Le salon de l'agriculture, «une mise en avant des secteurs qui tuent les paysans» (original) (raw)

Publié le 24 février 2016 à 19h21, mis à jour à 19h29

José Bové, député européen. FRANCOIS LO PRESTI/AFP

INTERVIEW - José Bové, eurodéputé écologiste, a décidé de boycotter le salon de l'agriculture, «cette belle vitrine, alors que nous sommes en situation de crise où les paysans disparaissent». Pour lui, les politiques doivent légiférer, renforcer les circuits courts et mieux répartir les richesses.

À quelques jours de l'ouverture du salon de l'agriculture, José Bové, ex-leader de la Confédération paysanne, a annoncé qu'il le boycottera cette année. «Personnellement, je ne me rendrai pas au salon et chacun prend ses responsabilités», indique le député européen. Il explique quelles pourraient être les solutions à la crise alors que les agriculteurs sont mobilisés pour réclamer une hausse de leurs rémunérations.

LE FIGARO. - Pourquoi avez-vous décidé de boycotter le salon de l'agriculture?

JOSE BOVE. - Le salon est une belle vitrine de l'agriculture, avec une mise en avant de l'agroalimentaire, des nouvelles technologies, des fast foods...ces secteurs qui tuent les paysans. Nous sommes en situation de crise où les paysans disparaissent, en opposition avec la grande distribution.

Je n'irai pas au salon mais chacun est libre de prendre ses responsabilités. Les politiques qui ont géré cette politique agricole ont tous une part de responsabilité dans la crise que nous traversons et feraient bien de méditer là-dessus.

À ce titre, Manuel Valls a annoncé une baisse générale des charges pour les agriculteurs et une année sociale blanche. Ces mesures peuvent-elles résoudre la crise?

Ces mesures ne vont rien changer à long terme. On leur propose de décaler leurs paiements mais s'ils doivent les payer dans un an ou deux, ça ne change rien. Ce n'est pas une solution à la crise actuelle.

Mais alors, quelles sont les solutions?

Nous traversons plusieurs crises simultanées. La crise maîtresse est liée à la surproduction avec des excédents qui font chuter les prix. Il faut aller contre cette politique aberrante de croire que c'est par l'ouverture des marchés qu'on va régler le problème. La solution n'est pas de renforcer l'exportation, comme certains ont pu le proposer mais de diminuer la production.

Il faut aussi encadrer la spéculation sur les matières premières qui accentue la volatilité des prix agricoles.

Et surtout il faut une législation au niveau européen pour que les prix ne puissent pas être inférieurs aux coûts de production, même si cela est contraire aux règles européennes. Il faut aller au bras de fer avec Bruxelles. Il faudrait fixer des prix en fonction des coûts de production et l'industrie serait ensuite obligée d'acheter à ces prix là.

Il faut ainsi réduire les marges de la grande distribution. Elles ne cessent de progresser, au détriment de celle des agriculteurs. En dix ans, les paysans ont perdu plus de 30% de plus-value au profit des transformateurs et distributeurs. Il y a dix ans, sur 100 euros de produits agricoles, 35 revenaient aux distributeurs et 30 aux agriculteurs. Aujourd'hui, seulement 20 reviennent aux agriculteurs.

Comment faire reculer les grandes surfaces?

Nous constatons que les circuits courts sont de plus en plus plébiscités pas les consommateurs. Des réseaux se développent partout en France avec les AMAP (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne, NDLR). Il y a aussi de plus en plus de magasins paysans, ce sont des lieux où les agriculteurs se regroupent pour proposer leurs produits et où la quasi-totalité du prix du produit agricole revient au paysan. Parallèlement, les exploitations bio ne cessent de se développer. Elles ont des tailles plus petites et, par rapport aux volumes produits, elles créent plus d'emplois.

Il faut renforcer et soutenir ces mouvements. Il faut que les collectivités locales encouragent les circuits courts, dans la restauration collective ou les maisons de retraite, par exemple.

Il faut aussi contribuer à faire évoluer les mentalités. Depuis 40 ans, on explique que moins on dépense pour son alimentation, plus on préserve son pouvoir d'achat. Ce qui a conduit à la politique des prix bas. Résultat, en France, nous sommes les champions mondiaux du supermarché, devant les Américains! Les consommateurs ont un rôle à jouer, leur porte-monnaie est une arme! En devenant consommacteur, les Français peuvent réorienter les modes de production et de distribution vers des exploitations de plus petite tailles, plus respectueuses de l'environnement et faisant vivre nos territoires.