Le Rozier des Guerres (original) (raw)

Jeanne d'Arc, son costume, son armure : essai de reconstitution
Adrien Harmand
Paris, Editions Leroux, 1929

.: Pr�face | La chemise | Le chaperon | Le gippon | Les chausses :.

Le gippon

Dans l'�num�ration des habits fournis � Jeanne d'Arc par les habitants de Vaucouleurs, l'acte d'accusation mentionne un gippon. Il est �galement question de ce v�tement de la Pucelle dans la d�position de Jean de Metz. Enfin la Chronique de Gouinot et le Journal d'un bourgeois de Paris n'ont garde d'omettre cette partie importante de l'accoutrement masculin au moyen �ge lorsqu'ils d�taillent le costume de notre h�ro�ne.

Le gippon, appel� aussi jupe, jupel, jupon, se nommait encore doublet parce qu'il se faisait d'�toffes mises en double, ou bien pourpoint, qualificatif qui signifiait piqu�, pour la raison qu'il �tait rembourr� d'un capiton de coton et de bourre de soie, maintenu par des pointures. Il se trouvait �tre le premier v�tement qu'on mettait sur la chemise, correspondant ainsi � notre gilet, avec cette diff�rence qu'il devint, � partir du quatorzi�me si�cle, beaucoup plus n�cessaire, puisque, tenant lieu de bretelles, il soutint les chausses qui s'y attach�rent, d'abord au moyen de cordons cousus int�rieurement � sa doublure, et plus tard � l'aide de cordelettes de soie ou de minces lani�res de cuir ind�pendantes, ferr�es d'aiguillettes, pass�es dans les oeillets des chausses en m�me temps que dans d'autres oeillets pratiqu�s dans le gippon.

Il y eut cependant des pourpoints qu'on rev�tait par dessus le harnais de guerre. On appela ces cottes d'armes, jupeaus d'armer, ou doubl�s � armer, par opposition aux gippons du costume civil, qu'on nomma jupeaus de vestir, ou doubl�s � vestir.

Le gambeson, port� sous le haubert de mailles dont il �tait le compl�ment indispensable, rentrait dans la cat�gorie des gippons.

Lorsque, vers 1340, apparut la mode des habits courts, le doublet � vestir, qui jusque-l� s'�tait toujours trouv� cach� sous le surcot, ne tarda pas � prendre parfois la place de celui-ci. D�s lors, devenant visible, il fut souvent confectionn� en de riches �toffes. Il alla m�me � partir de la fin du si�cle, jusqu'� s'agr�menter des manches extravagantes d'ampleur qu'on donnait alors aux houppelandes. En m�me temps, l'ancienne appellation de pourpoint et celles plus r�centes de jaque et de jaquette pr�valurent pour le d�signer sur les d�nominations de doublet et de gippon qui nous semblent avoir �t� plut�t r�serv�es aux pourpoints de dessous. Mais, comme l'a fait judicieusement remarquer L�on de Laborde, le moyen �ge n'�tait pas celui de la pr�cision dans les termes et l'on, nomma quelquefois gippon le pourpoint de velours ou de satin port� � d�couvert, tandis qu'on appelait pourpoint et m�me jaquette le simple gippon de dessous en drap, en futaine ou en toile. Quant � l'expression de doublet, elle ne fut plus gu�re employ�e au quinzi�me si�cle que pour d�nommer une couverture de lit rembourr�e et contrepoint�e.

Du temps de Jeanne d'Arc, le pourpoint ne se porte pas en �vidence. Comme plus anciennement, il est redevenu v�tement de dessous, recouvert par la robe, qui n'en laisse apercevoir que le collet droit et montant dont il se trouve presque toujours muni depuis 1415.

A partir de cette date, en effet, le pourpoint de parement, rev�tu en guise de robe, devient extr�mement rare. Seuls quelques �l�gants semblent en avoir parfois us� dans le but de se distinguer par l'originalit� de leur mise.

Il arriva cependant que de riches pourpoints furent recouverts, � la mode italienne, par des sortes de chasubles, appel�es huques, qui en laissaient voir les manches dans leur entier. Apr�s 1450, des pourpoints �galement luxueux furent masqu�s en partie par un court mantel.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

Revenons au gippon rev�tu sous la robe, le seul couramment usit� au temps de notre h�ro�ne. Fa�on de gilet � manches descendant jusqu'aux cuisses, serr� � la taille, collant aux hanches et accusant la poitrine que faisait bomber un copieux capitonnage, il moulait exactement le buste et le bassin, et un simple patron de ce v�tement suffisait � un armurier pour confectionner une cotte de plates � la mesure de son possesseur. La figure 1, provenant d'un manuscrit enlumin� vers 1440 repr�sente un personnage que des malfaiteurs sont en train de d�pouiller de ses habits. La robe enlev�e laisse appara�tre le gippon ou pourpoint. Un morceau de chemise sort des chausses incompl�tement attach�es par derri�re.

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Le corps du gippon �tait ordinairement � quatre quartiers, c'est-�-dire taill� en quatre pi�ces longitudinales, deux pour le devant, autant pour le dos, assembl�es par trois coutures, une post�rieure et deux lat�rales, ces derni�res interrompues par les entournures des manches, comme le montre la figure 2. Au quinzi�me si�cle, chacun de ces quartiers se trouvait lui-m�me form� de deux parties r�unies � la taille par une couture. Le v�tement �tait dit alors fait � deux fois. Le gippon se la�ait par devant du haut en bas, soit d'une fa�on continue (fig. 1), soit partiellement (fig. 2 et 9). Il avait �t� d'abord boutonn�, quelquefois agraf�, ensuite tant�t lac�, tant�t boutonn�, et finalement beaucoup plus souvent lac� que boutonn�. A l'�poque de Jeanne d'Arc notamment, les boutons semblent avoir �t� presque compl�tement abandonn�s pour la fermeture des corps de pourpoints. Ils reprendront quelque faveur dans la suite.

L'homme engipponn� que nous met sous les yeux le fragment de miniature repr�sent� dans la figure 2 est un ex�cuteur des hautes oeuvres dans l'exercice de ses fonctions. Comme la plupart des personnages en action de travail physique, rencontr�s dans l'iconographie, ou cit�s dans les textes des quinzi�me et seizi�me si�cles les bourreaux s'y montrent le plus ordinairement en gippon, ayant enlev� leur robe, autant pour lui �viter de sanglantes maculatures qu'afin d'�tre plus � l'aise dans leur sinistre besogne.

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Les anciens pourpoints du quatorzi�me si�cle s'�taient trouv�s pourvus d'�troites manches assez collantes pour n�cessiter le long de l'avant-bras une ouverture boutonn�e allant parfois jusqu'au del� du coude. Les manches �taient devenues ensuite d'une certaine largeur � l'arri�re-bras, tout en restant justes � l'avant-bras. Il y avait eu aussi des gippons dont les manches, amples de l'�paule au-dessous du coude, se fron�aient sur de longs poignets collants et boutonn�s, Mais du temps de Jeanne d'Arc, toutes ces manches avaient �t� successivement abandonn�es pour celles du type repr�sent� dans notre figure 2, qu'on rencontre d'ailleurs d�s les premi�res ann�es du quinzi�me si�cle. Mod�r�ment larges � l'arri�re-bras, plus �troites � l'avant-bras, les manches de ce genre n'�taient plus ferm�es aux poignets qu'au moyen de quelques boutons, comme l'indique la figure 3, fragment d'un tableau du Mus�e du Louvre d'environ 1430, ou encore d'un lacet, ainsi qu'on peut le voir dans le portrait d'homme de van Eyck que poss�de le Mus�e de Leipzig. Seuls, la plupart des pourpoints italiens continu�rent pendant longtemps � �tre munis de manches compos�es de deux parties bien distinctes, l'arri�re-bras, large et fronc� du haut en bas, s'arr�tant au-dessus et pr�s du coude sur un avant-bras collant, boutonn� ou lac�. Ces gippons italiens apparurent en France vers 1450. Ajoutons enfin, pour compl�ter cet aper�u des manches de pourpoints aux quatorzi�me et quinzi�me si�cles, que, vers 1431, quelques-unes d'entre elles redevinrent �troites dans toute leur longueur. Des r�f�rences de 1432 et des ann�es ult�rieures en t�moignent. Ce fut seulement apr�s 1450 qu'on inventa les maho�tres, rembourrages sph�riques dont on imagina de garnir les �paules des manches collantes de certains gippons. Les deux lutteurs repr�sent�s par la figure 4, sont rev�tus de pourpoints � maho�tres. Ces appendices, inconnus en 1430, quoi qu'on en ait dit, avaient pour cons�quence d'exag�rer la largeur des �paules outre mesure lorsqu'ils �taient recouverts des manches de la robe, d�j� plus ou moins fronc�es en saillie dans le haut de leurs entournures depuis 1445.

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Apr�s 1415, l'encolure de la plupart des gippons se trouva pourvue d'un col montant, rendu rigide par sa doublure et ses piq�res, appel� collet par les textes contemporains.

A l'encontre de beaucoup de particularit�s du costume qui peuvent faire remonter leur origine dans la nuit des temps, le col est d'invention relativement r�cente. L'antiquit� et les premiers si�cles du moyen �ge ont ignor� ce d�tail de l'habillement. Les tuniques, les bliauds, les anciens doublets, si l'on en excepte quelques gambesons port�s sous le haubert ne l'ont pas connu. Une image d'environ 1285 nous montre trois personnages dont les cous sont entour�s de cols montants et rigides qui paraissent adapt�s aux surcots plut�t qu'aux cottes de dessous. C'est croyons- nous la plus ancienne manifestation du col dans l'iconographie m�di�vale. Elle semble avoir �t� exceptionnelle et de courte dur�e, car ensuite les miniatures ne nous font plus voir de cols adapt�s aux v�tements civils avant les derni�res ann�es du r�gne de Charles V. Ce que les statuts des doubletiers de 1323 d�signent du nom de collet n'�tait sans doute que l'encolure du doublet, puisque, en dehors du document cl� la fin du treizi�me si�cle pr�cit�, les images nous montrent cottes et surcots constamment d�collet�s avant 1370. A cette derni�re date, des pourpoints se trouvent surmont�s d'une sorte de col de hauteur mod�r�e. Vingt ans plus tard, de vrais cols montants, d�nomm�s collets ou gorgerettes, brod�s d'argent de Chypre, en mani�re de mailles dehaubergeon, ou encore garnis de v�ritables mailles d'acier, sont adapt�s � certains gippons. Parfois m�me tout un haubergeon, intercal� dans la matelassure du pourpoint en renforce singuli�rement le capiton, et c'est, � notre avis, la coutume, prudente alors, de porter la cotte de mailles sous l'habit civil qui donna l'id�e d'en adopter simplement la gorgerette. La maille dont le collet, seule partie visible du pourpoint recouvert de la robe, �tait rev�tu, pouvait faire croire � la pr�sence d'un haubergeon dans le corps du v�tement et d�concerter des adversaires anim�s d'intentions homicides.

Alors qu'un motif de d�fense fut peut-�tre l'origine cl�s premiers cols apparus aux encolures de quelques gippons, il nous semble probable que l'existence de ces appendices sur la plupart des robes � la m�me �poque r�sulta d'une raison de confort n�cessit�e par une importante �volution de la mode.

Le long r�gne du chaperon port� en gorge par toutes les classes de la soci�t� d�s le temps de Philippe de Valois, en accoutumant les cous � une chaude enveloppe, les avait rendus sensibles aux rigueurs de la temp�rature, et lorsque, vers 1380, les �l�gants renonc�rent � s'engoncer dans la visagi�re du chaperon, l'hygi�ne leur prescrivit de remplacer cette sorte d'�pais faux-col par des collets montants plus ou moins ferm�s, afin de prot�ger des organes depuis longtemps d�shabitu�s du contact des intemp�ries.

Ces collets, pr�servateurs du froid, commenc�rent par �tre adapt�s � quelques pourpoints, comme l'�taient les gorgerettes de mailles r�elles ou figur�es. On en munit 'ensuite les robes. Avec les houppelandes, ils atteignirent des hauteurs excessives. Serr�s au col, o� ils se trouvaient lac�s on boutonn�s, �vas�s du haut en fa�on de goulots de carafe, ils montaient par devant jusqu'au menton, de c�t� jusqu'aux oreilles, et par derri�re encore davantage, encadrant les joues de la fourrure dont ils �taient le plus souvent garnis. Leur grande vogue dura de 1390 � 1410 environ, mais ils subsist�rent exceptionnellement longtemps apr�s cette derni�re date. On en vit des exemples vers 1420, 1430, 1440, et m�me plus tard.

Apr�s 1420, la plupart des collets, dociles aux caprices de la mode, ont pass� de l'encolure des robes � celle des gippons jusque-l� ordinairement d�coll�t�s, et � l'�poque de la mission de Jeanne d'Arc, la g�n�ralit� des pourpoints se trouvent surmont�s de collets montants alors que les robes en sont rarement pourvues. Nous croyons donc pouvoir affirmer que le gippon de Vaucouleurs se compl�tait du col montant et rigide que poss�daient en France, en Angleterre et en pays bourguignon, tous les gippons contemporains. Il n'en �tait pas de m�me en Flandre allemande, en Allemagne et en Italie, o� beaucoup de pourpoints rest�rent encore longtemps d�collet�s, ainsi d'ailleurs que les robes en usage dans les m�mes r�gions.

Les textes mentionnent d�s 1393, et principalement vers 1415, des collets. assis. Il nous semble reconna�tre ces collets assis dans ceux que les miniatures repr�sentent prolongeant en pointe leur base post�rieure de mani�re � rappeler les capuchons plaqu�s sur le dos des chaperons mis en gorge, couramment port�s au quatorzi�me si�cle. Ce genre de col n'est d'abord adapt� qu'aux houppelandes. En 1416, on en garnit �galement quelques pourpoints. Au temps de Jeanne d'Arc, tous les gippons en sont munis, et cette mode qui persista jusqu'au si�cle suivant est devenue tellement g�n�rale, d'apr�s les documents iconographiques, que la mention de collet assis a disparu des comptes et des inventaires. Le col � base post�rieure horizontale, comme sont les n�tres, tr�s usit� avant 1415, semble ne plus subsister ensuite qu'exceptionnellement pour les pourpoints. Nous pouvons en conclure que le collet du gippon fourni � la Pucelle par les habitants de Vaucouleurs devait �tre le collet assis, c'est-�-dire � empi�cement post�rieur angulaire venant s'amortir dans la couture m�diane r�unissant les deux quartiers du dos, ainsi que le font comprendre la figure 4 du pr�sent chapitre et les figures 1 et 7 du suivant.

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Les cols de pourpoints n'�taient pas sans analogie avec nos faux-cols droits modernes. Saillant comme ceux-ci hors de l'encolure plus basse du v�tement ext�rieur, ils se trouvaient comme eux influenc�s par les variations de la mode. De m�me que pour nos cols de chemise, diff�rentes formes coexistaient. Dans l'imagerie contemporaine de la Pucelle, ces collets sont toujours repr�sent�s montants et maintenus plus ou moins rigides selon l'�paisseur de leur doublure et la consistance de l'�toffe dont ils �taient confectionn�s. Un syst�me de piq�res, souvent apparentes, en augmentait la rigidit�. Leur ouverture, ferm�e � la base par le lacet du pourpoint, allait en s'�vasant plus ou moins vers le haut, de telle sorte que leurs coins sup�rieurs, � angles l�g�rement obtus, se trouvaient �cart�s l'un de l'autre d'un � quelques centim�tres, laissant apercevoir le col dont parfois la chemise �tait pourvue. Suivant le go�t et la conformation de chacun, ils �taient de hauteurs vari�es. Tant�t d'une �l�vation outr�e, comme le montre la figure 5, tant�t tr�s bas, au point d'�tre cach�s par la fourrure qui garnissait l'encolure de la plupart des robes, comme dans certains portraits de van Eyck, on les rencontre le plus souvent de hauteur moyenne dans d'autres oeuvres du m�me peintre, ainsi que sur les enluminures des manuscrits de la m�me �poque. Le col, d'une tr�s grande �l�vation, repr�sent� par la figure 5, se trouve garni du haut en bas de plusieurs lignes de piq�res horizontales et parall�les qu'on retrouve assez fr�quemment dans des cols contemporains de dimension moins exag�r�e. Plus tard, des pourpoints se verront surmont�s de hauts cols � piq�res verticales recouvertes de galons, ordinairement noirs, d'un effet tr�s caract�ristique.

Le Rozier des Guerres 1461-1483 Le Rozier des Guerres 1461-1483

Un portrait d'inconnu, d� au pinceau de van Eyck, que poss�de le Mus�e de Berlin, (fig. 6) nous fait voir un collet de pourpoint dont la hauteur tr�s r�duite, contraste avec celle du col montr� dans l'exemple pr�c�dent. Quelques cols bas se trouvaient . compl�tement clos par 'devant en fa�on de carcans. D'autres cols, se la�aient (fig. 7), ou se boutonnaient.

Tous ces collets de pourpoints, bien que de dimensions diff�rentes, �taient sensiblement de m�me coupe. Tous pr�sentaient des coins taill�s � angles l�g�rement obtus. D'autres cols cependant qui n'eurent leur pleine vogue qu'aux environs de 1450, commen�aient � faire leur apparition. Les coins de ces derniers �taient, non plus angulaires, mais arrondis au point de devenir inexistants, comme le montre la figure 8, provenant du Br�viaire de Salisbury. Le duc de Bedford qui � estoit sanghin, cras et remplet �, semble avoir affectionn�, sans doute en raison de son double menton, cette mode toute nouvelle au temps de Jeanne d'Arc.

On peut donc classer les cols de gippons de cette �poque en deux cat�gories.

La premi�re, celle des cols � coins angulaires, repr�sent�e par nos figures 5, 6 et 7, se trouvait la plus r�pandue. La plupart des personnages du Br�viaire de Salisbury sont rev�tus de pourpoints munis de collets ainsi fa�onn�s. Semblable particularit� se rencontre dans l'oeuvre de Jean van Eyck, comme d'ailleurs dans toute l'imagerie contemporaine. C'est un de ces cols � coins angulaires qui garnit le pourpoint du duc Philippe le Bon dans le tableau de la chasse au vol du Mus�e de Versailles, vers 1443. Cette mani�re de collet dura jusqu'en 1450. On en d�couvre encore exceptionnellement quelques exemples en 1456, et m�me plus tard.

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La seconde cat�gorie, celle des cols � coins amortis (fig. 8), peu usit�e en 1430, sera au contraire d'un emploi presque exclusif � partir de 1450, o� beaucoup de robes auront repris les cols dont elles avaient �t� g�n�ralement priv�es depuis trente ans. Apr�s 1455, les collets � coins amortis se porteront durant vingt ann�es tr�s ouverts, laissant voir largement l'encolure de la chemise.

Les miniatures ne nous montrent que fort rarement les gippons d�pourvus de collets dans le second quart du quinzi�me si�cle. En dehors de l'Italie et des pays de langue germanique, ces pourpoints d�collet�s, � l'ancienne mode, ne semblent plus avoir �t� en usage que dans la basse classe et chez les gens de petit �tat.

Un titre de la Chambre des comptes, cit� par du Cange, nous apprend qu'il existait en 1448 des pourpoints � la fois sans col et sans manches que les francs-archers rev�taient sous un jaque �pais de vingt-cinq � trente toiles renforc�es d'un cuir de cerf. Ces pourpoints, sans doute peu �toff�s, n'avaient que deux toiles d'�paisseur et servaient simplement � attacher les chausses. Il est probable que leur invention n'�tait pas r�cente et nous croyons bien les reconna�tre dans les .12 petiz .jupons de fustenne � atachier d�livr�s aux douze pages du comte de Nevers en 1390, d'apr�s un texte des Archives de la C�te d'Or.

La toile, le drap, et surtout la futaine, �taient employ�s � la confection des pourpoints de qualit� ordinaire. Il y eut de ces v�tements en cuir. Les pourpoints de damas, de satin, de velours, furent r�serv�s au costume habill�. Analogues � certains de nos gilets modernes, d'�toffe plus fantaisiste que celle de l'habit ou de la jaquette qui les accompagne, de riches pourpoints se trouvaient souvent recouverts par des robes de simple drap de laine.

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Une ouverture pratiqu�e sur le devant de quelques manches de robes permettait aux bras d'en sortir et de montrer ainsi les manches du gippon, le corps seul de ce dernier v�tement demeurant cach� par la robe. C'est pourquoi l'on fit des gippons de toile ou de futaine dont le collet et les manches se taillaient dans des tissus plus recherches. Ces manches n'�taient souvent rapport�es que du poignet au-dessus du coude, d'apr�s des miniatures d'environ 1430 (fig. 9) et 1460.

Il est bon de faire remarquer ici que les manches des pourpoints, lorsqu'elles �taient �troites dans toute leur longueur, ne se trouvaient pas faites alors au moyen de deux coutures longitudinales, � la fa�on de nos manches modernes. La couture post�rieure seule existait. On taillait s�par�ment l'arri�re-bras et l'avant-bras, r�unis ensuite par une couture horizontale un peu au-dessus du coude, comme le montrera le patron de la manche du pourpoint de Charles de Blois, repr�sent� plus loin (fig. 14). Cette disposition favorisait la confection de la manche en deux �toffes diff�rentes.

Des statuts, r�dig�s en 1400 pour les tailleurs de la ville de Troyes, �tablissent que les jaques de futaine, faite � une fois, c'est-�-dire sans couture � la taille, se doubleront de deux toiles, tandis que trois toiles seront exig�es pour les m�mes jaques, lorsqu'ils seront faits � deux fois. En 1416, trois fines toiles constituent la doublure de pourpoints de futaine et de satin, destin�s au comte de Charolais. En 1432, ce prince, duc de Bourgogne depuis 1419, porte ce genre de v�tement, doubl� de trois, cinq et six toiles. La doublure de six toiles d'un de ses pourpoints est m�me renforc�e d'un cuir entre deux. On employait en g�n�ral d'autant plus de toiles dans la garniture des pourpoints que leur �toffe ext�rieure �tait plus mince. Alors que trois toiles suffisaient pour la futaine, il en fallait quatre pour le boucassin et cinq pour la soie. La toile qui se trouvait imm�diatement en contact avec l'�toffe ext�rieure s'appelait contre-endroit. Celle qui recouvrait toutes les autres et restait visible � l'int�rieur du v�tement se nommait contre-envers. Un minimum de deux toiles, contre-envers et contre-endroit, �tait exig� pour la matelassure. Du faux du corps en aval, c'est-�-dire depuis la taille jusqu'en bas, le pourpoint n'�tait jamais doubl� que de deux toiles. Le drap �tait parfois employ� � doubler, sans doute par dessus la toile, les pourpoints des gens de qualit�.

En 1323, � Paris, le doublet de bourre pouvait avoir au del� de cinq huiti�mes d'aune de long, soit environ 0m 72, dimension qu'il n'atteignit m�me plus, en tant que v�tement de dessous, apr�s l'invention des habits courts vers 1340.

Ne d�passant gu�re la naissance des cuisses, le gippon du quinzi�me si�cle �tait perc� dans son pourtour inf�rieur, � quelques centim�tres du bord, de plusieurs paires d'oeillets destin�s � recevoir les aiguillettes des chausses. Ses coutures lat�rales et post�rieure s'arr�taient souvent au-dessus ou au niveau de la ligne des oeillets, comme on le voit sur nos figures 2 et 9, ce qui faisait finir le gippon en courtes basques qu'on soulevait pour introduire les aiguillettes des chausses plus ais�ment dans les oeillets du gippon. Les aiguillettes se trouvaient d'autant plus nombreuses qu'on tenait � avoir des chausses collantes et bien tir�es. Par contre, les chausses des gens du peuple n'�taient attach�s � leurs pourpoints que par un nombre d'aiguillettes r�duit au strict n�cessaire. Quantit� de Monuments, miniatures et tapisseries, repr�sentant des ouvriers enmple doublure de toile et garnie d"oeillets dans toute sa longueur, recouvre ainsi une partie �quivalente de la matelassure sans y adh�rer. Cet agencement nous a �t� r�v�l� par l'examen que nous avons pu faire une cotte d'armes pourpoints conserv�e au Mus�e de Chartres, provenant d'un harnais de guerre ex�cut� pour Charles V vers sa quinzi�me ann�e, et datant vraisemblablement, au plus t�t de 1350, au plus tard de 1353

Bien qu'ant�rieure de pr�s de quatre-vingts ans � l'�poque qui nous int�resse sp�cialement, cette cotte pourpoints ne nous en fournit pas moins de tr�s pr�cieux renseignements sur le travail des pourpointiers au moyen-�ge. Il est d'ailleurs naturel de penser que les changements de mode atteignaient, comme de nos jours, plut�t l'aspect superficiel des v�tements que leur contexture int�rieure et que par cons�quent les dispositions essentielles des matelassures, piq�res, la�ures et boutonnures des pourpoints n'ont pas d� varier du quatorzi�me au quinzi�me si�cle. Par exemple, la cotte de Chartres, du temps du roi Jean, est boutonn�e, tandis que les gippons de l'�poque de Jeanne d'Arc sont g�n�ralement lac�s, il n'en est pas moins vrai que la fa�on dont la matelassure �tait organis�e � l'endroit de la fermeture du v�tement devait se trouver la m�me avec une la�ure qu'avec des boutons. La seule diff�rence consistait dans le plus ou moins de largeur des bandes de fermeture, selon qu'on y pratiquait oeillets ou boutonni�res, celles-ci demandant plus de place que ceux-l�. Alors qu'une bande de vingt millim�tres de largeur est suffisante pour la la�ure de notre pourpoint, celui de Chartres en exige une de cinquante pour ses. boutonni�res. Quant aux paires d'oeillets qu'� partir d'environ 1395 on disposa sur le pourtour du bas des pourpoints l'effet d'y recevoir les aiguillettes des chausses, elles �taient confectionn�es dans toute l'�paisseur du v�tements matelassure comprise. La faible couche de bourre ou de coton qui constituait le capitonnage des parties inf�rieures des gippons permettait cette op�ration.

Pendant tout le quinzi�me si�cle, le nombre de ces paires d'oeillets varia de deux � onze. Il parait avoir �t� le plus souvent de neuf, ainsi r�parties, deux paires sur le devant, trois de chaque c�t�, et une par derri�re, au bas de la couture du dos, comme le montre la figure 11.

Quelquefois les trois paires d'oeillets dispos�es sur chacun des c�t�s du gippon se trouvaient remplac�es par une rang�e de dix oeillets, rapproch�s � �gale distance les uns des autres, ce qui permettait de changer � volont� la place des trois aiguillettes d'attache des chausses sur les c�t�s. On peut remarquer cette particularit� sur le pourpoint du charpentier repr�sent� plus haut (fig. 10) ainsi que sur celui d'un bourreau dans la tapisserie de l'empereur Trajan, d'environ 1450, conserv�e au Mus�e historique de Berne.

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Il arrivait aussi que les gippons fussent priv�s de la paire d'oeillets situ�s au bas de la couture du dos.

Mentionnons enfin, d'apr�s l'iconographie du quinzi�me si�cle, quelques pour- points ne portant pas trace d'oeillets sur leur pourtour inf�rieur, soit qu'ils recouvrissent d'autres pourpoints sous-jacents destin�s � retenir les chausses, soit qu'ils fussent garnis int�rieurement de plusieurs paires de cordons d'attache cousues � leur doublure, selon l'usage du si�cle pr�c�dent.

D'apr�s les monuments contemporains, l'espacement des piq�res parait avoir �t� constamment de trente-cinq millim�tres environ, mesure qu'on trouve � la fois dans le pourpoint de Chartres et dans d'autres cit�s plus loin. Le taffetas rouge damass�, qui constitue l'�toffe ext�rieure de la cotte d'armes du dauphin Charles, est piqu� avec la matelassure, de sorte que les piq�res sont apparentes au dehors comme au dedans. Cette disposition semble avoir �t� g�n�rale pour les pourpoints � armer, C'est-�-dire ceux qu'on rev�tait par dessous l'armure. Les piq�res de ces cottes pourpointes sont le plus souvent verticales. Vers 1410, on en voit dont le corps est piqu� obliquement sur chaque quartier de la poitrine et du dos, de fa�on � figurer des chevrons renvers�s, tandis que le dessous ou braconni�re, que nous appellerions aujourd'hui la jupe, est piqu� soit verticalement, soit horizontalement. Plus rares sont les pourpoints d'armes enti�rement garnis, corps et dessous, de piq�res horizontales. Une tapisserie de la seconde moiti� du quatorzi�me si�cle, conserv�e dans la cath�drale d'Angers, nous montre un gippon dont le corps et les manches sont piqu�s verticalement alors que la braconni�re l'est horizontalement.

Les piq�res des manches de cottes d'armes paraissent avoir �t�, comme celles des corps, plus souvent verticales qu'horizontales.

Beaucoup de pourpoints civils avaient eu �galement leurs piq�res apparentes, horizontales ou verticales, mais il arriva fr�quemment, dans le premier tiers du quinzi�me si�cle, que la braconni�re seule f�t piqu�e de fa�on apparente au dehors comme au dedans, et alors horizontalement. Toujours est-il que, du temps de Jeanne d'Arc, d'apr�s les monuments iconographiques, non seulement les piq�res des corps des gippons civils se trouvent invisibles ext�rieurement, mais encore, sauf de rares exceptions, celles de leur partie inf�rieure. La garniture interne seule est piqu�e. Ce sera le cas du gippon dont nous donnons le patron (fig. 11).

Le Rozier des Guerres 1461-1483

Il nous reste � parler de la fermeture de la manche de ce dernier v�tements Cette manche, assez large � l'arri�re bras et au coude, se r�tr�cit vers le poignet, au point qu'une fente est n�cessaire pour y passer la main. On fermait cette fente, soit avec un lacet, soit avec deux ou trois boutons. Il est bon de faire remarquer qu'anciennement les deux bords d'une fente de manche, destin�e � �tre boutonn�e, ne se superposaient pas toujours, comme dans nos v�tements modernes. Le plus souvent, ils se juxtaposaient simplement. D'un c�t� de la fente, les boutonni�res �taient pratiqu�es tr�s pr�s du bord, de l'autre, les boutons, � queues assez longues, se trouvaient cousus sur le bord m�me. Il en r�sultait entre les points d'attache, lorsque ceux-ci �taient suffisamment espac�s les uns des autres, un �cartement des deux bords qui permettait d'apercevoir la manche de la chemise.

Tel �tait le genre de pourpoint le plus usit� � l'�poque de notre h�ro�ne. On l'appelait, comme nous l'avons dit plus haut, le pourpoint de quatre quartiers.

Les textes et les images des quatorzi�me et quinzi�me si�cles nous r�v�lent l'existence d'une autre sorte de pourpoint, plus rarement employ�, par suite sans doute de la complication de sa coupe, mais qui n'en eut pas moins une certaine vogue en m�me temps qu'une tr�s longue dur�e. Nous voulons parler du pourpoint � grandes assiettes, qu'on oppose, dans quelques anciens comptes, au pourpoint de quatre quartiers.

Le Rozier des Guerres 1461-1483

On donnait le nom d'assiette � l'entournure de la manche. La mode des habits collants, amen�e � ces derni�res limites, devait provoquer la cr�ation d'un pourpoint d'o� serait bannie toute couture formant ligne de d�marcation entre l'�paule et le bras. On voulait obtenir du v�tement, autant qu'il se pouvait, l'aspect du corps lui-m�me, dont nulle particularit� ext�rieure n'indique avec la pr�cision d'une couture o� commence le bras et o� finit l'�paule. A cet effet, on �largit l'entournure de telle fa�on qu'elle arriva � d�passer un m�tre de tour, tout en laissant les manches assez �troites non seulement aux avant-bras, mais encore aux arri�re-bras. La figure 12, provenant d'une peinture italienne d'environ 1360, repr�sente la plus ancienne image de pourpoint � grandes assiettes qui existe � notre connaissance.

Le destin, toujours providentiel, ne nous a pas seulement conserv� des gippons de quatre quartiers, tels que la cotte pourpoints du dauphin Charles � Chartres, ou celle du Prince Noir, � Cantorb�ry ; il a encore heureusement permis qu'une jaquette � grandes entournures, port�e en 1364 par l'infortun� Charles de Blois, travers�t �galement pr�s de six si�cles sans trop de vicissitudes pour arriver jusqu'� nous dans un �tat voisin de son int�grit� premi�re. Gr�ce � l'aimable complaisance de M. Julien Chapp�e, jadis possesseur de cette insigne relique, la coupe savante et compliqu�e du pourpoint � grandes assiettes nous a livr� tous ses secrets. Certes il y a loin en apparence de ce v�tement de drap d'or, diapr� d'aigles et de lions, d�pourvu de collet, garni aux manches et sur le devant d'une profusion de boutons selon la mode du temps de Charles V, � l'humble gippon noir, lac�, collet�, ex�cut� soixante-cinq ans plus tard pour l� paysanne de Domr�my par un couturier de petite ville. Le premier �tait destin� � �tre port� ostensiblement, le haut seul recouvert du chaperon en gorge, tandis que le second, cach� sous la robe qui n'en laissait voir que le collet, devait simplement remplir les modestes fonctions d'un v�tement de dessous. Il n'en est pas moins vrai que les pourpoints de l'�poque de Jeanne d'Arc, tous r�duits alors � ce dernier r�le, se trouvaient parfois fa�onn�s � grandes assiettes, et qu'il est par cons�quent raisonnable de penser que notre h�ro�ne ait pu, � l'instar de plusieurs de ses contemporains, en porter de cette esp�ce. Enfin, comme l'iconographie nous d�montre que la coupe des grandes assiettes resta immuable dans son principe pendant toute la dur�e de l'existence de cette particularit�, nous ne croyons pas sortir du cadre de cette �tude en donnant ici le patron du pourpoint de Charles de Blois (fig. 13 et 14).

Le Rozier des Guerres 1461-1483 Le Rozier des Guerres 1461-1483

Il n'y aura qu'� faire abstraction des boutons et des boutonni�res, du d�colletage de l'encolure, de la coupe particuli�re des avants-bras avec leurs poignets rapport�s, et enfin de l'absence de couture � la taille dans les devants, tous d�tails appartenant sp�cialement au quatorzi�me si�cle, pour voir dans ce patron celui d'un pourpoint � grandes assiettes du temps de notre h�ro�ne.

La figure 13 donne le c�t� gauche du devant avec ses trente-quatre boutonni�res, la pointe lat�rale du m�me c�t�, intercal�e entre le devant et le dos, puis le haut du dos, et enfin le bas du dos, cette derni�re pi�ce form�e d'une partie principale, augment�e, en raison sans doute de l'insuffisance de la largeur de l'�toffe de deux petits morceaux suppl�mentaires. La couture lat�rale, r�unissant le dos au devant, s'arr�te en X, laissant ces deux parties ind�pendantes l'une de l'autre dans le bas � partir de ce point. Pour ces diff�rentes pi�ces, la verticale est le sens du fil, � l'exception cependant de la pointe lat�rale joignant le dos au devant, pour laquelle le sens de l'�toffe se trouve plac� horizontalement de gauche � droite.

La figure 14 repr�sente le patron d'une manche, la gauche. Les sept pi�ces du haut composent l'arri�re-bras, les trois du bas l'avant-bras. Le quart de cercle ACB est une pointe qui vient s'intercaler dans la fente ACB de la grande pi�ce d'arri�re-bras trac�e imm�diatement en dessous. Les diff�rentes pointes et morceaux qui constituent l'arri�re-bras sont rang�s dans l'ordre o� on doit les coudre les uns aux autres. Pour tous, la verticale est le sens du fil, exception faite du fragment de gauche D, de la pointe F, o� le sens de l'�toffe est horizontal, et du quart de cercle ABC, dont le droit-fil est indiqu� par la fl�che qui s'y trouve figur�e. Les trois pi�ces d'avant-bras doivent �tre, comme les pr�c�dentes, cousues telles qu'elles sont dispos�es sur notre dessin. On joint ensuite par une couture la ligne E H E de l'arri�re-bras � la ligne G I G de l'avant-bras. Il reste alors � fermer l'ensemble de la manche. A cet effet, on plie le tout suivant la ligne point�e C H I K, de mani�re que la ligne sinueuse D E G J de gauche vienne s'assembler � la ligne sinueuse D E G j de droite. En dernier lieu, on coud ces deux lignes seulement de D en L, les parties L E G J de ces lignes devant rester libres pour recevoir, celle de gauche vingt boutons sph�riques, celle de droite autant de boutonni�res. La grande assiette est constitu�e par la ligne D A B D du haut de l'arri�re-bras. Elle forme une circonf�rence d'environ 1m 03 qu'il s'agit d'adapter � l'entournure du corps du pourpoint repr�sent� par la figure 13, en ayant soin que les points D A B de la manche viennent se joindre aux points D A B du corps du v�tement.

Comme on peut le voir sur la figure 13, trente-quatre boutonni�res sont pratiqu�es sur le bord du devant de gauche. Or le devant de droite ne poss�de que trente-deux boutons. Les deux derni�res boutonni�res du bas se trouvent par cons�quent priv�es de leurs boutons, et l'�tat de l'�toffe permet de constater que ceux-ci n'ont jamais exist�. La cause de cette anomalie provient sans doute de la large ceinture d'orf�vrerie qu'il �tait d'usage de placer souvent tout en bas des riches v�tements de ce genre.

Trente-deux boutons ferment donc le pourpoint de Charles de Blois. Ces boutons sont de deux sortes. Le premier bouton de l'encolure est plat, les quinze suivants sont sph�riques, du mod�le de ceux des manches (fig. 14), et les seize derniers redeviennent plats. Semblable disposition singuli�re se remarque dans la cotte pourpoints du mus�e de Chartres, garnie d'un premier bouton plat � l'encolure, puis de onze noyaux sph�riques, et enfin de quinze boutons plats. Cette similitude est toute naturelle pour deux v�tements ex�cut�s l'un apr�s l'autre � dix ans seulement de distance. Quant � la raison de cette diff�rence de boutons dans la m�me boutonnure, c'est en vain que nous avons cherch� � l'�lucider avec certitude. Nous croyons cependant qu'il e�t �t� incommode de descendre de cheval avec une ligne de boutons saillants sur l'abdomen, et que c'est pour cette cause qu'on les rempla�ait par des plats. Il nous semble �galement raisonnable de penser qu'un bouton sph�rique aurait g�n� � l'encolure pour la mise du chaperon en gorge.

Alors que la cotte d'armes du dauphin Charles est rembourr�e plus fortement � la poitrine que dans ses autres parties, une seule �paisseur de bourre de soie garnit uniform�ment le pourpoint de Charles de Blois. Mais comme la coupe de ce dernier v�tement comporte un bombage de buste tr�s accentu�, on est oblig� d'admettre qu'il ne pouvait �tre rev�tu que sur un premier pourpoint de dessous suffisamment �toff� par devant. Ce gippon de dessous n'�tait certainement qu'un demi-corps, sorte de gilet, s'arr�tant � la taille. En effet, le pourpoint de Charles de Blois se trouve muni au dedans, tout autour de sa partie inf�rieure, de sept paires de cordons sp�ciaux, solidement cousues de place en place et destin�es � attacher les chausses, ce qui excluait toute braconni�re venant s'interposer entre celle du pourpoint et les chausses.

Tandis que les cottes de Charles V et du Prince Noir sont piqu�es verticalement comme la plupart des pourpoints � armer, la jaquette de Charles de Blois, v�tement civil, est piqu�e horizontalement. On y retrouve les trente-cinq millim�tres d'espacement, entre chaque ligne de piq�res, de la cotte de Chartres. Comme dans tout pourpoint

� grandes assiettes, les manches en sont �galement piqu�es par lignes horizontales parall�les au contour des entournures, ainsi que le montre le pourpoint italien de notre figure 12.

Un pourpoint fait sur mesure d'apr�s les donn�es de nos patrons (fig. 13 et 14) moule le torse, les manches et les �paules d'une fa�on irr�prochable, produisant un galbe d'un grand caract�re et d'une rare �l�gance, que nul autre genre de coupe ne saurait imiter. Devant un pareil r�sultat, on ne peut s'emp�cher de sourire de l'outrecuidante pr�tention d'un costumier moderne d�clarant au trop cr�dule auteur d'une histoire du costume: � Nous ne nous servons jamais de la coupe des vieux v�tements, il nous suffit de l'image de leur tournure, et nous obtenons cette tournure avec des coupes � nous, plus simples et partant meilleures que celles des anciens artisans agissant avec des moyens personnels et non d'�cole, comme le sont ceux de l'industrie des coupeurs modernes. � C'est avec de pareils principes, monstrueux assemblages de p�dantisme et d'absurdit�, que nos costumiers n'ont encore pu nous donner comme v�tements du moyen �ge que de ridicules oripeaux de carnaval.

Le pourpoint de Charles de Blois t�moigne, de la part des couturiers du quatorzi�me si�cle, d'un degr� de science et d'habilet� auquel peu de tailleurs de notre �poque seraient capables d'atteindre. Nous sommes certain, dans tous les cas, qu'aucun artisan moderne ne pourrait obtenir la physionomie tr�s particuli�re de ce gippon en en simplifiant la coupe, car, sur les vingt-huit morceaux qui le composent, il n'en est pas un seul qui n'ait sa raison d'�tre, n'en d�plaise aux simplificateurs modernes de la coupe des anciens v�tements. Les grandes assiettes, mentionn�es � diff�rentes reprises dans certains textes de la premi�re moiti� du quinzi�me si�cle, se rencontrent naturellement dans l'imagerie de la m�me �poque.

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Le plus souvent le tour de l'assiette est seul visible. Parfois cependant l'artiste a scrupuleusement reproduit sur les poitrines les quarts de cercle A B C et sur le dos les pointes D, dont notre figure 13 a donn� les trac�s. Il arrive m�me que, dans les �l�gants v�tements � corps pourpoint�s, � amples manches, et dont la jupe descend quelquefois jusqu'� mi-jambes, en usage de 1400 � 1415, les coutures sont soulign�es par des passe-poils d'une couleur diff�rente de celle du reste de l'habit. Dans d'autres cas, une riche joaillerie recouvre la couture du tour de l'assiette. On voit aussi des corps de pourpoints d'une couleur, tandis que les manches avec leurs assiettes sont d'une autre. Les pourpoints de dessous � grandes assiettes poss�deront quelquefois la m�me particularit�, comme le montre la figure 15 dat�e de 1441. Dans ce dessin, le corps du v�tement destin� � �tre cach� par la robe semble �tre en toile, alors que le collet, toujours visible, et les manches, qu'on peut apercevoir avec certaines fa�ons de robes, paraissent avoir �t� taill�s dans une �toffe d'aspect plus confortable. Il suffit de comparer entre elles nos figures 12 et 15 pour voir que les changements apport�s dans les pourpoints � grandes assiettes par les modes successives d'une p�riode de quatre-vingts ans ne port�rent ni sur la forme, ni sur la dimension des assiettes. Seuls quelques d�tails ont chang�, tels que les piq�res apparentes dans l'un de ces v�tements, invisibles dans l'autre, la profusion de boutons du plus ancien, supprim�e dans celui de 1441, o� elle est remplac�e � grandes assiettes sur le devant par une la�ure, la pr�sence � l'encolure du plus r�cent d'un collet qui n'existait pas en 1360, et enfin la disparition, dans ce m�me pourpoint, des poignets couvrant en partie les mains du personnage de la figure 12. Ces poignets furent l'origine des bombardes de 1400, bannies de la toilette des hommes � partir de l'ann�e 1415.

Le pourpoint � grandes assiettes, dont une suite presque ininterrompue de t�moignages �crits ou figures nous met � m�me de constater la vogue centenaire, �tait donc encore port� du temps de Jeanne d'Arc. Une miniature de 1427 et des textes de 1432, cit�s dans nos notes pr�c�dentes, auraient suffi d'ailleurs � prouver cette assertion. Mais il ne s'en suit pas forc�ment que notre h�ro�ne ait us� de cette sorte de v�tement. Il est m�me probable qu'au moins son premier gippon, celui qu'on lui confectionna � Vaucouleurs au mois de f�vrier 1429, ne fut qu'un simple pourpoint de quatre quartiers, du mod�le de celui dont nous avons donn� le patron dans la figure 11. La complication des grandes assiettes pouvait d�passer les talents d'un couturier de petite ville.

Si l'on en croit le greffier de la Rochelle, ce gippon de Vaucouleurs �tait noir, comme le chaperon de m�me provenance ; ce qui n'est pas surprenant, �tant donn�, d'apr�s les textes et les images, que cette teinte se trouvait celle de la plupart des pourpoints de cette �poque.

Il fut d'usage, � la fin du quatorzi�me si�cle, d'introduire dans le capitonnage des pourpoints une quantit� notable de certaine poudre dont il est difficile aujourd'hui d'expliquer l'emploi. Il est du reste de peu d'importance de savoir si cette coutume, attest�e � plusieurs reprises dans les comptes du duc Louis d'Orl�ans mais que les textes ult�rieurs ne mentionnent plus, �tait ou non tomb�e en d�su�tude au temps de la Pucelle.

Fournie par des apothicaires, cette poudre n'�tait peut-�tre, malgr� son prix tr�s �lev�, qu'un vulgaire insecticide, sa grande proportion d'une livre pour un seul pourpoint tendant � �carter l'hypoth�se d'un parfum. Il est encore possible qu'elle se trouv�t destin�e � conjurer les mal�fices aussi redout�s alors que fr�quemment employ�s. Toujours est-il que si l'on poudra l'int�rieur des pourpoints de notre h�r6ine dans l'intention de les charmer, ce fut certainement � son insu. Plusieurs de des r�ponses, au proc�s de Rouen, nous apprennent qu'elle m�prisait les sortil�ges et nous devons en conclure qu'elle n'aurait pas moins d�daign�' les op�rations magiques ayant pour but de les rendre inoffensifs.

Le gippon conserva le nom de pourpoint jusqu'au milieu du dix-septi�me si�cle. A cette �poques �tant plus depuis longtemps ni rembourr� ni pourpoint�, on l'appela veste. Nous le poss�dons encore aujourd'hui sous la d�nomination inaugur�e � la fin du r�gne de Louis XV, de gilet.

Les mots gipe, gipon, ou jupe et jupon qui pr�valurent, s'appliqu�rent aussi � une cotte de dessous, juste au corps comme le gippon masculin, mais port�e par les femmes. Sous Louis XIV, la partie sup�rieure de ce v�tement �tait dite le corps de jupe. Sa partie inf�rieure, de la taille vers les pieds, constituait le bas de jupe. On finit peu � peu par appeler la premi�re simplement le corps, et la seconde la jupe. Celle-ci, s�par�e plus tard du corps, devint le jupon. Et voil� comment un terme qui en principe d�signait essentiellement un v�tement de buste, en est arriv� � d�nommer une toute autre partie du costume. L'ancien gippon du moyen �ge se trouve donc �tre l'anc�tre direct � la fois du gilet d'homme et du jupon f�minin des temps modernes.

Les figures 16, 17 et 18 repr�sentent un essai de reconstitution du pourpoint noir, confectionn� � Vaucouleurs pour la Pucelle au mois de f�vrier de l'ann�e l429, en vue de son voyage � Chinon. Les patrons que nous offrons de ce v�tement sont �tablis � la mesure d'une jeune fille de dix-sept ans, dont la stature est d'un m�tre cinquante-huit. Nous aurons l'occasion, dans un chapitre ult�rieur, de prouver, au moyen d'un document rigoureusement authentique, que telle devait �tre � peu pr�s la taille de notre lib�ratrice.

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La figure 16 montre les six parties de drap qui constituent l'�toffe ext�rieure du c�t� gauche du pourpoint, � savoir les quatre morceaux du corps, celui du collet et celui de la manche. Si l'on compare ces six pi�ces aux pi�ces correspondantes du pourpoint fait pour un homme reproduites dans la figure 11, on s'apercevra que la seule diff�rence appr�ciable qui existe entre les deux v�tements consiste dans le nombre des paires d'oeillets destin�es � recevoir les aiguillettes des chausses. Alors que la braconni�re du pourpoint d'homme comporte cinq paires d'oeillets sur chaque moiti� de son pourtour, soit dix pour la totalit� de ce pourtour, la braconni�re du pourpoint reconstitu� de la Pucelle en poss�de le double. L'acte d'accusation nous apprend en effet que les chausses de la sainte �taient reli�es � son gippon par vingt aiguillettes.

Les six dessus de drap noir reproduits dans la figure 16 devront recouvrir autant de capitonnages d'ouate maintenus entre deux toiles par des piq�res. Nous savons que, de ces deux toiles, celle qui est destin�e � �tre en contact avec le drap s'appelle contre-endroit et celle qui s'appliquera directement sur la chemise se nomme contre-envers.

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La figure 17 montre les matelassures du c�t� de leur contre-endroit. On y voit comment sont dispos�es les piq�res sur chacune d'elles. Toutes sont enti�rement en toile, � l'exception d'une bande de drap noir a b c d qui borde le devant du contre-endroit de la matelassure du corps. Cette bande de drap sera recouverte d'une bande de toile volante, en ce sens qu'elle ne tiendra � la matelassure que par une couture le long de la ligne b d. Cette derni�re bande servira de doublure � la partie correspondante du dessus du pourpoint et c'est dans cette partie ainsi doubl�e que seront perc�s les oeillets de la�ure, ceux-ci ne pouvant �tre pratiqu�s dans l'�pais capitonnage du buste. Cette ing�nieuse disposition nous a �t� r�v�l�e par l'examen que nous avons pu faire de la cotte pourpointe de Charles V enfant, conserv�e au Mus�e de Chartres.

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On remarquera que la matelassure du devant du buste est taill�e sensiblement plus grande que son dessus correspondant repr�sent� dans la figure 16. Voici la raison de cette particularit�. Tandis que les autres matelassures ne renferment qu'une seule �paisseur d'ouate, le capitonnage de poitrine, dont la figure 18 donne la disposition, est compos�, ainsi que le montre cette figure, d'une dizaine d'�paisseurs d'ouate superpos�es, allant en diminuant de grandeur et agenc�e de fa�on � m�nager la place des seins. Les piq�res de ce fort capitonnage auront pour effet de la r�tr�cir et de l'amener � la mesure du dessus de drap correspondant (fig. 16) qui doit le recouvrir.

Ajoutons qu'une troisi�me toile devra s'intercaler entre les matelassures du buste et leurs dessus de drap, cette troisi�me toile devenant ainsi le v�ritable contre-endroit. Nous savons en effet que les statuts des pourpointiers exigeaient trois toiles pour le corps d'un gippon, tandis que deux seulement �taient jug�es suffisantes pour ses manches et sa braconniere.

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