Critique bande dessinée : Politique internationale - H.A.V. Russe Tome 4 [2010] par Vincent L. (original) (raw)

Le troisième volume de la Brigade Chimérique avait quelque peu déçu. Alors que l'on atteignait, quantitativement parlant, la moitié de la saga, l'intrigue n'avait toujours démarré, et l'on en venait finalement à se demander si les auteurs avaient vraiment quelque chose à nous raconter. Ce quatrième tome lève totalement le début d'appréhension que l'on pouvait avoir, et commence, au fil d'une petite cinquantaine de pages au contenu sacrément dense, le processus de résolution de l'intrigue. Si l'on ne sait toujours pas pourquoi les super-héros européens vont disparître à court-terme, ce focus mis sur le plan du diabolique docteur Mabuse, ainsi que sur les élements de poltique internationale, est tout simplement passionnant. Attention, ce qui suit contient quelques spoilers.

Il y a quelque chose de particulièrement brillant dans la manière dont Serge Lehman et Fabrice Colin utilisent les éléments clés de la seconde guerre mondiale. Loin de vouloir placer leur saga dans une Europe alternative trop éloignée de notre réalité - ce qu'ils auraient aisément pu faire, vu la thématique de Brigade Chimérique - ils récupèrent les faits historiques qui amèneront à la seconde guerre mondiale pour les placer dans un contexte superhéroïque. La démarche peut, certes, être criticable - utiliser la Shoah et les camps de concentration dans un comics, c'est presque une faute de goût impardonnable - mais tout cela est finalement traité avec suffisamment de sobriété et d'intelligence pour réussir à s'ancrer dans la trame générale, sans pour autant sombrer dans le mauvais goût et l'horreur gratuite.

Et cerise sur le gâteau, le monde gagne encore en profondeur tout au long des pages et de l'histoire racontée. Alors que l'on pensait en avoir plus ou moins fait le tour, les auteurs parviennent à encore nous surprendre avec l'ajout de concepts encore inconnu, à l'instar de l'Anti-Etre, ou une révélation majeure sur les pouvoirs de super-héros. De même, certaines factions politiques, à l'instar de Nous Autres ou de l'alliance Nyctalope-Accélérateur, sont impeccablement développées au fil de ces pages, et donnent au contexte international une véritable allure d'échiquier. Une nouvelle fois, il est agréable de se plonger dans cet univers riche et passionnant (à l'instar des tomes précédents) ; restait désormais à savoir si la teneur des histoires allait être à la hauteur de tout cela...

La première partie, intitulée Politique Internationale, s'éloigne assez considérablement du personnage de Jean Séverac afin de proposer une vision plus globale de l'Europe. On y suit donc la visite à Moscou du Nyctalope, la mission d'espionnage de Felifax, ainsi que la mise au point du plan d'évasion de Grégor Samsa. Plus accessoirement, on en apprend un peu plus sur la mystérieuse voix entendue par George Spad. Traités en seulement vingt-quatre page, tous ces éléments rendent cette première partie très dense, et au combien passionnante, et posent définitvement le Nyctalope comme le personnage le plus intéressant de la saga. A côté de lui, de ses actes mais également de sa personnalité et de son caractère, les autres protagonistes manquent encore cruellement de charisme.

La seconde partie, H-A-V Russe, est également un modèle d'efficacité, alliant de manière parfaitement équilibrée action et révélations. L'attaque du C.I.D. par la Brigade Chimérique, la libération du Cafard, ainsi que les révélations sur le plan de Mabuse et l'Anti-Etre donnent à cette histoire une véritable noirceur. La saga prend ici un tournant, en se posant comme une oeuvre véritablement sombre. Ainsi, alors que les deux précédents tomes avaient eu tendance à l'éloigner de l'intrigue principale, celle-ci revient à toute vitesse dans ces pages pour écraser le lecteur sous ses révélations et lui rappeler que, de toute façon, l'épilogue n'est pas censé être heureux. Si l'on ajoute à tout cela un cliffangher final particulièrement bien amené, ce quatrième tome s'impose au final comme une grande réussite.

Visuellement, le dessin de Gess est un peu moins expérimental que dans le précédent tome, tout, ici, devant s'orienter vers une efficacité et une optimisation de l'espace alloué. Ainsi, si le scénario pose des éléments décrivant l'horreur des évènements en train de se produire, l'importance du travail d'illustration n'est pas en reste, celui-ci donnant corps aux révélations sur les attrocités commises par le docteur Mabuse. L'univers visuel devient alors plus sombre - à l'image du ton général - et, malgré un trait parfois perfectible, permet de parfaitement s'imerger dans un univers de plus en plus passionnant. Reste malgré tout une déception purement formelle : le format qui s'avère de moins en moins adapté aux ambitions de la saga ; si celui-ci donne au tout un petit côté comics, définitivement, un format traditionnel aurait permis à la saga un meilleur développement.

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