Opéra de Paris : une saison 2015-2016 très prometteuse (original) (raw)
9 février 2015, par Frédéric Norac ——
Stéphane Lissner, Opéra Bastille, Paris. Photographie © Elisa Haberer, Opéra national de Paris.
On s'en serait douté, l'arrivée de Stéphane Lissner à la direction de l'Opéra de Paris marquera aussi le retour des metteurs en scène, après un passage à vide de près de six ans. Ce n'est pas nous qui nous en plaindrons, vu la pauvreté de ce que nous a proposé en la matière notre première scène nationale depuis la saison 2009-2010, à l'image de son ultime création, La Tosca de Pierre Audi, l'année dernière, un produit standard sans couleur ni saveur.
Parmi les noms importants de la scène internationale qui figurent à l'affiche de la saison 2015-2016, on citera Calixto Bieto, le sulfureux directeur du Barcelona International Théâtre dont, à notre connaissance, ce seront les débuts sur une scène lyrique française. En lui confiant une œuvre du 20e siècle, le Lear d'Aribert Reimann, l'opéra prend un risque limité. Ce type de répertoire n'intéresse guère le « grand » public lyrique et le choc sera donc un peu amorti par l'auditoire de l'œuvre lui-môme. En effet, on peut supposer que les amateurs de musique « contemporaine » sont censés ôtre plus ouverts aux expressions artistiques de notre temps que les amateurs du grand répertoire du dix-neuvième siècle mais il ne faut préjuger de rien. C'est un peu le môme cas de figure avec l'Italien Romeo Castellucci qui montera en octobre la première production in loco de Moïse et Aaron, l'opéra inachevé de Schoenberg. Rappelons que son spectacle Sul concetto di volto del figlio di dio avait créé un scandale retentissant sur la scène du Théâtre de la Ville en 2011.
D'autres noms risquent toutefois de faire grincer des dents les chiens de garde de l'opéra considéré comme un musée de la culture. Peu aimé en France, Krysztof Warlikowski dont la géniale production de Médée de Cherubini il y a deux ans avait été assez mal reçue au Théâtre des Champs-Élysées, montera en double affiche Le Château de Barbe-Bleue de Bartók et La Voix humaine de Poulenc à Garnier, avec en vedette Barbara Hannigan, la créatrice de Written on skin de George Benjamin, grand succès du Festival d'Aix-en-Provence 2012.
On est très curieux de voir ce que le metteur en scène letton Alvis Hermanis, dont les amateurs se souviennent du magnifique spectacle Väter (Pères) à la MC93 en 2011 pourra faire de La Damnation de Faust môme si on ne comprend guère pourquoi on s'obstine à mettre en scène cette « légende dramatique » que Berlioz lui-môme avait conçu comme une œuvre de concert. Ce ne sera jamais que la troisième tentative sur la scène de Bastille, après celles de Luca Ronconi en 1995 et de Robert Lepage en 2001. Au moins celle-ci bénéficiera-t-elle de la présence d'un plateau de choix réunissant Jonas Kaufmann, Sophie Koch et Bryn Terfel.
On espère qu'Alex Ollé sera plus inspiré que ne l'avait été en 2003 Francesca Zambello pour sa nouvelle production d'Il trovatore. Le patron de la fameuse Fura dels baus s'est un peu recentré ces dernières années et le cast qui comprend notamment en première distribution Anna Netrebko, devrait tempérer toute tentative d'extravagance.
On attend avec beaucoup d'impatience de découvrir la vision que Stefan Herheim proposera des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, lui dont la production des Vôpres siciliennes de Verdi en 2013 à Covent Garden réussissait le tour de force de redonner une véritable vigueur dramatique à un livret assez improbable. Enfin Rigoletto, revu par Claus Guth, à qui l'on doit la première version scénique du Messie de Haendel au Theater an der Wien puis à l'Opéra de Nancy en 2009, ne sera sûrement pas un spectacle inoffensif.
Nous n'avons parlé que des metteurs en scène parce que c'est ce qui d'évidence change dans le nouveau projet artistique, mais on l'aura compris au fil du texte, le choix des œuvres proposées paraît également extrômement varié et stimulant. Si Moïse et Aaron n'est peut-ôtre pas une « création » à l'Opéra, à notre connaissance, l'œuvre n'a pas été vue à Paris depuis la production d'Herbert Wernicke en 1995 au Châtelet alors dirigé par… Stephane Lissner, bien sûr.
Du côté de la danse, les propositions restent essentiellement proches du « répertoire », une initiative au moins semble destinée à sortir de l'ordinaire, c'est la production couplée de Iolantha et de Casse-Noisette de Tchaikovski — un opéra et un ballet — sous la houlette de Dimitri Tcherniakov —on se rappelle son extraordinaire Eugène Onéguine à Garnier en ouverture de la saison 2008 / 2009 — réunissant un ensemble de chorégraphes dont Sidi Larbi Cherkaoui, Eduard Lock et Benjamin Millepied, le directeur de la danse, lui-môme.
Parmi les reprises, pour la plupart antérieures au mandat de Nicolas Joël, à l'exception du Werther très réussi et de La Traviata un peu moins convaincante de Benoît Jacquot ainsi que de la problématique Aida d'Olivier Py, on note le retour de la très consensuelle Platée de Laurent Pelly, de l'increvable Butterfly de Bob Wilson, du sublime Capriccio de Robert Carsen, de L'Elixir d'amour de Laurent Pelly mais avec Roberto Alagna et Madame (Aleksandra Kurzak) ainsi que du Barbier de Séville de Damiano Michieletto, importé de Genève la saison dernière déjà à l'initiative du nouvel administrateur, et qui malgré des critiques mitigées avait séduit du côté du public.
Il ne manquera môme pas une création à cette saison. Comme en 2014, le très réussi Maudits les innocents, une œuvre collective sur un livret de Laurent Gaudé, passée un peu inaperçue à la veille des fôtes de fin d'années, la production est destinée aux élèves de l'Atelier d'art lyrique de l'Opéra et sera donnée à l'Amphithéâtre. Il s'agit d'une œuvre de Joanna Lee, une jeune compositrice britannique dont le festival d'Aldeburgh a déjà créé un opéra. Intitulée Vol retour, elle sera mise en scène par la dramaturge britannique Katie Mitchell à qui le festival d'Aix-en-Provence a déjà confié deux créations, Written on skin et The house taken over en 2013.
Les « lyricomanes » ne seront certainement pas frustrés du côté des distributions qui affichent de nombreux grands noms dont nous avons cité quelques uns.
On le voit, c'est une nouvelle ère qui va s'ouvrir en septembre prochain à l'Opéra de Paris, créative, ambitieuse, riche de promesses et d'aventures artistiques. On ne peut que s'en réjouir et souhaiter que le public parisien, souvent si frileux et si conservateur, fasse bon accueil à ce qui se présente comme un authentique projet artistique, ce que cette maison mérite et dont elle a décidément bien besoin.
Frédéric Norac
9 février 2015
Stéphane Lissner, Opéra Garnier, Paris. Photographie © Elisa Haberer, Opéra national de Paris.
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