Réglé comme du papier à musique : Le barbier de Séville (original) (raw)
Théâtre des Champs-Élysées, 6 décembre 2017, par Frédéric Norac ——
Il Barbiere di Siviglia. Photographe © Vincent Pontet.
On attendait Laurent Pelly au tournant de ce Barbier de Séville. Lui dont les mises en scène ont profondément marqué le répertoire lyrique de ces vingt dernières années, notamment ses grands opéras-bouffes d’Offenbach ou sa Fille du régiment qui a fait le tour du monde, allait-il renouveler notre vision du chef d'œuvre de Rossini par une de ces approches originale et déjantée dont il a le secret ? C’est surtout le génie de la mécanique musicale rossinienne et son irrépressible dynamique qu’il a voulu voir dans cette œuvre, révolutionnaire en son temps pour l’histoire de l’opéra buffa. Si l’idée est parfaitement juste, elle ne suffit pas à faire vivre cette œuvre qu’elle réduit à un ensemble de stéréotypes. Sa scénographie installe l'action dans un décor quasi abstrait fait de feuilles de papier à musique. Dans cet un univers minimaliste entièrement graphique dont la couleur est résolument absente et dont les personnages figurent comme autant de notes noires, le metteur en scène nous offre un spectacle quasiment conceptuel auquel manque singulièrement ce grain de folie, cette étincelle de vie qui devraient mettre le feu aux poudres et emporter le spectateur dans un mouvement irrépressible et jubilatoire.
À son actif on mettra des ensembles brillamment chorégraphiés, des personnages plutôt bien caractérisés visuellement et quelques idées burlesques comme cette guardia civil armée de pupitres qui vient mettre de l'ordre dans le finale du premier acte, ou cette pluie de notes qui s'abat le plateau comme autant de feuilles mortes après l'orage qui précède le dénouement. De belles images certes mais qui laissent souvent la place à une certaine convention voire une vacuité théâtrale que devraient remplir les performances vocales. Hélas, elles ne sont pas toujours au rendez-vous et le plateau de cette seconde distribution1, constitué de « jeunes » chanteurs en début de carrière, laisse souvent le spectateur sur sa faim.
Il Barbiere di Siviglia. Photographe © Vincent Pontet.
Dans le rôle-titre, Guillaume Andrieux possède certes une bonne voix mais où sont ce pétillement, cette verve, qui font les grands Figaro et qui ne s’inventent pas si elles ne sont pas là de nature ? Phrasé sans relief, émission sans nuance, le baryton plombe chacune de ses apparitions par une articulation italienne négligée et une certaine platitude musicale. Alix Le Saux compose une Rosine rebelle et décidée avec un registre grave solide, un aigu facile et un rien véhément qui donne du caractère au personnage. Excellente vocaliste comme le montre sa leçon de chant bien maîtrisée, elle figure parmi les éléments les plus prometteurs de cette seconde distribution. Après des débuts un peu difficiles et une sérénade sur le fil, Elgar Llyr Thomas, s'affirme inégalement au long de la soirée avec de jolies variations dans l’aigu qu’il a aisé et brillant mais une technique et une résistance limitée qui ne lui offrent pas les ressources nécessaires pour affronter au finale la grande scène d'Almaviva dont la cabalette le met à rude épreuve. À quoi bon cet air de bravoure que Rossini lui-même supprima pour le transposer dans la Cenerentola, si l'interprète n'a pas toute la virtuosité requise pour lui rendre justice ? Le meilleur est à trouver du côté des basses avec le Bartolo pleinement affirmé de Pablo Ruiz, même si le chant sillabato le trouve parfois un peu court, et le Basilio subtil de Guilhem Worms à qui ne manque qu'un supplément d'italianité pour convaincre tout à fait. On garde pour la bonne bouche la Berta d'Éléonore Pancrazi, quelque part entre Zouc et Pauline Carton, dont le petit air de sorbet de l'acte 2 finement varié est un des moments les plus réjouissants de la soirée. Parfaitement homogène, l'excellent chœur masculin Unikanti constitue un personnage à part entière. On sait gré à Jérémie Rhorer de nous offrir l'ouverture rideau baissé. Sa direction très en place, attentive à ses chanteurs, à la tête du Cercle de l’Harmonie d’une qualité instrumentale irréprochable, souffrirait, à l’instar de la mise en scène, d’un supplément de liberté et de rubato.
Représentations jusqu'au 16 décembre
Retransmission en direct sur Arte Concert le 16 décembre (première distribution) et sur Arte le 29 décembre. Diffusion sur France Musique le 31 décembre à 20h.
1. La première avec qui elle alterne, réunit quelques noms plus prestigieux.
Frédéric Norac 6 décembre 2017
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Vendredi 17 Novembre, 2023