L’abstraction se raconte au Mudam (original) (raw)

Luxembourg. Après un premier volet au MRAC (Musée régional d’art contemporain) de Sérignan (Hérault) l’hiver dernier, l’exposition « Flatland/Abstractions narratives » connaît une seconde étape, plus resserrée, au Mudam Luxembourg, dont l’architecture alambiquée et lumineuse, signée Ieoh Ming Pei, s’adapte à merveille au thème abordé. Les commissaires Marianne Derrien et Sarah Ihler-Meyer ont pris pour point de départ la nouvelle Flatland (1884) du théologien Edwin A. Abbott, narrant la découverte de la troisième dimension par un personnage issu d’un « monde plat », pour relever un paradoxe présent dans un certain nombre d’œuvres contemporaines. Celui de l’origine narrative de l’émergence de formes abstraites : une tendance au storytelling prisée en particulier par les jeunes artistes, auquel ne suffit plus la recherche de la pure forme, et qui, des œuvres, ferait des objets en latence, « récits muets en attente d’être activés par le regardeur ».

Exprimer des éléments de la réalité

Les vingt-cinq artistes présents seraient donc des « hérétiques » au regard de l’évolution du canon moderniste vers l’abstraction, que l’on aurait trop vite voulu débarrasser de l’histoire, voire du sens. La question indirecte posée ici est celle de la nécessité d’une certaine efficience de l’œuvre d’art à exprimer, par des modes détournés et parfois illisibles, des éléments de la réalité. Dans cette façon de court-circuiter la représentation, la poésie surgit dans la forme par des modes divers. Celui de l’index, tout d’abord, qui se rapporte à une certaine esthétique des « data » (données) que l’on retrouve dans la culture geek. Ce sont, dans la grande sculpture en aluminium Pickpocket (2015) de Julien Prévieux, ces grands disques en volume, obtenus à partir de la modélisation des déplacements d’un voleur, et qui évoquent la sculpture cubiste. Ou les lignes rayonnantes, tracées à partir de données sonores provenant du système solaire, dans la vidéo Révolutions (2016) du duo Angela Detanico/Rafael Lain.

Mais la forme abstraite, soumise à de multiples interprétations, est plus souvent le prolongement ou le déclencheur de récits, puisés dans la littérature ou le cinéma. Ainsi le monolithe noir de Bruno Peinado_, Sans titre_ (2013), rappelle-t-il celui du 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, tout en assumant un décalage par sa surface réfléchissante. Plus romantique, Laëtitia Badaut-Haussmann convoque, elle, un passage d’un roman de Jean Genet à propos d’un long boudin de velours noir serpentin, comme alangui sur un mobilier métallique (L’amour est plus froid que la mort, 2015).

Dans les formes, enfin, peuvent circuler des discours. C’est ce que démontre la très belle salle consacrée à l’histoire des langages plastiques, à leurs itinéraires et à leurs résurgences. Ainsi, composant un paysage imaginaire de la peinture moderne, les sculptures en bois Prismatiques (2012-2013) de Raphaël Zarka, agrandissement de clés de châssis, dialoguent avec un grand wall drawing peint à la tempera par Christian Hidaka pour l’exposition. Les tons gris-brun de ce dernier évoquent le souvenir des fresques antiques mais aussi du cubisme, rappelant la nature foncièrement endogène de l’inspiration artistique.

Flatland/Abstractions narratives #2,

jusqu’au 15 avril 2018, Mudam Luxembourg, 3, Park Dräi Eechelen, Luxembourg-Kirchberg