Frànçois & The Atlas Mountains, l’insoutenable légèreté de l’être pop (original) (raw)
Frànçois & The Atlas Mountains publie l'album "Banane bleue". © Oihan Brière
Après des exils en Angleterre, en Belgique, et de nombreux voyages en Afrique, François Marry, alias Frànçois and The Atlas Mountains, est de retour avec un nouvel album, Banane bleue, qu’il a conçu seul avec le Finlandais Jaakko Eino entre Berlin, Athènes et Paris… Il y cultive toujours ses lettres pop, ses mélodies catchy, et son style à la fois profond et léger.
RFI Musique : Vous déménagez souvent avant de composer un album, le premier titre de cet album s’appelle d’ailleurs The Foreigner ("l’Étranger")…
François Marry : C’est un clin d’œil à L’Étranger de Camus, mais surtout à Baudelaire dans Spleen, qui dit aimer le passage des nuages, comme moi qui flotte dans les airs sur la pochette. La sensation d'être étranger, c'est grisant parce qu'on a l'impression de glisser sur la surface des choses. On peut devenir accro à cette légèreté permanente évoquée dans cette chanson où je dis dans sept langues : "bonjour", "au revoir", ou "je voudrais du pain". Bref, des phrases de touriste. Pour moi, être l’étranger procure des électrochocs de vie au contact d’autres cultures, sans engagement. Partir, c’est aussi accepter le vide, c'est être livré à soi-même et accepter le silence. C'est un exercice qui me permet de créer…
Quelle identité française emmenez-vous dans vos voyages ?
Je m'appelle François, donc je trimballe forcément une identité française. J'espère incarner une certaine idée de la joie, de la légèreté, du romantisme. C'est souvent ce qui nous colle à la peau à nous, Français. Peut-être à cause de mon physique, les étrangers me comparent souvent au héros des films de François Truffaut, Antoine Doinel.
Banane Bleue , le titre de l’album, est-ce une référence au poème La terre est bleue comme une orange de Paul Éluard ou à Bleu comme toi d’Étienne Daho ?
Les deux ! La Banane Bleue, c’est aussi un concept géographique qu’on m’a appris au lycée : dans les années 1980, en observant l'Europe vue du ciel, on voyait une forme de banane qui reliait les lumières des villes entre Liverpool et Milan. Cette banane symbolise une modernité européenne qui a un écho dans notre histoire, nos relations, nos mouvements, notre manière de communiquer et par conséquent, aussi dans nos histoires d'amour.
Chez vous, l’amour se résume souvent à des rendez-vous ratés comme ce que vous racontez dans le single _Coucou_…
Cette Europe imparfaite est aussi un terreau fertile pour le fantasme amoureux en dépit de la complexité de nos communications urbaines. Avant, on attendait un coup de fil dans une cabine téléphonique ou chez soi, et aujourd'hui, c’est un SMS qui nous rend fou comme ce "coucou" un peu mièvre que j’ai reçu après des années d'amour torride, qui m’a inspiré le single de l’album. J’aborde ça avec une attitude pop, c’est-à-dire en prenant les choses comme un étranger de passage, avec à la fois, beaucoup de joie et beaucoup de virulence. Comme dans nos communications, il y a une forme de superficialité dans l'attitude pop. Pour moi, l’attitude pop, c'est un peu comme le café du matin : faire quelque chose de pas vraiment essentiel, mais qui fait partie de nos vies. Banane bleue sert à ça : à se raccrocher aux petites choses du quotidien, à la beauté de vivre en Europe. Glisser sur la vie, c'est ma manière d'être. Il y a donc une continuité d'esprit dans ce que je fais depuis 20 ans.
Ce disque a été enregistré entre Berlin et Athènes, pourquoi ce choix ?
Parce que ce sont des villes où l’on dit qu'il est facile d'être artiste et fauché, et qu'il y a une scène souterraine. Je voulais aussi relier Athènes, l’origine de nos démocraties, et Berlin, capitale des avant-gardes et des expérimentations artistiques. Et on l'oublie souvent, mais la peau des statues athéniennes n'était pas très claire avant d’avoir été blanchie par le passage du temps.
La Grèce et ses statues apparaissaient déjà dans le clip de Perpétuel Eté, paru sur votre album précédent, Solide mirage…
Cet album parlait des mouvements migratoires auxquels la Grèce est confrontée. Il avait été enregistré en 2015 à Bruxelles pendant les négociations autour de la crise grecque. Cette fois, j'avais envie de légèreté et de candeur. Plutôt que d'évoquer les problèmes, je voulais partager la dolce vita et la splendeur de l'Europe : ce rêve européen qui persiste malgré tout. Solide mirage était un peu moraliste, sans pour autant résoudre les problèmes car malheureusement la musique adoucit les mœurs, mais seuls les actes comptent. Après mes beaux discours sur l’immigration dans une chanson comme Le Grand dérèglement, j'avais envie de me retrouver dans ce qui me nourrit depuis toujours : ce buzz électrique de la culture européenne.
Dans ce disque, l’Afrique et l’Atlas marocain qui ont aussi nourri vos disques semblent loin…
C'est vrai. Il reste le oud de Radhi Chawali que j’ai enregistré en Tunisie et qui ouvre le disque comme une transition entre la fascination que j'ai toujours pour le continent africain et ses musiques, et la pop anglo-saxonne, et le krautrock allemand ou les synthés scandinaves qui m’ont d’autant plus inspiré que j’ai fait ce disque avec le Finlandais Jaakko Eino Kalevi à la production. Une grande partie de la musique qui me traverse vient toujours d’Afrique. Pour moi, c’est une source intarissable qui se réinvente constamment en digital aujourd’hui. En jouant avec des musiciens gnawas en 2019, j’ai néanmoins senti les limites de mes facultés à intégrer ce qui vient de cultures ancestrales très profondes.
Peut-être aussi que le débat actuel autour de la réappropriation culturelle m'a fait prendre une certaine distance. Du coup, je me suis un peu replié sur mon identité de blanc européen, même si je n'ai pas eu l'impression de faire un choix délibérément politique en "désafricanisant" ma musique, mais ça reviendra.
Vous voyez vous comme un artiste contemporain ?
Je suis le fruit de mon époque par mon style, mes références, et le fait de pouvoir être intermittent du spectacle m'apporte aussi un rythme de vie et de création qui reflète la création en France, dans une époque connectée, qui s'entend aussi sur les formats des morceaux. Mais je pense que tout ça se lira à postériori… si tant est que ma musique soit encore écoutée.
Frànçois & The Atlas Mountains Banane bleue (Domino Records) 2021 Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube