Dans le Larzac, un projet de centrale photovoltaïque sème la discorde (original) (raw)

Sur les causses du Larzac, une société souhaite implanter un parc de panneaux photovoltaïques pouvant recouvrir jusqu’à 400 hectares de terres. Une concertation préalable a débuté le 2 mai entre les opposants à ce projet et ses promoteurs.

La colère gronde sur le plateau du Larzac. Ses habitants pourraient voir dans les années à venir l’implantation de près de 30.000 panneaux photovoltaïques sur 400 hectares de terres. De quoi faire des remous dans cette région connue pour ses précieux paysages. Une société du nom d’Arkolia Energies, PME héraultaise spécialisée dans les énergies renouvelables, a pour ambition d’implanter un projet géant de centrale photovoltaïque couplé à une usine de production de méthane biologique. Problème, le domaine de Calmels qui accueillerait le projet Solarzac, c’est son nom, est au coeur des Causses et des Cévennes, patrimoine mondial de l’Unesco, de quatre sites Natura 2000, d’un Grand site de France et à proximité du Cirque de Navacelles. De quoi provoquer l’incompréhension vis-à-vis d’un tel projet qui pourrait nuire à ces appellations.

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Les arguments de chaque partie font l’objet depuis jeudi 2 mai d’une concertation publique organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP). Une manière d’assurer un débat apaisé et éclairé sur un sujet sensible. «Ce qui m’intéresse et m’obsède c’est que chacun puisse parler et que cela se fasse dans le respect de la parole de chaque citoyen», confie le garant de cette concertation, Bruno Védrine. Les opposants joueront le jeu de la participation, mais «pour l’instant, ça semble inconcevable que ce projet se fasse. C’est un très mauvais coup porté à la transition énergétique car pour qu’elle puisse avancer il faut qu’elle soit en cohérence avec le territoire visé», affirme José Bové, député européen Europe Ecologie Les Verts. Il a été pionnier du mouvement altermondialiste en France dans les années 70, sur ce même plateau du Larzac.

Une artificialisation des terres problématique

De son côté, Laurent Bonhomme, président de la société Arkolia, a présenté trois scénarii du projet Solarzac pour «permettre aux gens de s’intégrer au projet», dont le plus important générera 320 MW, avec une mise en service prévue en 2025. Au coeur de Solarzac, le domaine de Calmels, dans la commune du Cros. C’est actuellement une propriété privée consacrée à la chasse et entièrement clôturée de grilles de 1,80 mètre de haut. Le propriétaire a conclu un bail de location avec la société Arkolia. Pour Laurent Bonhomme, le terrain s’accorderait parfaitement au projet car «il n’est pas classé en zone agricole». L’artificialisation de terres agricoles, qui correspond à un changement d’utilisation du sol engendrant une perte de ressource, modifierait pourtant profondément l’identité du Larzac Sud, selon les opposants. «Solarzac, rendez-vous compte, c’est six fois la surface du centre-ville de Montpellier, explique Simon Popy, président de France Nature Environnement de la Région Occitanie. L’artificialisation des terres doit cesser, c’est d’ailleurs un objectif national».

Le projet concernerait des zones préservées où des espèces protégées vivent, comme plusieurs couples d’aigles royaux. La société Arkolia affirme que le bureau d’étude Synergia auquel elle a fait appel a constaté en un an et demi «seulement 200 vols d’aigles», «c’est minime», balaie Laurent Bonhomme. Que le domaine soit un terrain privilégié pour les chasseurs du coin n’enlève en rien la diversité de faune et de flore qui peut s’y trouver. «C’est triste de le dire mais il vaut mieux avoir une zone de chasse privée qu’une zone couverte de panneaux photovoltaïques», constate Simon Popy.

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La vocation agropastorale du domaine serait également en jeu. «L’agropastoralisme, c’est la particularité du Larzac. C’est un territoire rocheux qui n’est pas cultivable mais qui a naturellement un tapis herbeux aimé par les brebis qui entretiennent ainsi tout le plateau», explique Jean-Noël Malan, vice-président de la Communauté de Commune du Lodévois et Larzac. Cette dernière a d’ailleurs voté un avis défavorable au projet Solarzac le 21 février dernier, tout comme le conseil scientifique de l’Entente qui gère le bien Patrimoine mondial de l’Unesco Causses et Cévennes. Le syndicat de la Confédération paysanne s’est également positionné contre.

Ces différents opposants ne sont pas contre les nouvelles énergies, au contraire. Ils sont d’ailleurs favorables à l’implantation de panneaux photovoltaïques, mais pas n’importe où et en cohérence avec le territoire et son identité, comme sur des toitures, des parkings ou sur des surfaces déjà artificialisées. L’éternel militant de la cause environnementale, José Bové, met en garde contre l’abus de la technologie dite «verte» dans une démarche de transition écologique: «il faut toujours évaluer une technologie à la fois par rapport à ses coûts de mise en oeuvre, ses conséquences sur l’environnement et sa capacité ensuite à pouvoir évoluer. Si on n’a pas cette vision globale de la technologie on se plante car si elle ne détruit plus que ce qu’elle construit, c’est délicat».

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La question de l’eau: “une lubie” pour les uns, “une fake news” pour les autres

Autre point cristallisant les tensions: la ressource en eau. «Une fake news de la part des opposants!» s’emporte Laurent Bonhomme. Le système nécessiterait en effet selon lui 80.000 m3 d’eau mais dont 40.000 seraient générés par le processus de méthanation et également par le ruissellement des panneaux photovoltaïques. L’autre moitié serait prise dans les quatre bassins artificiels déjà existant sur la propriété. Une lubie pour le président de France Nature Environnement de la région qui met en évidence la réalité du Larzac, une zone aride où la ressource en eau n’est pas infinie et où existe une très forte évaporation.

Face à l’opposition qui se mobilisent, l’entreprise Arkolia compte ses soutiens. Excepté l’ensemble du conseil municipal du Cros et son maire Alain Viala, seules quatre autres communes avoisinantes se sont positionnées en faveur du projet. Même la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, se montre sceptique en considérant que «le projet Solarzac, en l’état actuel des documents d’urbanisme locaux, n’est pas réalisable» et ne le sera «que si les décideurs locaux le souhaitent».

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Arkolia n’a pourtant pas lésiné sur les arguments de séduction. Laurent Bonhomme promet en effet la création de 27 à 187 emplois selon le scénario adopté mais aussi jusqu’à 10.000 euros de retombées fiscales par an pour la commune du Cros, 150.000 euros pour la Région Occitanie et même 1,6 million d’euros annuel pour la Communauté de communes Lodévois et Larzac. «Si en contrepartie de tout ça on perd le label Unesco, le tourisme va régresser et on perdra de l’activité économique, tempère Jean-Noël Malan. Pour quelques rentrées d’argent on ne veut pas sacrifier tout le travail qu’on a fait pour avoir ce territoire classé».

Jusqu’au 23 juillet, les différents acteurs du projet ainsi que ses opposants pourront s’affronter lors de réunions, de débats et d’ateliers techniques. Arkolia aura ensuite deux mois pour annoncer s’il souhaite continuer le projet, l’abandonner ou l’amender. Son PDG assure ne pas vouloir renoncer. «La mobilisation peut aller très loin» prévient le vice-président de la Communauté de communes, «nous sommes prêts s’il le faut à aller en justice et pourquoi pas créer une ZAD».