Excellent & moult utile Opuscule (original) (raw)

Excellent & moult utile Opuscule (Analyse du Trait� des Fardements et des Confitures)

[Pour la transcription du texte, accompagn�e de quelques notes, cf. CN 202, Sept. 2015]

La seconde �dition du "Trait� des Fardements et des Confitures" (TFC), revue et corrig�e, est parue � Lyon, chez Antoine Volant, en 1555 (cf. ma bibliographie consacr�e � cet ouvrage, CURA, Mars 2006). Elle est imprim�e par Jean Pullon de Trin (mention in fine). C'est le seul ouvrage publi� au nom de Michel de Nostredame, non parce qu'il n'aurait pas encore adopt� la forme latine Nostradamus : sa traduction manuscrite des _Hieroglyphica_d'Horapollon daterait de 1541, ses premi�res pronostications sont sans doute parues sous le nom de Nostradamus, et sa Pronostication pour l'an 1555, d�dicac�e � Joseph des Panisses le 27 janvier 1554 et transmise par Daniel Ruzo, porte au titre la forme latinis�e de son nom. Si Nostradamus a choisi de conserver son patronyme, c'est parce que le sujet de son ouvrage, en partie autobiographique, le lui commandait. A noter qu'il signe Nostradamus dans sa traduction de la lettre � Barbaro, qui cl�t le recueil (p.223).

Au d�but du trait�, Nostradamus se dit "Sextrophaea natus Gallia" (natif de Gaule o� se trouve le troph�e de Sextus, i.e. Saint-R�my), en l'occurence le c�notaphe des Julius, auquel il fait allusion au quatrain V 57. Il signe son faciebat du nom de Micha�l Nostradamus Sextrophaeanus (originaire du lieu o� se trouve le troph�e de Sextus). Le c�notaphe ou mausol�e des Julii, en face de Glanum, aurait �t� �difi� dans les ann�es 30-20 BC par les fr�res Sextus, Lucius et Marcus Julius en l'honneur de leur p�re Caius et de leur grand-p�re, officier de C�sar. Constitu� d'un socle orn� de bas-reliefs repr�sentant des sc�nes �piques (de l'ouest au sud : combat d'infanterie, de cavalerie, lutte contre les Amazones, chasse au sanglier), d'un quadruple arc de triomphe aux colonnes corinthiennes (quadrifons) contenant une inscription sur la face nord, et d'une rotonde � dix colonnes corinthiennes (tholos) au sommet, abritant, on le suppose, le p�re et le grand-p�re des Jules (t�tes reconstitu�es). Il fait face � un Arc de Triomphe plus tardif (�difi� vers 25 AD et dont la partie sup�rieure a �t� d�truite), �voquant la conqu�te de la Gaule. (cf. Agn�s Vinas pour son �tude des Antiques).

inscription des fr�res Julius, Saint-R�my

L'inscription d�dicatoire est la suivante :

SEX. L. M. IVLIEI C. F. PARENTIBVS SVEIS

,
c'est-�-dire

SEX(tus) L(ucius) M(arcus) IVLIEI C(aii) F(ilii) PARENTIBVS SVEIS

,
ou

SEX(tus) L(ucius) M(arcus) IVLII C(aii) F(ilii) PARENTIBVS SVIS

qu'on peut traduire par "Sextus, Lucius et Marcus, [tous trois] fils de Caius Julius, � leurs anc�tres". C�sar nous apprend que son p�re lisait Laetius et Maritus comme des autres pr�noms de Sextus, et traduisait les abr�viations C. F. par "Columnam Fecit" (�rigea cette colonne) :"Celle [inscription] qui est � S. Remy en l'Arc triomphal, qui est entier, est telle : S E X L M I I C F P A R E N T I B U S S S V I S. feu mon pere l'interpretoit ainsi Sextus Laetius Maritus Iuliae istam columnam fecit" (L'entree de la Royne [Marie de Medicis] en sa ville de Sallon, 1602, D1v-D2r) - une version aussi attribu�e � un Portugais selon Bouche qui en recense dix autres dont la sienne (Chorographie 1, 1664, p.137-139) :

Sex(tae) L(egionis) M(ilitibus) Iuliae, Iuliae C(aesaris) F(iliae) PARENTIBVS SVIS (�mile Ferret)
Sex(to) L(aelio) M(onumentum) Iuliae intra C(irculum) F(ecit) PARENTIBVS SVIS (Guillaume Bud�)
Sex(tus) L(ucius) M(onumentum) Iuliae incondissimae C(onjugi) F(ecit) PARENTIBVS SVIS (Mutonis)
Sex(tus) L(ucius) M(aximus) Iulii C(onsulis) F(ilius) PARENTIBVS SVIS (j�suite Varadier)
Sex(ti) L(iberii) M(ausolaeum) Iulii idibus C(uravit) F(ieri) PARENTIBVS SVIS (j�suite Jacques George)
Sex(tus) L(egavit) M(onumentum) Iuliae, Iulii C(aesaris) F(iliae) PARENTIBVSQVE SVIS (professeur aixois Jean de Bomy)
Sex(ti) L(ucii) M(andato) Iuliae impendio C(onditum) F(uit) PARENTIBVS SVIS (juriconsulte aixois Dominique Jorna)
Sex(ta) L(egionis) M(ilitibus) Iuliae intra C(irculum) F(ecit) PARENTIBVS SVIS (p�re Jean Jacques Augustin)
Sex(tae) L(egionis) M(ilites) intra C(irculum) F(ecerunt) PARENTIBVS SVIS (Joseph Maria Suarez, �v�que de Vaison)
Sex(tus) L(ucius ou Laelius ou Liberius) M(aritus) Iuliae istud C(enotaphium) PARENTIBVS SVIS (Bouche)

La traduction actuelle retenue provient de l'abb� Jean-Jacques Barth�lemy (1716-1795) qui dans son "M�moire sur les anciens monumens de Rome" (in_M�moires de Litt�rature_, T 28, Paris, 1761, p.579) propose une treizi�me version, apr�s notamment celles recens�es par Bouche.

les Antiques de Saint-R�my, Bouche, Chorographie, I, p.137

L'ouvrage de pr�parations cosm�tiques et de recettes culinaires comprend deux parties et deux pr�faces, l'une compos�e � Salon et d�di�e au "lecteur benivole" : elle est dat�e du 1er avril 1552, avec en cl�ture une �nigmatique et intentionnelle sentence : "Toy disant � Dieu de saint Remy en Provence dite Sextrophaea" (en te disant adieu, de St-R�my-de-Provence, ou te disant/vouant au dieu de St-R�my-de-Provence ?). L'autre, non dat�e, est d�di�e � son fr�re Jean de Nostredame, procureur � la cour du parlement d'Aix. Un faciebat sur la derni�re page avant la table des mati�res est sign� Michel Nostradamus saint-r�mois, et dat� de 1552, et �nigmatiquement de Salon sur le littoral : "Micha�l Nostradamus Sextrophaeanus faciebat Salonelitoreae, 1552" -- une allusion possible � Salone, l'antique capitale de la Dalmatie (aujourd'hui Solin en Croatie), o� l'empereur romain Diocl�tien, pers�cuteur des chr�tiens, se retira dans son luxueux palais apr�s avoir abandonn� le pouvoir, � l'apog�e de sa puissance, en mai 305 ("Salonae. Littoreae, dalmaticae", Jean Tixier de Ravisi alias Ioannes Ravisius Textor, Epithetorum. Epitome, Lyon, Jean de Tournes & Guillaume Gazeau, 1558, p.316). Nostradamus aurait-il atteint ce point de l'Adriatique lors de ses p�riples en Italie ? Ces obscurit�s, jointes � celles de la page 220 notamment (cf. infra), attestent pour le lecteur non autiste, que le premier trait� du saint-r�mois, est d'une toute autre port�e qu'un simple manuel de cuisine !

Le trait� est r�dig� dans un jargon parfois � peine compr�hensible, et imprim� par l'�diteur avec des �carts d'orthographe, d'une page � l'autre, difficilement justifiables, bien que la pr�sentation d'ensemble (lettrines et mise en page) soit soign�e et de bonne facture. Les marques d'imprimerie se r�sument � 5 ou 6 lettrines : les lettrines A, V et L, la lettrine P deux fois, et la lettrine C plus petite. (On retrouve le /L/ orn� � la d�dicace de Guillaume Drieu � Alexandre Ouderi, conseiller � la cour du parlement de Grenoble (Pronostique nouvelle pour l'an 1560, Lyon, Jean Pullon, dit de Trin pour l'auteur, [1559]), une d�dicace � l'imitation de celle de Nostradamus � Guillaume de Gadagne dans sa Pronostication nouvelle pour l'an 1558 ; cf. CN 73).

Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, lettrine A, p.3 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, lettrine P, p.25 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, lettrine P, p.125 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, lettrine V, p.133 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, lettrine C, p.205 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, lettrine L, p.223

Copie PDF de l'exemplaire de Lyon, incomplet, sur le site Gallica : il manque les pages 75 et 76 correspondant au chapitre XIX de la premi�re partie, mais num�rot� XX.

Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, chap.19, p.75-76

1. Le prologue au lecteur

Cet essai marque l'heure du bilan : Nostradamus a achev� son apprentissage autodidacte d'apothicaire (qu'il revendique) et de m�decin en cette ann�e 1552, et l'heure a sonn� de partager ce qu'il sait, ce qu'il a compris du monde, pass� et � venir : "& vins parachever mon estude jusques � l'heure presente, qui est le trente un an de ma vacation, que tenons mil cinq cens cinquante deux." [p.4]. Ses connaissances, il les a acquises sur le tas, dans ses p�r�grinations terrestres et livresques, et � ses sources, comme Paracelse. En avril 1552, il a 48 ans, pass�s de quelques mois : c'est l'�ge exact o� j'entreprends moi-m�me ce pr�sent Corpus.

L'avant-propos ou pr�lude au texte (prooemium) est l'occasion saisie d'un v�ritable �talage d'�rudition : une trentaine d'auteurs sont mentionn�s : savants et philologues, m�decins, philosophes, po�tes, parmi lesquels figurent Hippocrate, Galien, le m�decin byzantin Paul d'�gine, Platon et Marsile Ficin, Marc Varron, Cic�ron, les po�tes Lucr�ce et Lucilius, tous sans exception auteurs de tradition gr�co-romaine et leurs commentateurs modernes, humanistes et �rudits. Nostradamus s'inscrit d�s son premier ouvrage imprim� dans le mouvement de renouveau des lettres qui a pris naissance en Italie et qui n'a fait que s'acc�l�rer en Europe depuis plus d'un demi-si�cle. Et ce n'est pas un hasard si, parmi les ma�tres de son inspiration, ne figure aucun personnage biblique, auteur chr�tien, saint, ou th�ologien, pas plus qu'on ne rel�ve de citation �vang�lique, ni m�me biblique.

"Apres avoir consum� la plus grand part de mes jeunes ans� LECTEUR BENIVOLE en la pharmaceutrie, & � la cognoissance & perscrutation des simples par plusieurs terres & pays despuis l'an 1521 jusques en l'an 1529 incessamment courant pour entendre & savoir la source & origine des planetes [sic] & autres simples concernans la fin de la facult� Iatrice : que apres avoir voulu imiter la seule ombre de Paulus Aegineta, Non quod velim conferre magna minutis [Non que je voudrais comparer le petit au grand] : mais tant seulement diray, // Nostradami laborem me nosse, qui plurimum terrae peragravit, Sextrophaea natus Gallia. [Apprends-moi � conna�tre l'oeuvre de Nostradamus, natif du pays qui conserve le troph�e de Sextus et qui a voyag� � travers tant de contr�es]" [p.3-4]

Paul d'Egine (dont on ne sait presque rien de la vie) reste en 1552 le mod�le de Nostradamus qui d�clare vouloir le suivre dans son statut de "περιοδευτής" (periodeutes) c'est-�-dire de m�decin itin�rant. Paulus Aegineta (ca. 625-685) obst�tricien et le dernier m�decin grec byzantin, est l'auteur d'une compilation m�dicale, ou abr�g� de m�decine ("Epitome medicae"), en sept livres dans lesquels il d�clare avoir voulu condenser l'essentiel et le meilleur de la m�decine classique. Son premier livre, qui traite d'hygi�ne et d'alimentation d'un point de vue m�dical (alimentation des nouveaux-n�s, des jeunes, des malades...), recouvre en partie la mati�re de l'ouvrage de Nostradamus. Le trait� de Paul a �t� �dit� en grec en 1528 puis traduit � B�le et Paris les ann�es suivantes :

Libri septem

(1e �dition, texte grec)
Venise, h�ritiers Aldus Manutius et Andrea Torresanus, 1528

019A Opus divinum

(1e traduction latine)
Traduction Alban Thorer, B�le, Andreas Cratender & Johannes Bebel, 1532, in-fol., 24 + 513 pp. ; BU Basel ou MDZ Munich

Opus de re medica

(2e traduction latine)
Traduction Johann Winter, Paris, Simon de Colines, 1532, in-fol., 308 ff. ; MDZ Munich

Nostradamus se pr�sente comme un chercheur itin�rant et errant (planeticus) de plantes m�dicinales (simples), comme son ma�tre Scaliger. L'erreur typographique � la premi�re page du texte, planetes pour plantes, signal�e par Buget (1861, p.69) et corrig�e manuellement sur l'exemplaire de Lyon, est maintenue dans l'�dition suivante (Olivier de Harsy, 1556, p.3). Mais s'agit-il d'une erreur ? Le jeu de mots plantes/plan�tes (ou plantae/planetae en latin) exprimerait la source d'inspiration et de gu�rison (iatrice) du corps et de l'�me humaine : la plante soigne le corps, mais en harmonie avec les configurations plan�taires, imp�ratif de la philosophie et de la pratique m�dicales de la Renaissance. La plante est aussi, ant�rieurement � l'animal, et au milieu cosmique et plan�taire, la premi�re source r�elle d'inspiration des ph�nom�nes et d�veloppements culturels, car elle provoque l'�motion, � l'origine de toute cr�ation, selon la th�orie de L�o Frobenius sur le destin des civilisations (trad. fran�. 1940). C'est par le saisissement, c'est-�-dire par l'�motion compr�hensive d'une r�alit� ext�rieure, mais int�rieurement appr�hend�e, que l'humanit�, � un moment de son histoire, s'approprie dans son corps et dans son �me, que se transforme organiquement l'homme avant que n'apparaissent les premi�res implications intellectuelles, culturelles, artistiques.

Un autre jeu de mot avec plan�tes est le terme planeticus (errant) sugg�rant un voyageur "plan�taire", intersid�ral, ou plus justement "guid� par les astres". De m�me le terme "pharmaceutrie" qui semble d�signer les connaissances pharmaceutriques, se rapporte d'abord au latin pharmaceutria (enchanteresse, magicienne) !Nostradamus savait d�s 1552, � moins que le texte de 1555 ait inclus quelques rajouts, qu'il serait, par son esprit, par ses propos et par ses vers � d�clamer, l'authentique r�enchanteur du monde moderne. Car ce que l'oeuvre de Nostradamus signifie n'est rien d'autre qu'une alternative, la seule (?), � la paumiscuit� (PG 11-2018) du monde moderne d�liquescent.

Les indications autobiographiques qui pars�ment son trait� sont tr�s partielles, et Nostradamus reste discret sur sa vie priv�e : pas un mot sur ses origines familiales ou sur son arri�re-grand-p�re maternel Jean de St-R�my, lequel lui aurait enseign� la m�decine et l'astrologie, ni sur son premier mariage � Agen, ni sur ses dipl�mes (baccalaur�at, licence et doctorat) auxquels il n'attachait pas grande valeur, ni sur son mariage ou sur son installation relativement r�cente (1547) � Salon, o� il se plaint � plusieurs reprises de n'�tre entour� que de barbares et de "b�tes brutes" : "je suis log� entre des gens barbares, ennemis der [sic] gens de bien, or mis peu encores ignorants aux bonnes lettres." [p.122]. De son s�jour � Agen, il ne retient que sa rencontre avec Jules C�sar Scaliger dont il estimait l'�rudition et auquel il a sans doute emprunt� le second pr�nom � la naissance de son fils C�sar, l'a�n� de son second mariage : "_mais une fois moy estant_[�] Agen en Agenois pais de la Gaule Aquitanique, & avec Julius Caesar Squaliger home scavant & docte, un second Marcile Ficin en philosophie Platonique." [p.12]

Nostradamus se r�v�le fac�tieux et farceur, loin des clich�s qui le pr�sentent comme craintif, atterr� ou terroris� par les catastrophes qu'il d�peint dans ses_Proph�ties_. Lorsqu'il rapporte les oeuvres colossales des m�decins de l'Antiquit�, il �met des doutes sur la profondeur de leur savoir : peut-on trouver le temps � la fois d'�tudier, de gu�rir des patients et de faire l'exp�rience de la maladie sur le terrain, et d'en rendre compte abondamment par ses �crits ? -- "car il n'est possible que un personnaige qui a beaucoup de malades a veoir, qu'il puisse ne estudier, ne rien escrire : & vrayement ceux qui ont beaucoup escrit en aucune facult�, il [sic] n'avoient gueres de besognes a faire, car l'esperit de celui qui redige par escrit ne demande que pacification : ou il faudroit faire comme faisoit Julius Caesar qui escrivoit la nuict ce qu'il faisoit le jour." [p.11]

Dans le huitain d�casyllabique qu'il traduit du grec du po�te satirique Caius Lucilius (c.180-102), rapportant la version latine du po�te humaiste et conseiller autrichien Caspar Ursinus Velius (qui finira noy� � Vienne dans le Danube le 5 mars 1539), "nonobstant qu'il ne touchat rien � la matiere" [p.19], Nostradamus d�clare son peu d'exp�rience pour la versification fran�aise, "Combien que ne soions pas trop exercitez en la po�sie Francoise, ce nonobstant avons traduict en Huictain", et le "prouve" avec le troisi�me vers, de neuf syllabes, et le cinqui�me qui rime maladroitement avec le septi�me (pp.19-20) :

Combien que farde ta face enviellie,
N'ayes ja peur qu'on en oste les taches.
Puis que viellesse ainsi t'assaillie :
Il n'est besoing qu'a mettre tu ne tasches
A ton visaige aucun fard que tu scaiches :
Qu'a ton corps puisse donner emblanchiment :
Car sublim�, ne ceruse, ne tasche
De rendre vielle, jeune par fardement."

Pour le latin de Velius, cf. l'�pigramme "In anum fucatam" de son trait� po�tique :"Nil reliquum, quae est haec dementia : nam neque fucus / Nec cerussa Helenen fecerit ex Hecuba." (in Poematum , B�le, Johannes Frobenius, 1522, f.E2r). Et, tout en affirmant les vertus de ses pr�parations, et en particulier de son fard quasi miraculeux (pr�paration 1), ce "sublim�" susceptible de transformer une H�cube en H�l�ne (pp.19, 24, 27, etc.), ou encore en Polyx�ne (p.41, cf. Ovide, Les M�tamorphoses, 13, p.330), il mentionne et traduit l'�pigramme de Lucilius qui ironise sur le fait que les meilleures recettes esth�tiques ne peuvent venir � bout des ravages du temps sur la beaut�, des femmes en particulier, et, ajoute-t-il : "toute femme mesmes celle qui fait souvent enfant se deschet tout les ans de cinq pour cent" [p.23] ! Ainsi une jeune femme de 32 ans aura perdu apr�s quatorze ann�es plus de la moiti� de sa beaut�. Je crois que Nostradamus y va un peu fort sur le pourcentage, et j'opterai plut�t pour un taux de 3% ... Mais parall�lement, sa teinture noire pour les cheveux sera susceptible de m�tamorphoser un vieillard comme Priam, au point de le faire para�tre aussi jeune que son fils cadet (chapitre 31, p.112) -- sans doute � la mani�re de Dirk Bogarde dans Morte a Venezia ...

2. Le trait� des Fardements

Le livre des Fardements est un recueil original de 34 pr�parations cosm�tiques, fond� sur son exp�rience des plantes et des substances min�rales, et qu'il souhaite mettre � la port�e de tous, m�me s'il d�clare que son_"Opuscule a est� redig� � la requeste d'une grand princesse"_[p.92], laquelle n'a peut-�tre pas souhait� �tre mentionn�e. L'inspiratrice du trait� pourrait �tre la princesse Marguerite (1523-1574), soeur de Henry II, et mari�e � la mort tragique de son fr�re au duc de Savoie Emmanuel-Philibert. L'Almanach pour l'an 1561 sera d�di� � la duchesse de Savoie, apr�s sa rencontre avec Nostradamus � Salon en septembre 1559.

Son exp�rience des plantes, de leur traitement et de leurs m�langes, ne va pas sans une "cognoissance de l'astrologie, que maintenant commence quelque peu a soy relever, que tant de temps a demeur� a mespris, que moyennant le s�avoir d'icelle l'on venoit facilement � ceste occulte philosophie" [p.116]. Et Nostradamus r�v�le dans ce trait� sa pr�occupation majeure et son objectif premier : l'occulte philosophie ainsi nomm�e ici comme dans la premi�re pr�face � ses Proph�ties, via l'astrologie (mais sans la plupart des astrologues !), pour atteindre la sagesse des deux penseurs qu'il consid�re comme en �tant les fondateurs et les piliers : � savoir Pythagore et Platon.

Les pr�parations vari�es du livre des Fardements regroupent des fards et des parfums, des huiles et des poudres, des pommades et des teintures, des onguents et des lotions. Notons : un fond de teint appel� sublim� pour l'emblanchiment du visage (chaps.1 & 2), une huile de muscade contre les vomissements et les maux de ventre (chaps.6 & 7), une poudre odorante susceptible de chasser les odeurs pestilentielles (chap.8), une poudre � base de violettes (chap.9), une poudre et une p�te dentifrice (chaps.13 & 14), des savons pour les mains et pour la barbe (chaps.19 & 20), une eau distill�e pour le visage (chap.22), des teintures pour blondir les cheveux (chaps.24 & 25), ou pour noircir les cheveux et la barbe (chaps.28 � 31), un fard pour blanchir la peau � base de plantes et d'amidon (chap.34), et m�me un filtre amoureux, ou poculum amatorium ad Venerem(chap.18, p.69 : hasard de la mise en page ou participation fac�tieuse de l'auteur � sa r�alisation ?) qui a scandalis� les esprits puritains.

Sa pr�paration � base de fleurs a pour fonction de purifier l'air et d'en chasser les relents pestilentiels. En voici la recette (que ne reproduit pas la traduction anglaise d'une contrefa�on qui lui sera attribu�e ; cf. "Le pseudo-trait� de la peste de 1559",

CORPUS NOSTRADAMUS 32) : "Prenes de ferrature ou le rament du boys de cypres le plus verd que vous pourres trouver une once [30 g], de hyris de Florence six onces_[185 g], de girofles iii onces_ [90 g], calami odorati [roseau aromatique, lis des marais] iii dragmes [11 g], ligni aloes vi dragmes [23 g], faite le tout mettre en pouldre qu'il ne s'esvente : & puis prenes de roses rouges incarnees trois ou quatre cents qui soient bien mondees toutes fraiches que soient cuillies avant la rosee : & les feres fort piller dens un mortier de marbre avec un pestel de bois : & quand les roses seront a demy pillees, mettes y dedens la pouldre susdite, & le tournes piller fort, & en arrousant un peu de suc de roses : & quand le tout sera bien mesl�, faites en de petites balotes plates, faites en la mode de trocis : & les faites seicher � l'ombre : car elles sont de bonne odeur." (chap.8, p.49).

L'insipide Marconville barbouille en 1564 : "Je ne me puis assez emerveiller de l'impudence effren�e & lourde bestise, de ceulx qui ont escrit de nostre temps la maniere de faire les potions amatoires, que Nostradamus, en son livre des fardemens, appelle buvandes, & les Grecz Philtra, aucuns Amuletum Veneris (...) Ledict Nostradamus descrit la fa�on & maniere de ceste buvande, laquelle vault beaucoup mieux ignor�e que sce�e, pour le peril de l'abuz. Mais il seroit besoing d'exercer la severit� & rigueur des loix contre ceulx qui escrivent ou enseignent telle maniere de receptes, indignes de l'homme de bien, & beaucoup plus de Chrestien." (in Recueil memorable d'aucuns cas merveilleux advenuz de noz ans, Paris, Jean Dallier, 1564, f.108r-v). Cet ouvrage est d'ailleurs la premi�re attestation explicite et formelle de l'existence du TFC, vingt ans avant les recensements de La Croix du Maine et de Du Verdier.

Le trait� des fardements est signal� d�s 1567 par Leo Suavius dans une �dition paracelsienne, soit quelques ann�es avant la parution de sa traduction allemande, aux pages 316 (allusion au philtre d'amour) et 326 de l'ouvrage : ex libro recenti Nostradami de Fucis & unguentis muliebribus [d'apr�s le r�cent ouvrage de Nostradamus sur les fards et onguents destin� aux femmes] (Paracelsus, De vita longua, & Leo Suavius, Scholia, B�le, Petrus Perna, 1568, p.326)" (cf. CN 09).

Autour de la page 52 (pages 50 � 54) se situe le fameux r�cit de la peste d'Aix de 1546-1547, r�dig� par Nostradamus en 1552, puis compil� sans indication de source par Pierre Boaistuau en 1558 (cf. le texte ci-dessus, pour lequel j'ai introduit quelques s�parations pour plus de lisibilit�). Ce r�cit a pu faire croire que Nostradamus aurait �crit un trait� sp�cifique sur la peste, ainsi que l'�vocation de certaines maladies mentionn�es dans son trait�, comme le "mal epilentique" (p.113). Au chapitre 26, Nostradamus pr�sente une composition _"que souvent ay fait faire pour monseigneur le reverendissime Evesque de Carcassone, monseigneur Ammanien de Foys"_[p.92]. Un certain "Emanicu" (probablement pour transcrire Emanien), �v�que de M�con et protonotaire du si�ge apostolique, d�dicataire du pseudo-trait� de la peste dont il subsiste une copie en traduction anglaise, a �t� identifi� � Ammanien encore �v�que de Carcassonne en 1552 (Brind'Amour, 1993, p.480).

[p.50] L'an mil cinq cens quarante six que je feus esleu & stipendi� de la cit� d'Aix en Provence, o� par le senat & peuple je fus mis pour la conservation de la cit�, o� la peste estoit tant grande, & tant espouventable, que commen�a le dernier de May, & dura neuf moys tous entiers, o� mouroit de peuple sans comparaison de tous eages en mangeant, & en beuvant, que les cymetieres estoient si pleins des corps morts, que l'on [p.51] ne s�avoit plus lieu sacr� pour les enterer : & la plus grand part tomboient en phrenesie au second jour : & ceux ausquelz la phrenesie venoit, les tasches ne venoient point : & ceux � qui les tasches venoient, ilz mouroient subitement en parlans sans avoir nulle alteration de bouche, mais apres la mort toute la personne estoit couverte de tasches noires : & ceux qui mouroient avec phrenesie leurs urines estoient subtiles comme vin blanc : & apres leur deces la moytie de tout le corps estoit de la couleur du ciel rempli de sang violet : & la contagion estoit si violente & maligne, que seulement si l'on s'approchoit cinq pas pres d'un qui feusse pestifere, tant qu'il [y] en avoit tous estoient blecez : & plusieurs avoient charbons devant & derriere, & mesmes par toutes les jambes : & ceux qui les avoient derriere la personne leur donnoit une demangeson : & la plus grand part de ceux la eschapoient : mais tous ceux qui les avoient devant n'en eschapoit pas un.

Feurent peuz qui eussent les apparences derriere les oreilles : & feut au commencement, & vivoient jusques � six jours : & j'estois esbahy qu'ilz mouroient plustost au sixiesme que au septieme jour, sinon pour cause de la tyrannie de la [p.52] _maladie : & vers le commencement & le millieu n'en eschappoit pas un : les saignees, les medicamens cordiaux, catartiques, ne autres n'avoient non plus d'efficace que rien : la tyriaque d'Andromachus compos�_[e] justement au vray n'avoit lieu : la fureur de la maladie estoit si enflamee, qu'il n'en eschappat pas un : quand on avoit fait la visitation par toute la cit�, & jette hors les pestiferes, le lendemain en y avoit plus que au paravant [sic] _: & ne trouva on medicament au monde qui feusse plus preservatif de peste qu'estoit ceste composition : & tous ceux qui en portoient & tenoient � la bouche estoient preservez : & devers la fin on trouva par une experience manifeste que cecy preserva un monde de la contagion : & combien que le fait n'appartient � la matiere de quoy nous parlons, si est ce qu'il n'a pas est� estrange raison d'avoir racont� le secours qu'il nous a fait en temps pestilentieux : car celle peste que feut lors, estoit tant maligne, que c'estoit chose espouventable : plusieurs affermoient que c'estoit punition divine : car � une lieue tout � l'entour n'y avoit que bonne sant� : & toute la ville estoit tant infecte, que seulement du seul regard que faisoit celuy qui estoit contamin� venoit subitement donner_[p.53] infection � un autre : les vivres estoient en abondance & de toute sorte presque � vil pris : mais la mort estoit tant subite effreneement que le pere ne tenoit compte de son enfant : sont estes plusieurs qui ont abandonnes [sic] leurs femmes & enfans quand ilz cognoissoient qu'ilz estoient frappes de la peste.

Plusieurs entaches de peste par phrenesie se sont jettez dens les puiz : d'autres se sont precipitez de leurs fenestres en bas sur le pav� : d'autres qui avoient le charbon derriere l'espaule, & devant la mamelle leur venoit une saignee du nez qui duroit nuict & jour violentement, qui mouroient : les femmes enceintes venoient avourtir, & au bout de quatre jours mouroient : & trouvoit on que l'enfant mouroit subitement, & le luy trouvoit on tasch� tout le corps d'une couleur violete, comme si le sang eut est� espandu par tout le corps.

Au brief parler la desolation estoit si grande, que avec l'or & l'argent � la main souventesfois mouroit on par faute d'un verre d'eau : & si je venois ordonner quelque medicament pour ceux qui estoient blecez, l'on le apportoit la : & estoit administr� pourement, tant que plusieurs mouroient le morceau � la bouche.

Entre les choses admirables que je pense [p.54] d'avoir veu : c'est que j'ay veu une femme que ce pendant que je l'allis veoir, & en l'appellant par la fenestre, me respondre & me rendre response de ce que je luy disois, sortir � la fenestre qu'elle mesme toute seule se cousoit le linceul sur sa personne commen�ant aux piedz, venir les alabres que nous disons en nostre langue Proven�ale qui portent & ensevelissent les pestiferes, entrer dens la maison de ceste femme, & la trouver morte & couchee au millieu de la maison avec son suere demy cousu : & cela fut � trois ou quatre parts � la ville : & de l'une moymesme je l'ay veu : & eusse voluntiers raconte d'avantaige tout le fait de la pestilence que avint � ladite ville : mais ce seroit rendre nostre labeur confus.

Au chapitre 27 et autour de la page 100, Nostradamus se livre � une description pr�cise de ses relations avec les milieux m�dicaux et "pharmaceutiques", et dresse un r�quisitoire au ton �tonnamment moderne contre la cupidit� et l'app�t du gain qui engendrent l�chet� et incomp�tence. Ce discours rassemble tous les ingr�dients n�cessaires pour d�plaire aux censeurs, inquisiteurs et autres esprits politiquement corrects de l'�poque : la situation n'a fait que s'empirer depuis ce temps, et les laboratoires pharmaceutiques, les usines de cosm�tiques, et nombre d'officines m�dicales n'ont en vue que le souci d'augmenter leurs profits et leurs revenus, au d�triment de la sant� ou de la solidarit�.

[p.98] _Ne vous fies pas � tous apotichaires, que vous promes, que pour un qu'il en y a de bon, qu'il en y a cent & mille qui sont meschants, ou les uns sont pou_[v]res qu'il [sic]_n'ont dequoy la faire : les autres sont riches & puissants, mais il_[sic] sont avares & corrompus, que pour paour de n'estre pay� � leur gre, n'y mettront la moytie, ny possible [p.99] le tiers du contenu de la recepte : les autres sont ignorants, qui rien ne s�avent, ne veulent s�avoir : qui est un meschant vice � un home de tel estat : les autres sont salles, & mal netz, qui font ce qu'ilz font deshonnestement. Je ne dis point qu'il n'y en ayt qui ont le tout : ilz ont dequoy : ilz ont bonne conscience : ilz ont le s�avoir, mais ilz sont negligentz & commandent de le faire � quelques uns qui le font mal. Je ne veulx pas desnier, qu'il n'y en soient plusieurs que ce qu'ilz font ne soit bien fait : mais cela est bien rare.

J'ay suivy tout le royaulme de France, au moins la plus grand part, & ay hant� & cogneu plusieurs apotichaires, mais j'ay veu faire de choses tant enormes, que ne pense que en toutes les arts manuelles mechaniques ou y courent plus d'abus qu'il se fait en l'art de la pharmaceutrie, & plus de charge de conscience : que si je voulois escrire la centiesme partie, que comme tesmoing oculaire je puis affirmer, le papier ne feroit asses suffisant de le mettre par escrit : non que je veuille taxer personne de ce monde, ja au souverain Soleil ne plaise me faire participant de sa immense splendeur : mais en voiant le monde pour apprendre & cognoistre les qualit�s, [p.100]complexions & nations des gens, & voir la clemence & inclemence de l'air, & les diverses nations du monde, mesrne pour la cognoissance des simples que en aucunes regions sont, aux autres ne sont : & principalement pour voir les antiques topographies faites du temps du siecle Romain : & en exerceant la faculte de medicine, ou gist ma principale profession, ay cogneu tans d'abus, & en tant de diverses citez, que pour n'offencer les oreilles des uns & des autres je changeray de propos : comme a fait Lucien in Encomio Demosthenis, de celuy qui alla peindre le cheval qu'estoit couch�, & il le vouloit courrant, j'ay bien est� en plusieurs parts que la faculte de medicine est noblement mise en exequution : mais cela n'est pas si souvent qu'il est jour : car cas advenant que quelque medicin arrive a la boutique d'un pharmacopolle, & pour satisfaire a quelque malade il vouldra voir faire les medicines, & les peser comme il est bien raison, mesmes quand on cognoist un apotichaire ignorant : & lors l'apotichaire, possible sera quelque ignorant idiot, fol, glorieux, & temeraire, outrecuyd�, ou esvent�, phantastique, car tout par tout en y a de bons & de maulvais, dira a ce jeune medicin, & quoy me voules vous icy conteroler ?

[p.101] Penses vous qu'on ne soit pas home de bien ? Je veux bien que vous s�aiches, que je le ferai beaucoup mieulx que vous ne le scauries ordonner : parquoy mesles vous de faire vostre eftat : & ne vous empesches pas de noz drogues : car je feray mieux cela que vous ne le s�auries entendre : & mille autres propos qu'ilz disent, & qu'ilz font que encores je n'ose escrire la douziesme partie de ce qu'ilz font les meschantz : veritablement en ay cogneu de forts gens de bien, qui entendent tresbien leur art, & que la faisoient aussi : & au lieu ou je feusse jamais que l'art de la medicine feusse mal administree c'estoit a Marseille, or mis deux ou trois : & s'il n'estoient messieurs les docteurs en medicine qu'ilz y sont gens de bien, & s�avans seroit plus mal : mais messire Loys Serre home s�avant & docte, & en presaiges un second Hippocrates la fait administrer de tout son pouvoir justement : si je vouloys reciter toutes les villes que j'ay practiqu�, ou la medicine se fait bien & mal, nostre livre seroit par trop enorme, donnant toutesfoys la palme (sans que les autres gens de bien en soient participant) tant de sa cit� que d'ailleurs � Joseph Turel Mercurin de la cit� d'Aix en Provence: & de present a nostre ville de Salon a Fran�ois Berard :

[p.102] combien que l'on pourroit dire que je n'ay pas hant� n'y experiment� les autres, que despuis en la ont chang� de faire, nenny vrayement : car celle n'est possible, pour ce que la vie de l'home est bresve : & feray fin [sic]de telz propos, que je suis certain, que sont plusieurs qui ne sont pas contens, & lairrons ce propos qui ne sert que de animer le coeur des malins, qui usent souvent la succidanea [subterfuge]_, qu'lz_[sic] facent que leur ame ne soit blesee.

Le discours de Nostradamus rappelle l'id�e de l'humaniste Guillaume Bud�, parfois encens� mais rarement lu : "Il n'y a cependant personne qui ne voie et comprenne que toute la race humaine est aiguillonn�e par le souci d'accro�tre ses revenus, comme elle le serait par un taon engendr� par elle et demeurant en elle." (Lettre � Thomas Lupset, du 31 juillet 1517 ; in Thomas More, L'Utopie, �d. 1978). Paracelse s'en prend lui aussi avec v�h�mence aux m�decins et apothicaires de son temps.

C'est bien de l'argent, ce fl�au du cerveau, des sensibilit�s et des consciences, plus ravageur et destructif aujourd'hui qu'il ne l'�tait il y a quatre ou cinq si�cles, dont il est encore question dans ce passage de la seconde partie du trait� : "quand Homere parloit & les autres de l'ame au ciel, ne se pouvoit il pas entendre, Strenuorum immortale nomen ? ["les noms des braves sont immortels" ; cf. Alciat, Emblemata, Lyon, �d. M. Bonhomme, 1551, p.147, d'apr�s Pausanias ou le 3e livre des �pigrammes grecques] mais vrayement ilz preferent la richesse de ce miserable monde, qui tost perit � celle que par les lettres seroit � tout jamais pardurable. Mais ilz sont comme Tantalus, tant tant, & si n'ont rien. Mais nous reviendrons au chemin d'ou nous sommes venus, pour donner advis � quelques uns, qui auront cognoissance de plusieurs gents : & laissons � part ceux qui ont s�avoir & pouvoir, qui aiment mieulx un escu, que s'ilz avoient prins peine d'escrire une heure : ce que je cognois plusieurs qui ont le s�avoir pour le faire : mais la richesse les aveugle, & pensent avoir bonne raison, & ilz seront bien deceuz. Peribit memoria eorum sine sonitu, ["leur m�moire p�rira sans faire de bruit"] non pas d'erain. [p.218]

La plouto-technocratie actuelle est le pire des r�gimes pour l'esprit, et les (ir)responsables de l'uniformisation de la culture, qui qu�mandent aupr�s des services publics plus de moyens techniques et financiers, et plus de personnel, feraient mieux de demander des hommes.

Enfin, l'emploi de certaines formules, pour le moins peu catholiques, et pas plus protestantes, en d�pit des �thiques et �tiquettes qu'on cherche � lui faire endosser (Dup�be par exemple, ou � l'oppos�, dans le petit monde �triqu� des id�ologies chr�tiennes, un Lemesurier), traduit et trahit certainement les v�ritables aspirations, mystiques et panth�istes, aux accents spinozistes (deus sive natura), de l'auteur, encore assez peu avis� des puissants clans, cliques et ligues plus ou moins engag�es qui ont cherch� � enserrer la connaissance de "l'esprit" sous le manteau de leurs lubies respectives, et pas encore assez rus� pour donner le change : "pleut au souverain soleil, qui est la vraye lumiere de Dieu" [p.74], "au souverain Soleil ne plaise me faire participant de sa immense splendeur" [p.99].

Les 34 recettes du Livre des Fardements

01. p. 25 - Pour accoustrer le sublim�
02. p. 33 - Vn' autre mode pour bien preparer & accoustrer le sublim�
03. p. 36 - Pour faire pommade d'une souveraine odeur, bont� & excellence
04. p. 42 - La fa�on vraye pour faire l'huylle de benjoin
05. p. 45 - Autre fa�on pour faire huylle de benjoin
06. p. 46 - Pour faire huylle de noix muscade en toute perfaiction
07. p. 47 - Autre maniere pour faire le susdit huylle
08. p. 48 - Pour faire la principale matiere pour pouldre de senteur
09. p. 54 - Pour faire pouldre de violete
10. p. 55 - Pour faire une paste (...) pour paster les pommes de senteur, ou pour faire des patinostres
11. p. 57 - Autre annotation pour composer pommes de senteur
12. p. 60 - Pour faire autres pommes de senteurs non guieres moindres que les premieres
13. p. 61 - Pouldre pour nettoyer & emblanchir les dentz, & rendre l'haleine doulce
14. p. 61 - Vn' autre fa�on plus excellente pour nettoyer les dentz
15. p. 63 - S'ensuyt l'eaue de senteurs pour arrouser noz formes
16. p. 64 - Et notes que de ceste eaue, mais qu'elle soit coullee bien subtilement, s'en fait un fard
17. p. 65 - Pour faire huylle de senteur
18. p. 69 - Pour composer au vray le poculum amatorium ad Venerem
19. p. 75 - Pour faire une maniere de savon muscat qui emblanchit & adoucist les mains [chapitre "XX" par erreur]
20. p. 77 - Autre maniere de savon muscat pour la barbe
21. p. 79 - Pour faire Bourrax artificiel clayr comme sucre candi
22. p. 80 - La forme pour faire un eau distillee pour emblanchir & illustrer parfaitement la face
23. p. 84 - Pour faire au vray le laict virginal (...) pour emblanchir la face
24. p. 86 - Pour faire venir les cheveulx blonds comme un fillet d'or
25. p. 88 - Une autre fa�on pour faire le poil de la barbe blond, & de couleur doree
26. p. 92 - S'ensuit une tressouveraine & tresutile composition, pour la sante du corps
27. p. 97 - S'ensuyt la maniere comme il faut user de la susdite composition
28. p.102 - Pour faire les cheveux de la barbe noirs pour blancz qu'ilz soient
29. p.104 - Pour faire savon noir qui ennoircit la barbe & subitement
30. p.106 - Pour faire un huylle qui est de couleur noire, qui fait venir le poil noir
31. p.108 - Pour faire l'huylle (...) que en touchant le poil, incontinent changeoit en un instant de couleur devenant noire
32. p.117 - Pour accoustrer le nacre prosopopeye (...) pour embellir & emblanchir la face
33. p.120 - Vne souveraine nocturne application pour oster les lentilles du visaige
34. p.122 - S'ensuit un fard pour emblanchir la face, & la conservant longuement en beaute

3. Le trait� des Confitures

Le livre des Fardements traitait de l'apparence physique, de l'ext�riorit� corporelle, du look, du dehors : le livre des Confitures traite de "l'int�riorit� corporelle", de la subsistance � travers la nutrition, l'alimentation, la digestion, du dedans. Les recettes propos�es par Nostradamus, principalement des confitures et des gel�es, rel�vent de la confiserie et de l'oenologie. La bonne utilisation du sucre, du miel plus abordable, et des �pices, reste l'essentiel du savoir-faire de Nostradamus. Notons : une confiture de citron (chap.1), une confiture de courge aux vertus m�dicinales, pour temp�rer "la chaleur exuberante du coeur et du foie" (chap.2), une confiture de noix sans sucre ni miel (chap.5), un vin cuit appel� "defrutum" par Varron (chap.6), le traitement de la cassonade ou du sucre g�t� (chap.7 bis), une confiture de gingembre (chap.11), le traitement de l'eau de gingembre pour la pr�paration du vin ap�ritif appel� "hippocras" (chap.12), de la gel�e de coings (chaps.15, 16 & 17), une recette de sant� et de rajeunissement, chassant "toute melancholie" � partir d'�corces de buglosse (chap.23), une recette pour le sucre candi (chap.25), une tarte de massepain (chap.27), un sirop laxatif � partir de roses rouges (chaps. 29 & 30).

Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, vin cuit defrutum, p.146 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, vin cuit defrutum, p.147 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, vin cuit defrutum, p.148 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, vin cuit defrutum, p.149 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, vin cuit defrutum, p.150

Pour les amateurs d'exp�riences culinaires, quelques mesures de poids d'apr�s l'ouvrage de Pierre Charbonnier (1994) :
- un denier (ou scrupule) de 24 grains = 1,27 g
- une once de 8 gros (ou 8 drachmes) = environ 24 deniers = 30,6 g (environ une cuill�re � soupe)
- une livre de Paris ou poids de marc, de 16 onces = 2 marcs = 489,5 g (bijoutiers, pharmaciens)
- [la livre poids de romaine, pour le commerce de gros, et des quantit�s de plus de 20 livres = 403 g]
- [la livre poids de balance, pour le commerce de d�tail = 380 g -- mais 376 g � Salon, 379 g � Aix, 388 g � Marseille]
- un pot (de vin) = 1,073 litre � Marseille, 1,203 litre � Aix, mais 1,302 litre � Salon

Hippocrate et Galien avaient vant� les bienfaits m�dicinaux du vin, et l'appellation "hippocras" ou hypocras pour le fameux ap�ritif m�di�val �pic� et fortifiant proviendrait du nom du m�decin grec. Rabelais mentionne l'hippocras clairet et l'hippocras blanc dans son Tiers Livre (chaps. 30 & 32, pp.448 & 455). Et Nostradamus d�clare avoir confi� sa recette de l'hypocras � son compatriote salonais : "je l'ay autrefoys fait faire � nostre Fran�oys Berard, qui puis la vendoit comme d'une espicerie toute nouvelle." [p.166]

Nostradamus aurait-il abus� de sa propre recette ? C'est ce que sugg�re Buget qui �crit que son style "ressemble un peu au langage d'un homme ivre." (1861, p.70). Jean-Paul Cl�bert, qui se pr�sente en proven�al familier de Nostradamus et qui en dresse un portrait comme s'il en avait �t� le concierge, le d�peint comme un ivrogne imp�nitent, qui cultive son inspiration dans les vapeurs d'alcool : "Il boit comme un trou, comme un puits, ce bon petit vin de Crau qui ne se transporte pas mais le transporte en cet �tat second o� tout semble s'expliquer." (in Nostradamus, Aix-en-Provence, �disud, 1993, p.108).

Divers recueils culinaires sont imprim�s en fran�ais � partir de 1486 : le Viandier de Guillaume Tirel dit Taillevent, le Platine en fran�ois (de l'italien Bartolomeo Sacchi dit Platina), et un Livre de cuysine parisien dont la premi�re version a �t� imprim�e dans les ann�es 1530. Le premier ouvrage traitant sp�cifiquement de confitures et de vins, mais aussi de "fardements", est paru en 1545 (Paris, Jehan Longis) : c'est le Petit traict� contenant la maniere pour faire toutes confitures, compostes, vins saulges, muscadetz & autres breuvages, parfuncts savons, muscads pouldres, moutardes, & plusieurs autres bonnes recettes, bas� sur un r�ceptaire manuscrit du XVe si�cle, en quelque sorte le pr�curseur du TFC. Deux r��ditions de cet ouvrage suivront : chez Benoist Rigaud en 1558, et chez Jehan Bonfons, peut-�tre dans les ann�es 1560, sous le titre : Maniere de faire toutes confitures, avec la vertu et propriet� du vinaigre. (Sur cet ouvrage et sur sa source manuscrite, voir la th�se de Florence Dufournier, �dition critique et comment�e d'un r�ceptaire de la fin du XVe si�cle (Paris IV-Sorbonne, 1997), et l'article de Philip et Mary Hyman dans l'ouvrage collectif : Livres en bouche, Paris, 2001, p.59).

Apparemment, Nostradamus ne connaissait pas ce texte : "je seray le premier, qui en ceste matiere de ce second traict� en nostre langue a monstr� le passaige, & a coupp� la glace" [p.161] ; "ce petit Livre, que je vous presente par estreines de nouvellete." [p.221]

Le livre des Confitures s'ach�ve sur une note �tonnante et �nigmatique, et m�me si Nostradamus pr�cise � la derni�re page de ce livre que "si quelqu'un a parfaite intelligence de s�avoir cognoistre la maistrise de bien & deuement gouverner le succre, il mettra tous fruitz en parfaite confiture." [p.221], on sent bien qu'il est question de tout autre chose, et que le voyant salonais n'a pas entrepris cet ouvrage pour nous entretenir seulement de poudres et de confitures, n'en d�plaise � certaines lectures na�ves !

Pourtant amy lecteur si tu voys quelque matiere, laquelle ne te soit agreable, ou par novit� te faille retirer le front, je te diray ce qu'ay veu engrav� en marbre. Credis sum Pythiovera magis tripode. Vray est qu'il y a beaucoup de choses, que sont chieres & difficiles a faire : mais si tu veux dens ton cerveau calculer, ne trouveras chose que ne soit que par trop facile a faire : mais qui vouldroit user d'une par trop severe avarice, il pourroit bien estre, que l'intention de quoy l'on pretend seroit frustr�e. [p.220]

Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, Credis sum Pythiovera magis tripode, p.220 Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, hexastichum / Barbarus, pp.222-223

A la fin de l'ouvrage sont annex�s deux suppl�ments : � la page 222, une �pigramme de 6 vers (hexastichum) pr�c�d�e d'un avertissement, le tout en latin et adress� � Nostradamus. On ignore quel en est l'auteur : Nostradamus lui-m�me ? Un ancien camarade de l'universit� de Montpellier ? En voici la traduction :

"En recommandation du tr�s c�l�bre docteur de la facult� de m�decine, ce petit livre de notre ma�tre [D. N. = _Dominus Noster_] Michel Nostradamus, qui apportera au lecteur candide une commodit� qui n'est pas mince.
Salut, docteur Michel, tr�s digne des plus grands �loges,
Que de grandes r�compenses couronnent tes �tudes.
Tu d�voiles par ce petit livre de nombreux pr�ceptes:
Et ainsi ton travail personnel sera utile � beaucoup.
La jeunesse doit se recommander de ton enseignement,
Et les plus �g�s loueront tes �crits comme dignes d'attention."

L'�pigramme est suivie de la traduction par Nostradamus d'une lettre d'Ermolao Barbaro � Pietro Cara (ca. 1440-1501), �crite � Milan et dat�e du 6 mai 1488, d�crivant un banquet au cours duquel sont pr�sent�s aux convives 15 plats successifs (pp.223-228). Le texte est repris ou plut�t "r�cit�" par C�sar Nostradamus qui en donne une autre traduction d'apr�s la lettre de Barbaro : "je veux par un court & gracieux devoyement reciter la magnificence des nopces de Trivulce." (Histoire, pp.692-693).

Les 30 recettes du Livre des Confitures

01. p.133 - Et premierement pour confire l'escorce, ou la chair du citron avec le succre
02. p.137 - Pour confire la chair de courdes que l'on nomme cocordat ou carabassat
03. p.140 - Pour confire l'orengeat en succre, ou en miel
04. p.143 - Pour confire les orenges
05. p.144 - Pour confire les noix ou autre confiture sans miel, & sans succre
06. p.146 - Pour faire le vin cuit que Marcus Varro nomme Defrutum
07. p.150 - Pour faire laictues confites en succre [et] La fa�on pour clarifier la cassonade, ou le succre qui est noir
08. p.154 - Pour faire la confiture des guignes ou agryotes
09. p.156 - Pour faire la gellee des guignes
10. p.159 - Vn' autre mode pour faire gellee de guignes
11. p.162 - Pour faire la confiture du gyngembre verd [chapitre "XII" par erreur]
12. p.165 - Pour conserver l'eau du gyngembre, qui est pour faire bonne pouldre, pour faire souverain vin hippocras
13. p.167 - Pour faire d'une racine confite qui est Hyringus
14. p.169 - Pour faire des amandes confites des verdes, par lors qu'elles sont demy meures
15. p.172 - Pour faire gell�e de coings (...) pour presenter devant un Roy
16. p.174 - Autre fa�on pour faire gell�e de coings (...) pour princes, ou grandz seigneurs
17. p.177 - Autre fa�on pour faire gell�e de coings en roche
18. p.179 - Pour confire petitz limons & orenges tous entiers
19. p.182 - Pour confire des coings � cartiers
20. p.184 - Pour confire les coings � cartiers avec le vin cuit
21. p.186 - Pour faire du codignat
22. p.187 - Pour faire une autre fa�on de coings � cartiers avec le succre
23. p.190 - Pour confire l'escorce de buglosse
24. p.193 - Pour faire poires confites
25. p.195 - Pour faire le succre candi
26. p.199 - Pour faire le pignolat en roche
27. p.203 - Pour faire tartre de massapan, que Hermolaus en l'epistre sequente nomme Martios panes
28. p.205 - Pour faire les penites, que nous appellons succre panys
29. p.210 - Pour faire syrop rosat laxatif
30. p.214 - Autre fa�on pour faire le syrop rosat laxatif

4. Voyages et rencontres, relations et lectures

Nostradamus pars�me son trait� de quelques pr�cieuses indications autobiographiques sur son activit�, ses relations, ses d�placements. De 1521 � 1529, il est �tudiant autodidacte et itin�rant (p.3) quoiqu'il laisse entendre qu'il exerce la m�decine d�s 1521 (p.4). Autant dire qu'il ne consid�re pas le dipl�me comme sanction l�gitime de la profession, et ne mentionne pas son doctorat de m�decine qu'il a pourtant d� passer � la facult� de m�decine de Montpellier au d�but des ann�es 30.

Il a s�journ� et probablement exerc� en diverses cit�s de Guyenne, Languedoc, Provence, Dauphin� et Lyonnais : "Je suis este en plusieurs & diverses regions du monde, & ay hant� les uns & les autres que les [confitures de guignes] faisoient d'une sorte, que les faisoient de l'autre : que si je voulois escrire par tout la ou j'ay veu, le papier ne seroit asses suffisant : j'eusse pens� que le pais d'Italie feusse le souverain pour ce faire : mais quand en cest endroit, au moins la ou j'ay veu, ilz en usent bien golphement : j'ay veu la fa�on de Thoulouse, de plusieurs de Bourdeaulx, de la Rochelle : brief de tout le pais de Guienne & Languedoc, & de toute la Provence, du Daulphin�, du Lyonois : mais je n'ay jamais trouv� de plus belles que ces icy n'y [sic] meilleures. [pp.155-156].

"J'ay autrefois practiqu� en la cit� de Bourdeaux, de Thoulouse, Narbonne, Carcassonne ; & la plus grand part au pays d'Agenois : Agen mesmes la ou, la faculte de Medicine estoit souverainement faite, & a est� resuscit�e en son plus hault degr�, non pas tant seulemens la Medicine, mais toute Philosophie Platonique" [p.218].

Il est � Avignon en 1526 (p.176), � Bordeaux en 1539 (p.110), � Aix de juin 1946 � f�vrier 1947 environ et � Lyon en 1547 lors des �pid�mies de peste (pp.50 & 216), � G�nes et � Savone en 1549 (pp.59 & 202).

Il se sent � l'�troit � Salon, sa ville de r�sidence depuis 1547, et se plaint des pi�tres possibilit�s d'�changes intellectuels et culturels (p.122 cf. supra, & p.220) : "je suis log� pour la faculte de quoy je fais profession entre bestes brutes, & gents barbares, ennemys mortelz de bonnes lettres, & de memorable erudition." C�sar rappelle que les sentiments de Nostradamus envers les salonnais ne s'�taient gu�re am�lior�s dix ans plus tard, surtout apr�s les menaces dont il a �t� l'objet durant les �meutes paysannes d'avril 1561, ou de mai 1560 selon C�sar qui rapporte les cris alors prof�r�s : "Au feu, au feu, vivent Cabans, meurent Lutheriens" (786E, Histoire, 1614, p.785-788). Lors du passage de Charles IX � Salon le 17 octobre 1564, Nostradamus aurait souhait� rester � part de la d�l�gation officielle, et se serait �cri� : "O ingrata patria, veluti Abdera Democrito" (� Patrie ingrate comme le fut Abd�re pour D�mocrite).

Voici l'ensemble du t�moignage de C�sar se rapportant � cette journ�e du 17 octobre : "Bien peu apres vint en Provence le jeune Roy qui faisoit le tour de son Royaume, & arriv� � ceste ville de Sallon le dix-septieme d'Octobre, jour dedi� au Dieu Mars [un mardi], � trois heures apres midy. (...) Anthoine de Cordo�a Gentilhomme honnorable & liberal, qui peu apres fut fait Chevalier de sainct Michel, & Iaques Paul l'un des plus riches hommes de son temps, lequel pareillement quelques annees apres fut ennobly, estans en charge de // Consuls, le re�eurent � la porte par o� il entra, sous un poisle de damas violet & blanc. Ces deux Magistrats honnorablement accompagn�s des plus nobles & apparens bourgeois de la ville, supplierent bien instamment Michel de Nostradame, personnage le nom duquel suffit ass�s, de vouloir estre avec eux, & parler � sa Majest� au poinct de la reception, estimant � l'avanture non en vain, qu'elle auroit un contentement particulier de le voir : mais il s'en excusa autant gracieusement qu'il peut � de Cordo�a, son singulier & intime amy, & � ses compagnons, leur remonstrant qu'il desiroit faire son train � part, & salu�r sa Majest� hors de la tourbe populaire, & de ceste foule d'hommes, estant tres-bien adverti qu'il seroit requis & demand�, comme il arriva. Ainsi donc que fort decemment couvert, il attendoit le coup de rendre cest hommage � son Roy, voicy que les Consuls le monstrerent � sa Majest�, � laquelle tout � poinct il fit une tres-humble & convenable reverence d'une franche & philosophique libert�, pronon�ant ce vers du Po�te. _Vir magnus bello, nulli pietate secundus._["Grand guerrier, et en pi�t� d�pass� par nul autre", ps. Ovide, _Argumenta decasticha Aeneidos_].
Suyvant, comme tout hors de soy par un aise extraordinaire qu'il sentit � cest instant de se voir tant humainement accueilly d'un tel & si grand Monarque, duquel il estoit n� subject, & comme indign(�) contre sa propre terre ces mesmes paroles : _O ingrata patria, veluti Abdera Democrito._Comme s'il eut voulu dire : � terre ingratte, � qui je donne quelque nom, voy l'estat que mon Roy daigne encor faire de moy ! Ce qu'il disoit sans doute assez ouvertement en ce peu de mots, contre le rude & incivil traittement que certains seditieux mutins, gens de sac & de corde, bouchers sanguinaires, & vilains Cabans avoyent faict � luy, qui donnoit tant de gloire � son pays. Adonc l'accompagna mon pere, car c'est de luy que je parle, tousjours cost� � cost�, avec son bonnet de velours d'une main, & un gros & tres-beau jonc marin d'Indie emmanch� d'argent de l'autre, pour s'appuyer durant le chemin, (parce qu'il estoit quelquefois tourment� de ceste fascheuse douleur de pieds que le vulgaire appelle gouttes) jusques aux portes du chasteau, & encor dans sa propre chambre, o� il entretint fort longuement ce jeune Roy, & la Royne Regente sa mere, qui eurent ceste humaine curiosit� de voir toute sa petite famille, jusques � une fille de laict. Et de ce me souvient fort bien, car je fus de la partie." (Histoire, 1614, p.801-802).

Faisant allusion aux spectacles de rue et reconstitutions dites historiques qui se d�roulent chaque ann�e fin juin � Salon, Maryline Crivello (qui reprend le r�cit de C�sar d'apr�s un texte corrompu de seconde main) s'interroge sur la l�gitimit� de telles manifestations comm�moratives : "Il existe ainsi un r�el �cart entre ce document [le t�moignage de C�sar sur la venue de Charles IX � Salon], fondateur du spectacle, qui exprime nettement � quel point Michel de Notre-Dame �tait peu int�gr� � la population salonaise et l'enthousiasme appuy� lors du passage dans le cort�ge reconstitu� de son interpr�te actuel. Nostradamus n'�tait pas proph�te en son pays, rejet� par les anc�tres de ces Salonais qui d�sormais, au b�n�fice des spectacles, s'en r�clament." (Maryline Crivello, "Du pass�, faisons un spectacle ! G�n�alogies des reconstitutions historiques de Salon et Grans en Provence (XIXe-XXe siecles)", in Soci�t�s & Repr�sentations 12, Revue du CREDHESS, Paris, 2001, p.230). On souhaiterait que la municipalit� salonaise et la maison dite de Nostradamus optent pour la recherche et allouent la part culturelle congrue de l'argent du contribuable � la connaissance s�rieuse et � la publication des in�dits de l'oeuvre de l'astrologue et voyant saint-r�mois, plut�t que de satisfaire les instincts populaires par la repr�sentation d'un "Nostradamus festif" totalement anachronique.

Et St�phane Gerson souligne l'�chec de la mascarade salonaise dont l'objectif initial avait �t� d'instrumentaliser Nostradamus en vue de relancer une dynamique �conomique locale en d�clin : "Nostradamus devint le centre absent de Salon : ses habitants ne pouvaient y �chapper tandis que les visiteurs recherchaient en vain le sinistre proph�te." Des entrepreneurs en am�nagement culturel, pour la plupart des locaux hostiles au proph�te astrologue, tent�rent d'en forger une image controuv�e et biais�e "m�lant r�invention et effacement, emprunts et r�appropriations, refus incertains et d�tournements." ("Le patrimoine local impossible : Nostradamus � Salon-de-Provence (1980-1999)", in Gen�ses, 92, 2013, p.71). Gerson s'en tient prudemment (ou l�chement) aux ann�es 1980-2000 sans prolonger le constat jusqu'� la dizaine d'ann�es pr�c�dant la publication de son article !

Outre Salon, quinze villes sont mentionn�es : La Rochelle (p.155), Bordeaux (pp.110, 155 &.218), Agen (pp.12 & 218), Toulouse (pp.155 & 218), Carcassonne (p.218), Narbonne (p.218), Montpellier (p.217), Lyon (p.216), Vienne (p.219), Valence (p.219), Avignon (p.176), Aix (pp.50 & 101), Marseille (pp.101 & 216), Savone (pp.122, 216 & 202), et G�nes (p.59). Hormis La Rochelle, plus au nord, Aix, Marseille, et les deux villes de la c�te italienne, elles sont toutes situ�es le long de la Garonne, de l'actuel canal du Midi, imagin� et commenc� par le salonais Adam de Craponne, et du Rh�ne jusqu'� Lyon. Elles se situent sur un trac� formant un arc de cercle �vas�, de Lyon � La Rochelle en passant par Narbonne. Un second arc de cercle longeant la c�te m�diterran�enne coupe le premier � Avignon. Ces deux trac�s forment une sorte de

n invers�.

Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, villes

Une centaine d'auteurs, de connaissances et de personnages historiques ou l�gendaires sont mentionn�s, comme Euphorbe (p.217) ou le devin Tir�sias (p.105) : voir les tableaux ci-dessous, par domaines d'activit�, et par noms. D'autres, qu'on pourrait attendre, n'apparaissent pas, comme Ptol�m�e, Horapollon (dont Nostradamus entreprend la traduction des Hieroglyphica en 1541), Albumasar, L�onard de Vinci, Copernic, Paracelse, Pierre Turrel, Richard Roussat, ou encore Rabelais, immatricul� � la facult� de m�decine un an apr�s Nostradamus, et dont les ouvrages avaient d�j� connu un grand retentissement. Les m�decins d'une part, et les �rudits, philologues et historiens de l'autre, comptent pour la moiti� des personnes mentionn�es. Aucun astrologue. Les th�ologiens et id�ologues chr�tiens sont ignor�s. Le Christ lui-m�me n'est mentionn� que deux fois, et le sont aussi Mahomet et le proph�te et r�formateur iranien Zoroastre, encore que ce nom pourrait ne recouvrir que l'un des nombreux ouvrages apocryphes qui lui ont �t� attribu�s.

Activit� Nom Pages
empereur Auguste G-R 109
empereur Gordien G-R 103
empereur Hadrien G-R 71
empereur Nerva G-R 71
empereur Trajan G-R 71
roi Fran�ois 1er mod 176
gouvernant Maistre de Rhodes mod 176
militaire Alcibiade G-R 22
militaire Drusus G-R 109
avocat Jean Treilles mod 111
juriste Pierre Cara mod 201, 223
eccl�siastique Ammanien de Foix mod 92
eccl�siastique Cardinal de Clermont mod 176
proph�te Mahomet Ara 162
proph�te J�sus Christ G-R 103, 217
proph�te Zoroastre Ira 114
m�decin al-Zahrawi (Bulchasis, Albucasis) Ara 205, 210
m�decin Paulus Aegineta Byz 3
m�decin Andromachus G-R 52
m�decin Ascl�piade (Asclapon) G-R 109
m�decin Cornelius Celsius G-R 10
m�decin Dioscoride G-R 122, 217
m�decin Erasistrate G-R 112, 217
m�decin Galien G-R 12, 13, 13, 219
m�decin Hippocrate G-R 12, 15, 27, 101, 217
m�decin Antonius Saporta, de Montpellier mod 217
m�decin Franciscus Marius, de Vienne mod 220
m�decin Fran�ois Valeriola mod 12, 220
m�decin Guillaume Rondelet mod 217
m�decin Hieronymus Massarius mod 115, 217
m�decin Hieronymus Montuus, de Vienne mod 219
m�decin Honorius Du Chastel (Castellanus) mod 217
m�decin Jacques Dubois Sylvius mod 13
m�decin Joseph Turel Mercurin, d'Aix mod 101, 216
m�decin Leonhart Fuchs mod 13
m�decin Louis Serre mod 101, 216
m�decin Philibert Sarrazin mod 219
apothicaire Antonio Vigerchio mod 216
apothicaire Fran�ois B�rard mod 101, 166, 216
apothicaire Leonard Bandon mod 110
po�te Apul�e G-R 71
po�te Archiloque G-R 17, 110
po�te Ausone G-R 105
po�te H�liodore G-R 20
po�te Hom�re G-R 218
po�te Lucien G-R 100
po�te Lucilius G-R 17, 18, 20
po�te Posidippus G-R 21
po�te Cl�ment Marot mod 219
peintre Zeuxis d'H�racl�e G-R 57
sculpteur Lysippus G-R 21
sculpteur Myron G-R 105
historien B�rose G-R 114
historien C�sar G-R 11
historien Diodore de Sicile G-R 16
historien H�rodote G-R 16, 59
historien Agathius Scholasticus Byz 18
�rudit Archim�de G-R 219
�rudit Ath�n�e G-R 224
�rudit Cic�ron G-R 10, 109, 219
�rudit Elien (Aelianus) G-R 115, 217
�rudit Macrobe G-R 224
�rudit Marc Varron G-R 7, 12, 131, 146, 147
�rudit Pline G-R 10, 115
�rudit Plutarque G-R 12
�rudit Alde (Aldus Manutius) mod 10
�rudit Ambrosius Leo Nolanus mod 10
�rudit Christophorus Marsupinus mod 22
�rudit Erasme mod 10
�rudit Ficin mod 12, 22
�rudit Hermolaus Barbarus mod 201, 202, 204, 223
�rudit Longolius mod 10
�rudit Marcus Musurus mod 10
�rudit Nicolaus Leonicenus mod 11
�rudit Scaliger mod 12, 218
philosophe Aristippe G-R 219
philosophe Aristote G-R 115
philosophe Chrysippe G-R 14
philosophe Lucr�ce G-R 22, 69, 71
philosophe Platon G-R 8, 12, 22, 74, 115
philosophe Pythagore G-R 10, 114, 228
philosophe Socrate G-R 70
Bernardo Grasso (Savone) mod 122
Carolus Seninus (Bordeaux) mod 111
Jean Ferlin (Savone) mod 122
Johannes Tarraga (Bordeaux) mod 111
Ren� Le Pillier Verd (Lyon) mod 216

Plus de la moiti� de ces auteurs appartiennent � la culture classique gr�co-romaine ; les autres sont des modernes ou des contemporains, � l'exception du po�te et historien byzantin Agathius Scholasticus (ca. 536-582), du m�decin byzantin Paulus Aegineta (625-690), appr�ci� de Nostradamus, du m�decin et chirurgien andalou al-Zahrawi, d�c�d� en 1013, et des deux proph�tes mentionn�s.

Nom Activit� Pages
Agathius Scholasticus historien 18
Alcibiade militaire 22
al-Zahrawi (Bulchasis, Albucasis) m�decin 205, 210
Andromachus m�decin 52
Apul�e po�te 71
Archiloque po�te 17, 110
Archim�de physicien 219
Aristippe philosophe 219
Aristote philosophe 115
Ascl�piade (Asclapon) m�decin 109
Ath�n�e �rudit 224
Auguste empereur 109
Ausone po�te 105
B�rose historien 114
C�sar historien 11
Chrysippe philosophe 14
Cic�ron �rudit 10, 109, 219
Cornelius Celsius m�decin 10
Diodore de Sicile historien 16
Dioscoride m�decin 122, 217
Drusus militaire 109
Elien (Aelianus) �rudit 115, 217
Erasistrate m�decin 112, 217
Galien m�decin 12, 13, 13, 219
Gordien empereur 103
Hadrien empereur 71
H�liodore po�te 20
H�rodote historien 16, 59
Hippocrate m�decin 12, 15, 27, 101, 217
Hom�re po�te 218
J�sus Christ proph�te 103, 217
Lucien po�te 100
Lucilius po�te 17, 18, 20
Lucr�ce philosophe 22, 69, 71
Lysippus sculpteur 21
Macrobe �rudit 224
Mahomet proph�te 162
Myron sculpteur 105
Nerva empereur 71
Paulus Aegineta m�decin 3
Platon philosophe 8, 12, 22, 74, 115
Pline �rudit 10, 115
Plutarque �rudit 12
Posidippus po�te 21
Pythagore philosophe 10, 114, 228
Socrate philosophe 70
Trajan empereur 71
Varron �rudit 7, 12, 131, 146, 147
Zeuxis d'H�racl�e peintre 57
Zoroastre proph�te 114
Alde Manuce (Aldus Manutius) �rudit 10
Ambrosius Leo Nolanus �rudit 10
Ammanien de Foix eccl�siastique 92
Antonio Vigerchio apothicaire 216
Antonius Saporta, de Montpellier m�decin 217
Bernardo Grasso (Savone) 122
Cardinal de Clermont eccl�siastique 176
Carolus Seninus (Bordeaux) 111
Christophorus Marsupinus �rudit 22
Cl�ment Marot po�te 219
Didier Erasme �rudit 10
Franciscus Marius, de Vienne m�decin 220
Fran�ois 1er roi 176
Fran�ois B�rard apothicaire 101, 166, 216
Fran�ois Valeriola m�decin 12, 220
Gisbert Longolius �rudit 10
Guillaume Rondelet m�decin 217
Hermolaus Barbarus �rudit 201, 202, 204, 223
Hieronymus Massarius m�decin 115, 217
Hieronymus Montuus, de Vienne m�decin 219
Honorius Du Chastel (Castellanus) m�decin 217
Jacques Dubois Sylvius m�decin 13
Jean Ferlin (Savone) 122
Jean Treilles avocat 111
Johannes Tarraga (Bordeaux) 111
Joseph Turel Mercurin, d'Aix m�decin 101, 216
Jules C�sar Scaliger �rudit 12, 218
Leonard Bandon apothicaire 110
Leonhart Fuchs m�decin 13
Louis Serre m�decin 101, 216
Maistre de Rhodes gouvernant 176
Marcus Musurus �rudit 10
Marsile Ficin �rudit 12, 22
Nicolaus Leonicenus �rudit 11
Philibert Sarrazin m�decin 219
Pierre Cara juriste 201, 223
Ren� Le Pillier Verd (Lyon) 216

Retenons quelques noms, parmi d'autres : le po�te grec Posidippus (Poseidippos) (c. 280-240), le c�l�bre m�decin grec �picurien Ascl�piade (c.124-40), et le compilateur romain de langue grecque Claudius Aelianus (Elien) dit le Sophiste (fl. 215-250), auteur d'une Histoire des Animaux et d'Histoires vari�es(compilation d'anecdotes historiques et de faits divers), ouvrages qui ont vraisembablement inspir� l'auteur des Proph�ties.

Et parmi les humanistes modernes :

- Ermolao Barbaro (1453-1493), philosophe, philologue et hell�niste v�nitien, universitaire � Padoue, commentateur d'Aristote et de Dioscoride, �diteur et correcteur du texte de Pline, les Castigationes Plinianae et in Pompontum Melam (Rome, 1492-93 ; �d. Giovanni Pozzi, Padoue, 1973-79). Il serait mort de la peste � Rome. Le s�mioticien am�ricain Charles Peirce le mentionne (cf. ses Collected papers, 5.299) et on conna�t une lettre que lui adresse Pico, "Sur le style des philosophes", dat�e du 3 juin 1485 (in Jean Pic de la Mirandole, Oeuvres philosophiques, �d.-trad. Olivier Boulnois & Giuseppe Tognon, Paris, PUF, 1993, p.255-266).
- Marcus Musurus (c. 1470-1517), hell�niste et collaborateur de l'imprimeur v�nitien Alde
- Jacques Dubois dit Sylvius (1478-1555), anatomiste fran�ais, pionnier de la dissection
- Gisbert Longolius (1507-1543), correspondant de Bembo
- Leonard Fuchs (1501-1566) c�l�bre m�decin et botaniste bavarois, dont le nom a �t� donn� au Fuchsia, d�couvert � la fin du XVIIe si�cle

On pourra consulter des ouvrages de la plupart des m�decins mentionn�s sur le site de la Biblioth�que Interuniversitaire de M�decine (BIUM biuSant�). Parmi ceux qui deviendront les correspondants de Nostradamus et dont les lettres ont �t� conserv�es, seul figure le pharmacien salonais Fran�ois B�rard, et parmi la vingtaine de m�decins mentionn�s exer�ant l'art iatrice (du grec iatr�s, m�decin), pr�s de la moiti� d'entre eux se sont inscrits � la facult� de Montpellier dont Nostradamus appr�ciait l'enseignement malgr� les quelques d�boires qu'il a connus � son arriv�e : Louis Serre de Marseille en 1507, Fran�ois Valeriola en 1514, Hieronymus Montuus (J�r�me de Monteux) en 1518, Antonius Saporta en 1521, Guillaume Rondelet et Jacques Dubois Sylvius en 1529 (la m�me ann�e que Nostradamus), Philibert Sarrazin en 1539, Honor� Du Chastel en 1544 ... (sur ces m�decins, cf. Gouron, 1957 & Saulnier, 1957).

5. Le syst�me de codage du TFC dans l'�dition de 1555

Ce texte fait suite � mes pr�c�dentes �tudes sur le codage num�rologique du Testament (1566, cf. CN 177) et de l'Orus (1541, cf. CN 19), qui est la traduction manuscrite des Hi�roglyphes d'Horapollon. Le TFC se rattache au manuscrit de l'Orus par divers indicateurs : "en Arabie la felice" [p.59], expression traduite du grec mais n�anmoins usuelle � l'�poque, et surtout "la hyene, cynocephale, & crocodille, & hippopotame" [p.116], quatre animaux dont les hi�roglyphes sont explicit�s dans le manuscrit, introduit par un prologue de 116 vers d�casyllabiques.

Il est possible que toutes les corr�lations explicit�es ci-apr�s n'aient pas toutes �t� intentionnelles : cependant le grand nombre de co�ncidences rep�r�es � partir des m�mes m�thodes que pour les pr�c�dents textes, confirme l'existence d'un codage. En outre je n'ai pas totalement explor� les possibilit�s du TFC, � la structure tr�s complexe, et il se pourrait qu'une "seconde cl�" cryptographique (que je n'ai pas trouv�e et qui pourrait avoir rapport au nombre d'or et � la suite de Fibonacci, puisque les nombres 5, 8, 13, 34 et 89 sont apparents : cf. infra), ait �t� mise en place avec ce trait�, en plus de celle confirmant le nombre de quatrains du corpus. Le format de l'ouvrage, � savoir environ 12 cms de haut pour 7,5 cms de large (118 x 75 pour l'exemplaire de Lyon), respecte les proportions du nombre d'or.

Le TFC comprend 240 pages dont 228 sont num�rot�es :

p.1 : titre : 1 page
p.2 : blanc
p.3 : �p�tre au lecteur (Prooeme) : 22 pages + lettrine A
p.25 : premi�re partie (Pr�parations cosm�tiques) : 100 pages + lettrine P
p.125 : �p�tre � Jean de Nostredame (Prooeme) : 8 pages + lettrine P
p.133 : seconde partie (Recettes culinaires) : 89 pages + lettrine V
(au chapitre 28, p.205, lettrine C)
p.222 : hexastichum (Sizain) : 1 page
p.223 : lettre d'Hermolaus Barbarus � Pierre Cara : 6 pages + lettrine L
[p.229] : table (non pagin�e) : 11 pages
[p.240] : blanc

Chapitres D�composition Pages D�composition
�p�tre I 1 22 11 x 2
Livre I 34 15 + 19 100
�p�tre II 1 8
Livre II 30 [ou 31] (15 x 2) = (11 + 19) 89 100 - 11
Annexe 1 6
Table 1 11
Total pagin�/num�rot� 64 8 x 8 228 19 x 2 x 6
Total r�el 65 5 x 13 240 15 x 2 x 8

Les nombres pilotes de ce dispositif sont 11, 15 et 19. Les autres nombres, 2, 6 et 8, sont des nombres codants interm�diaires. Le multiplicateur 2 se justifie en raison de la division du trait� en 2 parties, comme dans l'Orus. Les nombres 6 et 8 sont rappel�s dans le trait� par la pr�sence de deux pi�ces versifi�es : un huitain traduit de Lucilius (� la page 19), et une �pigramme de six vers en hommage � l'auteur (� la page 222).

Les deux parties du trait� totalisent 64 chapitres num�rot�s, correspondant aux 34 pr�parations cosm�tiques de la premi�re partie et aux 30 recettes culinaires de la seconde. Curieusement cette organisation rappelle celle du principal trait� divinatoire de la litt�rature mondiale, � savoir le Yi King chinois, �galement divis� en deux parties de 30 et de 34 chapitres, chacun d'eux traitant d'un hexagramme qui illustre une situation possible de la vie int�rieure. Les voyages de Marco Polo datent de la fin du

XIIIe si�cle, et il se peut que Nostradamus, qui aimait l'Italie comme la plupart des humanistes de son si�cle et des si�cles suivants, ait eu acc�s � certains documents relatifs au Yi King, lesquels ont v�ritablement commenc� � circuler dans les cercles �rudits � partir du XVIIe si�cle. On conna�t l'int�r�t de Leibniz pour le Livre des Transformations.

En r�alit� le TFC comprend 65 chapitres (recens�s dans la table), soit 34 dans la premi�re partie et 31 dans la seconde : n'est pas num�rot� le chapitre "7 bis" de la seconde partie, en r�alit� le huiti�me : "La fa�on pour clarifier la cassonade, ou le succre qui est noir, ou gast� tant pour la presente confiture, que pour toutes autres". Aux pages 151-152-153 du trait� (� rapprocher avec la date de sa composition, � savoir 1552), ce chapitre g�n�ral, puisqu'il traite du sucre lui-m�me, ingr�dient de base de la plupart des pr�parations, serait en fait le chapitre 41 bis, indiquant une affiliation avec l'_Orus_de 1541, r�dig� pr�cis�ment 11 ans avant le TFC, et par cons�quent la continuation du codage.

La pagination du texte et les nombres 11, 15 et 19

Nous avons d�j� eu l'occasion de constater que les ann�es de composition des ouvrages n'�taient pas laiss�es au hasard, et que le double de ces ann�es, pour l'Orus et pour les Proph�ties, �tait significatif. De m�me pour le TFC : le double de l'ann�e 1552, � savoir 2114, doit se lire 2 fois 114 (= 228) et indique le nombre de pages du trait�, hormis la table, non pagin�e.

Un grand soin a �t� apport� � la mise en page du trait�, au contraire de l'orthographe et de la syntaxe du texte. Or la page 191 est num�rot�e 19, et le chapitre 19 de la premi�re partie "n'existe pas" et est num�rot� 20 comme le suivant, ainsi que le chapitre 11 de la seconde partie, num�rot� 12. Ce qui autorise � relier ces nombres selon la formule (11 + 19) = 30 (qui est le nombre de chapitres num�rot�s de la partie culinaire) = (15 x 2), et au nombre de quatrains du corpus : 1130 = (100 x 11) + (11 + 19), ou encore 1130 = (100 x 11) + (15 x 2).

Les nombres 19 et 15 (ou encore leur somme valant 34, qui est le nombre de chapitres de la partie cosm�tique) sont � rajouter aux 942 quatrains des Proph�ties et aux 154 quatrains des Almanachs, ce qui confirme les r�sultats de mes articles pr�c�dents.

Le nombre 15 est encore soulign� dans le nombre de villes mentionn�es par le m�decin itin�rant, dans la description du banquet donn� par l'italien Trivulcius en 1488 : Ermolao Barbaro �num�re les 15 mets qui se succ�dent, et mentionne l'�crivain grec Ath�n�e (IIe si�cle), lequel a compos� son D_ipnosophistarum_ (Le banquet des �rudits) en 15 livres, ouvrage �dit� � Venise en 1514 et � B�le en 1535. On notera encore que 64 ans (1552 - 1488), qui est le nombre de chapitres du TFC, plus 1 mois et 5 jours (�quivalents ici � 15 ?), s�parent la date de la lettre de Barbaro de celle de la composition du TFC.

L'interpr�tation num�rologique des relations entre les nombres 11, 15 et 19 d'une part, et les nombres de chapitres 30 et 34 d'autre part, est donc triviale : il manquerait 34 quatrains (� savoir 15 + 19) aux 1096 quatrains imprim�s (942 dans les Proph�ties, et 154 dans les Almanachs) pour atteindre le total des 1130 quatrains de l'oeuvre proph�tique

La le�on des lettrines

Cinq ou six lettrines, de tr�s belle facture, introduisent les deux �p�tres, les deux parties du trait�, la lettre de Barbaro, et le chapitre 28 du second trait� : 6 lettrines au total, mais 5 grandes et une plus petite (la lettrine C), et 5 diff�rentes et une redoubl�e, la lettrine P, comme pour souligner ces nombres 5 et 6. La lettrine C, � la page 205 (= 5 x 41) est un marqueur interm�diaire qui souligne une fois de plus la relation � l'Orus (compos� en 1541).

En outre la position de ces lettrines dans le texte et les pages qui leur correspondent semblent ob�ir � un dispositif intentionnel : lettrine A � la page 3, lettrine P � la page 25, autre lettrine P � la page 125, lettrine V � la page 133, lettrine L � la page 223.

La lettrine A se situe � la page 3, de la lettrine A � la lettrine P on compte 22 pages, de la lettrine A � la lettrine V 130 pages (= 13 x 10), de la lettrine A � la lettrine L 220 pages (= 22 x 10), et de la premi�re lettrine P � la seconde, on compte 100 pages (= 10 x 10).

Outre la dizaine (10), on retrouve les nombres principaux du Testament, � savoir 3, 13 et 22. On a aussi les relations (22 - 3) = 19 et (22 + 13 + 10) / 3 = 15, et par suite les relations triviales, car en rapport � la fois avec les nombres pr�c�dents et le nombre de lettrines (5 ou 6) :

13 + 6 = 19
10 + 5 = 15

Ces sommes, correspondant � 4 suppl�ments, indiquent les groupements de quatrains suppl�mentaires � ajouter aux 1096 quatrains connus des Proph�ties et des Almanachs. Le suppl�ment du Janus de Chavigny (les 13 quatrains des "centuries" XI et XII) correspond vraisemblablement au premier de ces nombres. Un second suppl�ment pourrait recouvrir les 10/11 quatrains transmis par Fran�ois Gallaup de Chasteuil (ms 386 de la biblioth�que Inguimbertine de Carpentras ; cf. mon texte "Les 34 quatrains suppl�mentaires de l'oeuvre proph�tique", CURA, � para�tre).

La le�on des �pigrammes

Les deux �pigrammes du trait�, l'une de 8 vers et traduite du grec de Lucilius (pp.125-132), l'autre de 6 vers et adress�e � Nostradamus (pp.223-228) occupent dans le trait� un emplacement qui peut para�tre significatif. En effet :

La somme des pages 125 � 132, soit 1028, vaut aussi [(4 x 289) + (3 x 300)] / 2
La somme des pages 223 � 228, soit 1353, vaut encore 1000 +353

Et 353, 289 et 300 sont les nombres de nouveaux quatrains publi�s dans les diff�rentes �ditions des Proph�ties: celle de Mac� Bonhomme en 1555, celles d'Antoine du Rosne en 1557 et 1558.

Credis sum Pythiovera magis tripode

La traduction de cette sentence n'est pas ais�e, et le n�ologisme Pythiovera devrait compter deux mots : Pythio vera, "semblable � Apollon Pythien", ce qui r�duit � 5 les 6 mots de la sentence (� mettre en parall�le avec le nombre de lettrines). On peut avancer la traduction suivante : "Je suis, tu le crois, comme Apollon Pythien (et) les sorciers � tr�pied", ou celle-ci, avec magis adverbial : "Le crois-tu, je suis une Pythie plus sinc�re qu'un oracle", ou encore "Tu le crois car ma parole est plus fiable que celle issue du tr�pied pythien."
Claude Lecouteux, dans l'adaptation Kosta-Th�faine du Trait� des Confitures (oct. 2010, p.127), propose la traduction suivante : "Fie-toi � moi qui suis la v�ritable Pythonisse au tr�pied magique", et Denis Crouzet traduit Nostradamus comme se disant "possesseur de v�rit�s plus vraies encore que celles prof�r�es � partir du tr�pied pythique" (2011, p.158).

Nostradamus a probablement trouv� sa formule dans les Inscriptiones sacrosanctae d'Apianus et Amantius (cf. aussi CN 10, 28, 61, 68, 130 et 194), qui donnent pour cette inscription romaine Pythio vera en deux mots et le pluriel sunt auquel Nostradamus substitue "sum" : Credis, sunt Pythio vera magis Tripode (Inscriptiones sacrosanctae, Ingolstadt, 1534, p.239). Une traduction partielle de l'inscription (de Semicapri � Tripode) figure aux Archives historiques et litt�raires du Nord de la France et du Midi de la Belgique (vol. 1, Valenciennes, 1829, p.394) :

"Qui que tu sois qui entre dans le sanctuaire du dieu Faune aux pieds de ch�vre, tu liras cette inscription d'origine romaine. Cy g�t Hersilus : avec lui repose Marulla, � la fois sa m�re, sa soeur et son �pouse. Tu doutes, lecteur, tu fronces le sourcil, tu vois dans ces paroles une �nigme propos�e aux Sphinx futurs : elles sont pourtant plus vraies que les oracles Pythiens."

Credis, sunt Pythio vera magis Tripode, Inscriptiones sacrosanctae, p.239

Cette formule tout-�-fait surprenante � la fin du livre des confitures montre que Nostradamus a d'autres objectifs que la seule publication de recettes : une formule de 30 ou 31 lettres (30 selon l'alphabet grec avec un th�ta, ou 31 selon l'alphabet latin), qui rappelle les 30 ou 31 chapitres de ce second livre, avec 15 lettres utilis�es : A C D E G H I M O P R S T U Y.

Imaginons l'inscription des lettres de cette formule, deux fois sur l'espace d'un tr�pied, auxquelles seront ajout�es deux lettres justifiant la double-inscription et parce que la formule appara�t dans le second livre du trait� :

credis sum Pythiovera magis tripode
credis sum Pythiovera magis tripode
M N

ou encore, en rempla�ant les lettres par leurs nombres associ�s et en d�calant deux des termes centraux afin d'obtenir l'image d'un tr�pied :

6 3 10 5 7
6 10 7
3 2 5

Nostradamus, Opuscule, Volant, 1555, Credis sum Pythiovera magis tripode

On obtient � nouveau les nombres 15 (1e colonne), 30 (colonnes centrales), 19 (derni�re colonne), 11 (nombres utilis�s), et 64 (total de tous les nombres). En conclusion, j'ai le sentiment d'avoir effectu� un premier d�chiffrement d'un texte qui rec�le probablement d'autres myst�res...

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Patrice Guinard: Excellent & moult utile Opuscule
(Analyse du Trait� des Fardements et des Confitures)
http://cura.free.fr/dico3/604B-TFC-edc.html
19-04-2006 ; last updated 10-03-2020
� 2006-2020 Patrice Guinard