Valentin Raspoutine (original) (raw)

Nastasia-B

25 juillet 2018

Ne me contredis pas, Andr�ouchka. J'ai vu peu de choses, mais j'ai beaucoup v�cu. Ce que j'ai vu, je l'ai regard� longtemps, non pas en passant, comme toi. Tant que Mat�ra existait, je n'avais pas � courir ailleurs. J'ai connu bien des gens, et ils sont petits. Quelle que soit leur situation, ils sont petits. Ils sont � plaindre. Toi, tu n'es pas � plaindre, parce que tu es jeune. Tu sens ta force, tu penses que tu es puissant, que tu peux tout. Non, mon gars, je ne connais pas encore d'homme qui ne soit pas � plaindre. M�me s'il poss�dait la sagesse de Salomon. De loin on dirait, tiens, celui-l� n'a peur de rien, il aurait raison du diable lui-m�me. Mais regarde de plus pr�s : il est pareil aux autres. Tu veux sauter par-dessus ta t�te. Andr�ouchka, n'essaie pas. Personne encore n'a pu le faire. Tu te meurtriras, tu resteras plant� l�, sans savoir o� aller. � peine auras-tu r�ussi � t'en sortir que la mort sera l�, et elle ne te ratera pas. Les hommes ont oubli� la place que Dieu leur a donn�. Je te le dis. Nous ne valons pas mieux que ceux qui ont v�cu avant nous. Il ne sert � rien de trop vouloir en faire. Mets sur un chariot plus qu'une jument ne peut en tirer, �a ne te conduira nulle part. Dieu, lui, n'a pas oubli� notre place. Il voit que l'homme est devenu orgueilleux, tr�s orgueilleux, et l'orgueil le rend pire. Cet imb�cile qui scie la branche qui le soutient, il est tr�s fier de lui, lui aussi ; et il tombe lourdement et se fait �clater la rate ; et c'est contre la terre qu'il se la brise, pas contre le ciel. Rien ne dispara�t de la terre. � quoi bon parler ? La force qui vous est donn�e aujourd'hui, oh ! oui, elle est grande. Et d'ici � Mat�ra, on la voit. Mais prenez garde que cette force ne vienne pas vous abattre, vous aussi. Elle est tellement grande, et vous, vous �tes aussi petits qu'avant.

Chapitre 12.

Nastasia-B

06 mars 2018

L'homme na�t, vit et, quand il est fatigu� de vivre, comme elle maintenant, ou m�me quand il ne l'est pas, il se retourne forc�ment sur son pass�. Combien y en avait-il eu avant elle ? Combien y en aurait-il apr�s ? [�] Qui sait la v�rit� au sujet de l'homme : pourquoi vit-il ? Pour la vie elle-m�me ? Pour les enfants ? Pour que les enfants laissent eux aussi des enfants et que les enfants des enfants en laissent � leur tour ? Ou pourquoi d'autre ? Ce mouvement sera-t-il �ternel ? Et si c'est pour les enfants, pour cette ronde sans fin, pour ce d�fil� ininterrompu, pourquoi venir sur ces tombes ? L'arm�e enti�re de Mat�ra est l�, couch�e, qui se tait, des centaines de gens qui ont donn� tout ce qu'ils avaient au village, � Daria et � d'autres comme elle ; et qu'en reste-t-il. Que ressent l'homme pour qui tant de g�n�rations ont v�cu ? Rien du tout. Il ne comprend rien. Il se conduit comme si la vie commen�ait avec lui et, avec lui aussi, finissait pour toujours. Vous, les morts, racontez : avez-vous appris la v�rit�, l� o� vous �tes ? Pourquoi avez-vous v�cu ? Ici, nous avons peur de la conna�tre, cette v�rit�, et puis on n'en a pas le temps. Qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qu'on appelle la vie, et qui en a besoin ? Sert-elle ou non � quelque chose ? Est-ce que nos enfants, � qui nous avons donn� le jour, plus tard las et pensifs, commenceront � se demander pourquoi nous les avons mis au monde ?�

Chapitre 18.

Nastasia-B

04 mai 2016

Il y a longtemps que les jambes vous d�mangent d'aller courir ailleurs. Pour vous, Mat�ra c'est le chol�ra. Vous ne vous �tes pas faits � cette terre, et vous ne vous ferez � rien nulle part, vous n'aurez jamais de regrets. Vous resterez des� des d�racin�s !

Chapitre 13.

Bookycooky

22 mai 2018

Les diff�rents noms que se donnent maris et femmes suivant l�occasion sont comme les touches d�un instrument de musique. Anatole appelait parfois- bien que rarement- sa femme Tamara Ivanovna, en adjoignant au besoin � ce nom avec une l�g�re ironie taquine un ��Sa Majest頻; il l�appelait tout simplement Tamara, les jours sans ennuis et sans nuages qui leur �voquaient leur jeunesse, ��maman��,..devant les enfants..,���ma colombe�� pour dissiper un surcro�t d�amertume au moyen d�un terme inoffensif mais sentimental et ��la compagne de les jours heureux�� quand il voulait davantage de bonheur et un bonheur plus intense....
p.84

Nastasia-B

16 janvier 2015

� Comment d�j� tu m'as dit, M�m� ? Que j'ai tortur� ma t�te ?
� Et c'est la v�rit�. Tu bois sans arr�t. Et tu ne regrettes pas ton argent.
� L'argent, c'est une bagatelle : il suffit de le gagner.
� L'argent aussi, on doit le respecter. On peut pas le gagner comme �a. Pour en avoir, tu travailles, tu donnes ta force, ta sant�.
� Moi, j'ai beaucoup d'argent. Il m'aime, M�m�. Les sous, c'est comme les bonnes femmes : moins tu y fais attention, et plus ils t'aiment. Mais celui qui tremble pour chaque kopeck, celui-l�, il aura pas de ronds.
� Comment, il n'en aura pas, s'il ne les jette pas pour rien par la fen�tre, s'il ne les boit pas, comme toi.
� Comme �a ! L'argent comprendra qu'il est un pingre, et � salut !
� �a, je n'en sais rien.
� C'est comme je te le dis. Ne crois pas, M�m�, l'argent aussi il comprend. Le grippe-sous n'amasse que des miettes. � moi, homme simple, l'argent vient tout bonnement. On se comprend, lui et moi. Je le regrette pas, et il se regrette pas. Il vient, il s'en va, il s'en va, il vient. Mais si je commence � l'amasser, il comprendra tout de suite que je suis pas son homme, et aussit�t, il m'arrivera quelque chose : ou je tomberai malade, ou on m'enl�vera du tracteur. J'ai �tudi� tout �a.

Nastasia-B

21 avril 2016

S'il ne travaille pas, s'il ne sert � rien, si personne n'a besoin de lui, l'�tre humain n'existe plus. Il est fini.

Chapitre 17.

Nastasia-B

24 juillet 2018

� Et quand vous en aurez fini, les tombes, Pavel, pense aux tombes, � rappela Daria. � Tant que les tombes ne seront pas transf�r�es, je ne vous laisserai pas partir. Ah non, quitte � y rester moi aussi.
Le regard d'Andr�, �tonn� et incr�dule, passa du p�re � la grand-m�re et de la grand-m�re au p�re. Il faudrait d�terrer les tombes et vider ce qui restait des morts enterr�s l� bien avant qu'il ne soit lui-m�me au monde ? Pour quelle raison ? L'id�e de ce travail paraissait sinistre, malsaine, mais en m�me temps elle l'attirait, elle l'excitait, c'�tait int�ressant. Oui, int�ressant de voir ce que devient un homme qui g�t dans la terre depuis trente, quarante ou cinquante ans et pas simplement un homme quelconque, un �tranger, mais un homme du clan, un grand-p�re ou un arri�re-grand-p�re. Est-ce que cela �veillera en lui une sensation inconnue jusqu'alors ? Il est douteux qu'il puisse voir une chose pareille de tout le reste de sa vie. C'�tait une occasion, une aventure particuli�re qui ne se pr�senterait plus.
Mais on sait bien que l'homme n'a le loisir que de suppositions�

Chapitre 15.

Nastasia-B

15 avril 2016

� Je dois vieillir, �a se voit, � se disait Pavel, pour expliquer son d�sarroi. � Les jeunes, eux, comprennent ; il ne leur vient pas � l'id�e de douter. S'ils agissent de cette fa�on, c'est qu'il le faut. [�] Comme si je ne comprenais pas que le nouveau ne peut se construire sur du vent et na�tre de rien, qu'il faut, pour y arriver, sacrifier parfois ce qui nous est cher et familier et fournir de grands efforts. Oui, cela, je le comprends parfaitement. Et je comprends bien que, sans la technique, on ne peut rein faire aujourd'hui, ni aller nulle part. Chacun peut le comprendre. �
Mais comment admettre ce qu'on avait fait du village ? Pourquoi avait-on exig� de ceux qui vivaient ici une peine inutile ? Combien, pour �conomiser un jour, avait-on perdu d'avance, et pourquoi tout cela n'avait-il pu �tre calcul� ? �videmment, on peut aussi ne pas se poser de questions, se laisser vivre et porter par le courant. � Mais c'est que tu es concern� : savoir combien vaut chaque chose et � quoi elle sert, d�couvrir la v�rit� � c'est pour cela que tu es un homme. �

Chapitre 9.

Nastasia-B

12 janvier 2015

Une fois, un tuberculeux m'a fait un aveu fort int�ressant. Si j'avais voulu, m'a-t-il dit, il y a longtemps que je serais gu�ri, mais je n'ai aucun int�r�t � �tre un homme en bonne sant�. Vous ne comprenez pas ? Moi non plus, au d�but, je n'ai pas compris. Mais il m'a expliqu� : quatre, cinq mois par an, il est � l'h�pital, aux frais de l'�tat, ou bien en sana o� il p�che, se prom�ne dans les bois, et l'�tat lui paye cent pour cent de son salaire. On le soigne gratuitement, la nourriture est �videmment la meilleure qui puisse �tre, il a un logement de premi�re qualit�, il a tous les biens mat�riels, tous les privil�ges en tant que malade. Puis, il rentre du sana et, bien conscient de ce qu'il fait, il se met � boire, � fumer, surtout lorsqu'il remarque une am�lioration, bref, tout pour ne pas �tre priv� de ces privil�ges. Il y est d�j� habitu�, il ne peut plus s'en passer.

Bobby_The_Rasta_Lama

31 mars 2020

Mais en novembre, quand vint le moment de quitter l'h�pital, ce moment attendu avec une telle impatience qu'il aurait aussi bien l�ch� ses blessures pour le h�ter, ce fut le coup de massue : rejoindre l'unit�. Pas de permission, rejoindre l'unit�. Il avait �t� tellement certain de rentrer chez lui que pendant longtemps il n'arriva pas � r�aliser la chose, il crut qu'il s'agissait d'une erreur, il courut trouver les m�decins, se mit � expliquer, � s'�nerver, � crier. Personne ne voulait l'entendre : "apte � combattre". Un point c'est tout. On le mit � la porte de l'h�pital, rev�tu d'un uniforme, un livret de soldat et un carte de rationnement � la main.
"Vas-y, Andre� Gousskov, rattrape ta batterie. La guerre n'est pas finie."
La guerre se poursuivait.