Federico Rossin - Academia.edu (original) (raw)
Uploads
Papers by Federico Rossin
Cahiers du cinema, 2021
Pasolini documentariste ou l'écriture du désastre Cahiers du cinéma n° 776, mai 2021 par Federico... more Pasolini documentariste ou l'écriture du désastre Cahiers du cinéma n° 776, mai 2021 par Federico Rossin Traduit de l'italien par Hélène Frappat La programmation « Pasolini, pasoliniennes, pasoliniens ! », organisée par la cinémathèque du documentaire à la BPI, est l'occasion de revenir sur l'oeuvre documentaire du cinéaste.
Cahiers du cinema, 2021
RESTAURATION. Après avoir été montrés au FIDMarseille, au Cinema Ritrovato de Bologne puis à la C... more RESTAURATION. Après avoir été montrés au FIDMarseille, au Cinema Ritrovato de Bologne puis à la Clef à Paris, les trois films qui composent l'oeuvre rare du couple de cinéastes francoalgériens Djouhra Abouda et Alain Bonnamy, dont l'impressionnant Ali au pays des Merveilles (1976), seront projetés au Centre Pompidou le 17 novembre. Ciné-cri Nombreux sont les films que l'on rêve de voir pendant des années parce que l'on a lu des textes dessus dans des revues ou des livres. J'attendais depuis vingt-et-un ans de voir Ali au pays des Merveilles de Djouhra Abouda et Alain Bonnamy, très exactement depuis le monumental Jeune, pure et dure ! Une histoire du cinéma d'avant-garde et expérimental en France de Nicole Brenez et Christian Lebrat. Brenez y était revenue dans son dernier livre Manifestations (2020), le tenant pour un chef-d'oeuvre. Elle a raison. Depuis cette projection du 4 juin 2000 à la Cinémathèque française, à notre connaissance, le film avait à nouveau disparu : n'en subsistait qu'une copie 16 mm en très mauvais état, virée magenta et très rayée. Il est aujourd'hui visible dans une splendide version numérique restaurée en 4K à partir des négatifs originaux et d'une copie 16 mm par le laboratoire L'Immagine Ritrovata de Bologne, initiative que l'on doit à la chercheuse et programmatrice Léa Morin de l'association Talitha, en collaboration avec les deux cinéastes. Ali au pays des Merveilles est un essai expérimental sur la condition des migrants algériens dans la France giscardienne du milieu des années 70, où Marcel Bigeard était Secrétaire d'État auprès du ministre de la Défense. Le film s'ouvre sur une longue succession de noms en lettres vertes sur fond noir : ceux des Algériens tués en France en 1975. La deuxième séquence donne le ton : le drapeau français apparaît en surimpression sur la une d'un numéro de Minute couverte d'insultes racistes contre les Algériens, sur fond de « Marseillaise » interprétée par un saxo qui joue faux. Sur des images de travailleurs immigrés dans les rues, un ouvrier algérien raconte longuement, off, son expérience de quarante ans d'immigration : humiliations, souffrance, racisme, nostalgie d'un pays d'origine jamais oublié. Tremblées, émouvantes, les séquences enregistrées par la Bolex défilent vite : le montage articule un conflit de plus en plus dévastateur entre les gestes des ouvriers et celles de la société qui les emploie sans les voir. Les boutiques de haute-couture et les commerces de luxe contrastent brutalement avec le travail et les conditions de vie des Algériens, allées des cités, bidonvilles, appartements insalubres répondent figurativement à l'ordre répressif et à la violence policière, au racisme et à l'héritage colonialiste dont la société est empreinte (on y voit aussi des images d'archives : la guerre de libération, les massacres de Sétif, le photographies d'Élie Kagan de la nuit du 17 octobre 1961). Djouhra Abouda et Alain Bonnamy se servent de tout l'arsenal audiovisuel du cinéma expérimental de l'époque : surimpressions et flicker, images-mosaïques et dédoublements, accélérations et ralentis, photo fixe et animation, jump cuts et plans de coupe infinitésimaux, déformations optiques effectuées au tournage ou en postproduction. Chaque choix esthétique a une motivation politique précise et lisible, respectant la tradition soviétique du « cinépoing », d'Eisenstein, voire du « ciné-oeil » (Esther Choub et Dziga Vertov) et celle du documentaire d'avant-garde des années 20 et 30 (Alberto Cavalcanti, Hans Richter, Jean Vigo). Le montage musical associe à des refrains sonores/vocaux des effets de rimes de motifs figuratifs ; la répétition nous plonge dans une sorte de dimension « fantastique » (comme l'écrit Tahar Ben Jelloun dans Le Monde en 1978) et rend encore plus oppressive la ville, montrée comme un immense laboratoire biopolitique et disciplinaire. La succession des thèmes (travail, ville, logement, femmes, enfants, hommes, sexualité tarifée) s'inscrit dans une conception d'ensemble circulaireune figure héritée des symphonies urbaines des années 20-qui commence et finit de nuit aux Champs-Élysées et à l'Arc de Triomphe, ayant parcourir toutes les étapes de la journée du travailleur algérien. De l'expérimental politique D'où vient cette oeuvre fulgurante et si moderne, et pourquoi est-elle restée si longtemps invisible ? Djouhra Abouda (arrivée en France à 3 ans) et Alain Bonnamy étaient à l'époque étudiants au département d'Études Cinématographiques et Audiovisuelles de l'Université de Paris VIII-Vincennes, où, à la fin de 1970 ont été lancés les ateliers de cinéma expérimental de Guy Fihman et
La Revue Documentaires
Le documentaire, un art de la disparition Conférence de Federico Rossin-Forum des Images, Paris, ... more Le documentaire, un art de la disparition Conférence de Federico Rossin-Forum des Images, Paris, 14 avril 2016 Je suis historien du cinéma et programmateur et l'idée pour moi est de vous offrir une véritable séance de cinéma, et de vous montrer comment je travaille en tant que programmateur. J'essaie de construire des séances où les films pensent entre eux, de trouver une ligne, des pistes ou une idée plutôt qu'une thématique (je n'aime pas l'idée du mot thématique mais le mot idée me convient mieux). J'ai travaillé avec l'idée de traverser le fond de films du Forum des Images et de le mettre en valeur, de redonner une visibilité à un fond de films qui est assez extraordinaire ; et en même temps de travailler de façon horizontale en cherchant des pistes cachées pour monter une séance. La chose qui m'intéresse, qui me passionne beaucoup est de voir, de dévoiler les documentaires comme quelque chose à laquelle on ne pense pas directement. Le cliché du cinéma documentaire, en France, est le cinéma direct. C'est quelque chose qui a une histoire,
Books by Federico Rossin
Cahiers du cinéma, 2021
La langue italienne a trouvé très naturellement dans la critique de cinéma un terrain de rencontr... more La langue italienne a trouvé très naturellement dans la critique de cinéma un terrain de rencontre entre la parole et la pensée. Proches historiquement des cahiers, Enrico Ghezzi et Adriano Aprà ont cultivé cette tradition de façons diverses, rappelant ce que la critique peut trouver de plus fécond en dehors de l'écriture. Fuoriorario-cose(mai)viste/choses(jamais)vues Difficile de décrire pour un public français Fuoriorario-cose(mai)viste. Imaginez un jeune cinéphile, lycéen au début des années 90, qui commence à découvrir le cinéma et son histoire et a l'immense chance, chaque samedi tard le soir, d'assister, sur la troisième chaîne de la télévision publique italienne (Rai 3), à une heure imprécise, entre une heure et deux heures du matin, jusqu'à l'aube du dimanche, à un flux d'images (jamais) vues, sans aucune interruption publicitaire. Depuis 1988, chaque nuit possède son titre spécifique, et elle se compose d'un montage de films, d'extraits, d'interviews, de citations, parmi lesquels, pour donner un exemple, dans la même constellation une oeuvre télévisuelle de Rossellini est suivie d'un court métrage de Straub-Huillet, et pour finir d'un film d'horreur produit par Val Lewton. Juste avant le début du programme de films, on entend, là aussi sans aucune limite de temps prédéterminée par le formatage des durées télévisuelles, la voix d'un homme, Enrico Ghezzi, désynchronisée de son image qui apparaît sur l'écran, une voix qui semble parler de loin, puisqu'il nous téléphone depuis chez lui en direct. On le regarde parler, et s'exciter cette nuit-là, sur ces films-là, en utilisant des dénominations philosophiques complexes, en ponctuant son intervention orale de centaines de prises et de détournements. Des montages d'extraits traversent la nuit d'un film à l'autre, faisant proliférer un travail d'(an)archive cinéphile, « citationniste » et provocateur. À l'issue de sa performance critique, Ghezzi nous salue systématiquement en nous souhaitant « bonne vision », immédiatement suivi par le clip d'ouverture : Patty Smith qui chante « Because the Night », sur fond de la séquence du rêve aquatique de L'Atalante de Jean Vigo 1. Si l'on tentait d'énumérer les films diffusés par Fuori orario, au cours de son histoire longue de plus de trois décennies, on obtiendrait une liste hors norme contenante des milliers et des milliers de titres, qui ne permettrait pas de rendre compte de la nature du programme, parce que c'est par le montage et la durée que ces nuits constituent un événement absolument unique. Oubliez les programmes français ou américains, avec le Patrick Brion ou le Leonard Martin de service qui nous expliquent poliment le film qu'on va voir : Ghezzi a une idée plurielle et rhizomatique de l'histoire du cinéma, sans aucune chronologie didactique ; une toile d'araignée qui se compose de lignes brisées, de retours, de ruptures, de reprises, et dont les racines se trouvent dans la pratique du cut-up de Burroughs et du détournement situationniste. Chaque nuit de Furori orario, les films au programme s'éclairent mutuellement, tout en convoquant simultanément l'intégralité des films absents, à travers un réseau d'analogies secrètes et une voix, celle de Ghezzi, qui les fait étinceler et leur fait prendre une forme et une signification nouvelles et, en les nommant, finit par les faire disparaître une nouvelle fois. Le cinéma devient télévision et réciproquement : nous assistons au martyre et au triomphe paradoxal du septième art. Mais que l'on ne crie pas au post-modernisme qui se plaît à mélanger haute et basse culture : Ghezzi nous lance dans une dérive psycho-géographique et anarchiste à travers les territoires perdus du cinéma ; chaque nuit est un film-essai autonome, mais en lien secret avec toutes les autres nuits, passées, présentes et à venir. C'est comme si Ghezzi et sa bande de coauteurs
Cahiers du cinema, 2021
Pasolini documentariste ou l'écriture du désastre Cahiers du cinéma n° 776, mai 2021 par Federico... more Pasolini documentariste ou l'écriture du désastre Cahiers du cinéma n° 776, mai 2021 par Federico Rossin Traduit de l'italien par Hélène Frappat La programmation « Pasolini, pasoliniennes, pasoliniens ! », organisée par la cinémathèque du documentaire à la BPI, est l'occasion de revenir sur l'oeuvre documentaire du cinéaste.
Cahiers du cinema, 2021
RESTAURATION. Après avoir été montrés au FIDMarseille, au Cinema Ritrovato de Bologne puis à la C... more RESTAURATION. Après avoir été montrés au FIDMarseille, au Cinema Ritrovato de Bologne puis à la Clef à Paris, les trois films qui composent l'oeuvre rare du couple de cinéastes francoalgériens Djouhra Abouda et Alain Bonnamy, dont l'impressionnant Ali au pays des Merveilles (1976), seront projetés au Centre Pompidou le 17 novembre. Ciné-cri Nombreux sont les films que l'on rêve de voir pendant des années parce que l'on a lu des textes dessus dans des revues ou des livres. J'attendais depuis vingt-et-un ans de voir Ali au pays des Merveilles de Djouhra Abouda et Alain Bonnamy, très exactement depuis le monumental Jeune, pure et dure ! Une histoire du cinéma d'avant-garde et expérimental en France de Nicole Brenez et Christian Lebrat. Brenez y était revenue dans son dernier livre Manifestations (2020), le tenant pour un chef-d'oeuvre. Elle a raison. Depuis cette projection du 4 juin 2000 à la Cinémathèque française, à notre connaissance, le film avait à nouveau disparu : n'en subsistait qu'une copie 16 mm en très mauvais état, virée magenta et très rayée. Il est aujourd'hui visible dans une splendide version numérique restaurée en 4K à partir des négatifs originaux et d'une copie 16 mm par le laboratoire L'Immagine Ritrovata de Bologne, initiative que l'on doit à la chercheuse et programmatrice Léa Morin de l'association Talitha, en collaboration avec les deux cinéastes. Ali au pays des Merveilles est un essai expérimental sur la condition des migrants algériens dans la France giscardienne du milieu des années 70, où Marcel Bigeard était Secrétaire d'État auprès du ministre de la Défense. Le film s'ouvre sur une longue succession de noms en lettres vertes sur fond noir : ceux des Algériens tués en France en 1975. La deuxième séquence donne le ton : le drapeau français apparaît en surimpression sur la une d'un numéro de Minute couverte d'insultes racistes contre les Algériens, sur fond de « Marseillaise » interprétée par un saxo qui joue faux. Sur des images de travailleurs immigrés dans les rues, un ouvrier algérien raconte longuement, off, son expérience de quarante ans d'immigration : humiliations, souffrance, racisme, nostalgie d'un pays d'origine jamais oublié. Tremblées, émouvantes, les séquences enregistrées par la Bolex défilent vite : le montage articule un conflit de plus en plus dévastateur entre les gestes des ouvriers et celles de la société qui les emploie sans les voir. Les boutiques de haute-couture et les commerces de luxe contrastent brutalement avec le travail et les conditions de vie des Algériens, allées des cités, bidonvilles, appartements insalubres répondent figurativement à l'ordre répressif et à la violence policière, au racisme et à l'héritage colonialiste dont la société est empreinte (on y voit aussi des images d'archives : la guerre de libération, les massacres de Sétif, le photographies d'Élie Kagan de la nuit du 17 octobre 1961). Djouhra Abouda et Alain Bonnamy se servent de tout l'arsenal audiovisuel du cinéma expérimental de l'époque : surimpressions et flicker, images-mosaïques et dédoublements, accélérations et ralentis, photo fixe et animation, jump cuts et plans de coupe infinitésimaux, déformations optiques effectuées au tournage ou en postproduction. Chaque choix esthétique a une motivation politique précise et lisible, respectant la tradition soviétique du « cinépoing », d'Eisenstein, voire du « ciné-oeil » (Esther Choub et Dziga Vertov) et celle du documentaire d'avant-garde des années 20 et 30 (Alberto Cavalcanti, Hans Richter, Jean Vigo). Le montage musical associe à des refrains sonores/vocaux des effets de rimes de motifs figuratifs ; la répétition nous plonge dans une sorte de dimension « fantastique » (comme l'écrit Tahar Ben Jelloun dans Le Monde en 1978) et rend encore plus oppressive la ville, montrée comme un immense laboratoire biopolitique et disciplinaire. La succession des thèmes (travail, ville, logement, femmes, enfants, hommes, sexualité tarifée) s'inscrit dans une conception d'ensemble circulaireune figure héritée des symphonies urbaines des années 20-qui commence et finit de nuit aux Champs-Élysées et à l'Arc de Triomphe, ayant parcourir toutes les étapes de la journée du travailleur algérien. De l'expérimental politique D'où vient cette oeuvre fulgurante et si moderne, et pourquoi est-elle restée si longtemps invisible ? Djouhra Abouda (arrivée en France à 3 ans) et Alain Bonnamy étaient à l'époque étudiants au département d'Études Cinématographiques et Audiovisuelles de l'Université de Paris VIII-Vincennes, où, à la fin de 1970 ont été lancés les ateliers de cinéma expérimental de Guy Fihman et
La Revue Documentaires
Le documentaire, un art de la disparition Conférence de Federico Rossin-Forum des Images, Paris, ... more Le documentaire, un art de la disparition Conférence de Federico Rossin-Forum des Images, Paris, 14 avril 2016 Je suis historien du cinéma et programmateur et l'idée pour moi est de vous offrir une véritable séance de cinéma, et de vous montrer comment je travaille en tant que programmateur. J'essaie de construire des séances où les films pensent entre eux, de trouver une ligne, des pistes ou une idée plutôt qu'une thématique (je n'aime pas l'idée du mot thématique mais le mot idée me convient mieux). J'ai travaillé avec l'idée de traverser le fond de films du Forum des Images et de le mettre en valeur, de redonner une visibilité à un fond de films qui est assez extraordinaire ; et en même temps de travailler de façon horizontale en cherchant des pistes cachées pour monter une séance. La chose qui m'intéresse, qui me passionne beaucoup est de voir, de dévoiler les documentaires comme quelque chose à laquelle on ne pense pas directement. Le cliché du cinéma documentaire, en France, est le cinéma direct. C'est quelque chose qui a une histoire,
Cahiers du cinéma, 2021
La langue italienne a trouvé très naturellement dans la critique de cinéma un terrain de rencontr... more La langue italienne a trouvé très naturellement dans la critique de cinéma un terrain de rencontre entre la parole et la pensée. Proches historiquement des cahiers, Enrico Ghezzi et Adriano Aprà ont cultivé cette tradition de façons diverses, rappelant ce que la critique peut trouver de plus fécond en dehors de l'écriture. Fuoriorario-cose(mai)viste/choses(jamais)vues Difficile de décrire pour un public français Fuoriorario-cose(mai)viste. Imaginez un jeune cinéphile, lycéen au début des années 90, qui commence à découvrir le cinéma et son histoire et a l'immense chance, chaque samedi tard le soir, d'assister, sur la troisième chaîne de la télévision publique italienne (Rai 3), à une heure imprécise, entre une heure et deux heures du matin, jusqu'à l'aube du dimanche, à un flux d'images (jamais) vues, sans aucune interruption publicitaire. Depuis 1988, chaque nuit possède son titre spécifique, et elle se compose d'un montage de films, d'extraits, d'interviews, de citations, parmi lesquels, pour donner un exemple, dans la même constellation une oeuvre télévisuelle de Rossellini est suivie d'un court métrage de Straub-Huillet, et pour finir d'un film d'horreur produit par Val Lewton. Juste avant le début du programme de films, on entend, là aussi sans aucune limite de temps prédéterminée par le formatage des durées télévisuelles, la voix d'un homme, Enrico Ghezzi, désynchronisée de son image qui apparaît sur l'écran, une voix qui semble parler de loin, puisqu'il nous téléphone depuis chez lui en direct. On le regarde parler, et s'exciter cette nuit-là, sur ces films-là, en utilisant des dénominations philosophiques complexes, en ponctuant son intervention orale de centaines de prises et de détournements. Des montages d'extraits traversent la nuit d'un film à l'autre, faisant proliférer un travail d'(an)archive cinéphile, « citationniste » et provocateur. À l'issue de sa performance critique, Ghezzi nous salue systématiquement en nous souhaitant « bonne vision », immédiatement suivi par le clip d'ouverture : Patty Smith qui chante « Because the Night », sur fond de la séquence du rêve aquatique de L'Atalante de Jean Vigo 1. Si l'on tentait d'énumérer les films diffusés par Fuori orario, au cours de son histoire longue de plus de trois décennies, on obtiendrait une liste hors norme contenante des milliers et des milliers de titres, qui ne permettrait pas de rendre compte de la nature du programme, parce que c'est par le montage et la durée que ces nuits constituent un événement absolument unique. Oubliez les programmes français ou américains, avec le Patrick Brion ou le Leonard Martin de service qui nous expliquent poliment le film qu'on va voir : Ghezzi a une idée plurielle et rhizomatique de l'histoire du cinéma, sans aucune chronologie didactique ; une toile d'araignée qui se compose de lignes brisées, de retours, de ruptures, de reprises, et dont les racines se trouvent dans la pratique du cut-up de Burroughs et du détournement situationniste. Chaque nuit de Furori orario, les films au programme s'éclairent mutuellement, tout en convoquant simultanément l'intégralité des films absents, à travers un réseau d'analogies secrètes et une voix, celle de Ghezzi, qui les fait étinceler et leur fait prendre une forme et une signification nouvelles et, en les nommant, finit par les faire disparaître une nouvelle fois. Le cinéma devient télévision et réciproquement : nous assistons au martyre et au triomphe paradoxal du septième art. Mais que l'on ne crie pas au post-modernisme qui se plaît à mélanger haute et basse culture : Ghezzi nous lance dans une dérive psycho-géographique et anarchiste à travers les territoires perdus du cinéma ; chaque nuit est un film-essai autonome, mais en lien secret avec toutes les autres nuits, passées, présentes et à venir. C'est comme si Ghezzi et sa bande de coauteurs