«Quand les révolutionnaires en peau de lapin s’approprient la question de l’égalité» (original) (raw)
Publié le 13 août 2024 à 18h09
Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard lors des résultats du second tour des élections législatives, à Paris, le 7 juillet 2024. SAMEER AL-DOUMY / AFP
FIGAROVOX/TRIBUNE - Face à la paupérisation des Français, la solution ne se trouve pas dans la «pseudo-révolution fiscale» proposée par la gauche, mais dans une véritable stratégie économique qui favoriserait l'innovation et la productivité, estime le professeur de droit fiscal Frédéric Douet.
Frédéric Douet est professeur de droit fiscal à l'Université Rouen-Normandie.
La dissolution de l'Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron a mis en marche une machine infernale. Le jeu dangereux auquel joue Jean-Luc Mélenchon consiste à aviver la crise par tous moyens. Alors que la fortune cumulée des 500 plus riches Français dépasse pour la première fois en 2024 les 1 200 milliards d'euros, la démagogie peut conduire à vouloir insuffler un esprit contestataire aux 9,1 millions de personnes qui vivent en situation de pauvreté en France (selon l’Insee, pour l'année 2022). La tentation serait de faire un parallèle avec la question sociale qui a été le sujet central durant tout le XIXe siècle.
L'objectif premier du socialisme est l'égalité sociale, voire, pour les courants marxiste et anarchiste, l'avènement d'une société sans classe sociale. Le principe d'égalité est l'un des fondements de notre pacte social proclamé par la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et repris dans la devise de la République française. La difficulté est qu'il s'agit d'une notion à géométrie variable qui revêt deux aspects : l'égalité devant la loi (égalité civile) et l'égalité des droits sociaux (égalité sociale). Les partis de gauche, la France insoumise en tête, se sont approprié ce thème alors qu'il s'agit d'une valeur qui transcende les clivages politiques.
Il faut replacer les choses dans leur contexte pour mesurer à quel point l'égalité sociale est dévoyée par ceux qui la rabâchent ad nauseam. C'est Pierre-Joseph Proudhon qui en 1840 a donné une connotation positive à l'anarchisme en en faisant un projet social. Son fils spirituel - Mikhaïl Bakounine – en a fait une pensée révolutionnaire en y ajoutant l'insurrection. C'est là que la dimension révolutionnaire de l'extrême gauche plonge ses racines. Au XIXe siècle, la vie des prolétaires – c'est-à-dire de ceux qui, selon Marx, n'ont pour seule richesse que leur corps qu'ils peuvent utiliser comme force de travail - était une vie de misère et de labeur. Dépourvus de protection sociale et de régimes de retraite, ils trimaient douze heures par jour sans bénéficier de congés. En 1840, leur espérance de vie était de 30 ans. Leurs enfants commençaient à travailler dès qu'ils étaient capables de se tenir debout, et un sur deux ne dépassait pas l'âge de six ans. Fort heureusement, plus rien de comparable avec la situation actuelle. L'analogie entre le XIXe siècle et la crise actuelle s'arrête donc là.
Ceux qui prétendent résoudre les problèmes des Français en ayant pour seul mantra la redistribution au nom de la lutte contre les inégalités se trompent.
Frédéric Douet
En dissolvant l'Assemblée nationale, Emmanuel Macron a tenté de jouer avec la peur des extrêmes. Le but était de s'ériger en rempart entre eux. Bien mal lui en a pris car c'est lui qui se trouve finalement pris en étau entre les deux. Ce camouflet – pour ne pas employer le mot «déroute» - a de lourdes conséquences politiques. Bien que la France insoumise ne soit pas considérée par le Conseil d'État comme étant stricto sensu un parti d'extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon puise dans le narratif révolutionnaire, notamment en multipliant les références à la Commune de Paris. Cela n'a cependant rien de romantique. Cet épisode s'est en effet terminé par la Semaine sanglante au cours de laquelle au moins 20.000 communards ont été fusillés entre le 21 et le 28 mai 1871.
Mais la seule chose que les révolutionnaires en peau de lapin de 2024 sont capables de proposer est une pseudo-révolution fiscale, démontrant une nouvelle fois que l'alpha et l'oméga de la pensée des politiques se résument aux prélèvements obligatoires. Concrètement, il s'agirait de faire passer de cinq à quatorze le nombre de tranches du barème de l'impôt sur le revenu, d'alourdir les droits de succession et de réintroduire l'impôt de solidarité sur la fortune, en dépit des dégâts qu'il a causés. En réalité, tout ce bric-à-brac est confondant de conformisme. Il ne s'agit ni plus ni moins que de la reprise du programme fiscal de François Mitterrand après son arrivée au pouvoir en 1981. Les mêmes recettes éculées ne peuvent conduire que dans la même impasse.
Ceux qui prétendent résoudre les problèmes des Français en ayant pour seul mantra la redistribution au nom de la lutte contre les inégalités se trompent. Ils ne savent pas tirer les leçons du passé. Le poids des dépenses sociales n'a cessé d'augmenter au point d'atteindre 849 milliards d'euros en 2022, soit 32,2% de notre produit intérieur brut. Dans le même temps, la paupérisation des Français s'accélère sans amélioration de la situation des plus démunis, bien au contraire. Cela démontre l'inanité des politiques publiques menées depuis plusieurs décennies. D'où la nécessité de rompre avec ce phénomène de persistance dans l'erreur afin de sortir de cette spirale descendante. Encore faut-il avoir une véritable stratégie économique à moyen et long terme. Il convient de libérer les énergies afin de favoriser l'innovation et la productivité et, à terme, la création de richesses. Tout cela restera de la littérature tant que la France ne se donnera pas les moyens de ses ambitions en s'attaquant enfin à tous ses maux. Le pire d'entre eux est le massacre en règle de l'école pour en faire un laboratoire idéologique. L'enseignement et l'éducation sont la clé de tout. Il n'a s'agit pas d'une question de moyens financiers mais juste de volonté et de temps.
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