Biographie rock - Genesis raconte Genesis... avant et après (original) (raw)

A priori, rien à redire. Contenant, contenu, c'est fichtrement bien fichu. À la manière d'Anthology, le gros bouquin où les Beatles racontaient eux-mêmes la petite et la grande histoire des Beatles par le truchement d'entrevues-fleuves (ou d'extraits d'entrevues existantes, dans le cas de Lennon, alors le seul tombé au combat), les cinq gars de Genesis réunis pour l'occasion — Peter Banks, Phil Collins, Peter Gabriel, Steve Hackett, Michael Rutherford — narrent en long, en large et dans le menu détail leur vie de groupe.

Bonne chose, en soi. L'intérêt de ces histoires orales tient à la multiplicité des voix: on peut comparer les souvenirs d'un même événement, souvent divergents, et se façonner sa propre opinion. Ainsi chacun offre-t-il ici sa version du départ de Gabriel, ce moment fatidique où, dans un hôtel de Cleveland qui «faisait partie de la culture rock'n'roll» (Gabriel), «un hôtel bizarre où chaque chambre était différente mais toujours minable» (Banks), le chanteur charismatique annonce aux autres sa décision. Pour Steve Hackett, «cela s'est passé le plus courtoisement possible». Pour Gabriel, ç'a été «très difficile». Rutherford n'a «jamais pensé à [s]'opposer». Et ainsi de suite.

Je choisis ce moment-là exprès, parce que ce livre fichtrement bien fichu (mieux fichu que le Beatles, du point de vue graphique — pas d'images tramées, pas de pages illisibles pour cause de fond trop foncé, pas de photos superposées), ce bien beau livre s'avère de moins en moins intéressant à mesure que l'on s'éloigne du Genesis de Gabriel, à mesure que Genesis devient un groupe pop corporatif parmi d'autres, pondant les succès comme des lapines en rut. Comprenons-nous: je n'ai pas détesté le Genesis des années 80, le Genesis de Turn It On Again et de Land Of Confusion, mais le temps a fait son oeuvre. C'est l'évidence, j'en veux pour témoins les critiques rock de la planète: les succès ont mal vieilli, alors que les albums de la période «prog» initiale ont gagné en profondeur et en pertinence. Je n'étais pas au Stade en septembre dernier, mais le double disque de la tournée retrouvailles fait le même effet: le medley première époque In The Cage-Cinema Show-Duke's Travels est géant, alors qu'une ballade du genre de Hold On My Cage est révélée dans toute son insignifiance.

Curieuse lecture, donc. Passionnante tout au long des deux cents premières pages, soporifique les suivantes. Qui veut en savoir plus long sur le processus de création de I Cant' Dance? Pas moi. À propos de la pochette de Foxtrot, qui inspira le costume à tête de renard de Gabriel? Et comment! C'est à ce point tranché. On comprend mieux les fans de la première heure, qui ne jurent encore et toujours que par le Genesis des années Gabriel. Les fans québécois, d'ailleurs, seront bien marris: pas la moindre mention de la phénoménale popularité du groupe chez nous. Les vrais fans, apprend-on, étaient les Belges! C'est à peine si Collins reconnaît l'existence du groupe-hommage The Musical Box, «groupe canadien qui reprend [leurs] titres». On est loin d'un Roger Hodgson, ex-Supertramp enregistrant un live à Wilfrid-Pelletier. On est aussi loin d'un Gabriel travaillant avec Robert Lepage. Il faut dire que le parcours en solo de Gabriel n'est pas évoqué non plus. Genesis, toute l'aventure? Question de point de vue.

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GENESIS, TOUTE l'AVENTURE

Tony Banks, Phil Collins, Peter Gabriel, Steve Hackett et Mike Rutherford, avec Philip Dodd

Éditions EPA

Hachette-Livre

Paris, 2007, 360 pages

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