Roméo Elvis: «Le rap, c’est le nouveau rock» (original) (raw)

Publié le 09 juin 2018 à 09:21. / Modifié le 11 juin 2023 à 01:09.

«Bruxelles est la capitale d’un pays qui va mal, c’est ce qu’ils veulent nous faire croire à travers ces foutus journaux…» Impressionnant de voir – dès qu’il entame son concert avec Nappeux – un millier de fans, la plupart autour de la vingtaine, reprendre ses textes. C’était le 6 avril dernier aux Docks lausannois, avec à la clé cette certitude: Roméo Elvis n’est plus une valeur montante du rap belge, aperçu notamment l’été dernier au off du Montreux Jazz, c’est une star. Il a sur scène un charisme fou, sait comment dialoguer avec son public pour que celui-ci bouge en rythme plutôt que de frénétiquement dégainer son téléphone portable. Sa musique est portée par les beats puissants du producteur Le Motel – malheureusement absent à Lausanne – mais sait aussi se faire organique, il y a là du groove, parfois des éléments venus du jazz ou du funk. Lorsque pour Drôle de question il empoigne une guitare, on se dit qu’on adorerait le voir jouer avec un vrai groupe. Avec Roméo Elvis, Bruxelles est une fête.

Quand on le rencontre ce jour-là à l’issue d’un soundcheck qui laissait déjà présager de la puissance de ses live, il commence par s’inquiéter qu’on veuille lui parler une trentaine de minutes. Sa tournée qui le voit remplir des salles dans toute la francophonie est suffisamment intense pour qu’il n’ait pas la force, chaque jour, dans chaque ville, de parler de lui et de sa musique. Ce qu’il fera finalement, à la cool, comme sa musique. Pas de posture chez Roméo Elvis. Il apprécie ce qu’il vit car le succès ne lui est pas tombé dessus d’un coup de baguette magique. Avant, il y a eu des années de galère, un job alimentaire à la caisse d’un supermarché après des études supérieures de photographie. «Ça m’a fait du bien de grandir petit à petit, avoue-t-il. Ça m’a donné le temps d’apprécier la valeur de chaque chose, de voir qu’on a fait du bon travail sur la durée. Du coup, je n’ai pas peur, je ne me dis pas que demain tout le monde va m’oublier.»

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Sa tournée, il la documente de l’intérieur sur les réseaux sociaux. Son compte Instagram déborde de photos et de vidéos. Une manière de se rappeler qu’il est photographe de formation, mais aussi de faire plaisir à sa communauté de fans: «Moi-même j’apprécie de recevoir des phots un peu plus intimistes des artistes que j’aime.» Il poste aussi régulièrement des images de concerts, souligne la puissance de jouer face à des salles pleines, semble parfois s’étonner des retours. «Les tournées, c’est l’accomplissement de ce qu’on fait. On travaille beaucoup sur la sincérité.» Avec Roméo Elvis, la scène est une communion.

Famille d’artistes

Roméo Elvis s’appelle Roméo Johnny Elvis Kiki Van Laeken. Ça ne s’invente pas. Un père chanteur, Marka, une mère comédienne, Laurence Bibot, avec tous deux une vraie carrière. Le showbiz, chez les Van Laeken, c’est une affaire de famille. Roméo a 25 ans, déjà cinq enregistrements à son actif; sa sœur Angèle a trois ans de moins et est en train de se faire un prénom dans la musique avec son premier E.P. – elle sera comme lui au Paléo en juillet, et aussi un peu plus tôt à Montreux. A l’adolescence, on veut souvent tuer les parents: se mettre au rap a été pour Roméo un moyen de trouver un genre qui n’appartienne qu’à lui. Les musiques urbaines, il les a découvertes à l’école, via des copains, écoutant d’abord IAM ou Mc Solaar, avant de passer à ceux qu’il appelle les leaders de la new school, Guru, Gang Starr ou Lords of the Underground. «Je suis tombé sur les bonnes personnes, résume-t-il. On était alors juste avant le retour du rap old school

«J’ai commencé le rap dans des salles pleines de rappeurs, aujourd’hui c’est des nanas de quinze ans et demi, les salles sont deux fois plus remplies et j’adore faire ce taf, pourtant des fois aussi, moi je fais la gueule.» Sur Chanmax, meilleur morceau de Morale 2luxe, récente réédition de l’album Morale, augmenté pour l’occasion d’un second disque de onze titres, Roméo Elvis commente sur fond de drum’n’bass son irrésistible ascension et le côté très ado de la majeure partie de son public. Signe irrémédiable d’un changement d’époque: le rap a désormais officiellement détrôné le rock, devenant le style le plus écouté à travers le monde. On en veut pour preuve, notamment, les trois Victoires de la musique récemment gagnées par OrelSan.

«Le rap, c’est le nouveau rock, opine le Belge. Cette évolution est super intéressante à regarder et à vivre, tout va tellement vite. Aujourd’hui, le rap est une musique qui gagne des prix, qui remplit des festivals, qui fait des disques d’or plus vite que tous les autres styles. Le phénomène n’était pas aussi fort il y a cinq ans, et ça va encore évoluer. C’est aussi l’art qui se mélange le mieux avec tous les autres styles; la preuve, tout le monde invite des rappeurs pour des featuring.»

Petits frères

Une des signatures de Roméo Elvis, c’est sa voix grave, puissante. Il se souvient qu’à l’école, les profs lui demandaient de chuchoter afin de ne pas déranger ses camarades. Beaucoup l’ont comparé à Grand Corps Malade, mais son flow renvoie plutôt à une certaine coolitude west coast. A l’écoute de Switchin, on pense par exemple à Snoop Dog. Il acquiesce: «C’est absurde et super-réducteur, juste parce que j’ai une voix grave, de me comparer à Grand Corps Malade. La manière dont j’utilise ma voix me rapproche plus en effet d’un Snoop, voire même d’un Marc Lavoine.» On voit moins le rapport, mais pourquoi pas.

Avant même qu’on lui pose la question, il dit voir des similitudes entre les scènes belge et suisse. «Le lien, c’est le côté outsider. Il y a ce gros pays au milieu, la France, qui centralise tout avec les médias, avec la musique, avec l’influence des artistes. Il y a, par conséquent, chez les Suisses et les Belges, une mentalité différente. Moins de pression sur nos épaules parce qu’on sera toujours les petits frères. On se comprend très bien avec les Suisses. Mais en 2018, faire des featuring avec des Parisiens, ça reste toujours la base, parce que c’est là qu’il y a toute l’industrie. Il existe un vrai réseau, bien défini, entre Genève, Paris et Bruxelles. On se connaît tous avec la SuperWak Clique en Suisse, Panama Bende en France, Caballero, Jeanjass et moi en Belgique.»

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«L’exercice, c’est le maître mot de la réussite, assène encore le rappeur. L’idée, ce n’est pas de finir un texte à chaque fois, mais d’écrire tous les jours.» Et d’anticiper une autre question: «J’imagine qu’il va y avoir une parenthèse sur mes acouphènes… Je me suis rendu compte qu’écrire à ce sujet, ça m’avait fait du bien, et qu’en plus ça parlait aux gens, que beaucoup se sentaient concernés; j’ai eu plein de retours positifs. C’est quelque chose que je n’avais pas conscientisé, il y a un côté super thérapeutique. J’aime parler des expériences que j’ai vécues. Je suis altruiste et j’ai de l’empathie, j’essaie, par mes textes, de faire ressentir des émotions, d’avoir un ancrage social.» Il se dit à l’aise et serein, sauf avec le cannabis: «J’en consomme, je le montre sur les réseaux, et je sais que certains gamins risquent de trouver ça cool…» Il réfléchit avant de conclure: «Mais j’aime participer aux causes communes, donner de l’amour, répondre aux messages.» Avec Roméo Elvis, la musique est un instinct.

Roméo Elvis, «Morale 2luxe» (Universal Music). En concert le 16 juin à Neuchâtel, Festi’Neuch, et le 20 juillet à Nyon, Paléo Festival.