Une Heure espagnole délicieusement « olé olé » et un Pulcinella un peu trop sage (original) (raw)

Opéra Comique, 11 mars 2024 — Frédéric Norac

Opéra-Comique, L'Heure espagnole. Photographie © S. Brion.

« Olé olé, l’Espagne farfelue de Ravel

Au moment où Anne Fontaine tente, dans son film Boléro, de cerner la personnalité de Maurice Ravel, l’Opéra-Comique remet à l’honneur ce petit chef-d’œuvre de fantaisie et d’invention musicale qu’est L’Heure espagnole. L’étonnante comédie musicale de 1911 est sûrement susceptible d’en dire plus sur le compositeur que tous les « biopics ».

On comprend, avec cette production merveilleusement réussie et portée par une distribution exceptionnelle, pourquoi Albert Carré, alors directeur de la salle Favart, tiqua lorsque Ravel vint lui présenter sa comédie musicale. Non seulement le livret de Franc-Nohain avait de quoi choquer le public petit-bourgeois de l’Opéra-Comique, mais la partition, si originale dans sa modernité, devait être tout à fait déconcertante, même pour un homme qui avait soutenu dix ans plus tôt le Pelléas de Debussy. Comme le montre le florilège de critiques d’époque dans le programme de salle où se rencontrent les noms des principaux tenants de l’école naturaliste et des wagnériens, la seule exception étant Alfred Bruneau, il avait bien perçu ce qui rendrait problématique l’accueil de cette nouveauté radicale.

Dans sa mise en scène, Guillaume Gallienne a su saisir à la perfection l’esprit de cet opéra parodique, plein d’allusions grivoises savoureuses, de situations farfelues et de répliques souvent carrément explicites. Il croque les personnages de la farce avec un crayon aussi léger que bien taillé. Tous collent à la perfection à leur rôle depuis la Concepcion de Sophie d’Oustrac, dont le tempérament bouillant éclate dans son « grand air » de désespoir « Oh la pitoyable aventure », jusqu’à L’horloger faussement naïf de Philippe Talbot. Jean-Sébastien Bou est un formidable Muletier dont les biceps vocaux sont à la hauteur des deux invraisemblables horloges où se cachent les amants de la dame et qu’il monte à bout de bras dans le grand escalier servant de décor unique. Nicolas Cavallier incarne à la perfection le pompeux et ridicule Don Inigo Gomez et Benoît Rameau offre à Gonzalve, le doucereux poète, son merveilleux timbre de ténor lyrique et un phrasé de rêve.

Dans la fosse, Louis Langrée fait de l’orchestre des Champs-Élysées le sixième personnage de cette délicieuse farce, certes grivoise, mais jamais vulgaire, où les effets orchestraux commentent et prolongent les allusions du texte et éclairent les situations comme autant de sous-entendus.

Opéra-Comique, Pulcinella. Photographie © S. Brion.

Le Pulcinella trop sage de Clairemarie Osta

Le couplage avec Pulcinella, donné en première partie, n’est pas si évident. Au regard de la plénitude que l’orchestre atteint dans Ravel, le rendu du discours néo-classique de Stravinsky semble moins accompli. D’une dizaine d’années postérieure, le « ballet avec chant » réclamerait sans doute une tout autre texture orchestrale pour restituer l’esprit moderne de cette relecture du xviiie siècle napolitain. À l’instar de la lecture musicale, la chorégraphie de Clairemarie Osta paraît bien sage, avec ses mouvements post-balanchiniens et ses danseurs tirés à quatre épingles, pour évoquer les rues de Naples et les jeux de désir d’une jeunesse méditerranéenne. Son Polichinelle en costume et chapeau melon, façon Charlot désossé, opposé aux athlétiques jeunes machos, ne convainc guère, pas plus que sa fiancée, façon poupée de boite à musique, malgré la qualité indéniable des danseurs. Des trois chanteurs qui assurent les parties vocales, la basse François Lis reste le plus marquant. Sans doute eût-il fallu un propos plus exigeant pour donner un peu de relief à ce qui reste, au final, une mise en bouche un peu fade.

Représentations jusqu’au 19 mars

plume_07 Frédéric Norac 11 marts 2024 Tous les articles
facebook


rect_biorect_texterect_encyclorect_bio

À propos - contact | S'abonner au bulletin| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil - ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

cul_24_03

Dimanche 17 Mars, 2024 16:55