Accompagnement (musique) (original) (raw)
Encyclopédie de Diderot et de d'Alembert
Accompagnement (s, m). C'est l'exécution d'une harmonie complète & régulière sur quelque instrument, tel que l'orgue, le clavecin, le théorbe, la guitare, &c. Nous prendrons ici le clavecin pour exemple.
On y a pour guide une des parties de la Musique, qui est ordinairement la basse. On touche cette basse de la main gauche, & de la droite l'harmonie indiquée par la marche de la basse, par le chant des autres parties qu'on entend en même temps, par la partition qu'on a devant les yeux, ou par des chiffres qu'on trouve communément ajoutés à la basse. Les Italiens méprisent les chiffres ; la partition même leur est peu nécessaire ; la promptitude & la finesse de leur oreille y supplée, & ils accompagnent fort bien sans tout cet appareil : mais ce n'est qu'à leur disposition naturelle qu'ils sont redevables de cette facilité ; & les autres peuples qui ne sont pas nés comme eux pour la Musique, trouvent à la pratique de l'accompagnement des difficultés infinies ; il faut des dix à douze années pour y réussir passablement. Quelles sont donc les causes qui retardent l'avancement des élèves, & embarrassent si long-tems les maîtres ? La seule difficulté de l'art ne fait point cela.
Il y en a deux principales : l'une dans la manière de chiffrer les basses ; l'autre dans les méthodes d'accompagnement.
Les signes dont on se sert pour chiffrer les basses sont en trop grand nombre. Il y a si peu d'accords fondamentaux ! pourquoi faut-il une multitude de chiffres pour les exprimer ? les mêmes signes sont équivoques, obscurs, insuffisans. Par exemple, ils ne déterminent presque jamais la nature des intervalles qu'ils expriment, ou, ce qui pis est, ils en indiquent d'opposés : on barre les uns pour tenir lieu de dièse, on en barre d'autres pour tenir lieu de bémol : les intervalles majeurs & les superflus, même les diminués, s'expriment souvent de la même manière. Quand les chiffres sont doubles, ils sont trop confus ; quand ils sont simples, ils n'offrent presque jamais que l'idée d'un seul intervalle ; de sorte qu'on en a toujours plusieurs autres à sous-entendre & à exprimer.
Comment remédier à ces inconvéniens ? faudra-t-il multiplier les signes pour tout exprimer ? mais on se plaint qu'il y en a déjà trop. Faudra-t-il les réduire ? on laissera plus de choses à deviner à l'accompagnateur, qui n'est déjà que trop occupé. Que faire donc ? Il faudroit inventer de nouveaux signes, perfectionner le doigter, & faire des signes & du doigter deux moyens combinés qui concourent en même tems à soulager l'accompagnateur. C'est ce que M. Rameau a tenté avec beaucoup de sagacité dans sa dissertation sur les différentes méthodes d'accompagnement. Nous exposerons aux mots CHIFFRER & DOIGTER, les moyens qu'il propose. Passons aux méthodes.
Comme l'ancienne Musique n'étoit pas si composée que la nôtre, ni pour le chant, ni pour l'harmonie, & qu'il n'y avoit guère d'autre basse que la fondamentale, tout l'accompagnement ne consistoit que dans une suite d'accords parfaits, dans lesquels l'accompagnateur substituoit de tems en tems quelque sixte à la quinte, selon que l'oreille le conduisoit. Ils n'en savoient pas davantage. Aujourd'hui qu'on a varié les modulations, surchargé, & peut-être gâté l'harmonie par une foule de dissonances, on est contraint de suivre d'autres règles. M. Campion imagina celle qu'on appelle règle de l'octave ; & c'est par cette méthode que la plupart des maîtres montrent aujourd'hui l'accompagnement.
Les accords sont déterminés par la règle de l'octave, relativement au rang qu'occupent les notes de la basse dans un ton donné. Ainsi le ton connu, la note de la basse continue, le rang de cette note dans le ton, le rang de la note qui la précède immédiatement, le rang de celle qui la suit, on ne se trompera pas beaucoup en accompagnant par la règle de l'octave, si le compositeur a suivi l'harmonie la plus simple & la plus naturelle : mais c'est ce qu'on ne doit guère attendre de la Musique d'aujourd'hui. D'ailleurs, le moyen d'avoir toutes ces choses présentes ? & tandis que l'accompagnateur s'en instruit, que deviennent les doigts ? A peine est-on arrivé à un accord qu'un autre se présente ; le moment de la réflexion est précisément celui de l'exécution : il n'y a qu'une habitude consommée de Musique, une expérience refléchie, la facilité de lire une ligne de Musique d'un coup d'oeil, qui puissent secourir ; encore les plus habiles se trompent-ils avec ces secours.
Attendra-t-on pour accompagner que l'oreille soit formée, qu'on sache lire rapidement la Musique, qu'on puisse débrouiller à livre ouvert une partition ? mais en fût-on là, on auroit encore besoin d'une habitude du doigter, fondée sur d'autres principes d'accompagnement que ceux qu'on a donnés jusqu'à M. Rameau.
Les maîtres zélés ont bien senti l'insuffisance de leurs principes. Pour y remédier ils ont eu recours à l'énumération & à la connoissance des consonances, dont les dissonances se préparent & se sauvent. Détail prodigieux, dont la multitude des dissonances fait suffisamment apercevoir.
Il y en a qui conseillent d'apprendre la composition avant que de passer à l'accompagnement ; comme si l'accompagnement n'étoit pas la composition même, aux talens près, qu'il faut joindre à l'un pour faire usage de l'autre. Combien de gens au contraire veulent qu'on commence par l'accompagnement à apprendre la composition ?
La marche de la basse, la règle de l'octave, la manière de préparer & de sauver les dissonances, la composition en général, ne concourent qu'à indiquer la succession d'un seul accord à un autre ; de sorte qu'à chaque accord, nouvel objet, nouveau sujet de réflexion. Quel travail pour l'esprit ! Quand l'esprit sera-t-il assez instruit & l'oreille assez exercée pour que les doigts ne soient plus arrêtés ?
C'est à M. Rameau, qui par l'invention de nouveaux signes & la perfection du doigter, nous a aussi indiqué les moyens de faciliter l'accompagnement ; c'est à lui, dis-je, que nous sommes redevables d'une méthode nouvelle, qui garantit des inconvéniens de toutes celles qu'on avoit suivies jusqu'à présent. C'est lui qui le premier a fait connoître la basse fondamentale, & qui par-là nous a découvert les véritables fondemens d'un art où tout paroissoit arbitraire.
Voici en peu de mots les principes sur lesquels sa méthode est fondée.
Il n'y a dans l'harmonie que des consonances & des dissonances. Il n'y a donc que des accords consonnans & dissonans.
Chacun de ces accords est fondamentalement divisé par tierces. (C'est le système de M. Rameau) Le consonnant est composé de trois notes, comme ut, mi, sol ; & le dissonant de quatre, comme sol, si, ré, fa.
Quelque distinction ou distribution que l'on fasse de l'accord consonnant, on y aura toujours trois notes, comme ut, mi, sol. Quelque distribution qu'on fasse de l'accord dissonant, on y trouvera toujours quatre notes, comme sol, si, ré, fa, laissant à part la supposition & la suspension qui en introduisent d'autres dans l'harmonie comme par licence. Ou des accords consonnans se succèdent, ou des accords dissonans sont suivis d'autres dissonans, ou les consonnans & les dissonans sont entrelacés.
L'accord consonnant parfait ne convenant qu'à la tonique, la succession des accords consonnans fournit autant de toniques, & par conséquent de changements de ton.
Les accords dissonans se succèdent ordinairement dans un même ton. La dissonance lie le sens harmonique. Un accord y fait souhaiter l'autre, & fait sentir en même tems que la phrase n'est pas finie. Si le ton change dans cette succession, ce changement est toujours annoncé par un dièse ou par un bémol. Quant à la troisième succession, savoir l'entrelacement des accords consonnans & dissonans, M. Rameau réduit à deux cas cette succession, & il prononce en général, qu'un accord consonnant ne peut être précédé d'un autre dissonant que de celui de septième de la dominante, ou de celui de sixte-quinte de la sous-dominante, excepté dans la cadence rompue & dans les suspensions ; encore prétend-il qu'il n'y a pas d'exception quant au fond. Il nous paroît que l'accord parfait peut encore être précédé de l'accord de septième diminuée, & même de celui de sixte superflue ; deux accords originaux, dont le dernier ne se renverse point.
Voilà donc trois textures différentes de phrases harmoniques : des toniques qui se succèdent & qui font changer de ton : des consonances qui se succèdent ordinairement dans le même ton ; & des consonances & des dissonances qui s'entrelacent, & où la consonnance est, selon M. Rameau, nécessairement précédée de la septième de la dominante, ou de la sixte-quinte de la sous-dominante. Que reste-t-il donc à faire pour la facilité de l'accompagnement, sinon d'indiquer à l'accompagnateur quelle est celle de ces textures qui règne dans ce qu'il accompagne ? Or c'est ce que M. Rameau veut qu'on exécute avec des caractères.
Un seul signe peut aisément indiquer le ton, la tonique & son accord.
On tire de là la connoissance des dièses & des bémols qui doivent entrer dans le courant des accords d'une tonique à une autre.
La succession fondamentale par quintes ou par tierces, tant en montant qu'en descendant, donne la premiere texture de phrases harmoniques toute composée d'accords consonnans.
La succession fondamentale par tierces ou par quintes en descendant, donne la seconde texture, composée d'accords dissonans, savoir des accords de septième, & cette succession donne l'harmonie descendante.
L'harmonie ascendante est fournie par une succession de quintes en montant, ou de quartes en descendant, accompagnées de la dissonance propre à cette succession, qui est la sixte ajoutée ; & c'est la troisième texture des phrases harmoniques, qui n'a jusqu'ici été observée de personne, quoique M. Rameau en ait trouvé le principe & l'origine dans la cadence irrégulière. Ainsi par les règles ordinaires, l'harmonie qui naît d'une succession de dissonances descend toujours, quoique selon ses vrais principes & selon la raison, elle doive avoir en montant une progression tout aussi régulière qu'en descendant. Voyez CADENCE.
Les cadences fondamentales donnent la quatrième texture de phrases harmoniques, où les consonances & les dissonances s'entrelacent.
Toutes ces textures peuvent être désignées par des caractères simples, clairs & peu nombreux, qui indiqueront en même tems, quand il le faut, la dissonance en général ; car l'espèce en est toujours déterminée par la texture même. Voyez CHIFFRER. On commence par s'exercer sur ces textures prises séparément, puis on les fait se succéder les unes aux autres sur chaque ton & sur chaque mode successivement.
Avec ces précautions, M. Rameau prétend qu'on sait plus d'accompagnement en six mois, qu'on n'en savoit auparavant en six ans, & il a l'expérience pour lui. Voy. MUSIQUE, HARMONIE, BASSE FONDAMENTALE, BASSE CONTINUE, PARTITION, CHIFFRER, DOIGTER, CONSONNANCE, DISSONANCE, REGLE DE L'OCTAVE, COMPOSITION, SUPPOSITION, SUSPENSION, TON, CADENCE, MODULATION, &c.
A l'égard de la manière d'accompagner avec intelligence, elle dépend plus de l'habitude & du goût que des règles qu'on en peut donner. Voici pourtant quelques observations générales qu'on doit toujours faire en accompagnant.
1°. Quoique suivant les principes de M. Rameau il faille toucher tous les sons de chaque accord, il ne faut pas toujours prendre cette règle à la lettre. Il y a des accords qui seroient insupportables avec tout ce remplissage. Dans la plupart des accords dissonans, surtout dans les accords par supposition, il y a quelque son à retrancher pour en diminuer la dureté ; ce son est souvent la septième, quelquefois la quinte, quelquefois l'une & l'autre. On retranche encore assez souvent la quinte ou l'octave de la basse dans les accords dissonans, pour éviter des octaves ou des quintes de suite, qui font souvent un fort mauvais effet, surtout dans le haut ; & par la même raison, quand la note sensible est dans la basse, on ne la met pas dans l'accompagnement ; au lieu de cela, on double la tierce ou la sixte de la main droite. En général on doit penser en accompagnant, que quand M. Rameau veut qu'on remplisse tous les accords, il a bien plus d'égard à la facilité du doigter & à son système particulier d'accompagnement, qu'à la pureté de l'harmonie.
2°. Il faut toujours proportionner le bruit au caractère de la Musique, & à celui des instruments ou des voix qu'on a à accompagner : ainsi dans un choeur on frappe les accords pleins de la main droite, & l'on redouble l'octave ou la quinte de la main gauche, & quelquefois tout l'accord. Au contraire dans un récit lent & doux, quand on n'a qu'une flûte ou une voix foible à accompagner, on retranche des sons, on les arpège doucement, on prend le petit clavier : en un mot, on a toujours attention que l'accompagnement, qui n'est fait que pour soutenir & embellir le chant, ne le gâte & ne le couvre pas.
3°. Quand on a à refrapper les mêmes touches dans une note longue ou une tenue, que ce soit plutôt au commencement de la mesure ou du tems fort, que dans un autre moment : en un mot, il faut ne rebattre qu'en bien marquant la mesure.
4°. Rien n'est si désagréable que ces traits de chant, ces roulades, ces broderies, que plusieurs accompagnateurs substituent à l'accompagnement. Ils couvrent la voix, gâtent l'harmonie, embrouillent le sujet ; & souvent ce n'est que par ignorance qu'ils font les habiles mal-à-propos, pour ne savoir pas trouver l'harmonie propre à un passage. Le véritable accompagnateur va toujours au bien de la chose, & accompagne simplement. Ce n'est pas que dans de certains vides on ne puisse au défaut des instruments placer quelque joli trait de chant : mais il faut que ce soit bien à-propos, & toujours dans le caractère du sujet. Les Italiens jouent quelquefois tout le chant au lieu d'accompagnement ; & cela fait assez bien dans leur genre de Musique. Mais quoi qu'ils en puissent dire, il y a souvent plus d'ignorance que de goût dans cette manière d'accompagner.
5°. On ne doit pas accompagner la Musique Italienne comme la Françoise. Dans celle-ci il faut soutenir les sons, les arpéger gracieusement du bas en haut ; s'attacher à remplir l'harmonie, à joüer proprement la basse : car les compositeurs François lui donnent aujourd'hui tous les petits ornemens & les tours de chant des dessus. Au contraire, en accompagnant de l'Italien, il faut frapper simplement les notes de la basse, n'y faire ni cadences, ni broderie, lui conserver la marche grave & posée qui lui convient : l'accompagnement doit être sec & sans arpéger. On y peut retrancher des sons sans scrupule ; mais il faut bien choisir ceux qu'on fait entendre. Les Italiens font peu de cas du bruit ; une tierce, une sixte bien adaptée, même un simple unisson, quand le bon goût le demande, leur plaisent plus que tout notre fracas de parties & d'accompagnement : en un mot, ils ne veulent pas qu'on entende rien dans l'accompagnement, ni dans la basse, qui puisse distraire l'oreille du sujet principal, & ils sont dans l'opinion que l'attention s'évanoüit en se partageant.
6°. Quoique l'accompagnement de l'orgue soit le même que celui du clavecin, le goût en est différent. Comme les sons y sont soutenus, leur marche doit être plus douce & moins sautillante. Il faut lever la main entière le moins qu'on peut, faire glisser les doigts d'une touche à l'autre sans lever ceux qui, dans la place où ils sont, peuvent servir à l'accord où l'on passe ; rien n'est si désagréable que d'entendre sur l'orgue cette espèce d'accompagnement sec & détaché, qu'on est forcé de pratiquer sur le clavecin. Voyez le mot DOIGTER.
On appelle encore accompagnement, toute partie de basse ou autre instrument, qui est composée sur un chant principal pour y faire harmonie. Ainsi un solo de violon s'accompagne du violoncelle ou du clavecin, & un accompagnement de flûte se marie fort bien à la voix ; cette harmonie ajoute à l'agrément du chant : il y a même par rapport aux voix une raison particulière pour les faire toujours accompagner de quelques instruments : car quoique plusieurs prétendent qu'en chantant on modifie naturellement sa voix selon les lois du tempérament, cependant l'expérience nous montre que les voix les plus justes & les mieux exercées ont bien de la peine à se maintenir long-tems dans le même ton quand rien ne les y soutient. A force de chanter on monte ou l'on descend insensiblement ; & en finissant, rarement se trouve-t-on bien juste dans le même ton d'où l'on étoit parti. C'est en vue d'empêcher ces variations, que l'harmonie d'un instrument est employée pour maintenir toujours la voix dans le même diapason, ou pour l'y rappeler promptement lorsqu'elle s'en égare. Voyez BASSE CONTINUE. (S)
Supplément Panckoucke
ACCOMPAGNEMENT, s. m. (Poésie lyrique.) Dans la musique vocale, tout doit avoir son analogie avec la fiction poëtique, & sa vraisemblance comme elle. Les vers, le chant, la symphonie qui l'accompagne, forment ensemble une hypothèse, dont le principe est dans la nature. Voyez dans les articles AIR, DUO, CHANT, LYRIQUE, RECITATIF, Suppl. en quoi consiste la vraisemblance de l'expression musicale.
La vraisemblance de l'accompagnement est moins aisée à concevoir ; & de toutes les licences que la musique s'est données, la plus grande est sans contredit le concours des instruments avec la voix. Il ne laisse pourtant pas d'être indiqué par la nature, & d'être analogue au système de la fiction poétique, dont la musique est une branche du côté de l'expression.
1°. On a observé dans la nature du corps sonore qu'il n'y a point de son pur & simple, comme il n'y a point de rayon pur & simple dans la lumière du soleil. Chaque rayon de lumière est formé, comme l'on sait, d'un faisceau de rayons qui, séparés, donnent les couleurs primitives. Chaque son est composé de même de ses élémens qui donnent la basse & ses accords. Ce n'est pas ici le moment d'en faire l'analyse ; mais de cela seul que dans la nature le son principal est toujours accompagné de ses harmoniques, la voix humaine est en elle-même un composé de sons qui forment ensemble un accord. Le premier modelé de l'accompagnement est donc ce composé harmonieux, & sa premiere règle est d'imiter l'accord donné par la nature.
Quel est donc l'emploi de la symphonie dans cette espèce d'accompagnement ? C'est d'imiter le retentissement harmonieux de la voix, & de le rendre plus sensible. L'oreille même la plus exercée ne distingue pas dans le timbre de la voix les sons harmoniques & fugitifs ; la symphonie les exprime, & l'oreille qui en est frappée, reconnoît leur analogie avec la voix dont ils sont émanés. Ainsi une voix soutenue par des accords de tierce & de quinte, n'est qu'une voix dont la résonnance est distinctement prononcée. Voilà dans l'accompagnement le premier procédé de l'imitation : pour rendre cela plus sensible, on n'a qu'à supposer un peintre qui, au microscope peindroit en grand des objets imperceptibles à la vue ; l'image, quoiqu'exagérée, en seroit correcte & fidèle ; l'hypothèse est la même à l'égard des sons. Le musicien nous donne, s'il est permis de le dire, une oreille microscopique, & nous fait entendre dans la nature des sons que notre simple organe n'auroit pas aperçus sans lui. Delà, guidé par son oreille, l'artiste a étendu les procédés de l'harmonie ; mais il n'en est pas moins vrai que la nature du corps sonore lui a indiqué les premiers accords.
2°. La force, l'énergie, la délicatesse, les nuances de la pensée & du sentiment sont bien souvent au-dessus de l'expression de la parole & de la voix. La musique a imaginé de donner à l'âme un nouvel organe, & comme une seconde voix qui mêle aux sons articulés des sons plus confus & plus vagues, mais dont la sensibilité se communique à la voix même, & rend plus vive & plus touchante l'impression commune que l'oreille en reçoit. Tantôt la voix fictive ne fait que soutenir & seconder la voix réelle ; tantôt elle y supplée, en achevant pour elle les parties du chant les plus déliées, & en donnant à l'expression ses nuances les plus délicates ou ses traits les plus énergiques ; tantôt, dialoguant avec elle sur un dessein qui lui est propre, elle exprime les accidens, les variétés, les différences simultanées des sentimens qui agitent l'âme, ou des pensées qui l'occupent ; & alors même l'accompagnement a son motif dans la nature. Quoi de plus ordinaire en effet que d'éprouver, dans l'instant qu'on exprime un sentiment ou une pensée, le besoin d'exprimer aussi une foule d'idées qui se croisent, de mouvemens qui se combattent, ou d'images qui viennent en foule se présenter à l'esprit ? Il n'est personne alors qui ne voulût avoir plus d'une voix, pour embrasser dans une expression commune l'ensemble & les rapports de ses perceptions diverses ; l'accompagnement satisfait à ce désir impatient : c'est le supplément de la voix. La parole, si j'ose le dire, est un miroir uni ; l'accompagnement est un miroir à plusieurs faces, où tous les accessoires de la pensée & du sentiment, & leurs relations diverses, se retracent en même tems. Et quel charme de plus pour la musique, que de pouvoir exprimer non-seulement les alternatives, mais le mélange des différentes affections de l'âme ? La voix exprime le désir, la symphonie exprime la crainte ; l'une fait voir l'âme irritée, l'autre l'apaise & la désarme par un mouvement de pitié ; l'une éclate en reproches, l'autre y mêle des plaintes qui, sous les dehors de la haine, décèlent un reste d'amour. Une femme ordonne à son amant de la sacrifier à son devoir & à sa gloire ; mais la constance qu'elle affecte, son coeur la désavoue, il en soupire, il en gémit ; sa voix dira donc : je t'ordonne de me quitter ; & l'accompagnement dira : mais j'en mourrai. Tels seroient en musique les adieux de Bérénice & de Titus : ainsi, de toutes les situations où l'âme est en contradiction avec elle-même.
L'expression de l'accompagnement ne sert pas moins dans la dissimulation à trahir le secret de l'âme ; & lorsque Phèdre, aux genoux d'Hippolyte, l'imploreroit pour ses enfants, lorsque Médée, aux genoux de Creuse, la supplieroit d'avoir pitié des siens, l'emploi sublime de la symphonie seroit, par des traits échappés, de faire éclater, comme des étincelles, les mouvemens de l'amour de Phèdre & de la rage de Médée, à travers leur humble prière ; & alors le jeu du visage & l'accent de la voix n'auroient pas besoin d'exprimer la dissimulation ; le caractère en seroit assez marqué par l'accompagnement, qui est l'infidèle confident de la passion, & comme la voie indiscrete de la pensée & du sentiment.
3°. La déclamation même la plus animée a ses silences, dont les tems sont remplis dans l'âme, ou par des réflexions, ou par des sentimens que la parole n'exprime pas ; & l'accompagnement sert alors à révéler ses réticences. Dans le dialogue, cela est moins fréquent ; mais dans le monologue, où l'on ne parle qu'à soi-même, les développemens ne sont jamais complets, & c'est alors que les silences plus fréquens & plus longs, laissent à l'accompagnement une partie de l'expression, & donnent lieu à une espèce d'alternative & de dialogue des instruments & de la voix. Armide prête à percer le coeur de Renauld, se demande à elle-même : qui me fait hésiter ? Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire ? C'est à la symphonie à lui répondre ; & voilà ce qui fait la magie & le charme du récitatif obligé.
On a cru que cette sorte de récitatif, entrecoupé par la symphonie, étoit moins propre à notre langue, qu'à la langue Italienne, parce que notre prononciation naturelle est moins détachée que celle des Italiens. Mais il ne s'agit pas de détacher les mots qui doivent être liés ensemble ; il s'agit d'articuler chaque phrase, & d'y attacher le trait de chant & d'harmonie qui lui convient. Or notre déclamation simple, dans les moments passionnés, a des articulations aussi marquées, des pauses, des interruptions, des silences aussi fréquens que peut l'exiger la musique, pour entrelacer l'expression de l'accompagnement à celle de la voix. Du reste, c'est au poëte à savoir prendre alors un style rapide & concis ; & rien au monde n'est plus facile.
4°. Une hypothèse encore sur laquelle est fondée la vraisemblance de l'accompagnement, c'est la même qui, dès long-tems reçue en poésie, a donné lieu à de si douces illusions ; savoir, que tout dans la nature est animé, sensible, & que tout parle son langage. Ainsi, toutes les fois que dans le poëme lyrique, il s'établit une communication, une correspondance, une influence réciproque entre l'âme de l'acteur, & les objets qui l'environnent, l'accompagnement devient l'organe de ces objets supposés sensibles ; & entre l'homme & la nature intéressée à sa situation, se forme alors un dialogue dont l'illusion nous enchante.
5°. Enfin, parmi ces objets correspondants à la situation de l'âme, il y en a qui ont eux-mêmes une espèce de voix : un vent doux murmure à travers le feuillage, un ruisseau gazouille à travers les cailloux ; les flots mugissent, le tonnerre gronde, la foudre éclate, les monstres des forêts rugissent, les oiseaux chantent leurs amours ; la symphonie alors n'est pas absolument fictive, elle est imitative ou du bruit, ou des sons qui, dans la réalité, se feroient entendre, & porteroient dans l'âme la mélancolie ou la joie, la volupté, le calme ou la terreur.
Ce qui prouve que l'accompagnement est supposé tantôt faire partie de l'expression, comme supplément de la voix, tantôt représenter une voix étrangère, c'est que dans la premiere hypothèse, celui qui chante est censé ne pas entendre la symphonie, & qu'en effet il ne paroît jamais s'apercevoir qu'il est accompagné ; au lieu que dans la seconde, il est censé l'entendre & en être ému, ou dialoguer avec elle.
On voit par-là tout ce qu'embrasse le système hypothétique de l'accompagnement, & jusqu'où s'étend sa magie. Mais on ne doit jamais oublier que la mélodie en est l'âme ; qu'elle seule peut lui donner un caractère, un charme, un attrait continu ; que, s'il n'est lié par le chant, ses traits épars, ses passages brusques, ses idées incohérentes, ne seront bientôt pour l'oreille qu'un bruit monotone & pénible, & pour l'âme, que des lueurs de pensée & de sentiment. (Article de M. MARMONTEL. )
ACCOMPAGNEMENT sans chiffres, (Musique.) On entend par accompagnement sans chiffres, celui où l'on n'a pour guide que la partie de la basse, sans chiffres, & sans la partie du chant écrite au-dessus. Tout bon accompagnateur doit pouvoir accompagner une basse non chiffrée, lorsqu'il a toute la partition, ce qui n'est pas fort difficile, & même lorsqu'il n'a que la partie principale au dessus de la basse ; les récitatifs italiens sont ordinairement dans ce dernier cas. Mais il est impossible, j'ose le dire appuyé de bons maîtres, il est impossible d'accompagner bien, lorsqu'on n'a que la basse seule ; en voici un exemple convainquant. Que dans une piece en ut majeur, la basse ait les deux notes ut, ut # ; quel accord portera l'ut # ? Il en peut porter au moins trois ; l'accord de sixte-quinte, qui est le plus naturel ; l'accord de septième ordinaire, qui l'est moins ; & l'accord de septième diminuée, qui est presque aussi naturel que le premier. Par le moyen des deux premiers accords, on fait une excursion dans le relatif de la quinte sol ; par le dernier, on tombe dans le mode relatif de la seconde re. Un autre cas encore plus embarrassant, c'est lorsque la basse a une longue tenue : dans ce cas le compositeur peut faire sur cette tenue nombre d'accords en forme de points d'orgue. Cependant, comme on a quelques règles bonnes dans les cas ordinaires, nous les donnerons ici ; mais, nous le répétons, elles sont insuffisantes : & c'est une chimere qui prouve l'ignorante présomption de celui qui la soutient, que de croire qu'on puisse bien accompagner une basse continue, seule & non chiffrée.
Pour pouvoir se servir des règles suivantes, il faut accompagner bien les basses continues chiffrées, être assez ferme pour parcourir rapidement des yeux, jusqu'à quatre & même cinq mesures, pour savoir d'avance la suite des accords ; il faut enfin bien savoir tout ce que l'on trouve dans les articles REGLE DE L'OCTAVE, (Musique.) Dict. des Sciences, &c. CHANGER, (Musique.) Suppl. & ANTICIPATIM, (Musique.) Suppl.
Celui qui accompagne d'après une basse continue non chiffrée, doit encore être bien attentif, & surtout quand la base continue reste long-tems sur la même note, parce que souvent, dans la musique italienne & allemande, le compositeur change pour un instant la tierce majeure & mineure.
Enfin remarquons que, pour les règles suivantes, toutes les fois qu'on parle d'un saut de tierce mineure ou majeure en montant, on entend aussi parler du saut de sixte majeure ou mineure en descendant. Dans les exemples en notes, on indiquera cela par des notes doubles.
Premiere règle. Lorsqu'une note, portant l'accord parfait majeur ou mineur, descend d'un semi-ton majeur, ou monte d'une tierce majeure ou mineure sur la note suivante, cette dernière porte l'accord de sixte majeure ou mineure avec sa tierce majeure ou mineure, suivant que les dieses ou bémols de la clef l'indiquent ; ce dont nous avertissons ici une fois pour toutes.
Deuxième règle. Lorsqu'une note, portant accord parfait majeur, monte d'un semi-ton majeur, ou descend d'une tierce majeure sur la note suivante, celle-ci porte l'accord de sixte.
Troisième règle. Mais lorsque cette même note descend d'un ton sur la suivante, cette dernière porte l'accord de seconde.
Quatre règle. Lorsqu'une note, portant accord parfait mineur, descend d'une seconde, ou d'une tierce majeure sur la suivante, celle-ci porte l'accord de sixte.
Cinq règle. Quand une note, portant accord de sixte, & tierce mineure, monte d'un semi-ton majeur, ou descend d'une tierce majeure sur une note, celle-ci porte l'accord parfait majeur ou mineur suivant le mode.
Deuxième règle. Mais si cette même note monte d'un ton sur la suivante, cette dernière porte accord de sixte.
September règle. Lorsqu'une note, portant accord de sixte, & tierce majeure, monte ou descend d'un ton sur la suivante, celle-ci porte l'accord de sixte.
White règle. Mais si elle descend d'une tierce mineure sur la suivante, celle-ci porte l'accord parfait mineur.
Evidence règle. Lorsqu'une note, portant accord de sixte majeure & tierce mineure, descend d'un ton sur la suivante, cette dernière porte l'accord parfait majeur ou mineur, suivant le mode.
Deuxième règle. Mais cette même note venant à descendre de tierce mineure, ou à monter d'un semi-ton majeur, d'un ton, ou d'une tierce mineure sur la note suivante, cette dernière porte dans tous ces quatre cas l'accord de sixte.
Considered règle. Lorsque de deux notes à la tierce majeure ou mineure l'une de l'autre, l'une porte un dièse, béquarre ou bémol accidentel, il faut que celui-ci se trouve aussi dans l'accord de l'autre note.
Douzième règle. Enfin toute note marquée d'un dièse ou béquarre qui l'élève d'un semi-ton mineur, porte l'accord de sixte, quelle que soit sa marche. Voyez des exemples de toutes ces règles, fig. 1. planche II. de Musique, Suppl. (F. D. C.)
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