Stoicismo Research Papers - Academia.edu (original) (raw)
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Le stoïcisme a sans aucun doute exercé sur Jean-Paul Sartre une influence aussi paradoxale que déterminante, un attrait que beaucoup de ses contemporains ont remarqué chez lui. De 1939 à 1948, son usage critique est indissociable du projet d'élaboration d'une « morale », dont la conclusion de L'être et le néant promet un ouvrage à venir, mais dont les écrits posthumes qui l'encadrent chronologiquement assumeront l'échec par leur inachèvement. D'abord démasqué dans les Carnets de la drôle de guerre comme une « machination psychologique », contraire à l'authenticité, puis dénoncé dans les Cahiers pour une morale comme une philosophie de la « liberté abstraite », complice de l'ordre établi, le stoïcisme n'apparaît que de manière épisodique dans L'Essai d'ontologie phénoménologique, bien que Sartre lui reconnaisse la paternité de sa propre conception de la liberté. Cette communication interrogera la présence et le rôle du stoïcisme dans L'être et le néant, dont l'influence reste visiblement à décoder. Elle partira d'une intuition de Victor Goldschmidt, qui, en commentant les catégories de l'ontologie stoïcienne dans Le système stoïcien et l'idée de temps (publié exactement dix ans après L'être et le néant), intuitionne sans aller plus loin la connivence de l'existentialisme sartrien avec le stoïcisme : « Il est bien vrai que l'individu (seule réalité reconnue par les Stoïciens) existe en vertu de sa seule qualité essentielle, 'inséparablement' liée à sa substance. Il n'en est pas moins vrai que l'individu concret 'se comporte' (πῶς ἔχει) constamment, par rapport à lui-même (manières d'être) et par rapport à ce qui l'entoure (manières d'être relatives) ; vingt siècles plus tard, les Stoïciens eussent dit qu'il est constamment 'en situation' » 1. Si l'on poursuit l'intuition de Goldschmidt en portant l'éclairage en direction de l'oeuvre de Sartre cette fois-ci, on s'aperçoit que L'être et le néant fait précisément usage du stoïcisme sur ce point difficile aux historiens de la philosophie, c'est-à-dire, le rapport entre l'ontologie et la morale (et la possibilité de fonder la seconde sur la première), qui ouvre à la thématique de la responsabilité et de l'engagement. Cet usage est aussi bien explicite quand il concerne l'incorporel stoïcien et son lien avec la néantisation originelle, et plus implicite, quand il s'agit de définir une liberté aliénée aux situations. Le stoïcisme apparaît en effet explicitement dès l'ouverture de L'être et le néant, lorsqu'il s'agit d'interroger le problème du néant. Sartre se sert du lekton stoïcien – l' « exprimable » incorporel compris comme un non-étant (mais pas un non-quelque chose) 2 – pour penser le statut du néant comme « corrélat de la négation », hypothèse qu'il finira par rejeter (en adoptant un certain hégélianisme) puisque le néant ne peut pas advenir à l'être comme corrélat du jugement négatif (le jugement relevant de l'être et ne pouvant expliquer son surgissement). Nous pourrions toutefois relever de nombreuses occurrences, dans la suite de l'oeuvre, qui prouvent que l'incorporel stoïcien n'est pas disqualifié pour autant (il revient dans les considérations sur le vide, le lieu, le tout et la totalité, Dieu, etc.). En réalité, cette première évocation du stoïcisme annonce son rôle décisif pour la conception de la liberté, que Sartre dit bien hériter des stoïciens. Puisque la liberté est la sécrétion, par la réalité humaine, « d'un néant qui l'isole », il est tout à fait normal que l'ontologie stoïcienne (des corps et des incorporels, ces non-étants causés par les êtres que sont les corps) apparaisse, bien que de manière plus cryptée et sans doute plus prudente, dans les développements de la quatrième partie de L'être et le néant. Les stoïciens y sont ainsi mentionnés à deux reprises, positivement, sur le « coefficient d'adversité » et la question de l'obstacle et de sa transformation en auxiliaire, et 1 V. Goldschmidt [1953], p. 22. 2 Emile Bréhier (dont Sartre avait suivi les cours à la Sorbonne) avait publié, en 1928, un ouvrage faisant référence en la matière (La théorie des incorporels dans l'ancien stoïcisme).