histoire de la Bretagne Research Papers (original) (raw)

Recension parue dans Parlement[s]. Revue d'histoire politique, hors série n°10, février 2015, p. 206-208. « Plogoff » entre guillemets désigne, par métonymie, bien plus que la commune de Plogoff, à l'extrémité sud-ouest du Finistère. Il... more

Recension parue dans Parlement[s]. Revue d'histoire politique, hors série n°10, février 2015, p. 206-208. « Plogoff » entre guillemets désigne, par métonymie, bien plus que la commune de Plogoff, à l'extrémité sud-ouest du Finistère. Il s'agit de l'ensemble du mouvement antinucléaire breton entre le milieu des années 1970 et 1981, que Gilles Simon étudie ici dans le détail, s'appuyant sur une enquête de terrain intense et diversifiée, proche de l'exhaustivité : archives, presse, entretiens. Chaque chapitre articule efficacement exemples, citations, anecdotes d'une part, et montée en généralité, recours mesuré et diversifié à la théorie d'autre part. Cette méthode inductive aboutit à la proposition d'une grille de lecture très convaincante : la mobilisation sociale de Plogoff, son déclenchement, sa durée et son « aboutissement difficile », se construisent par le biais de divers processus d'apprentissage. Pas de vision linéaire, spontanéiste, a-historique du mouvement de Plogoff donc : il ne s'est pas développé sans difficultés, tâtonnements ou contradictions internes. Son succès même, avec l'abandon du projet de centrale en juin 1981, n'était pas programmé d'avance et résulte de la conjonction entre le mouvement social et de l'ouverture d'une fenêtre d'opportunité politique, l'alternance. L'auteur met en évidence combien le succès militant et médiatique de l'opposition à l'enquête d'utilité publique (février-mars 1980) est le produit de l'accumulation progressive d'un capital militant. À l'échelle de ces six semaines de confrontation tendue, bien sûr (l'ingéniosité grandissante des barricades en témoigne) mais également sur une échelle plus grande, depuis le lancement du plan électronucléaire en 1974 et dans tout l'espace régional voire au-delà. Ainsi les retours d'expérience de la part des aires de mobilisation de Flamanville et du Pellerin jouent-ils un rôle décisif dans le choix de privilégier, face à l'administration à l'hiver 1980, le rapport de forces plutôt que la négociation ou le recours judiciaire ; les savoirs-faire des syndicalistes agricoles, des ouvriers du bâtiment et des vétérans de la guerre d'Algérie sont également mis à contribution. La détermination des habitants et des militants elle-même s'est nourrie de la construction d'un « cadre social d'interprétation » de l'énergie nucléaire, décortiqué par Gilles Simon : l'énergie nucléaire est progressivement analysée et présentée selon un schéma d'oppositions binaires, associée à la destruction de la nature et de l'identité bretonne, à la société policière, à la catastrophe meurtrière. Le dépassement permanent des tensions entre opposants locaux et « écologistes politiques », mais aussi entre modérés et radicaux, a été une condition de la relative cohésion du mouvement, par le biais d'un accommodement progressif autour de divers points de convergence militante comme la pratique des barricades, les marches, ou encore le choix stratégique de la non-violence. Les champs médiatique et institutionnel relayent la mobilisation de manière très variable dans le temps. Si les maires et conseils municipaux sont nombreux dès 1975 à s'opposer fermement aux projets d'EDF, le mouvement antinucléaire peine à se structurer à l'échelle régionale, et plus encore à l'échelle nationale. Les hésitations des édiles et le choix du Parti communiste français de soutenir le projet de centrale en 1980 fragilisent la cohésion du front jusque-là solide de « Plogoff ». Au même moment pourtant, l'effervescence de l'opposition à l'enquête d'utilité publique permet aux contacts noués avec la presse nationale et locale de porter leur fruits. Le prisme dominant du traitement journalistique de « Plogoff » devient alors celui des violences policières et des atteintes à la démocratie, plutôt que la critique de la centrale nucléaire elle-même. Cela facilite la prise en compte des revendications plogoffites par un Parti socialiste dont les fédérations bretonnes et notamment finistérienne sont alors en plein essor. Les résultats locaux des deux tours de l'élection présidentielle de avril-mai 1981 le montrent : François Mitterrand a bénéficié largement de sa