La Périchole tatouée de Laurent Pelly (original) (raw)

Théâtre des Champs-Élysées, 14 novembre 2022 — Frédéric Norac.

La PéricholeLa Périchole, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Les « Périchole » se suivent et ne se ressemblent guère. Après l’Opéra-Comique et sa vision pseudo-folklorique en mai dernier, c’était au tour du TCE d’en proposer une nouvelle production. Laurent Pelly, secondé par Agathe Mélinand qui en a modernisé les dialogues, en a transposé l’action dans un univers contemporain, faisant de l’héroïne et de son amant deux chanteurs des rues, vaguement SDF et crevant la faim.

Il a habillé la Périchole d’un minishort, de bottines et d’un gilet en jean laissant voir un tatouage au bras et Piquillo d’un « marcel » et d’un battle-dress. Si Stanislas de Barbeyrac, avec une voix plus large qu’il n’est coutume d’entendre dans le rôle et une carrure avantageuse donne au personnage ce ton populaire qui virilise nettement le personnage, la voix pulpeuse aux graves onctueux et le style de chant raffiné de la belcantiste Marina Viotti paraissent totalement en contradiction avec la conception scénique de son rôle, mais l’artiste gère plutôt bien ce hiatus. Du reste on ne le lui reprochera certes pas, car chacun de ses airs est un moment de musicalité suprême, alors qu’il est permis de s’interroger sur l’adéquation réelle du ténor à ce rôle plutôt aigu pour lui. En revanche sa composition en macho fragile et prompt aux larmes est aussi convaincante que celle de Marina Viotti devenue grande dame en fourreau fuchsia et vison blanc aux actes II et III.

La PéricholeLa Périchole, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

La mise en scène assez chargée au premier acte avec un traitement burlesque un peu forcé des scènes de foule et du trio des cousines s’améliore dans les deux derniers, celui de la cour figurée par de hauts trumeaux surplombant de grands divans mobiles et la scène du cachot, transposée dans une prison de haute surveillance digne du pire cauchemar totalitaire. Laurent Pelly dit lui-même n’avoir pas voulu situer précisément l’action, mais le portrait gigantesque d’un visage coupé en deux - celui de la surveillance du pouvoir bien sûr - qui sert de fond de scène au premier (bas) et au troisième acte (haut), fait penser bien sûr aux nombreuses dictatures sud-américaines (le livret original est situé au Pérou) et autres qui ont émaillé le vingtième siècle.

Mais là s’arrête le message politique, le reste n’est que satire et amusement à travers des situations et des dialogues bien sentis, des gags efficaces, portés par une distribution d’excellent niveau jusque dans les plus petits rôles.

Alexandre Duhamel, incroyablement grimé et méconnaissable, donne beaucoup de relief à son personnage de tyranneau libidineux. Excellents les deux ministres de Rodolphe Briand (Panatellas) et de Lionel Lhôte (Hinoyosa) ainsi que les deux notaires (Mitesh Khatri et Jean-Philippe Fourcade) ; impeccable le trio des cousines (Chloé Briot, Alix Le Saux et Éléonore Pancrazi) et une mention spéciale au désopilant Vieux Prisonnier de Eddy Letexier.

La PéricholeLa Périchole, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Dans la fosse, Marc Minkowski dirige avec l’énergie et l’enthousiasme qu’on lui connait une partition qui, bien que basée sur la version définitive de 1874, nous a paru à de nombreux moments différer de celle qu’utilisait Julien Leroy à l’Opéra-Comique. On aurait aimé en savoir un peu plus sur les variantes de l’édition choisie, mais le programme restant assez évasif sur ce point, il faudra sans doute se référer à l’enregistrement qu’en a publié le Palazzetto Bru-Zane, coproducteur du spectacle, pour éclaircir ce point.

La production bénéficie de deux distributions en alternance pour le rôle-titre (Antoinette Dennefeld) et celui du Vice-Roi (Laurent Naouri), ce qui doit à n’en pas douter en modifier la tonalité.

Celle de cette seconde soirée en tout cas ne mérite que des éloges, de même que l’excellent chœur de l’Opéra de Bordeaux et les Musiciens du Louvre, tous impeccables de bout en bout.

Prochaines représentations les 15, 18, 19, 20, 23, 24, 26 et 27 novembre. Spectacle capté par François Roussillon pour une diffusion prochaine par France Télévision et sur la chaine YouTube du TCE.

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