L’Orfeo d’Antonio Sartorio : une savoureuse satire des méfaits de l’Amour (original) (raw)
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 9 décembre 2023 — Frédéric Norac
Orfeo. Photographie © S. Goselin.
Après Montpellier où elle a été créée en juin dernier, et une tournée soutenue par l’Arcal, c’était au tour de l’Athénée d’accueillir la production de l’Orfeo d’Antonio Sartorio, opéra oublié depuis la version qu’en avait donné René Clemencic à la fin des années 19701.
Avec son mélange de lyrisme et de bouffonnerie, l’œuvre est un peu le nec plus ultra de l’opéra vénitien. Dans le livret d’Aurelio Aureli, le mythe d’Orphée devient le prétexte à une satire savoureuse sur l’amour et ses méfaits. S’inspirant de la version d’Ovide (que reprendront en 1858 les librettistes d’Offenbach), il invente au poète Thrace un rival en la personne d’Aristée. Mais ici il est devenu le frère d’Orphée et non un des avatars du terrible Dieu des Enfers. Orphée et Eurydice sont un couple ordinaire, elle, amoureuse inconditionnelle de son chanteur favori, lui macho aveuglé par sa jalousie et qui ira même jusqu’à vouloir la faire assassiner. Autour d’eux s’ébat le petit monde familier de l’opéra vénitien : la vieille entremetteuse, Arinda, incarnée de façon magistrale par la haute-contre Clément Debieuvre avec un look de star hollywoodienne sur le déclin parfaitement réussi ; le berger Orillo qu’elle drague sans vergogne et qui lui monnaye ses charmes ; le sage Esculape, médecin des âmes et des corps ; la princesse Autonoe, éternelle amoureuse abandonnée à la recherche de l’amant qui l’a trahie ; Achille et Hercule, les deux bravaches qui tomberont malgré eux amoureux d’elle, poursuivis par leur « précepteur », le centaure Chiron qui veut les renvoyer à leurs études ; enfin l’apparition de Pluton, bien sûr, pour la scène des Enfers, et celle de Bacchus tentant de consoler Aristée après la mort d’Eurydice. L’affaire se termine mal pour le couple vedette (Orphée perd définitivement sa bien-aimée au sortir des Enfers) et si Autonoé retrouve au final Aristée, celui-ci ne retourne à ses premières amours que légèrement contraint et forcé. On l’aura compris la satire est féroce et l’œuvre dominée par l’élément comique, ce qui n’empêche pas quelques beaux lamenti (d’Orphée, d’Autonoe et d’Eurydice).
La partition est servie par une équipe de jeunes talents dont on distinguera particulièrement la splendide Autonoe d’Anara Khassenova, la basse claire et bien timbrée d’Alexandre Baldo dans le double rôle d’Esculape et de Pluton, le subtil et malicieux Orillo du contre-ténor Guillaume Ribler (dont le timbre rappelle singulièrement celui du jeune Jaroussky) et le solide Chiron de la basse Matthieu Haim. Dans le rôle-titre, Lorrie Garcia met un petit temps à se chauffer et ne convainc pleinement que dans les scènes finales. Passé un démarrage un rien pincé, l’Eurydice de Michèle Bréant s’avère un petit miracle de grâce et de suavité. Citons encore les excellents Achille du ténor Abel Zamora et Hercule du contre-ténor Fernando Escalona qui nous avait déjà fait grande impression dans Il Nerone en 2022.
La mise en scène de Benjamin Lazar, dans un dispositif scénique qui tient du ring et de l’amphithéâtre, agrémenté de rideaux qui deviennent à propos des miroirs, donne à ses personnages une réalité corporelle très réussie, bien aidé par les beaux costumes expressifs d’Alain Blanchot. Sans les sortir de leur réalité originelle, il donne à ses personnages un caractère intemporel, voire parfaitement contemporain, et nous les rend proches et sympathiques. La réussite du spectacle doit énormément à la direction très engagée de Philippe Jaroussky, à la tête de son Ensemble Artaserse. Le chef multiplie les couleurs instrumentales, avec ce qu’il faut d’âpreté du côté des cuivres, de douceur insinuante des cordes et de noblesse à l’orgue. La vivacité de l’ensemble répond à la perfection à la multiplicité des registres qui se succèdent sans solution de continuité dans une partition extraordinairement inventive où rythme et mélodie se disputent tour à tour la préséance. À n’en pas douter, il s’agit d’une redécouverte de premier plan qui, servie par autant de talents, mériterait une postérité au disque voire en vidéo.
Prochaines représentations à l’Athénée les 12, 13, 15 et 16 décembre et le 2 mars 2024 aux Bords de Scène de Juvisy-sur-Orge.
1. On pourra écouter cette version sur Apple Music ou sur le site de Warner en attendant qu’un label ne nous offre la version de Philippe Jaroussky
Frédéric Norac
9 décembre 2023
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Mardi 12 Décembre, 2023 3:00