Les 4e Arches en jazz à marée très haute (original) (raw)

Portbail-sur-Mer du 20 au 22 septembre 2024 —— Alain Lambert.

Les arches à marée haute. Photographie © Patricia Segretinat.

Portbail sur Mer et ses trois communes dans le Cotentin en période de grandes marées de septembre. Les concerts d’Arches en Jazz étaient donc à marée haute. Et la musique aussi. Comme le public avec un gain d’environ 25 %. Un festival toujours en relation avec son ainé printanier à Coutances, avec deux des résidents de Jazz sous les pommiers présents. Et l’un des organisateurs des Arches, le compositeur et contrebassiste Yves Rousseau va lui enregistrer au théâtre de Coutances son septet Shabda cette semaine en partenariat avec JSLP. Un projet musical ouvrant la seconde édition il y a deux ans.

Mazarski 5tet à Portbail. Photographie © Patricia Segretinat.

Comme l’an passé, un concert gratuit à la médiathèque de Portbail fait l’ouverture, avec le Mazarski Quintet, venu de Caen, bien connu pour son jazz manouche aux rythmes futurs, pour pasticher le titre d’une composition de Django. Tout un programme pleinement assumé par le guitariste compositeur Damien Cordelier, entouré de Gary Grandin à la seconde guitare, Hugues Letort à la contrebasse, Jean Michel Trotoux à l’accordéon ou au bandonéon, et Manuel Decocq au violon et pour certaines compositions. Pas de reprises donc, à part un thème de musique de film. Mais des compos dans l’esprit, parfois un peu décalées dans leurs rythmiques presque bancales et leurs jeux avec les dissonances. Une mise en scène musicale impeccable, pleine de virtuosité et d’humour.

Marion Rampal à Saint-Lô-d'Ourville. Photographie © Patricia Segretinat.

Le soir, on gagne la commune voisine de Saint-Lô d’Ourville pour découvrir Le secret, spectacle de l’actuelle chanteuse résidente de Coutances Marion Rampal, avec son complice Pierre François Blanchard, un étonnant pianiste entre Amadeus et le mime Marceau. Le secret ? Un voyage réussi passant de Prison de Fauré-Verlaine, à Mackie Messer de Weil-Brecht, ou Auf dem Wasser de Schubert, tout en swing comme les deux blues qu’elle nous chante en créole. Avant de nous faire redécouvrir La décadente de Brigitte Fontaine, Les ronds dans l’eau de Pierre Barouh-Raymond le Sénéchal (et non Michel Legrand comme on pourrait croire) ou La terre acquise de Colette Magny, sans oublier Mon amie la rose de Cécile Caulier-Jacques Lacome. Une voix profonde aux nombreuses nuances, pour un duo tout en finesse.

Le duo Brady à Portbail. Photographie © Patricia Segretinat.

Samedi midi, retour à Portbail près des arches où l’eau monte jusqu’au haut des piliers. Dans l’église fortifiée, le duo Brady, né Passage Brady à Paris il y a douze ans, va nous faire vivre une expérience musicale à deux violoncelles, possible aussi grâce au travail de la sonorisatrice. De formation classique comme beaucoup des nouveaux jeunes improvisateurs, Michèle Pierre et Paul Colomb savent tout jouer. Ainsi le morceau Brady nous fait passer de la musique indienne des restaurants du passage du même nom à une suite de Bach vite improvisée. Boum Boum ou Systole parodient la musique électro ou drum and bass. Les instruments sont percutés, frottés, amplifiés, pincés ou caressés selon les ambiances de La vie d’après, leur album paru l’an passé, avec en bonus en concert le visuel.

L'ensemble Chakàm à Denneville. Photographie © Patricia Segretinat.

L’après-midi, le ciel se charge de nuées orageuses, mais nous serons à l’abri dans la chapelle de Denneville où nous attend l’ensemble Chakàm. Trois jeunes musiciennes, Sogol Mirzei au târ iranien, Christine Zayed au qanun et aux poèmes palestiniens, Marie Suzanne de Loye à la viole de gambe vont nous offrir un concert mêlant l’orient et l’occident dans un échange musical intense entre dynamisme, vitalité et mélancolie. L’un des poèmes chantés, La femme qui rougit et l’univers, affirme la fierté de toutes les musiciennes et artistes dans un monde encore loin de l’égalité et de l’universel. Avec le târ, luth plus métallique et plus véloce que le oud, et le qanun, cithare jouée avec des onglets, la viole de gambe propose ses sonorités veloutées et son chant singulier à la fois grave et aigu. Un bel ensemble voyageur.

6 Congé Spatial à Saint-Lô-d'Ourville. Photographie © Patricia Segretinat. Congé Spatial à Saint-Lô-d'Ourville. Photographie © Patricia Segretinat.

Le soir on retrouve la grande salle pour un double concert. D’abord le jeune duo Congé Spatial composé d’Etienne Manchon au piano souvent préparé et claviers, avec Pierre Marie Lapprand au sax ténor et aux pédales d’effet. Du Coltrane cosmique nous explique le sax après un morceau plutôt électro, Solarium, où il passe autant de temps à bidouiller ses pédales, à son poste de pilotage, qu’à jouer du sax, tandis que son comparse dansant se joue des claviers, ajoutant d’autres effets. Mais le sax est là, et bien là, quand le piano revient vers l’acoustique dans Le faucon et le tonnerre, inspiré d’un manga, tout le concert montre cette capacité équilibriste entre l’électrique et l’acoustique, la tradition et la modernité, entre Rossignol, Chaussettes on the floor et Génépi. Plus un hommage à l’afrobeat de Fela Kuti. Un détonnant duo.

Play Station 4tet à Saint-Lô-d'Ourville. Photographie © Patricia Segretinat.

Difficile après ce tohu-bohu de prendre la suite, mais Play Station, le trio caennais augmenté de l’ancien résident de JSLP, Fidel Fourneyron, le fait bien, car si les musiciens sont un peu lointains, la musique, elle, est bien présente, un hard bop très cuivré et arrangé, encadré et emmené par les cordes frappées et pincées. Pierre Millet est au bugle, à la trompette ondulée et ondoyante, François Chesnel au piano et Patrice Grente à la contrebasse. Qui proposent à leur tour des compositions dans lesquelles le tromboniste s’engouffre, contrechantant gravement ou s’envolant dans un solo haletant. Le contrebassiste entretient le battement vital du groupe. Le pianiste prend sa part dans l’architecture harmonique des thèmes, et dans l’improvisation à la fois songeuse et rythmique, particulièrement dans son Mister K introduit et clos par de longues phrases arpégées.

Le dimanche matin est un peu nuageux, mais la pluie annoncée en reste là, et le spectacle final devant l’église est maintenu, alors que la mer quitte le havre à vive allure. Pour écouter dehors, rien de tel que ce quartet du Mississippi nantais, Blues Roots Combo. Arnaud Fradin à la guitare, au dobro et au chant, Richard Housset à la batterie, Maxime Gilbert à la contrebasse et Thomas Troussier, qui anima dans son jeune temps une émission sur le blues sur une radio libre caennaise, devenu aujourd’hui un des meilleurs harmonicistes diatoniques. Du blues des origines, acoustique donc, mais boosté par le jeu et la voix du guitariste, aussi à l’aise sur sa petite guitare que sur son dobro, pour jouer Robert Johnson, Muddy Waters, Skip James ou Bob Dylan. Un blues à la fois originel et un brin baroque à la John Renbourn. Un combo chaleureux pour clore en beauté..

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

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Mercredi 25 Septembre, 2024 12:14