Le Cercle rouge - Film de Jean-Pierre Melville - Critique (original) (raw)
Film de Jean-Pierre Melville
Année de sortie : 1970
Pays : France
Scénario : Jean-Pierre Melville
Photographie : Henri Decaë
Montage : Marie-Sophie Dubus et Jean-Pierre Melville
Musique : Éric Demarsan
Avec : Alain Delon, André Bourvil, Yves Montand, Gian Maria Volontè, Paul Amiot.
Quand des hommes, même s’ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le Cercle Rouge.
Rama Krishna, cité dans Le Cercle rouge.
D’une précision remarquable dans sa manière de mettre en place les codes et accessoires du cinéma noir, Le Cercle rouge touche à la quintessence du genre. Moins épuré que Le Samouraï (du même réalisateur), le film livre aussi quelques beaux portraits d’homme, notamment à travers les personnages campés par Yves Montand et André Bourvil.
Synopsis de Le Cercle rouge
Le prisonnier Vogel (Gian Maria Volontè) échappe à la vigilance du commissaire Mattei (Bourvil) qui l’escortait dans un train. «Par hasard», il se réfugie dans le coffre de la voiture de Corey (Alain Delon), à peine sorti de prison, qui lui propose de réaliser avec lui le casse de la bijouterie Place Vendôme – un tuyau fourni par un gardien pendant sa détention.
Les deux hommes préparent le coup avec un ancien policier devenu alcoolique (Yves Montand), tandis que le commissaire Mattei met tout en œuvre pour retrouver Vogel.
Melville et les codes du cinéma noir
Bourvil pensait d’abord être incapable d’incarner le commissaire Mattei, un rôle initialement prévu pour Lino Ventura. Melville a donc emmené l’acteur chez un chapelier, et c’est en se regardant dans un miroir, coiffé du chapeau qu’il porte dans le film (ou d’un modèle similaire), que Bourvil s’est senti prêt pour le rôle.
Le commissaire Mattei (André Bourvil) dans « Le Cercle rouge »
Cet événement pourrait paraître anecdotique, il est en réalité très représentatif de l’univers de Melville. Un univers où les accessoires et objets (chapeaux, revolvers, imperméables, voitures américaines) sont autant d’emblèmes d’un genre cinématographique – le film noir – dont Jean-Pierre Melville est une figure majeure. Lui-même, d’ailleurs, portait une paire de lunettes noires et un chapeau. Dans ses films, ces différents éléments relient intimement les personnages à la mythologie du cinéma noir ; ils en font des figures tragiques, évoluant dans un monde codifié, à l’image du doulos incarné par Jean-Paul Belmondo dans le film éponyme.
L’un des meilleurs scénarios de Melville
Pour ce qui allait devenir son avant-dernier film, Jean-Pierre Melville écrivit seul ce qui est sans doute son meilleur scénario original (ce qui n’inclut donc pas ses films adaptés de romans, comme L’Armée des ombres, Le Silence de la mer ou encore Léon Morin, prêtre). Contrairement au Samouraï, dont le scénario, co-écrit avec Georges Pellegrin, est très épuré, Le Cercle rouge met en scène quatre personnages principaux, ainsi qu’un cinquième que l’on voit moins à l’écran mais qui a un rôle clé, à savoir le chef de la police interprété par Paul Amiot, dont l’implacable philosophie (tous les hommes sont coupables) trouve dans le déroulement du métrage une sinistre illustration.
Corey (Alain Delon) et Jansen (Yves Montand)
En attribuant à chaque personnage une histoire (parfois seulement suggérée, mais toujours perceptible), des motivations et une personnalité propres, Melville parvient à développer, au fil d’une construction très rigoureuse, plusieurs enjeux dramatiques qui viennent enrichir le film et lui donner un relief et une intensité qu’on ne retrouvera pas, par exemple, dans son film suivant, l’ultime Un Flic, maîtrisé formellement mais moins dense que Le Cercle rouge.
Des personnages typiquement melvilliens
Au-delà de leurs différences, les personnages du film partagent un point commun important : leur caractère profondément melvillien.
D’abord, ils sont seuls : la petite amie de Corey le quitte pendant son séjour en prison ; le commissaire Mattei ne retrouve que des chats en rentrant chez lui le soir ; Vogel est un fugitif sans attaches apparentes ; et Jansen est un ancien policier alcoolique souffrant de delirium tremens, comme l’illustre l’une des scènes les plus célèbres du film.
Yves Montand – qui est remarquable dans le film – dans la scène du delirium tremens.
Ensuite, ils sont tous sous l’emprise d’un destin dont ils ne font qu’illustrer la mécanique inaltérable, comme le suggère d’ailleurs le rythme lent du film (exprimant, d’une certaine manière, le poids de la fatalité) : Mattei agit sous l’influence d’un supérieur hiérarchique qui balaie le moindre de ses scrupules, et Vogel semble perdu, contraint de jouer un rôle de gangster qui ne lui convient pas vraiment (je ne suis pas un professionnel, avoue t-il). Notons que Gian Maria Volontè exprime très bien cette caractéristique du personnage ; on peut supposer d’ailleurs que son malaise sur le tournage du film (c’est Delon qui dût le convaincre de rester, l’acteur italien ne s’étant visiblement pas entendu avec Jean-Pierre Melville) a servi sa composition, puisqu’il interprète un homme qui n’est pas vraiment à sa place…
Melville et la passion du détail : Jansen (Yves Montand) fabrique minutieusement les balles du fusil qu’il va utiliser pour le casse.
Enfin les personnages reflètent tous cette sobriété, cette solennité typiques du style de Melville. Une certaine dignité aussi, à l’image de Jansen qui vaincra les tremblements de l’alcool et prendra sa revanche sur « les animaux du placard » avant d’entrer dans l’inévitable cercle auquel le titre du film fait référence. En ce sens, sa démarche est presque un rituel initiatique ; d’ailleurs dans Le Cercle rouge – comme dans Le Samouraï -, la mise en scène, les mouvements et les regards des comédiens évoquent parfois le déroulement d’une cérémonie, réglée avec une précision extrême. La longue et brillante séquence du hold-up (25 minutes sans dialogues) est très représentative de cet aspect, mais le film dans son ensemble fait songer à une sorte de rite au cours duquel le réalisateur, et derrière lui le cinéphile (Melville était un grand admirateur du cinéma américain), rassemble méthodiquement les ingrédients du film noir et met en place les rouages de la fatalité. Il en résulte une esthétique à la fois référentielle et unique, le réalisateur développant un style et une approche qui lui appartiennent et dont beaucoup s’inspireront par la suite.
9 Note globale
Avec Le Cercle rouge, Jean-Pierre Melville transcendent les codes du cinéma noir avec un sens du cadre et du rythme tels que le film demeure, plus de 40 ans après sa sortie, l'une des références les plus iconiques du genre. Un statut auquel contribuent largement la photographie gris-bleue du grand chef opérateur Henri Decaë et la composition émouvante et grave de Bourvil, disparu peu de temps après la fin du tournage.