L'Œil de l'INA : comment la France est devenue le pays d'Henri Garcin (original) (raw)
Publié le 18 juin 2022 à 08h00
Henri Garcin et Micheline Boudet sur scène pour la pièce «Adieu Prudence», en 1976. Photo AGIP / Bridgeman Images
Il n'était pas seulement l'un des héros de Maguy, sitcom née au milieu des années 80 sur Antenne 2. Non, ce natif de Hollande, qui vient de disparaître à l'âge de 94 ans, a rêvé de jouer la comédie au pays de Molière et c'est en sortant de Huis Clos de Sartre qu'il s'est choisi son nom de scène.
Dans la mémoire des téléspectateurs, Henri Garcin, c'est Pierre Bretteville, le voisin et meilleur ami de Georges, le mari de Maguy. Le nom de cet acteur disparu cette semaine à l'âge de 94 ans demeure incontestablement attaché à un feuilleton où il s'est même aventuré – ce sont ses propres termes -, à écrire l'un des 333 épisodes.
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Il se réjouissait de ce succès, mais, fort d'une réserve naturelle, il précisait avoir fait bien d'autres choses. En plus de 60 ans de carrière, il a multiplié les grands rôles et d'autres, plus modestes au cinéma, au théâtre et à la télévision. Madelen lui rend hommage en vous proposant de découvrir L'éventail de Lady Windermere. Dans cette satire de la société victorienne au XIXème siècle, il interprète le rôle d'un lord anglais. Il s'agit de l'adaptation d'une comédie vaudeville d'Oscar Wilde, réalisée en 1961 par François Gir .
Découvrez ici L'Éventail de Lady Windermere avec Henri Garcin
Ce rôle marque ses débuts de comédien sur le petit écran et lui permet de changer son image naissante et de faire évoluer un registre jusque-là limité à des sketches et des chansons. Il intervient alors régulièrement dans des émissions que l'on n'appelle pas encore de «divertissement», à commencer par «36 Chandelles» de Jean Nohain. L'animateur l'a repéré en 1956 dans des cabarets parisiens, où il débute en partageant l'affiche avec d'autres inconnus, à commencer par Jacques Brel. Il bavarde régulièrement avec lui en flamand. Il est en effet né en Belgique, dans une famille d'industriels néerlandais. À la maison, en particulier à table, ses parents et ses quatre frères s'expriment en hollandais. Il se mêle de la conversation le moins souvent possible parce qu'il trouve sa langue maternelle «bizarrement affreuse».
Au lendemain de la guerre, il entend un copain fredonner une chanson nouvelle, diffusée en boucle sur les ondes de la TSF belge : La mer de Charles Trenet. Ce ne sont pas les couplets ou la mélodie qui le touchent, mais le mot «mer» qu'il trouve très beau. Le soir même, il interroge sa mère, qui lui explique ce qu'il signifie en français. C'est ainsi que l'adolescent décide de commencer à apprendre notre langue. Cinq ans plus tard, il prend le train pour Paris avec l'espoir d'exercer le métier de ses rêves depuis ses très jeunes années : comédien. Il ignore alors qu'il va incarner plus de 150 personnages dans des univers très différents. Au théâtre, il a joué, entre autres, des textes de Luigi Pirandello, August Strindberg, Sacha Guitry, Jean Poiret et Romain Bouteille.
Au cinéma, il a été dirigé par Marguerite Duras, Henri- Georges Clouzot, François Truffaut, Agnès Varda, Yves Boisset et par Alex van Warmerdam. Ce réalisateur né aux Pays-Bas l'a engagé à trois reprises, en lui demandant de s'exprimer dans leur langue natale commune. Il va parfaitement s'acquitter de sa tâche dans Abel, Les Habitants et La robe et l'effet qu'elle produit sur les femmes qui la portent et les hommes qui la regardent.
Sur le plateau, le réalisateur l'appelle par son vrai prénom : Anton . Il est bien le seul. Juste avant de débuter au cabaret, Anton Albers a choisi le pseudonyme d'Henri Garcin. Il lui est venu à l'esprit peu après son arrivée à Paris lorsqu'il est allé voir une pièce pour la première fois . En sortant du théâtre Antoine, où il venait d'assister à une représentation de Huis Clos, de Jean-Paul Sartre, il s'est souvenu d'un moment qui l'avait particulièrement marqué : celui où un personnage frappe à la porte imaginaire de l'Enfer en hurlant : «Ouvre-moi, je m'appelle Garcin !» . Il a remplacé le prénom de Joseph par celui d'Henri, parce qu'il trouvait que cela sonnait mieux. Il a ensuite demandé et obtenu la nationalité française. La suite fait partie de son histoire.