Salomé sans voiles : la Tragédie de Salomé de Florent Schmitt (original) (raw)
Athénée-Théâtre Louis Jouvet, 9 décembre2021 —— Frédéric Norac.
Tragédie de Salomé. Athénée-Théâtre Louis Jouvet. Photographie © Patrick Laffont Delojo.
Pour mettre en scène cette Tragédie de Salomé de Florent Schmitt, dans sa version de 1907, le scénographe et vidéaste Patrick Lafont de Lojo a imaginé un dispositif qui met sur le plateau l’orchestre et contrepointe la musique avec les images de la danseuse et chorégraphe Léonore Zurflüh, projetées sur un grand écran qui surplombe l’ensemble. Contrairement à ce que prévoit la distribution du mimodrame original, inspiré d’un poème de Robert d’Humières, il n’y a pas de personnages secondaires. Ni Hérode, ni Hérodias, ni Jean-Baptiste. L’interprète est seule « en scène » et c’est plutôt une sorte de portrait psychologique dansé de la célèbre héroïne biblique qu’une représentation théâtrale qui nous est proposé.
Pendant tout le prélude — en fait le premier acte — assez long dans une pièce qui en comporte deux et dure environ une heure, ce sont les préparatifs qui nous sont montrés : la danseuse écoute, réfléchit, se change, se chauffe. Près de trois quarts d’heure d’images, certes animées par le jeu très sophistiqué de la vidéo utilisant six caméras et variant les angles de vue, mais qui ne nous disent rien sur la musique, ne s’y intègrent pas. Elles finiraient du reste par lasser si, à partir de la séquence dansée proprement dite, singulièrement de la Danse des serpents, l’imaginaire de la danseuse, la beauté de son corps sculptural, celle de son visage, l’expressivité des mouvements encore augmentée par la multiplication des images diffractées, superposées, dans un tourbillon dont le rythme épouse enfin réellement le discours musical, ne nous emmenait dans une dimension qui peut prétendre offrir un équivalent à ce que la créatrice de la pièce, la fameuse Loie Fuller, avait imaginé avec ses voiles et ses jeux de lumière.
D’une extraordinaire sensualité, traversée de multiples affects, cette longue séquence de près d’une demie heure nous fait vivre dans la psyché d’une Salomé, tour à tour « insouciante, hautaine, sensuelle, cruelle, lascive et finalement épouvantée » (pour reprendre les mots de la danseuse) lorsqu’on lui présente la tête du baptiste.
La musique de Florent Schmitt, à mi-chemin entre influence debussyste et réminiscences wagnériennes, se révèle captivante, exécutée à la perfection par l’ensemble Les Apaches — 21 musiciens — que dirige avec élégance et conviction Julien Masmondet, parvenant a dépasser la trivialité de la première partie par la grâce d’une inventivité jamais démentie. La brève intervention de Sandrine Buendia dans une longue vocalise apporte une touche de magie à l’œuvre dont cette version exalte la dimension symboliste. En guise de prélude, la production a commandé à Fabien Touchard, une pièce de dix minutes où le compositeur dit avoir pensé à Mallarmé et à Loie Füller dont il existe quelques images filmées, et voulu composer une musique « légère, hypnotique » jouant sur la multiplication des « modes » et des « timbres », et qui en effet tient ses promesses et mériterait sans doute d’être entendue hors contexte et pour elle-même. Pour accueillir le spectateur, il a également imaginé un environnement sonore électroacoustique qui n’est pas suffisamment présent pour couvrir les bavardages et préparer réellement le climat de la représentation.
Trois soirées à l’Athénée terminent une tournée commencée en novembre. À défaut de pouvoir assister à la dernière du spectacle le 11, on pourra retrouver les Apaches au Musée d’Orsay le 16 décembre prochain dans un programme autour du cinéma dont les danses extraites de La Tragédie de Salomé et plusieurs pièces de Fabien Touchard, celle dédiée à Loie Fuller et une illustrant le film de ses fameuses » danses serpentines » ainsi que bien d’autres films des pionniers du cinéma.
Frédéric Norac 2021
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Dimanche 12 Décembre, 2021 3:49