Comme à la télé : Le Faust contemporain de Tobias Kratzer (original) (raw)

Opéra-Bastille, 28 juin 2022 — Frédéric Norac

Faust, Opéra-Bastille. © Charles Duprat - Opéra national de Paris.

Créée en mars 2021 sans public, pour cause de pandémie, la nouvelle production de Faust de l’Opéra de Paris, fait retour pour une série de six représentations sur la scène de l’Opéra-Bastille devant une salle loin d’être comble. Le metteur en scène Tobias Kratzer s’y emploie à moderniser le scénario de l’opéra de Gounod en le transposant dans le Paris « actuel », à grands coups d’effets spéciaux et de vidéo. Dans sa vision, la rencontre entre Faust et Marguerite se passe dans une boite de nuit où la figuration s’agite et se tortille de façon peu convaincante sur fond de la fameuse Valse ; Valentin est un petit voyou qui rôde avec ses potes aux abords d’un terrain de basket ; la chambre de Marguerite enceinte est devenue un cabinet d’échographie où Siebel l’accompagne ; elle assassine son enfant en le noyant dans une baignoire dans des images en gros plan assez violentes et ce n’est plus à l’église, mais dans le métro qu’elle est confrontée à l’esprit du mal qui l’empêche de prier, etc., etc.

Évidemment tout cela est très spectaculaire, ne répond pas toujours parfaitement à ce que dit le livret et frise parfois le ridicule, notamment quand Faust et Méphistophélès suspendus dans les cintres sont censés voler au-dessus de Paris sur des images grand écran, avec des effets de disproportion, et une gestique, tout à fait comiques.

Faust, Opéra-Bastille. © Charles Duprat - Opéra national de Paris

Faust ici est dédoublé, obligé de reprendre régulièrement de l’élixir de jouvence pour ne pas redevenir le « vieux » que la mise en scène nous montre, dans la première scène, finissant sa nuit avec une superbe jeune femme. Plus osé encore, ce n’est pas lui qui engrosse Marguerite, mais Méphistophélès qui se couche sur elle au troisième acte (on ne peut pas s’empêcher de penser à Rosemary’s baby, surtout au moment de l’échographie). Et c’est là, sans doute, l’idée clef du metteur en scène : dans l’esprit de Faust amoureux, Marguerite « demeure » effectivement « chaste et pure » et c’est évidemment ce qui le sauve et le perd en même temps. Mais comme il faut bien une proie à l’Enfer, c’est Siebel que les acolytes de Méphisto emportent dans la scène finale où l’on peine à reconnaître la prison où Marguerite est censée attendre son exécution.

D’évidence cette relecture, riche en effets, plait beaucoup au public, mais l’opéra de Gounod n’y gagne que très peu en force et reste tout de même une grosse machine d’art bourgeois, bien éloignée de la pièce d’origine de Goethe et de ses interrogations métaphysiques.

Reste la musique. À la tête d’un orchestre en très grande forme, Thomas Hengelbrock magnifie la partition de Gounod, avec une direction ample et soutenue, qui met en valeur toutes les beautés de l’orchestration et l’invention mélodique du compositeur. Benjamin Bernheim est un Faust stylé, avec des contre-uts pianissimi d’une grande sûreté, mais l’interprète, peut-être un peu bridé par la conception de son personnage, reste un peu en deçà du chanteur. Débutant à l’Opéra de Paris, l’Américaine Angel Blue chante dans un français acceptable, avec son soprano lyrique agréable, mais n’est pas vraiment une Marguerite inoubliable. De très grand format, mais un peu trop appuyé, le Méphistophélès de Christian Van Horn s’impose sans problème par la taille et la puissance. Un peu trop âpre de timbre, Florian Sempey parait bien court dans les graves, mais il colle bien à l’image de macho brutal de Valentin. Excellente la Dame Marthe de Sylvie Brunet-Grupposo en fausse jeune fille sur le retour, boudinée dans ses jeans ainsi que le filiforme Siebel d’Emily d’Angelo avec un mezzo coloré et une parfaite articulation.

Faust, Opéra-Bastille. © Charles Duprat - Opéra national de Paris.

Certes la mise en scène a sa cohérence, elle prend mieux à partir du troisième acte dont la dramaturgie est plus efficace, et au final l’ensemble finit par convaincre. On regrette toutefois que dans une soirée qui ne dure pas moins de quatre heures (dont 45 minutes d’entracte) manque toujours dans la scène de Walpurgis le banquet des reines et des courtisanes, dont la musique est si splendide et dont le contraste avec la noirceur de ce qui précède serait à n’en pas douter du plus bel effet.

Prochaines représentations les 1er, 4, 7, 10 et 13 juillet

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