Les quatre �pigrammes de Julius Caesar Scaliger contre Nostradamus (c. 1555) (original) (raw)

CORPUS NOSTRADAMUS 89 -- par Patrice Guinard Les quatre �pigrammes de Julius Caesar Scaliger contre Nostradamus (c. 1555)

Ne quaere, quid hoc nomine, Fortuna, feratur : Si nosse, quid est levis impostura, potis sis.

Fils du miniaturiste Benedetto Bordone, Giulio Bordone se disant "della Scala" serait n� � Riva en 1484, � la pointe nord du lac de Garde, neuf jours avant les calendes de mai, c'est-�-dire le 23 avril. Une nativit� hypoth�tique dress�e pour ce jour vers 19 heures le ferait na�tre sous une conjonction Saturne-Jupiter � l'ascendant en Scorpion, oppos�e � son Soleil natal en Taureau et maison V, proche d'une conjonction Lune-Mercure en B�lier (selon ma domification OCTOTOPE : ici etl�).

Cette configuration cadre assez bien pour l'astrologue comp�tent avec ce qu'on sait de la vie, de l'activit� et des d�ceptions sociales de cet esprit original, sympathique, vindicatif, hors-normes, et qui deviendra le plus c�l�bre envieux de Nostradamus, apr�s s'en �tre pris � �rasme, au traducteur d'Aristote Theodorus Gaza, � �tienne Dolet, � l'humaniste Lorenzo Valla, � Rabelais (qui le pr�sente comme calomniateur, et ath�e "comme nul autre ne peut l'�tre", dans sa fameuse lettre � Bernard de Salignac, dat�e du 30 novembre 1532 et �dit�e par Johannes Brandt (1660-1708) en 1702), � l'astrologue et math�maticien italien Cardano, et d'autres.

Un distique latin traduit � souhait la rancoeur de celui qui estimait, probablement � juste titre, ne pas �tre appr�ci� selon son m�rite : "Fortuna est impostura" (in Poemata, Epidorpidum, 4, vol. 2, p.217) -- que le lecteur avis� est invit� � consid�rer comme la clef du pr�sent article.

Le succ�s est une imposture
Ne cherche pas ce que ce nom, Fortune, veut dire.
[Ne cherche pas � conna�tre les raisons du succ�s ou de la reconnaissance sociale (car il n'y en a pas)]
Mais si tu ne sais pas ce qu'est l'imposture, m�me l�g�re, alors oui, tu peux le chercher !

En avril 1512, Bordone perd son p�re et son fr�re � la bataille de Ravenne, puis sa m�re une semaine apr�s. En 1519, il obtient son doctorat �s Arts � l'universit� de Padoue, puis celui de m�decine quelques ann�es apr�s. Vers 1524, le m�decin Scaliger s'installe � Agen sur l'incitation de son ami Antonio della Rovera, petit-neveu du pape Jules II et promu �v�que d'Agen en 1519. Sur son acte de naturalisation dat� de mars 1529 (1528 anc. style), il est dit "docteur en m�decine natif de la ville de V�ronne en Italie" (Jules De Bourrousse de Laffore, "Jules-C�sar de Lescale", in Recueil des Travaux de la Soci�t� d'Agriculture, Sciences et Arts d'Agen, 2e s�r. T 1, Agen, 1861, p.28). Quelques jours plus tard, le 13 avril 1529, il �pouse Andiette de La Roque Loub�jac, �g�e de 16 ans, la fille orpheline d'Alain de La Roque en Quercy (d�c�d� en 1518 selon Joseph Juste, le fils de Scaliger), qui lui apporta en dot une maison � Agen et le domaine de Viv�s (cf. Jules Momm�ja, "Un domaine historique: V�rone-Viv�s et les Scaliger" in Revue de l'Agenais 35, 1908, p.293). Sa r�putation est �tablie, et il est nomm� consul d'Agen en 1532.

Son fils Joseph Juste, n� le 5 ao�t 1540 � Agen � 2 heures du matin (p.200), raconte dans sa Vie de Jules-C�sar Scaliger adress�e � Janus Douza, que son p�re savait le grec et et le latin, mais aussi l'arabe, l'esclavon (serbo-croate), le hongrois, l'allemand, le grec moderne, l'italien et l'espagnol, toutes langues dont Nostradamus a pu acqu�rir quelques rudiments (cf. les documents sur Scaliger traduits et annot�s par Adolphe Magen dans le Recueil des Travaux de la Soci�t� d'Agriculture, Sciences et Arts d'Agen, 2e s�r. T 3, Agen, 1873). A la Vie de Scaliger par son fils (p.165-203), s'ajoutent divers documents, dont la "Demande en exemption de la taille" de Scaliger, adress�e aux consuls d'Agen le 13 mars 1534 (AD Agen, BB 5 f.96 ; p.207-208), les "Provisions de la charge de m�decin ordinaire des Roi et Reine de Navarre" accord�es � Scaliger le 16 janvier 1548 (AD Agen, B 82 f.70 ; p.209) et le "Testament" de Scaliger dat� du 15 septembre 1558 (AD Agen, B 82 f.3 ; p.212-221), suivi d'un relev� de ses propri�t�s faisant �tat de douze maisons, dont six attenantes rue Caguela�que (actuellement boulevard Scaliger), et de divers terrains. [Les ganaches rab�chant les clich�s tra�nant dans des ouvrages ou articles pi�trement inform�s (p. ex. Bellenger 2003 : cf. CN 59), � savoir que Nostradamus se serait enrichi en profitant de la cr�dulit� populaire, auraient int�r�t � comparer ces deux testaments et les biens qui y sont consign�s, avant de d�verser leur venin calomnieux sur les wikis et blogs journalistiques.]

Le notable Pierre Daur�e (27 d�c. 1498 - 23 juin 1571) note dans son journal la pr�sence du m�decin accoucheur des jumeaux de sa femme (le 6 f�vrier 1534, i.e. 1535), "Julles Cezar de Lescalle", aussi parrain de son fils Julles le 2 juillet 1538, ainsi pr�nomm� en son honneur (in Le livre de Raison des Daur�e, d'Agen (1491-1671), �d. Georges Tholin, Agen, 1880, impr. Veuve Lamy). C'est durant cette p�riode que Nostradamus et Scaliger se fr�quentent, et le proven�al, en 1553, donnera � son a�n� le pr�nom de son ancien ma�tre et ami, un pr�nom que ce dernier avait lui-m�me joint � celui de son bapt�me.

Parmi les auteurs dont Scaliger exigeait une lecture attentive, figurent Aristote, Cic�ron, Virgile et Galien. Une bonne partie de son oeuvre philologique, teint�e de nombreuses pol�miques, ne sera exhum�e que partiellement apr�s son d�c�s, survenu le 21 octobre 1558, et ne gagnera la reconnaissance des �rudits qu'un demi-si�cle plus tard. Scaliger souffrait de la goutte depuis sa jeunesse, et la maladie le rattrapera dans les derni�res ann�es de sa vie.

"Le pillage d'Agen par les troupes catholiques de Monluc en 1562 causa la destruction d'une grande partie des textes in�dits de Scaliger. M�me en tenant compte de certains titres peut-�tre fictifs, les pertes, difficiles � estimer, ont d� �tre importantes." �crit Pierre Lardet dans l'un des meilleurs textes consacr�s � Scaliger sur le net : "Les ambitions de Jules-C�sar Scaliger latiniste et philosophe (1484-1558) et sa r�ception posthume dans l'aire germanique de Gesner et Schegk � Leibniz et � Kant" (in "Germania latina - latinitas teutonica", Seminar f�r Geistesgeschichte und Philosophie der Renaissance, M�nchen, 2001)

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C'est dans ses Poemata, en deux volumes posthumes (Gen�ve, Jacobus Stoer pour Gaspard de Hus, 1574 ; cf. exemplairesCAMENA de l'universit� de Mannheim, et de la BP de Gen�ve: Hd 641) et maintes fois r��dit�s (d'abord en 1591 � Heidelberg chez Petrus Santandreanus) -- � ne pas confondre avec son trait� de po�tique, �galement posthume (1561) --, que figurent les fameuses pi�ces latines vilipendant son ancien ami proven�al, avec qui il avait sillonn� les routes de la r�gion. Ce sont ces pi�ces, traduites par Jacques Boulenger en 1933 et par Brind'Amour soixante ans apr�s, qui nous int�ressent ici.

Deux d'entre elles figurent dans un pot-pourri (Farrago), les deux autres dans Hipponax aux enfers. Scaliger aura trouv� un mod�le chez le po�te d'�ph�se, a�n� d'H�raclite, exil� de son pays par le tyran local et qui utilisera la satire comme arme contre son oppresseur et ses alli�s.

De Nostradamo (Poemata, Farrago, vol. 1, p.199)

Cur Nostradamus se esse ait prophetam ?
Quia dicit ortum a Benjamin prophetis.
Quod si Mahomet, qui fuit propheta
Bis Nostradamus sic erit propheta.

A propos de Nostradamus

Pourquoi Nostradamus se prend-il pour un proph�te ?
Parce qu'il serait issu, � ses dires, de la lign�e des proph�tes de Benjamin.
Or si Mahomet a �t� un proph�te,
Alors Nostradamus sera ainsi deux fois proph�te.

C'est-�-dire, un proph�te � la mani�re de Mahomet (i.e. un usurpateur selon Scaliger), doubl� d'un menteur. On notera que la noblesse des origines de Scaliger, "yssu de la race des princes & seigneurs souverains de Verone" (selon Du Verdier, p.774, qui ne fait que reprendre les affirmations de Scaliger), ont elles-m�mes �t� questionn�es par ses biographes ult�rieurs !

In Nostradamum (Poemata, Farrago, vol. 1, p.222)

Credula quid speras : quid spectas pendula verbis
Gallia, Iudaea quae blatit arte furor ?
Tot regum veterum spoliis, tot onusta recentum,
Hoc tua clara feres ludere sceptra scelus ?
Nonne vides linguam impuri nebulonis inanem ?
Huncne tuam pateris ludificare fidem ?
Vtrum futilius, pectusne nocentis Agyrtae,
An tu, quae toties falsa fovere potes ?
Quod si es tam facilis, nolis ut velle dolere :
Saltem non etiam posse dolare, dole.

Contre Nostradamus

Qu'esp�res-tu ? Qu'attends-tu ? Gaule cr�dule, suspendue aux paroles
Que d�bite un tel cingl� dans ses divagations juda�santes ?
Charg�e des d�pouilles de tant d'anciens et de nouveaux rois,
Permettras-tu que ce sc�l�rat se joue de ton illustre dynastie ?
Ne vois-tu pas la vacuit� du langage de cet impur faquin ?
Jusqu'� quand supporteras-tu qu'il se joue de ton cr�dit ?
Quel est le plus frivole ? L'esprit de ce nuisible bouffon,
Ou toi, qui tant de fois as le pouvoir de favoriser ses impostures ?
Si tu es si laxiste pour refuser de vouloir t'en plaindre [de Nostradamus] :
Alors d�plore au moins de ne pas pouvoir t'en d�faire [de ses impostures].

Au dernier vers, il faut lire dolare (d�grossir) plut�t que dolere. Brind'Amour (1993, p.86) qui patauge dans ces deux derniers vers, n'a apparemment pas compris le style elliptique de Scaliger : "Que si tu es si facile, que tu ne veuilles vouloir en souffrir, souffre au moins de ne pas m�me pouvoir en souffrir !" -- ce qui est incompr�hensible ! De m�me Boulenger (1933 ; r��d. 1943, p.126) : "Que si tu es trop faible pour ne pas vouloir te plaindre, plains-toi du moins de ne pas le pouvoir !" -- ce qui n'est gu�re meilleur -- ou encore r�cemment Francis "St�phanus" (in Lacoste, 2000, p.242) : "Puisque tu es si bien dispos�e � son �gard, puisses-tu ne pas vouloir le d�plorer : Du moins de ne pas pouvoir le d�plorer, d�plore-le." -- tout aussi obscur. On ne sera pas �tonn� de constater que les d�tracteurs modernes de Nostradamus -- et je pense d'abord aux r�cents singes de Brind'Amour qui se bornent � recopier ses bourdes et d�ficiences, plut�t qu'� Brind'Amour dont l'ouvrage utile est le fruit d'une r�elle recherche -- ont tout autant de mal � comprendre la langue de Nostradamus que le latin de ses contemporains ...

In Nostradamum (Poemata, Hipponax ab inferis, vol. 1, p.447)

Si Nostradamus, quid pudere sit, nescit :
Quod est paratum, nec reconditum, & praesens,
Quanam futura notione mentitur ?

Si Nostradamus ne sait pas ce que c'est que le ridicule : Alors m�me qu'il est pr�sent, visible, �vident [car il suffit de le regarder], Par quel moyen parviendra-t-il � faire illusion avec ses visions d'avenir ?

Une quatri�me �pigramme, adress�e � l'agenais Pierre Ruffus et figurant comme la pr�c�dente dans Hipponax, avait �chapp� � l'attention de Boulenger, de Brind'Amour, et � la mienne en mars 2008 : la voici restitu�e. Ma version a �t� �tablie gr�ce � l'aide pr�cieuse de Lucia Bellizia, latiniste et hell�niste d'Apot�lesma.

Ad Ruffum (Poemata, Hipponax ab inferis, vol. 1, p.431)

Ut Nostradamus veritatis eversor Tuto queat futura ficta mentiri : Se caelitus fervoris igne demissi Lymphatico furore dixit apprehendi. Quid sentiamus, docte Ruffe, quaerenti, Canam canenti Musa succinet verum. Non est Platonis execrandus infamis Engastrimuthus sternomantis Euryclae, Nisi a Tagete est institutus Ethrusco, Vel Brachmanum cratere, vel choro nudo. Non Zoroastris implet aura divini. Anus pronoe Stoici favet nulla : Non dat Themis responsa, quae dabat quondam. Non inde Python, qui secutus est illam. Non arciger Pythonis acer occisor. Non nympholeptos : Baccholeptus est nequam.

A Ruffus

Nostradamus, destructeur de v�rit�, Afin de tromper impun�ment avec ses fictions sur l'avenir, Pr�tend, dans son d�lire lymphatique, �tre guid� du ciel par l'effervescence d'une flamme exigu�. Ce que nous pensons, � docte Ruffus, � ceux qui le demandent, Je le chanterai : car � qui chante, la Muse r�pond en chantant la v�rit�. Il n'est pas l'ex�crable et tristement fameux Eurykles d'Ath�nes, gastromancien ventriloque, � moins que Tag�s l'�trusque n'ait �t� son ma�tre, Ni le brahmane avec son vase et qui danse sans v�tements. Il n'est pas anim� du souffle du divin Zoroastre, Et n'aide aucune vieille comme la Pronoe du Sto�cien. Th�mis ne lui prodigue pas les r�ponses qu'elle donnait parfois, Ni moins son compagnon Python qui la suivait. Il n'est pas le tueur cruel de Python, muni d'un arc, Ni n'est anim� du d�lire des nymphes : Mais seulement de fureur avin�e, sans valeur oraculaire.

On comprend, � la lecture des vers elliptiques de Scaliger, que Nostradamus ait pu reconna�tre en lui un ma�tre : "home scavant & docte, un second Marcile Ficin en philosophie Platonique (...) de qui je me tiens plus redevable, que de personnaige de ce monde" (Opuscule, �d. 1555, pp.12 et 219). Scaliger aura sans doute aid� son jeune coll�gue � se perfectionner dans les lettres grecques et latines, en m�decine et botanique, et m�me en astrologie (cf. l'anecdote rapport�e par Jacques Ducros (et signal�e par Michel Magnien en 1999), selon laquelle Scaliger aurait retard� l'accouchement de son fils Joseph Juste d'apr�s les configurations astrales, pr�disant "qu'il seroit un des premiers hommes de son Siecle" (in Reflexions singulieres sur l'ancienne coustume de la ville d'Agen, Agen, Jean Gayau, 1665, p.30. Ducros rapporte aussi une pr�diction, d'authenticit� douteuse, qu'aurait faite "Nostredamus" !). Les deux hommes �taient proches, mais le relais est parfois difficile � passer entre ma�tre et disciple. Les �pigrammes "in Nostradamum" ne trahissent que de la jalousie envers celui qui fut son jeune associ� dans les ann�es 30 et qu'il a sans doute initi� aux subtilit�s de la langue latine et � ses possibilit�s s�mantiques -- une langue propice aux jeux de mots et aux �nonc�s � double-sens, que le proven�al pratiquera avec pr�dilection. Mais Scaliger ne supporte pas qu'il lui ait vol� la vedette � la cour et que sa renomm�e ait surclass� la sienne. Hormis ce sentiment, les �pigrammes attestent au moins de la faveur de Nostradamus, et semblent donc avoir �t� �crits apr�s l'�t� 1555, date du voyage de Nostradamus � la cour.

Le m�decin agenais Joannes Bergius (Jean Verg�s), pr�facier des Exotericarum exercitationum ad H. Cardanum de Scaliger (1557), �voque dans une lettre � Nostradamus dat�e du 15 octobre 1563, le souvenir de leur ancien coll�gue et ami disparu (Dup�be, p.148 ; L�cureux, p.159). Brind'Amour en conclut que Nostradamus n'avait pas connaissance des �pigrammes de Scaliger, inconnues m�me de son entourage � cette date. C'est m�conna�tre les intentions de Nostradamus qui a pu inclure cette lettre dans sa correspondance choisie afin de contrebalancer l'effet des m�chants vers de son ancien ami ; c'est ignorer encore celles de Bergius qui a peut-�tre cherch� � r�concilier le proven�al avec le souvenir de leur ami d�c�d� ; c'est surtout se m�prendre sur le temp�rament de Scaliger que d'imaginer qu'il puisse les avoir gard�es sous le boisseau jusqu'� sa mort sans avoir cherch� � les communiquer.

Et apparemment, �a lui aurait fait mal � Pierre Brind'Amour, de seulement envisager un instant que Nostradamus ait pu �prouver un sentiment mitig�, m�l� d'empathie pour son ancien ami, d'int�grit� vis-�-vis de lui-m�me et de sa conscience, mais aussi de l�gitime col�re � la lecture de ces (brillantes) insanit�s, �crites sous l'emprise du ressentiment.

La lettre de Bergius mentionne encore un ancien ami commun aux trois hommes : le notable Pierre Daur�e, dont Scaliger fut l'accoucheur des jumeaux de sa femme en f�vrier 1535 et le parrain de son fils Jules en juillet 1538 (cf. supra). Daur�e tenait un journal familial dans lequel figure la description suivante : "L'an mil cinq cens trente sept et le vingt sixiesme de Mars, Agen tempesta et gresla sy tres fort qu'il tumba de pierre aussi grosse que eufz de poulles et grand quantite, et porta grand domage aux vitres d'esglises et maisons." (�d. Tholin, 1880, p.114). Il se pourrait que ce journal ait �t� connu de Nostradamus � cette date, et qu'il s'en soit inspir� dans le quatri�me vers du quatrain X 67 de ses Proph�ties: "Tombera gresse lors plus grosse qu'un oeuf." (�d. Rigaud, X, c. 1568 ; "gresle" et "euf" dans les �ditions B et C, c. 1572-1574 : cf. CN 40 et**CN 83**).

Dans un passage des Pr�sages merveilleux pour l'an 1557, c'est � son ancien coll�gue et ami qu'il semble s'adresser en ces termes -- autrement � qui d'autre ? : "l'un que je congnois ne parlera jamais, je suis desplaisant de l'inconvenient qui luy adviendra avant le bout de l'ann�e." (f.G2r ; cf. CN 42). La sentence renseigne sur le sentiment ambivalent de Nostradamus envers son ancien ami, d�vor� par la jalousie. Et si l'identification est exacte, les �pigrammes de Scaliger qui dateraient alors de la fin de l'ann�e 1555 ou des premiers mois de l'ann�e suivante, feraient de l'italien le premier d�tracteur de Nostradamus, avant m�me les pseudo Proph�ties d'un Antoine Couillard (cf. CN 49).

A la m�me page des Pr�sages merveilleux pour l'an 1557, pr�c�dant les lignes mentionn�es qui semblent d�signer Scaliger, Nostradamus qualifie ainsi ses calomniateurs : "un tas de bestes brutes ignorantes qui ce meslent de vouloir ensuivre mon umbre, & par calumnie ne cessent de mesdire sed cum talibus ingenis luctari non est animus. ["Contre de tels g�nies, lutter ne rel�ve pas de l'esprit !"] Dient ce que leur semblera : cela principal ou l'on prent la doctrine ne scauroit entrer nullement dans leurs cerveaux abestis, ebetez, & privez de toute congnoissance Mathematique, ce sont les ignorans qui occultement me font guerre." (cf. "Les trois calomniateurs de Nostradamus" in CN 76).

La citation latine contiendrait une erreur typographique : "cum talibus ingenis" pour "cum talibusingeniis", ablatif pluriel. Pour signifier "des esprits faibles, d�licats de nature", il faudrait ingenuis, non ingenis. Mais Nostradamus aime changer ses citations latines, voire les d�tourner de leur sens initial, comme dans la premi�re �p�tre � ses Proph�ties. S'agirait-il d'un n�ologisme latin pour d�signer la na�vet� de ses adversaires, ingenus(l'ing�nu), un terme qui ne prend v�ritablement ce sens en fran�ais qu'� la fin du XVIe si�cle ? Ce qu'il faudrait lire par cons�quent : "Contre de tels ing�nus � qui il manque quelque chose pour parvenir � l'esprit, lutter n'a pas de sens ! "

La sentence latine correctement d�clin�e est utilis�e par �rasme dans une lettre � Petrus Merbelius et Giambattista Laurentia, dat�e de Fribourg, du 18 mars 1535. Elle r�pond � la premi�re oraison que Scaliger a �crite contre �rasme en 1531, et lui est adress�e par copie : "A Monsieur Scaliger demeurant � Agen". Elle provoquera une seconde oraison de Scaliger (1537) et une troisi�me inachev�e, dont il ne subsiste que quelques fragments.

En pages 7 et 8 de sa seconde oraison, Scaliger reproduit la lettre d'�rasme, que Nostradamus, initi� aux subtilit�s de la langue latine par Scaliger pr�cis�ment, ne pouvait ignorer. Nostradamus aura m�me lu avec Scaliger la lettre re�ue � Agen, et partag� ses col�res envers le ma�tre de Rotterdam. Pourquoi Nostradamus reprend-il la formule m�prisante d'�rasme envers son ancien ma�tre et ami, si ce n'est pour se venger des quatre m�chantes mais subtiles �pigrammes qu'il venait d'�crire ? Scaliger lui aura fait parvenir ses vers sur le champ avant la fin de l'ann�e 1555, comme �rasme l'avait fait vingt ans plus t�t. Cette solution confirmerait ma pr�c�dente analyse, et explique la relative indulgence de Nostradamus dans la suite de sa d�claration : la simple r�p�tition de la formule de l'adversaire de Scaliger devait �tre en soi une vengeance jug�e bien suffisante, d'autant plus qu'il n'acquies�ait probablement pas au jugement de l'humaniste hollandais (Cf.l'�dition en ligne de la biblioth�que universitaire de Toulouse : Julius Caesar Scaliger, Adversus Desiderium Erasmum Orationes Duae, eloquentiae Romanae vindices, Toulouse, Raymond Colomiez, 1620-1621, second discours, p.8 ; et la traduction fran�aise : Oratio pro. M. Tullio Cicerone contra Des. Erasmum (1531). Adversus Des. Erasmi Roterod. Dialogum ciceronianum Oratio secunda (1537), �d.-trad. Michel Magnien, Travaux d'Humanisme et Renaissance 329, Gen�ve, Droz, 1999, p.320.)

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Patrice Guinard: Les quatre �pigrammes de Julius Caesar Scaliger contre Nostradamus (c. 1555)
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30-03-2008 ; updated 12-05-2018
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