Hussein Hasna | EHESS-Ecole des hautes études en sciences sociales (original) (raw)
Papers by Hussein Hasna
La notion de djihad se situe au coeur de la propagande numérique de Daesh et de sa doctrine. Le d... more La notion de djihad se situe au coeur de la propagande numérique de Daesh et de sa doctrine. Le djihad est aussi un outil pour inciter à la hijra, deuxième pilier du projet global de Daesh : « Dâr al-islam n'est qu'un outil d'incitation à la Hidjrah et au Djihâd […] » (Dar al-islam, n° 2). En effet, le nombre de djihadistes morts sous les bombardements de la coalition ou dans les combats contre le régime Syrien, son allié le Hezbollah, l'armée irakienne ou encore les soldats des peshmergas kurdes augmentent chaque jour. Daesh se doit donc de renforcer sa propagande en direction de l'extérieur afin d'attirer d'éventuels sympathisants à rejoindre la cause. A cet effet, Daesh a produit depuis les attentats du 13 novembre à Paris pas moins d'une centaine de vidéos de propagande en plusieurs langues (arabe, français, anglais, turc, mandarin, etc.) appelant au djihad. Cette thématique occupe une place centrale dans leur dispositif discursif (« Paris s'est effondré », « Faites exploser la France », « Tuez-les où que vous les trouviez », etc.). En incitant ces sympathisants à pratiquer un djihad local –et malgré ses "besoins" sur le terrain– l'organisation envisage de déplacer le combat en dehors de son propre territoire. Il devient indispensable de déconstruire ce concept central par le biais d'une double approche critique sociologique et exégétique, croisement disciplinaire qui n'a pas encore été utilisé sur ce sujet. L'appel au djihad de Daesh et par Daesh Il est quasiment impossible de trouver un produit médiatique publié par Daesh sans que le mot djihad n'y figure. Daesh mobilise en effet un champ sémantique et lexical abondant autour du concept de djihad dans sa propagande numérique : « mujâhidin », « mujâhid », « le jihâd dans le sentier d'Allah », « les soldats du califat », « les cavaliers du jihâd », « les lions du Califat », « les lionceaux du Califat (pour les enfants djihadistes) », « l'étendard du djihâd ». Ce champ lexical de la guerre et cet espace sémantique belliqueux s'étendent à d'autres énoncés, mais toujours dans l'objectif de servir cette centralité du projet djihad : « l'appel au tawhîd », « la légitimité d'agir en cas de persécution », « le devoir de faire la guerre à tous les
La propagande numérique de l'Organisation de l'Etat Islamique (OEI) en direction de l'Occident ne... more La propagande numérique de l'Organisation de l'Etat Islamique (OEI) en direction de l'Occident ne cesse de prendre de l'ampleur. Cette propagande vise essentiellement à diffuser l'idéologie du groupe afin de recruter parmi de potentiels sympathisants, par le biais d'un nouveau discours alternatif sur les plans historico-religieux, social, et politique, qui reprend et détourne des codes communs de l'islam sunnite. Par HASNA HUSSEIN, Sociologue des médias. Travaille actuellement sur les usages d'internet et des réseaux sociaux et la radicalisation chez les jeunes en France. Ce n'est plus une découverte ; internet constitue pour l'OEI une véritable plateforme opérationnelle dont il se sert pour diffuser sa propagande, distiller ses grandes orientations stratégiques, lever des fonds et recruter i. Sur ce dernier point, l'OEI a mobilisé son arsenal médiatique pour soutenir une propagande à la fois variée et ciblée pour répondre à ses propres besoins et attentes, ainsi que pour s'adapter à ceux de futurs djihadistes, selon l'espace, le temps et le dispositif utilisé. Mais peu de recherches se sont jusqu'à présent penché en détail sur le contenu de ces productions médiatiques. Dans son dernier numéro, le magazine francophone mensuel Dar al-islam, mis en ligne peu de temps après les attentats du 13 novembre ii , révèle une nouvelle stratégie médiatique et politique adoptée par l'OEI. Cette stratégie s'appuie non seulement sur un discours identitaire et de victimisation appelant à la haine, au rejet de la société et à la violence envers l'Etat « Croisé », ses représentants (dont la police, l'armée) et ses fondements (la liberté et la laïcité), mais aussi sur un nouveau discours de légitimation par la sacralisation de l'image du califat, de ses soldats et de ses modalités d'embrigadement. L'analyse des innovations dans la propagande numérique francophone de l'OEI permet de mieux comprendre son attractivité, ses stratégies et ses manières d'agir et de mieux la combattre en élaborant de nouvelles formes de lutte alternatives à la censure des contenus djihadistes et la production de contre-discours. La sacralisation de l'image du califat La construction de l'image du califat s'appui sur un processus de sacralisation et d'héroïsation des composantes de ce modèle de gouvernance historico-religieux iii : soldats, lois, pratiques sociales et systèmes de valeurs réputées conformes à la charia. Le dernier numéro de Dar al-islam (58 pages), constitué de 8 articles et reportages au total, contient 71 versets et plus de 35 hadith (paroles attribuées au prophète Muhammad) en plus de références religieuses classiques telles qu'Ibn Hanbal, Ibn Kathîr ou encore al-Tabarî et Ibn Taymiyah, ainsi que des codes religieux communs de l'islam dont l'imaginaire des grandes batailles (Dabiq notamment, lieu ou est censé se dérouler la bataille finale entre musulmans et « armée croisée »), la lutte contre « les juifs » (les arbres « dénonçant » les juifs qui se cachent derrière eux), la mythologie topologique (le Châm comme refuge des croyants à la fin des temps) et apocalyptique (l'apparition de l'antéchrist, ou «dajjâl »). Les versets coraniques, les hadiths et les codes religieux communs dans l'islam sunnite, qui constituent près d'un tiers du contenu total du magazine, sont ainsi mobilisés par l'organisation dans l'objectif de légitimer son
La notion de djihad se situe au coeur de la propagande numérique de Daesh et de sa doctrine. Le d... more La notion de djihad se situe au coeur de la propagande numérique de Daesh et de sa doctrine. Le djihad est aussi un outil pour inciter à la hijra, deuxième pilier du projet global de Daesh : « Dâr al-islam n'est qu'un outil d'incitation à la Hidjrah et au Djihâd […] » (Dar al-islam, n° 2). En effet, le nombre de djihadistes morts sous les bombardements de la coalition ou dans les combats contre le régime Syrien, son allié le Hezbollah, l'armée irakienne ou encore les soldats des peshmergas kurdes augmentent chaque jour. Daesh se doit donc de renforcer sa propagande en direction de l'extérieur afin d'attirer d'éventuels sympathisants à rejoindre la cause. A cet effet, Daesh a produit depuis les attentats du 13 novembre à Paris pas moins d'une centaine de vidéos de propagande en plusieurs langues (arabe, français, anglais, turc, mandarin, etc.) appelant au djihad. Cette thématique occupe une place centrale dans leur dispositif discursif (« Paris s'est effondré », « Faites exploser la France », « Tuez-les où que vous les trouviez », etc.). En incitant ces sympathisants à pratiquer un djihad local –et malgré ses "besoins" sur le terrain– l'organisation envisage de déplacer le combat en dehors de son propre territoire. Il devient indispensable de déconstruire ce concept central par le biais d'une double approche critique sociologique et exégétique, croisement disciplinaire qui n'a pas encore été utilisé sur ce sujet. L'appel au djihad de Daesh et par Daesh Il est quasiment impossible de trouver un produit médiatique publié par Daesh sans que le mot djihad n'y figure. Daesh mobilise en effet un champ sémantique et lexical abondant autour du concept de djihad dans sa propagande numérique : « mujâhidin », « mujâhid », « le jihâd dans le sentier d'Allah », « les soldats du califat », « les cavaliers du jihâd », « les lions du Califat », « les lionceaux du Califat (pour les enfants djihadistes) », « l'étendard du djihâd ». Ce champ lexical de la guerre et cet espace sémantique belliqueux s'étendent à d'autres énoncés, mais toujours dans l'objectif de servir cette centralité du projet djihad : « l'appel au tawhîd », « la légitimité d'agir en cas de persécution », « le devoir de faire la guerre à tous les
La propagande numérique de l'Organisation de l'Etat Islamique (OEI) en direction de l'Occident ne... more La propagande numérique de l'Organisation de l'Etat Islamique (OEI) en direction de l'Occident ne cesse de prendre de l'ampleur. Cette propagande vise essentiellement à diffuser l'idéologie du groupe afin de recruter parmi de potentiels sympathisants, par le biais d'un nouveau discours alternatif sur les plans historico-religieux, social, et politique, qui reprend et détourne des codes communs de l'islam sunnite. Par HASNA HUSSEIN, Sociologue des médias. Travaille actuellement sur les usages d'internet et des réseaux sociaux et la radicalisation chez les jeunes en France. Ce n'est plus une découverte ; internet constitue pour l'OEI une véritable plateforme opérationnelle dont il se sert pour diffuser sa propagande, distiller ses grandes orientations stratégiques, lever des fonds et recruter i. Sur ce dernier point, l'OEI a mobilisé son arsenal médiatique pour soutenir une propagande à la fois variée et ciblée pour répondre à ses propres besoins et attentes, ainsi que pour s'adapter à ceux de futurs djihadistes, selon l'espace, le temps et le dispositif utilisé. Mais peu de recherches se sont jusqu'à présent penché en détail sur le contenu de ces productions médiatiques. Dans son dernier numéro, le magazine francophone mensuel Dar al-islam, mis en ligne peu de temps après les attentats du 13 novembre ii , révèle une nouvelle stratégie médiatique et politique adoptée par l'OEI. Cette stratégie s'appuie non seulement sur un discours identitaire et de victimisation appelant à la haine, au rejet de la société et à la violence envers l'Etat « Croisé », ses représentants (dont la police, l'armée) et ses fondements (la liberté et la laïcité), mais aussi sur un nouveau discours de légitimation par la sacralisation de l'image du califat, de ses soldats et de ses modalités d'embrigadement. L'analyse des innovations dans la propagande numérique francophone de l'OEI permet de mieux comprendre son attractivité, ses stratégies et ses manières d'agir et de mieux la combattre en élaborant de nouvelles formes de lutte alternatives à la censure des contenus djihadistes et la production de contre-discours. La sacralisation de l'image du califat La construction de l'image du califat s'appui sur un processus de sacralisation et d'héroïsation des composantes de ce modèle de gouvernance historico-religieux iii : soldats, lois, pratiques sociales et systèmes de valeurs réputées conformes à la charia. Le dernier numéro de Dar al-islam (58 pages), constitué de 8 articles et reportages au total, contient 71 versets et plus de 35 hadith (paroles attribuées au prophète Muhammad) en plus de références religieuses classiques telles qu'Ibn Hanbal, Ibn Kathîr ou encore al-Tabarî et Ibn Taymiyah, ainsi que des codes religieux communs de l'islam dont l'imaginaire des grandes batailles (Dabiq notamment, lieu ou est censé se dérouler la bataille finale entre musulmans et « armée croisée »), la lutte contre « les juifs » (les arbres « dénonçant » les juifs qui se cachent derrière eux), la mythologie topologique (le Châm comme refuge des croyants à la fin des temps) et apocalyptique (l'apparition de l'antéchrist, ou «dajjâl »). Les versets coraniques, les hadiths et les codes religieux communs dans l'islam sunnite, qui constituent près d'un tiers du contenu total du magazine, sont ainsi mobilisés par l'organisation dans l'objectif de légitimer son