaire de la composition territoriale politique. On voit par exemple comment la référence obligée au développement durable peut renvoyer non seulement à différents modèles, mais également à différents ordres fonctionnels et/ou méthodologiques pour définir des types de configurations territoriales dites“durables”
En fait, trois règles se combinent pour fonder les doctrines des réformes territoriales et les positionnements des collectivités et des coalitions.
La première règle est celle de l’imposition systématique d’un gabarit approximatif tandis que des marges de manœuvre sont laissées généralement à une commission pour l’appréciation ou la négociation des limites. Le gabarit des mailles est stratégique pour le dépassement ou la reprise d’un ordre ancien, pour l’encadrement et le contrôle adaptés aux moyens administratifs ou militaires, mais aussi pour le ciblage des coalitions territoriales promues comme partenaires. L’imposition d’un gabarit est la véritable condition territoriale du projet politique.
Cette règle en rejoint une autre qui s’apparente à une loi. La loi du 1/3-2/4 veut qu’un niveau de pouvoir en cours d’affirmation structure son territoire en cherchant des relais susceptibles de court-circuiter le niveau inférieur contre lequel il tend à s’affirmer.
Une règle enfin se dégage pour expliquer le positionnement des villes non-métropoles dans les processus contemporains de recompositions territoriales. Cette règle est celle de la “compensation hiérarchique” qui veut que pour compenser leur déficit dimensionnel, les villes moyennes et petites ont tendance, au Nord comme au Sud, à revendiquer des arrière-pays élargis. L’enjeu est celui de la captation des fonctions d’intermédiation territoriale, et ce malgré les charges de centralité. La cité et ses élites sont en capacité de représenter un territoire et ses ressources vis-à-vis d’acteurs externes -investisseurs ou bailleurs de fonds-, les agents de la cité sont alors incontournables pour l’accès et la valorisation de ces ressources. Cette position d’intermédiation à la tête d’un territoire élargi semble nécessaire pour exister dans la globalisation hors des aires métropolitaines. Elle prend le relais de la recherche d’un effet-chef-lieu qui, avec le désengagement des Etats, ne se traduit plus sous la forme de dotations en fonctionnaires et en équipements.
Avec ces quelques règles se dessinent des logiques qui donnent du sens à la complexité territoriale contemporaine et à ses formes. Cette complexité se traduit par une profusion et une hybridité des territoires sur fond d’effacement des normes de la modernité territoriale : pavage, emboîtement et uniformité des statuts. Cette complexité est avant tout le fait de deux phénomènes concomitants relatifs aux acteurs des recompositions : la métropolisation d’une part qui se caractérise notamment par des comportements individuels et collectifs faits d’appartenances multiples, et la multiplication des acteurs du développement d’autre part (des organismes internationaux à la nébuleuse de la société civile en passant par les collectivités territoriales, les services de l’Etat et les entreprises) qui inscrivent leurs actions dans des périmètres différents et pas toujours articulés. Ainsi la complexité territoriale n’est ni une calamité ni un bienfait, c’est une expression parmi d’autres des mutations sociales et des différentes facettes de la postmodernité.
Notre posture est celle de son acceptation à la fois comme objet pertinent et comme donnée contextuelle, mais pas comme un facteur de résignation en matière d’aménagement et de développement. En effet, si tout ne se joue pas sur le territoire, bien souvent dérisoire face à la mobilité du capital et des hommes, l’enjeu territorial existe et il n’est pas à sommes nulles. Il y a des gagnants et des perdants, de plus, les modèles qui circulent sont tout sauf neutres, ils peuvent promouvoir certaines configurations spatiales et politiques tout en marginalisant d’autres, ils peuvent in fine accroître la capacité ou l’incapacité territoriale.
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