L’opéra-comique comme si vous y étiez : La Dame blanche de Boieldieu (original) (raw)
Paris, Opéra-Comique, 22 février —— Frédéric Norac.
La Dame blanche, Elsa Benoit (Anna). Photographie © Christophe Raynaud de Lage.
La Dame Blanche, c’est un peu le fantôme de l’Opéra-Comique. De ce fleuron du répertoire qui y tint l’affiche sans discontinuer de sa création en 1825 jusque dans les années 1920 ne subsistent dans la mémoire collective que trois airs : celui qui marque l'entrée du héros, Georges Brown, « Ah! quel plaisir d'être soldat ! », la ballade de la Dame blanche et l’invocation du deuxième acte « Viens gentille dame ». En 1997, la salle Favart avait accueilli une production venue de Saint-Étienne qui rappela à quel point cette œuvre constitue, dans le genre léger, une des plus réussies et des plus brillantes du compositeur avec, au delà de ses airs connus, des ensembles d’une grande virtuosité et une veine mélodique sans pareille, saluée déjà par Rossini et Wagner qui, l’un comme l’autre, y reconnurent la quintessence de l’esprit français.
Pour cette nouvelle production, l’Opéra-Comique a fait appel à une jeune équipe qui semble avoir voulu jouer la carte de la tradition, au moins en apparence. La mise en scène de Pauline Bureau convoque en effet toiles peintes au premier acte et un décor construit de manoir délabré pour les deux autres, y ajoutant une touche de couleur locale avec des costumes « écossais » de fantaisie. Mais ce n'est en fait qu'un leurre car le décor s'anime dès l'ouverture de quelques touches de vidéo — évoquant de façon très réussie les apparitions de la Dame blanche du titre que relaieront les réminiscences de l'enfance des deux héros à l'acte 3, offrant une véritable profondeur aux situations du l'intrigue. Le plateau bénéficie aussi d'effets magiques et de clins d’œil humoristiques sans lourdeur qui font passer tout au long de la soirée les aspects un peu simplets du livret de Scribe et réussissent à parodier le genre sans lui manquer de respect. Toutefois si l’habillage visuel se révèle plutôt réussi, on regrette tout de même que la direction d’acteurs ne soit pas un peu plus soutenue car on tombe assez vite dans la convention, façon théâtre de boulevard, singulièrement dans des dialogues parlés qui n'ont pour eux que le mérite de l'intelligibilité.
La Dame blanche, Elsa Benoit (Anna). Photographie © Christophe Raynaud de Lage.
Du côté de la distribution, on attendait Philippe Talbot dans le rôle central de Georges Brown, cheval de bataille des ténors lyriques légers de Roger à Nicolai Gedda. Passé un air d’entrée assez précautionneux et manquant de panache, peu aidé il est vrai par le tempo un peu trop rapide de Julien Leroy, il trouve ses marques dans le duo avec Jenny. La voix toutefois paraît souvent un peu légère et le médium faible et peu projeté. L'interprète se montre en revanche très convaincant dans les aspects lyriques, maniant avec beaucoup d’élégance la voix mixte dans le célèbre « Viens, gentille dame » qui lui vaut des applaudissements chaleureux et il fait tout son possible pour se couler dans la conception au « second degré » de la mise en scène et donner toute la désinvolture dont il est capable à son personnage.
Dans le rôle-titre, la jeune Elsa Benoit, un nom tout neuf venu des théâtres allemands où elle fait ses armes, comble l'auditeur par son joli soprano lyrique léger, des aigus ronds et faciles, et une technique de vocalisation impeccable, particulièrement sollicitée dans son grand air néo-rossinien de l’acte 3. Elle caractérise à merveille son double personnage de jeune fille amoureuse et d’apparition fantastique, passant d'une humble candeur d'orpheline à l'autorité de la justicière. Sophie Marin-Degor (Jenny) et Yann Beuron (Dickson) forment un couple de paysans très réussi, elle jouant à fond la coquette dans le registre du comique appuyé avec quelques acidités dans les aigus, lui un peu trop sérieux peut-être pour son personnage de poltron (auquel Steven Cole donnait un tout autre relief en 1997), avec une voix méconnaissable qui le ferait presque prendre pour un baryton. Jérôme Boutillier campe le méchant Gaveston avec toute l'autorité et la noirceur de timbre voulues. Aude Extremo et son large vibrato donnent une épaisseur certaine à Marguerite, la nourrice bienveillante, que la mise en scène nous présente au rouet quand le texte parle de fuseaux. Dans le rôle épisodique de Mac-Irton. Yoann Dubruque fait valoir une bonne voix de baryton et complète cette équipe totalement francophone et, une fois n'est pas coutume, parfaitement compréhensible. Une qualité dont il faut également créditer l'excellent chœur les Éléments, comme toujours remarquablement préparé. A la tête de l'orchestre national d'Île de France aux vents d'une grande sûreté, Julien Leroy se montre un chef efficace, donnant tout l'allant possible à cette partition enlevée et faisant briller l'orchestration raffinée de Boieldieu. Au final, la production réussit le difficile pari de revivifier l'opéra de Boieldieu sans le dénaturer, en lui donnant cette tonalité populaire, cette touche de sentimentalité naïve et cette élégance musicale qui, intimement mêlées, en font tout le charme.
La Dame blanche, Jérôme Boutillier (Gaveston), Elsa Benoit (Anna), Philippe Talbot (Georges Brown), chœur les éléments. Photographie © Christophe Raynaud de Lage.
Prochaines représentations les 24, 26, 28 février et 1er mars.
Spectacle repris en 2021 à l'Opéra de Nice du 19 au 21 janvier et à Limoges du 14 au 18 mars.
Frédéric Norac 22 février 2020
Les précedents articles de Frédéric Norac
Une femme sans ombre pour un triomphe sans réserve : Die Frau ohne Schatten de Richard Strauss —— Une Bayadère transgenre et transculturelle : Rasa (d'après La Bayadère) par l’Opera Ballet Vlaanderen —— Cure thermale mortelle : Les bains macabres de Guillaume Connesson —— Duos d'amour : Vannina Santoni et Saimir Pirgu aux Grandes Voix —— Opérette jazzy : Yes de Maurice Yvain, par Les Brigands.
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Dimanche 23 Février, 2020 16:59