Féminicide à la Salle Favart : Carmen vue par Andrea Homoki (original) (raw)
Opéra-Comique, 28 avril 2023 — Frédéric Norac
Frédéric Antoun (Don José), Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique. Photographie © Stefan Brion.
De l’époque de sa création à nos jours, en passant par les années trente, la nouvelle Carmen de l’Opéra-Comique traverse les époques, sans que l’on sache vraiment pourquoi, sinon peut-être pour signifier que le « mythe » est toujours vivant et actuel. La fin et le meurtre de l’héroïne par son amant jaloux et désespéré ne sont-ils pas exactement ce qu’on appelle désormais un « feminicide » ?
Ici c’est sur une place jonchée par les confettis et les serpentins d’une fête trop vite achevée et en robe de soirée très chic qu’elle meurt, n’ayant plus grand-chose à voir avec la gitane du livret. Aux deux premiers actes, la manufacture des tabacs et la taverne de Lilas Pastia ont disparu. À l’exception de Zuniga et de Don José tous deux en uniforme à képi, les hommes en haut-de-forme et redingote et les cigarières en pantalon féminin et chemise évoquent plutôt les bordels de Degas et Manet que la Séville de Mérimée. Pour mettre les points sur les i, Micaëla, « harcelée » par Moralès et ses « soldats », lui donne un coup de genou dans les parties pour s’en débarrasser, obligeant le chanteur à se les tenir douloureusement pour le reste de la scène, au cas où le spectateur qui n’a rien vu n’aurait pas compris. Au troisième, les contrebandiers ont de faux airs de résistants et au dernier c’est devant la télé que le peuple s’esbaudit pendant le cortège des matadors avant la corrida, dans une scène qu’aurait très bien pu imaginer Laurent Pelly pour un opéra-bouffe d’Offenbach.
Gaëlle Arquez (Carmen), Frédéric Antoun (Don José). Photographie © Stefan Brion.
À cette façon d’évoquer la permanence de Carmen au répertoire de l’Opéra Comique, Andreas Homoki ajoute une sorte de théâtre dans le théâtre avec un jeu sur un rideau de scène rouge à grands ramages dorés très Second Empire (et de très mauvais goût) qui se referme pour mettre en relief dans le halo d’un projecteur tous les « tubes » de la partition et s’ouvre sur un plateau nu pour les ensembles, rallumant régulièrement la lumière dans la salle pour bien faire comprendre au public qu’il fait partie du peuple représenté sur la scène.
Avouons-le, cette approche sophistiquée, manque d’un véritable concept dramatique et nous laisse un peu sur notre faim. Cette lecture plutôt pauvre que minimaliste où de surcroit les dialogues ont été réduits à leur plus simple expression passerait mieux si le niveau vocal relevait un peu l’affaire. Mais la distribution, à l’exception du rôle-titre et des personnages secondaires, semble vouloir démentir cette idée désormais bien ancrée que l’école de chant « française » a atteint depuis quelques décennies à un niveau d’excellence internationale.
Gaëlle Arquez compose une Carmen uniformément tragique. Certes, la voix est belle et la chanteuse excellente, mais l’interprète ne se libère jamais du carcan métronomique et n’accorde aucune trace de légèreté à son personnage, même dans la Habanera, et c’est surtout dans les deux derniers actes actes qu’elle s’épanouit dans le registre « fatal » du trio des cartes et du duo final. En Don José, Frédéric Antoun, continue de donner tous les signes d’un mal-être vocal qui fait mal à entendre, sauvant de justesse le grand air de la Fleur par un aigu émis on ne sait trop par quel trucage, mais aux prises tout au long de la soirée avec un instrument rebelle et instable. Le toréador de Jean-François Setti possède une bonne voix de basse, mais il est particulièrement mal à l’aise avec la tessiture intermédiaire d’Escamillo dont le haut du registre lui échappe tout à fait et sa musicalité reste pour le moins sommaire. La Micaëla d’Elbenita Kajtazi a pour elle un français remarquablement articulé, un joli timbre, mais le haut de la voix laisse entendre un vibrato un peu inquiétant chez une chanteuse encore jeune. Parmi d’excellents seconds rôles, on distinguera particulièrement le Zuniga de François Lis, à la voix bien projetée et dont l’incarnation crève l’écran. Les petits rôles du quintette sont au-dessus de tout éloge et le chœur Accentus est comme toujours d’une parfaite homogénéité et parfaitement compréhensible. On suppose que c’est par souci de réalisme que l’on a demandé aux enfants de la Maîtrise populaire de chanter « mal » en abusant des sons ouverts pour mieux évoquer les gamins des rues.
Gaëlle Arquez (Carmen), Frédéric Antoun (Don José), Norma Nahoun (Frasquita), Aliénor Feix (Mercédès), Matthieu Walendzik (Le Dancaïre), Paco Garcia (Le Remendado). Photographie © Stefan Brion.
Dans la fosse, l’Orchestre des Champs-Élysées, sous la direction tour à tour engagée et élégante, mais toujours précise de Louis Langrée donne une lecture pleine de sève et de couleurs de la partition dans une édition où ne manque pas une mesure et qui donne à entendre toute la richesse et la subtilité de l’orchestration. Au moins sur ce versant, le chef-d’œuvre de Bizet est-il à son meilleur.
Prochaines représentations les 30 avril, 2 et 4 mai.
Production visible sur Arte Concert à partir du 21 juin.
Frédéric Norac 28 avril 202 3 Tous les articles norac@musicologie.org
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Lundi 1 Mai, 2023 12:23