Pasticcio postmoderne, Et in Arcadia ego : création sur des musiques de Jean-Philippe Rameau (original) (raw)
Opéra-Comique, 1er février 2018, par Frédéric Norac ——
Et in Arcadia ego, Opéra-Comique de Paris. Photographie © Pierre Grosbois.
L'Opéra-Comique se serait-il abonné aux pasticcios et autres parodies ? Après Miranda, pamphlet morbide et féministe d'après Purcell, Kein Licht fatrasie militante de Philippe Manoury, le voici qui ouvre sa nouvelle saison (devenue annuelle comme on le sait) avec un spectacle mixte, pour ne pas dire bâtard, Et in Arcadia ego, en référence au célèbre tableau de Nicolas Poussin sur l'inéluctabilité de la mort même dans un pays idéal comme l'Arcadie des bergers littéraires.
L'écrivain à succès Eric Reinhardt a été convoqué pour réécrire le texte d'une anthologie d'airs et de chœurs qu'il a lui-même choisis dans un corpus de140 titres extraits de divers opéras de Rameau et les adapter à une nouvelle dramaturgie.
Son livret met en scène une héroïne unique baptisée, allez savoir pourquoi, Marguerite (une référence à Faust ou à l'effeuillement ?) qui au seuil de la mort revit les trois âges de son existence, enfance, maturité, vieillesse. Le nouveau texte et sa prosodie sonnent évidemment singulièrement factices et décalés par rapport à la tonalité de la musique et frôlent souvent le ridicule. Le prouve par la négative l'avant dernier numéro, la mort de Marguerite, utilisant le fameux air de Phèdre, d'Hippolyte et Aricie « Quelle plainte en cieux lieux m'appelle ? » où la soliste chante, à une ou deux variantes près, le texte d'origine tandis que les surtitres le commentent à grand coup de concepts destinés à le faire coller à la nouvelle situation et qui laisse entendre à quel point la musique de Rameau fait corps et ennoblit le texte soi-disant conventionnel de l'Abbé Pellegrin.
Léa Desandre, Et in Arcadia ego, Opéra-Comique de Paris. Photographie © Pierre Grosbois.
Si quelques moments arrivent à émerger avec une certaine poésie de ce prétentieux tissu de banalités, c'est grâce d'abord à la beauté vocale et à la présence scénique de Léa Desandre. La jeune mezzo déjà remarquée dans Alcyone se révèle une excellente comédienne et a bien du mérite à affronter, seule sur scène pendant près d'une heure quarante-cinq, la vacuité du propos et les outrances d'une mise en scène qui ne recule devant aucun gadget. Le pire étant sûrement cet énorme boudin gonflable noir — censé symboliser la mort et le néant — qui s'enfle pendant la chaconne finale au point de faire craindre une explosion inopportune, sans parler même de ces cactus de glace tombant des cintres qui s'égouttent lentement dans des bassines pendant la première partie du spectacle, les adieux à l'Enfance, d'une lenteur et d'une monotonie irrépressible où la protagoniste se mire longuement dans une sorte miroir convexe en se promenant à pas mesuré sur le plateau tandis qu'elle interpelle ses « jouets » dont le masque géant au centre de la scène est sans doute un des avatars.
L'autre élément majeur qui avec sa performance sauve la soirée, c'est évidemment la présence dans la fosse de Christophe Rousset à la tête des Talents lyriques associés à l'ensemble Les Eléments (invisibles) dont le Rameau, tonique, coloré, imaginatif et voluptueux est finalement le meilleur soutien de la chanteuse.
Reconnaissons tout de même que le travail de la metteuse en scène Phia Ménard et de son collaborateur à la scénographie et aux lumières Eric Soyer (copieusement hués à leur apparition aux saluts en compagnie du librettiste) produit quelques belles images comme ce jeu de claustra qui ne ménage à la protagoniste qu'une toute petite fenêtre comme pour symboliser son enfermement ou la spectaculaire transformation du décor à l'avant-dernier tableau qui laisse une sensation puissante d'écrasement. Mais tout de même que de moyens déployés pour un résultat pour le moins mitigé.
Léa Desandre, Et in Arcadia ego, Opéra-Comique de Paris. Photographie © Pierre Grosbois.
Prochaines représentations les 3, 5, 7, 9 et 11 février.
Diffusion en direct sur Mezzo et Culturebox le 9 février à 20h.
Frédéric Norac 2 février 2018
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