Les Traversées Tatihou follement trentenaires (original) (raw)
Saint-Vaast le Hougue du 22 au 24 août 2024, Alain Lambert.
Né à la fin d'un siècle, ce festival des musiques du large continue de traverser les ans au rythme des marées de fin d'été et vient de fêter fièrement son trentième anniversaire, malgré des restrictions ayant eu raison du second chapiteau et du village. En tout 46 concerts ou scènes ouvertes proposés, avec presque 12 000 festivaliers, pour parcourir les différents lieux, à Sain-Vaast et alentour ou traverser à pied vers le chapiteau de l'île de Tatihou. Soit 343 artistes de 12 nationalités, Irlande, États-Unis, Pays de Galle, Espagne, Allemagne, Italie, Venezuela, Angleterre, Inde, Écosse, Canada, Colombie, Estonie... Ou venus des régions de France, Normandie, Bretagne, Occitanie, Corse, Vendée, Auvergne...
Pour ce trentenaire, la Normandie est bien présente aussi bien sur la scène ouverte (Como No, Soufflant Manchot, La Banda Jojo, Bul Mazette) que dans les concerts sur l'île, avec en particulier Octantrion le mercredi, et Mes Souliers Sont Rouges le lendemain qui ont mis le feu au chapiteau selon l'ami Philippe. Et les deux suivants, à retrouver plus loin, auxquels nous serons présents.
Session irlandaise à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
Le jeudi, en arrivant l'après-midi, nous avons la chance de pouvoir assister au Bar du commerce à l'une des six sessions irlandaises menées par des musiciens de Rouen avec leurs invités irlandais. Nous les retrouverons sur l'île lors des concerts promenades de l'après-midi des vendredi et samedi. Il s'agit, pour cette demi-douzaine de musiciens, d'inviter tous les amateurs présents à jouer avec eux les tunes les plus connus, chacun à son niveau. Ce jour-là, les élèves du stage de flûte irlandaise se sont joint le temps de deux morceaux à la douzaine de participants, le tout dans une ambiance musicale enlevée et bon enfant. Avec un fort débit de boissons diverses.
Maar à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
Le soir, salle Max Paul Fouchet, du nom du poète né à Saint-Vaast, le trio Maar, trois musiciennes, chanteuses et percussionnistes, la Bretonne Elsa Corre, l'Occitane Charlotte Espieussas, aussi accordéoniste, et la Vénézuélienne Rebecca Roger Cruz. Toutes trois puisent dans leur tradition propre de chants de travail quotidien, comme le pétrissage du pain sur une table, pour réinventer ou composer un nouveau répertoire de voix et de rythmes entremêlés, estompant un peu les complaintes et ballades. Un ensemble passionnant, virtuose et bourré d'énergie.
Alan Stivell à Saint-Pierre-Église. Photographie © Patricia Segretinat.
Le second concert nous emmène à Saint-Pierre-Église pour entendre Alan Stivell en duo avec Tangi Miossec aux claviers. Dont une évocation bruitiste du vent et des vagues accompagne la belle intro instrumentale autour de la ville d'Ys (d'ailleurs, on raconte que le village d'Ysamberville près de Saint-Vaast a été jadis submergé lui aussi, et on entend parfois les cloches, les soirs de tempête). À part le dernier rappel, l'hymne breton en électro disco bruyant un peu incongru, les morceaux les plus connus du barde sont revisités de façon intimiste et poétique à la harpe et au chant, parfois un peu de whistle, avec de l'orgue ou du piano en accompagnement feutré. Un beau concert émouvant.
Guillaume Hugot et Mairéad Walls. Photographie © Patricia Segretinat.
Le vendredi, il faut gagner l'île en bateau, car pour le concert promenade, la mer est encore haute, et les festivaliers du soir ne peuvent pas encore traverser. Trois courts moments en duos, Mairéad Walls (l'animatrice du stage), au chant et au tin whistle, et Guillaume Hugot à la guitare pour un répertoire de chansons et d'airs traditionnels envoutants sous le grand arbre.
Paddy Tunney et Damian Walls à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Damian Walls, cistre et banjo, et Paddy Tunney au violon pour des instrumentaux dansants près de l'eucalyptus. Et enfin Steve Waring, guitare et banjo 5 cordes, et sa fille Alice, clarinette, sax soprano, chant et danse, pour des chansons poétiques et des instrumentaux d'Irlande et d'Amérique. On les reverra demain en quintette dans un spectacle tout public.
Ben Herbert Larue à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Dans le chapiteau, Ben Herbert Larue, poète slammeur, chanteur, guitariste et accordéoniste déjà chroniqué ici, venu de Rouen, héritier de Brel, mais aussi d'Allain Leprest né à Aumeville Lestre, à une dizaine de kilomètres d'ici, dont il chante C'est peut-être Mozart, parmi ses propres textes joueurs de mots de son dernier album, Souffle(s). Il est joliment accompagné par Xavier Milhou à la contrebasse et aux arrangements, et Nicolas Jozef Fabre au clavier, bugle et percussions. Le public ne le connaissant pas encore lui a fait un bel accueil.
François Morel et Le Chœur des marins du Contentin à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Tout aussi chaleureux pour François Morel, originaire lui, de l'Orne, en quatuor avec Antoine Salher au piano, au bugle et aux arrangements, Muriel Gastebois à la batterie et Amos Mah à la guitare ou au violoncelle. Dans une première partie, le poète humoriste reprend ses chansons autour de la grande et belle vie, malgré tout. Et c'est toujours un régal de tendresse et d'humour. Puis dans un second temps, avec Le Chœur des marins du Cotentin, il chante quelques chansons de son dernier opus autour des textes du poète et marin breton Yves Marie le Guilvinec, pour qui Tous les marins sont des chanteurs. Avant de terminer par la Cabane dans le Cotentin. Deux airs qui vont nous trotter dans la tête pendant le retour vers le continent.
Steve Waring à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
Le samedi matin, il faut passer à travers la grosse pluie pour atteindre la salle Max Paul Foucher où Steve Waring nous attend en famille, car en plus de sa fille Alice, il y a sa nièce Hélène Peronnet, venue d'Acadie, au violon, son gendre Robin Limoge aux arrangements, à la contrebasse et à la clarinette basse, et Gérald Chagnard à la mandoline et au sax baryton. À part quelques instrumentaux et chansons de sa jeunesse américaine, il joue surtout ses chansons pour enfants comme Les grenouilles, La Baleine bleue, Le Stylo d'Einstein, Le Matou revient, Fais voir le son... toutes superbement arrangées pour le quintette entre folk et jazz. Et permettant de faire participer le public assez facilement. On peut rappeler qu'au milieu des années soixante, Steve, à peine arrivé, débutait avec entre autres Alan Stivell, au Centre américain à Paris, la révolution folk qui court toujours à Tatihou, à Lorient ou ailleurs. Un concert encore en pleine forme et plein de malice.
Martial Benoit, Anthony Picard, Kevin de Caen à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
La pluie s'est arrêtée quand on gagne l'île sur le Tatihou II pour le concert promenade, mais les nuages reviennent, et le trio d'Irlandais de Normandie, Anthony Picard au banjo, Martial Benoit à la flûte traversière, venus de Rouen, avec Kevin de Caen au bodhrán jouent une suite de reels sous les gouttes. Puis le ciel s'éclaircit pour les suivantes, jigs, hornpipes et polkas. Traditionnels ou composés par eux tels de vieux Irlandais chevronnés. Les deux autres moments musicaux ont été déplacés à l'abri, Jean Luc Thomas et son chouette voyage à travers les flûtes du monde dans le hangar où séjourne à jamais un vieux et immense cordier tout en bois usé. Et Gab Faure au violon improvise sur le thème du phoque, de la coquille Saint-Jacques, du requin et du dauphin, au sein de la salle de l'évolution, au milieu des poissons et oiseaux naturalisés.
Le millier de traverseurs arrivés à pied remplissent le chapiteau pour le dernier concert sur l'île. Carlos Nunez le Galicien, flûtes, gaïta, ullean pipe, ocarina, va faire un concert en deux parties. D'abord avec ses musiciens, Xurxo Nunez aux percus et à la programmation, Pancho Alvarez à la guitare, Jon Pilatzke au violon ou aux claquettes, et Itsaso Elisagoien à l'accordéon, un beau voyage commenté par lui en savoureux français autour de son dernier cédé consacré à la mer celtique, et ses différents ports, de la Galice à l'Irlande.
****Carlos Nunez et ses trois invités normands à Tatihou. Photographie © Patricia Segretinat.
Puis dans un second moment, pour le trentenaire du festival, et comme la Normandie est une des escales sur la Celtic Sea de la Brittany Ferry - lui ayant demandé ce disque pour leurs 50 ans - il a invité des musiciens normands autour de la Loure pour jouer leurs musiques. Chloé Richard, musicologue et violoniste, chante Le lais des deux Amants de Marie de France en s'accompagnant à la vièle à archet, puis au violon, joue une suite de branles anciens, accompagnée par le groupe. Étienne Lagrange, violoniste, propose des musiques des îles Anglo-normandes, reprises du disque de Lihou [voir notre chronique], avec James Dubleton de Gernesey à la mandoline, au violon, à la guimbarde, qui chante aussi en guernesiais Jean Petit Coq. Ensuite Étienne, très à l'aise, se lance dans une battle à deux violons avec le pro Jon Pilatzke, avant la reprise par l'ensemble. Le concert se termine par un andro à faire danser le public, dont une partie se retrouve sur scène au milieu des musiciens, sous le regard heureux du maitre de cérémonie. Un superbe concert pour clore sur l'île ce trentième festival.
La Banda Jojo à Saint-Vaast. Photographie © Patricia Segretinat.
Quand il faut s'en retourner à pied, même si la Comète lumineuse nous accompagne quelques pas, la nuit fraiche tombe vite et le chemin paraît beaucoup plus long. La fanfare de la Banda Jojo nous accueille chaleureusement sur le quai du port. À partir de demain les coefficients de marée seront trop bas et les deux derniers concerts seront à Saint-Vaast. L'an prochain, la 31e édition se tiendra du 9 au 13 août 2025.
Alain Lambert
27 août 2024
© musicologie.org
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Mercredi 28 Août, 2024 15:20