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Research paper thumbnail of Le répons poétique de Rilke au Torse de Milet (publié in Miettes esthétiques, Université de Bourgogne, 2015, p. 107-135)

La transposition, par exemple, d'un roman en une oeuvre cinématographique ou d'une oeuvre plastiq... more La transposition, par exemple, d'un roman en une oeuvre cinématographique ou d'une oeuvre plastique en une oeuvre littéraire relève d'un fait, mais elle n'en pose pas moins une question dès lors que l'on admet la singularité de chacune des formes d'art. Déjà posée par la description du bouclier d'Achille au chant XVIII de l'Iliade, cette question est largement thématisée par un poète qui a interrogé sa propre pratique d'une telle transposition : Rainer Maria Rilke. Ainsi, de quel ordre est la relation du poème rilkéen Torse archaïque d'Apollon1 au torse anonyme du 5 e-6 e siècle, dit de Milet d'après le théâtre où cette sculpture fut trouvée et qui est maintenant conservée au Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre ? Ce poème est-il simplement inspiré par cette forme plastique ou peut-on y voir une tentative de transposer ou de traduire celle-ci en un poème ? Si ce poème de Rilke ouvre la deuxième partie des Nouveaux poèmes dédiée à Rodin qui lui a fait découvrir les oeuvres de l'Antiquité et dont il a été le secrétaire, cette question de la traductibilité d'une oeuvre donnée en une autre d'un autre genre est encore posée par les descriptions rilkéennes des statues du sculpteur de Meudon dans la monographie que le poète lui a consacré2.

Research paper thumbnail of La  vérité du mythe dans la pensée de Patočka (publié in Jan Patočka. Liberté, existence et monde commun, Éd. du Cercle herméneutique, 2012, p. 225-238)

Le mythe tel que je l'entends est une chose sans laquelle l'homme pourrait difficilement vivre. [... more Le mythe tel que je l'entends est une chose sans laquelle l'homme pourrait difficilement vivre. [...] l'homme est un être qui vit dans la vérité, qui ne peut vivre autrement, car l'homme est un être déterminé dans sa structure par la manifestation en tant que telle et par la manifesteté, et la manifesteté première, radicale et encore non réfléchie, s'exprime sous la forme du mythe » (Patočka, Platon et l'Europe, 52). Traditionnellement, le discours ou la parole mythique n'est jamais considéré que comme l'autre, l'antipode, du discours philosophique, la naissance de la philosophie impliquant l'arrachement au mythe qui ne serait que l'une des modalités de la doxa. C'est apparemment aussi le point de vue de Patočka 1 lorsqu'il déclare ne s'y intéresser que dans la mesure où la philosophie se déploie dans un « cadre mythique », c'estàdire se démarque du mythe 2 en ébranlant -par son questionnement -son supposé savoir et en ouvrant ainsi la dimension de l'histoire 3 . Cela signifie donc que, inversement, la dimension dans laquelle se déploie le mythe est d'ordre « préhistorique » en un sens qu'il nous faudra d'autant plus éclairer qu'il semble difficile à entendre de façon essentiellement chronologique, puisque c'est constamment à partir du mythe que la philosophie se déploie. Seulement, comment comprendre que Patočka considère le mythe comme « vrai », ce qui impliquerait la récusation de l'esprit même qui, au nom des Lumières, a commandé son rejet ? 4 À cet égard, le mythe semble être un phénomène plus difficile à élucider qu'on ne l'admet communément 5 .

Research paper thumbnail of L’impact de la philosophie jaspersienne de l’existence sur la Psychopathologie générale (publié in La Psychopathologie générale  de Karl Jaspers 1913-2013, Éditions du Cercle herméneutique, 2013, p. 167-183)

Dans sa contribution intitulée « Karl Jaspers und die Psychiatrie » (1943) au recueil destiné à f... more Dans sa contribution intitulée « Karl Jaspers und die Psychiatrie » (1943) au recueil destiné à fêter le soixantième anniversaire du philosophe pendant la Seconde Guerre, Binswanger n'hésite pas à écrire : « Comme auteur de la Psychopathologie générale et de Strindberg et Van Gogh, Jaspers a indiqué à la recherche psychiatrique l'orientation et la voie vers l' "esprit". Ne serait-ce que pour cette raison, nous considérons l'interruption de sa carrière psychiatrique comme la plus grande possibilité manquée de la psychiatrie moderne » 2 . Mais le propre de Jaspers n'est pas encore pour autant pointé au regard d'une distinction essentielle de la version plus tardive de la Psychopathologie qui paraît trois ans plus tard. Ce qui le singularise, c'est la distinction -déjà thématisée dans sa Philosophie de 1932, mais pratiquement sans considération de la maladie -entre deux dimensions de la compréhension : la compréhension de la maladie, qui est d'ordre psychologique ou herméneutique et celle qui est d'ordre existentiel. La première relève des sciences dites naturelles et humaines, la seconde de la philosophie existentielle -et ces dimensions définissent les deux versants de la tâche du médecin. Quelle est l'incidence de la pensée existentielle de Jaspers sur la conception de la psychopathologie élaborée à l'époque où il s'était engagé dans la voie de la psychiatrie ? Après avoir éclairé le sens de la compréhension psychologique des symptômes pathologiques, nous en rappellerons les limites en particulier dans la mesure où la souffrance accompagne la maladie ; un dernier moment mettra en évidence la dimension clair-obscure vers laquelle l'être-malade fait signe et qui excède celle communément qualifiée de psychosomatique.

Research paper thumbnail of La question de la compréhension interculturelle à l’âge écologique (publié in Charles Taylor. Interprétation, modernité et identité, Argenteuil, Le cercle herméneutique, 2014, p. 53-68)

La pensée de Charles Taylor s'est élaborée dans la confrontation au phénomène du multiculturalism... more La pensée de Charles Taylor s'est élaborée dans la confrontation au phénomène du multiculturalisme propre aux sociétés qui ont connu de fortes immigrations ; l'expérience quotidienne du multiculturalisme de certaines mégalopoles et plus largement, par exemple, du Canada, est loin d'être celle de toutes les sociétés actuelles. Mais même dans les sociétés dans lesquelles cette expérience n'est pas immédiate, on considère que la globalisation appelle néanmoins une compréhension réciproque entre les cultures. Dans les deux cas, cette compréhension est en général simplement destinée à permettre une meilleure communication destinée à faciliter le commerce, et non à comprendre l'autre en tant que tel. C'est pourquoi, comme y invite Fred Dallmayr, il convient de distinguer deux niveaux, respectivement faible et fort, de compréhension. Le premier vise à assurer une « stratégie pragmatique de communication » et les conditions d'un « discours moral universel » afin de penser les conditions formelles capables d'assurer une communication correcte. Une véritable compréhension, un véritable « dialogue herméneutique éthique », vise en revanche à comprendre des modes de pensée et d'être, des styles de vie, étrangers 1 . Quelle en serait la nécessité ? Il est assurément possible de s'intéresser à des modes étrangers et singuliers de vie et de pensée à titre ethnologique. Mais une telle entente n'a en elle-même rien de nécessaire. Elle peut également répondre à une demande de reconnaissance, mais cette entente n'est pas non plus absolument nécessaire, puisque certaines cultures bénéficient déjà de cette reconnaissance. En revanche, aussi trivial que soit le constat, il me semble qu'une entente est aujourd'hui nécessaire à toutes les cultures à propos d'une question précise : la question écologique. La nécessité d'une telle entente tient au fait que les questions de cet ordre ne 1 F. Dallmayr, « Modalities of Intercultural Dialogue », in Cultural Diversity and Transversal Values : East-West Dialogue on Spiritual and Secular Dynamics, Paris, Unesco, 2006, p. 79, et voir p. 80 : « In ethicalhermeneutical dialogue, partners seek to understand and appreciate each other's life stories and cultural backgrounds, including cultural and religious (or spiritual) traditions, storehouses of literary and artistic expressions, and existential agonies and aspirations. It is in this mode that cross-cultural learning most importantly takes place ».

Research paper thumbnail of La rencontre entre Ebeling et Heidegger (publié in Revue de théologie et de philosophie, 144 (2012), p. 293-304)

Résumé : Le protocole des deux séances du séminaire auquel Ebeling invite Heidegger à participer ... more Résumé :
Le protocole des deux séances du séminaire auquel Ebeling invite Heidegger à participer en 1961 témoigne de leur tentative de dialoguer sur le fond, du côté de Heidegger, de son dialogue antérieur avec Bultmann et de sa lecture de Luther au cours des années 1920, et, du côté de Ebeling, de sa familiarité avec l’œuvre ultérieure de Heidegger. Afin d’interroger la relation entre théologie et philosophie, Ebeling propose de partir de la Disputatio de homine de Luther. La lecture du De homine par Heidegger, essentiellement interrogative, s’abstient étonnamment de recourir aux notions à l’aide desquelles se déploie sa propre pensée, pour s’attacher au texte même de Luther. Heidegger interroge la manière dont Luther s’approprie la conceptualité scolastique en la soumettant à une destructio. Reprenant une suggestion de Ebeling, Heidegger avance d’abord que la définition théologique de l’homme repose sur le prédonné du kérygme, ce qui implique de penser l’homme en termes d’écoute. Il interroge ensuite l’appropriation luthérienne de la conception scolastique de l’homme, des quatre causes et du couple forme – matière, pour opposer aux scolastiques l’expérience grecque de l’homme en tant que mortel.

Research paper thumbnail of L’appropriation gadamérienne de l’esthétique ingardienne des œuvres d’art architecturales (publié in The Dialogue, Yearbook of Philosophical Hermeneutics 6 / 2014, Constellations herméneutiques. Interprétation et liberté, Lit Verlag, p. 161-174)

On sait que l'herméneutique de Gadamer accorde une place fondamentale au langage auquel est consa... more On sait que l'herméneutique de Gadamer accorde une place fondamentale au langage auquel est consacrée la troisième et dernière partie de Vérité et méthode et, de ce fait, à la poésie. On pourrait donc s'attendre à ce que l'architecture -comme les arts plastiques en général -se voit considérée comme la forme d'art la plus pauvre, puisque la plus éloignée des idéalités langagières. Or malgré cette place essentielle accordée au langage, le point d'orgue de « l'ontologie de l'oeuvre d'art » 1 par laquelle s'ouvre Vérité et méthode est une analyse de la singularité de l'architecture. Destinée à vérifier les thèses antérieures relatives à la vérité de l'oeuvre d'art, et en particulier à la littérature, cette analyse s'achève par la célèbre déclaration selon laquelle il nous faudrait substituer une herméneutique à l'esthétique. Seulement, si Gadamer invite alors à se référer plutôt à Hegel qu'à Schleiermacher, sa critique d'une esthétique des oeuvres d'art vise aussi Roman Ingarden auquel Gadamer ne manque pas de se référer nommément 2 ; quels sont le sens et la portée de cette référence généralement ignorée par les commentateurs 3 de Vérité et méthode ? L'oeuvre d'art littéraire. Recherches à la frontière de l'ontologie, de la logique et de la littérature (1931) d'Ingarden se donne pour tâche d'investiguer les différents modes d'être des oeuvres d'art, et c'est aussi à l'ontologie qui s'esquisse dans cet ouvrage, qui n'est pas sans avoir marqué aussi bien Mikel Dufrenne que Wolfgang Iser, que répond Gadamer. Plutôt que d'interroger l'impact en général de la lecture d'Ingarden sur la pensée de Gadamer, nous considérerons ici l'architecture au regard d'une part de l'importance que lui accorde Vérité et méthode, et d'autre part du fait que Ingarden lui consacre un essai spécifique. Gadamer ne pouvait pourtant y renvoyer dans Vérité et méthode, car l'ampleur du manuscrit de L'oeuvre d'art littéraire fit reporter l'édition de L'oeuvre d'art architecturale d'Ingarden et des autres essais complémentaires et relatifs à la musique et aux arts plastiques en général, de sorte que 1 Gadamer, Wahrheit und Methode, Gesammelte Werke, Tübingen, J. C. B. Mohr -désormais cité WM suivi de la page -, p. 196 sq., trad. P. Fruchon, J. Grondin, G. Merlio, Vérité et méthode, Paris, Seuil, 1996.

Research paper thumbnail of La question en retour sur la vie et l’idée husserlienne de la biologie comme science universelle (publié in La Krisis de Husserl. Approches contemporaines, Le Cercle herméneutique n° 10, 2008, p. 95-106)

La mise en question des limites de la physique, c'est-à-dire de la science galiléenne, qui invite... more La mise en question des limites de la physique, c'est-à-dire de la science galiléenne, qui invite à remonter en amont des « vêtements d'idées » que constituent ses idéalisations, c'est-à-dire ses théorisations, est un des thèmes les plus célèbres de la Krisis. Comme on sait, Husserl y défend la thèse selon laquelle ces théorisations recouvrent l'expérience propre au monde de la vie et sont indissociables de l'oubli de la question de leur sens, du sens, pour la vie, de la science. Celle-ci se transforme alors en simple technique -le sens même du terme de science n'étant plus que « résiduel » 1 . C'est aussi dans ce cadre que s'élaborent les considérations husserliennes relatives à l'historicité, c'est-à-dire à la traditionalité, et à la communauté de l'existence des hommes. Mais -déployée en particulier à partir du § 63, et plus encore dans les § 65 à 67 de la Krisis -la critique du concept d'expérience propre aux sciences modernes au regard de l'expérience « commune » propre au « monde de la vie » 2 , a un enjeu plus décisif pour la phénoménologie. Cette critique dénonce en effet le dualisme psychophysique classique, le dualisme de l'esprit et du corps, de la culture et de la nature : un tel dualisme est « en contradiction », déclare le § 65, avec les sources les plus originelles de l'expérience 3 . Pour surmonter ce dualisme, il faut donc revenir à notre « expérience des corps » et revenir des théorisations de la biologie moderne ; c'est la voie dans laquelle s'engage l'appendice XXIII au § 65, alors que le § 66 thématise le concept d'expérience commune. Sans interroger ici l'idée problématique d'une « expérience nue » (schlichte Erfahrung) -expérience « dans laquelle le monde de la vie est donné, [et qui] est le fondement ultime de toute connaissance 1 Die Krisis, Husserliana VI (désormais Hua, suivi de la pagination), § 3, p. 6, trad. G. Granel, La crise des sciences européennes et la philosophie transcendantale (désormais cité La crise suivi de la pagination), Gallimard, 1976, p. 13. 2 Hua VI, § 65, p. 227, trad. La crise, p. 253 et 254. 3 Hua VI, § 65, p. 228, trad . La crise, p. 253.

Research paper thumbnail of L'Idée d’une philosophie mondiale (Conférence à l'Institut francais de Mainz 2013)

La mondialisation qui signe le commencement d'une « histoire mondiale », où les différentes cultu... more La mondialisation qui signe le commencement d'une « histoire mondiale », où les différentes cultures sont amenées à partager un même destin, appelle à une compréhension interculturelle qui ne se réduise pas à permettre des échanges d'ordre économique. Ce tournant est une chance pour l'Europe ou l'Occident, puisqu'il lui donne la possibilité d'interroger ses propres présupposés ou préjugés afin de parvenir à une « raison élargie » comme disait Kant. Goethe parlait déjà en son temps de « littérature mondiale », mais la possibilité et la nécessité d'une philosophie mondiale peut se penser à partir de deux philosophes, allemand et français, et du modèle que constitue une philosophie qui s'est déployée au 20 e siècle sans que nous puissions dire qu'elle est allemande ou française puisqu'elle est les deux à la fois. Ces deux philosophes, ce sont Karl Jaspers et Merleau-Ponty. Ils se sont rencontrés après la Seconde Guerre à l'occasion des « Rencontres internationales » de Genève, bien que leur méconnaissance de la langue de l'autre n'ait pas permis d'échange fructueux ; mais tous deux appellent explicitement à élargir l'horizon et le sol de la philosophie européenne. Le modèle, c'est celui que constitue le mouvement dit phénoménologique. Après avoir précisé l'idée jaspersienne d'une philosophie mondiale, il conviendra d'interroger l'idée romantique de compréhension dans la mesure où elle semble interdire par avance la possibilité d'une compréhension interculturelle ; un dernier temps sera consacré à une notion qui chez Merleau-Ponty permet de penser la possibilité de philosophies qui se sont effectivement déployées et que l'on pourrait qualifier de « mondiales ». Je commence par l'exemple qui atteste de la fécondité d'une rencontre entre des traditions de pensée étrangères et qui est susceptible de constituer un modèle pour penser la possibilité d'une philosophie mondiale. Comme on sait, le courant phénoménologique, dont les fondateurs sont Husserl, Heidegger ou Scheler, est initialement allemand ; mais pendant et après la Seconde Guerre mondiale, ce mouvement se transplante en France où l'on s'approprie de manière originale les questions et les concepts phénoménologiques, et ses figures sont alors essentiellement françaises : Sartre, Merleau-Ponty, Lévinas, Michel Henry ou Jean-Luc Marion…, de sorte que cela n'a plus beaucoup de sens de se demander si, pris en sa totalité, ce mouvement est allemand ou français : c'est un courant pour ainsi dire « francoallemand », si l'on admet que ce genre de caractérisation nationale est pertinent et renvoie à Et, dans la mesure où ces grandes figures continuent à déterminer le sens même de l'existence humaine, le premier volume des Grands philosophes de Jaspers, qui est consacré aux « éveilleurs », compte aussi bien Confucius, Le Bouddha et Jésus que Socrate. Mais l'idée d'une époque axiale de l'humanité ne sert pas simplement à mieux comprendre le passé : Jaspers avance en effet que nous sommes peut-être aujourd'hui à l'époque d'une seconde époque axiale, où, du fait cette fois d'une confrontation des cultures, l'humanité est susceptible de connaître un nouveau moment de son histoire. Elle se tiendrait, estime Jaspers, devant une alternative entre le déploiement d'un « empire mondial » (Weltimperium) qui imposerait une paix, mais en annihilant la liberté, et un « ordre mondial » (Weltordnung) auquel nous parviendrions librement. Un tel ordre implique une compréhension réciproque, c'est-à-dire une communication interculturelle dans le cadre de laquelle devrait émerger une « philosophie mondiale » pour reprendre, là encore, une expression jaspersienne.

Research paper thumbnail of Le partage du sens à l’origine de l’humanité (publié in Le sens commun,  EUD, 2004, p. 75-92)

On parle du sens de " l'hospitalité ", de " l'amitié ", de " la décoration " ou même de " l'ortho... more On parle du sens de " l'hospitalité ", de " l'amitié ", de " la décoration " ou même de " l'orthographe " pour désigner un genre particulier de savoir inégalement réparti entre les hommes. L'expression de sens commun désigne en revanche la capacité commune à tous les hommes de saisir un ensemble de savoirs primitifs constituant l'assise des savoirs plus particuliers. Par sa généralité, ce sens serait du même ordre que le " sens de la mesure ". Un tel sens commun suppose donc qu'il y ait des évidences premières irréductibles à la sphère des simples opinions communes. Et dans la mesure où ces savoirs sont communément partagés par les hommes en vertu de leur commune lumière naturelle, le sens commun renvoie implicitement à une communauté humaine. Comment penser l'articulation de ces deux dimensions théorique et sociale ?

Research paper thumbnail of L’esthétique brentanienne comme science normative (publié in Studia Phaenomenologica, IV, n° 1-2 / 2004, p. 31-51)

Comme on sait, la Psychologie du point de vue empirique de Brentano distingue trois classes de ph... more Comme on sait, la Psychologie du point de vue empirique de Brentano distingue trois classes de phénomènes psychiques, mais si celle des représentations constitue le fond des deux autres, les représentations se caractérisent aussi par le fait qu'elles n'impliquent aucune position ou ne sont pas polarisées comme le sont les classes du jugement qui affirme ou nie, et du vouloir / du désir qui aime ou hait. L'asymétrie entre la première des trois classes et les deux autres laisse ainsi supposer qu'il ne saurait y avoir de rectitude ou de correction en ce qui concerne une représentation 1 . Avancer l'idée d'une correction de la représentation semble donc relever d'un non sens. Bien qu'il reconnaisse la difficulté 2 , Brentano fait néanmoins correspondre aux trois classes de phénomènes psychiques trois sciences pratiques normatives : l'éthique, la logique et l'esthétique, et il est ainsi 1 Il est ainsi remarquable que l'analyse par Chisholm du concept de valeur intrinsèque ne dise pratiquement mot de l'esthétique, voir Brentano and Intrinsic Value, Cambridge University Press, 1986. 2 Grundzüge der Ästhetik, Bern, Francke Verlag, 1959, p. 144. Voir aussi par exemple Vom Ursprung sittlicher Erkenntnis, Hambourg, Meiner, 1969, § 21, 22 et 30, trad. M. de Launay, L'Origine de la connaissance morale, Gallimard, 2003, p. 52 et 68. Mais dans la mesure où le sentiment esthétique est précisément un sentiment, il est nécessaire de s'interroger sur préciser la nature de la relation entre représentation et sentiment. La question posée par cette esthétique comme science pratique est donc double.

Research paper thumbnail of Le sol et l'horizon rhétorique de l'herméneutique : de H.-G. Gadamer à R. Rorty (publié in La Rhétorique : Enjeux de ses résurgences, Bruxelles, Ousia, 1998, p. 224-244)

De façon très générale, et comme le notait déjà Schleiermacher 1 , le dire et l'entendre, la paro... more De façon très générale, et comme le notait déjà Schleiermacher 1 , le dire et l'entendre, la parole et la compréhension, constituent les deux versants indissociables du caractère langagier de notre existence. Autrement dit, dans la mesure où toute parole s'adresse à quelqu'un dans l'espoir d'être entendue et où le phénomène de la compréhension est langagier, la rhétorique et l'herméneutique sont entrelacées ou s'appellent l'une l'autre. En second lieu, c'est le sens même de la rhétorique et de l'herméneutique qui coïncide, si l'on admet qu'elles visent toutes deux à franchir la distance qui nous sépare d'autrui, de l'étranger 2 , que l'étrangèreté soit celle d'un toi, ou celle de cultures, de mondes historiques passés, de sorte que puisse finalement être surmontée notre propre étrangèreté à nousmêmes. La difficulté de persuader, de toucher, autrui par la parole, comme la difficulté de le comprendre, d'être touché, a conduit à élaborer une théorie et un art du discours persuasif, comme une théorie et un art de la compréhension.

Research paper thumbnail of L’interprétation comme mode d’être de l’animal et de l’homme (publié in L’interprétation, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 65-77)

L'interprétation désigne d'abord le genre d'appréhension, voire de connaissance, relatif aux obje... more L'interprétation désigne d'abord le genre d'appréhension, voire de connaissance, relatif aux objets qui appartiennent à la sphère des phénomènes culturels ou -pour reprendre l'expression de Dilthey qui a défendu la spécificité des sciences humaines face aux sciences de la nature -des extériorisations vitales durablement fixées 1 . Cette sphère s'étend des textes jusqu'aux vestiges et monuments historiques en passant par les oeuvres d'art et les institutions juridiques et politiques. Mais il suffit de penser à l'interprétation médicale des symptômes pathologiques pour se voir conduit au-delà de ces limites puisque le médecin a immédiatement affaire à une entité qui est simultanément spirituelle et biologique. S'il est dès lors difficile d'en rester au dualisme traditionnel entre les sciences dites humaines ou de l'esprit et les sciences dites naturelles, il n'est pas moins remarquable que certaines avancées de l'éthologie invitent à penser l'interprétation comme une activité qui appartient non seulement aux hommes, mais plus largement aux vivants. Nous nous proposons ici de montrer la nécessité d'élargir ainsi la sphère d'application du concept d'interprétation. Il conviendra en un second temps de s'interroger sur les distinctions qu'un tel élargissement appelle afin que le concept ne perde pas de son acuité en méconnaissant la spécificité de l'interprétation propre aux hommes. humaines que le débordement du grand partage entre les sciences s'avère nécessaire. Mais cette nécessité est également avérée si l'on se situe du côté des sciences de la nature, c'est-à-dire au regard des observations du fondateur de l'éthologie : Jacob von Uexküll 4 . Uexküll est d'abord connu pour avoir forgé en 1909 le concept de monde ambiant ou environnant, c'est-à-dire d'Umwelt, dont on connait le succès ; mais on méconnait le plus souvent le fait que c'est en opposition explicite au concept de « milieu » qui s'était pourtant déjà acclimaté dans la langue allemande, y compris chez Dilthey où il concurrence « environnement » (Umgebung) 5 . « La doctrine positiviste d'un monde objectif omni-englobant culmine dans la théorie dite du milieu (Milieu) qui considère l'homme singulier comme le produit de son environnement (Umbegung) immédiat, écrit Uexküll. On a ainsi finalement fait de l'ombre le régent de l'effectivité. Car le monde objectif n'est qu'une ombre translucide de tous les mondes ambiants humains et il est dénué de toute réalité qui lui soit propre » 6 . Si le monde ambiant est à la fois celui qui est perçu et donc celui où se déploie l'activité d'un sujet (Merk-et Wirkwelt), ce que Uexküll récuse, c'est la confusion (celle de Comte, Durkheim, Tarde…) entre la fiction utile d'un tel monde objectif et le caractère subjectif du monde ambiant effectif, c'est-à-dire aussi son caractère relationnel ou corrélatif. Si cela signifie, comme on le verra, que l'appréhension du

Research paper thumbnail of De l’interprétation des symptômes à la lecture des chiffres dans la pensée de Jaspers » (publié in Introduction à l’herméneutique médicale, Éd. Le cercle herméneutique, 2011, p. 33-44)

Il convient, au regard de la tendance dominante et déjà ancienne à réduire la médecine à une tech... more Il convient, au regard de la tendance dominante et déjà ancienne à réduire la médecine à une techno-science parmi d'autres, de réinterroger ce qui lui donne son sens : l'expérience de la maladie. Comme on sait, cette expérience se traduit par un trouble de l'assiette du malade, comme disait déjà Montaigne, un trouble qui, en général, est accompagné par une souffrance, qu'il revient au médecin de, respectivement, rétablir et soulager ; mais elle est par ailleurs toujours susceptible de mettre en jeu la vie même du malade en le confrontant à la possibilité de sa mort. Qu'en est-il à ce double égard de la tâche du médecin, dont Hippocrate et Galien ont, au premier abord étrangement, laissé entendre qu'elle avait à voir avec la philosophie ? La pensée de ce malade chronique 1 et médecin philosophe que fut Karl Jaspers mérite ici d'être entendue, dans la mesure où, reprenant à son compte une telle suggestion, elle invite à distinguer -tout en les articulant -une dimension proprement herméneutique et une seconde dimension qui l'excède 2 . Après avoir indiqué les grandes lignes de la conception que Jaspers se fait de l'herméneutique médicale, je me propose d'en cerner les limites au regard de la philosophie existentielle qu'il a élaboré, c'est-à-dire en considérant d'abord la souffrance qui accompagne la maladie, puis la dimension plus obscure à laquelle cette souffrance est susceptible de donner accès.

Research paper thumbnail of L’origine et l’avenir biologique de la notion diltheyenne de structure (publié in Dilthey. Une pensée de la structure, in Lo Sguardo – Rivista di filosofia, n° 14, 2014 (I) – Wilhelm Dilthey : un pensiero della struttura,  p. 101-116)

In his « Ideas for a Descriptive and Analytic Psychology » Dilthey thinks of the psychic nexus or... more In his « Ideas for a Descriptive and Analytic Psychology » Dilthey thinks of the psychic nexus or Lebenszusammenhang as a purposive nexus, and I shall first investigate the meaning of this notion; but as psychic nexus refers in this essay not only to human but more widely to animal psyche, how should we understand this purposiveness? In his last work Dilthey uses another word than purposiveness or Zweckmäßigkeit: the word Zielstrebigkeit which was borrowed from the biologist Karl von Baer und which means a strive without any consciousness. The third and last part of this paper invites to consider a key concept of Jakob von Uexküll, which gives perhaps the possibility to go beyond the " nexus " : the concept of Komposition. « L'analogie saussurienne entre la langue et le jeu d'échec peut-être poussée jusqu'au bout. Il existe des changements linguistiques qui, pareillement au jeu d'échecs, ont " l'intention d'exercer une action sur le système " », « la question du but d'un événement phonétique qui s'impose de plus en plus au linguiste, à la place de la question traditionnelle des causes » (« Proposition au premier congrès international de linguistes », écrit en octobre 1927, puis contresignée par Karcevski et Trubetzkoy, et reproduite dans les Actes du 1 er Congrès International de Linguistes du 10-15 avril, 1928, réédité in Selected Writings I, The Hague, Mouton & Co, 1962, p. 6). Pointe le « dogme » saussurien (p. 17) de l'antinomie entre « le sens interne fonctionnel du système linguistique » et « le manque de sens », le « hasard aveugle de l'évolution de la langue ». « Dans l'interprétation de la diachronie, Saussure se rattache étroitement aux traditions scientifiques du XIX e siècle. Pour lui, les changements se produisent en dehors de toute intention, ils sont fortuits et involontaires, certains éléments sont altérés sans égard à la solidarité qui les lie au tout et, en conséquence, ne peuvent êere étudiés qu'en dehors du système ; le déplacement d'un système se fait sous l'effet d'évènements qui non seulement lui sont étrangers, mais qui sont isolés et ne forment pas un système entre eux. Ainsi se creuse un fossé profond entre la linguistique diachronique et la linguistique synchronique, la brillante comparaison de Saussure et le jeu de la langue et une partie d'échecs perd sa force persuasive si l'on se range à l'opinion de Saussure affirmant que la langue ne prémédite rien et que ses pièces se déplacent fortuitement. Cette affirmation nous fait présenter l'histoire des sons d'une langue donnée comme une suite de troubles et de " détériorations " aveugles causées par

Research paper thumbnail of Prendre soin, prodiguer des soins : le souci de soi, des autres et de la nature (publié in Ethique, politique, religions 2013 – 2, n° 3, Prendre soin de la nature et des hommes, p. 31-44)

Résumé : La thèse soutenue par cette contribution défend une double thèse. Le soin demande d’abor... more Résumé :
La thèse soutenue par cette contribution défend une double thèse. Le soin demande d’abord à être entendu en un sens existentiel, c’est-à-dire désigne un mode d’être qui concerne, de ce fait, aussi bien sa propre personne, autrui que la nature. Le contexte propre à notre époque actuelle implique par ailleurs d’articuler ce souci existentiel au politique. Faute de quoi, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, les discours relatifs au soin relèvent surtout d’une bien-pensance soucieuse de déterminer des règles, finalement techniques, destinées à moraliser les relations humaines.

The aim of the article is to outline the idea that care has to be thought of as an existential concept, i.e. a way of being, and as such it concerns simultaneously the self, the other human beings and nature. In the context of globalization this existential care implies also a political dimension. Otherwise the notion of care belongs nowadays mainly to political correctness.

Research paper thumbnail of L’animal dans la peinture de Roelandt Savery (publié in Au risque de l’existence : le mythe, la science et l’art, EUD, 2009, p. 209-219)

Les animaux, les paysages et les bouquets floraux constituent les grands thèmes de la peinture de... more Les animaux, les paysages et les bouquets floraux constituent les grands thèmes de la peinture de Savery, mais son oeuvre est en particulier un des témoins majeurs du processus au terme duquel l'animal devient un objet d'intérêt en soi, et non plus un simple élément d'un paysage -un processus qui commence dans la seconde moitié du XVI e siècle et s'observe en particulier dans la peinture et la tapisserie flamandes. Avant de se demander dans quelle mesure sa peinture est encore susceptible de nous toucher aujourd'hui, il convient de repréciser le contexte de l'activité picturale de Savery. En ce qui le concerne, le qualificatif de flamand demande à être relativisé dans la mesure où, comme l'indique Georges Marlier, c'est, 1 du fait des guerres de religion, « hors des frontières des anciens PaysBas que s'élabore alors la peinture flamande vivante » 1 .

Research paper thumbnail of Vérité et méthode et la question de la compréhension interculturelle (publié in Fifty Years after H.-G. Gadamer’s Truth and Method, Yearbook of Philosophical Hermeneutics 5/ 2012, p. 239-252)

Il est étrange de constater, aujourd'hui plus encore que dans les années soixante du 20 e siècle,... more Il est étrange de constater, aujourd'hui plus encore que dans les années soixante du 20 e siècle, l'absence d'intérêt marqué de Vérité et méthode pour la compréhension interculturelle, c'està-dire, au fond l'absence d'une curiosité pour la figure peut-être la plus extrême de l'altérité ou de l'étranger pour un Européen : celle de l'Extrême-orient, et cela vaut évidemment au premier chef de la philosophie. On peut comprendre que, au cours des années cinquante, Gadamer ait plus eu à l'esprit la question de l'intercompréhension européenne qui est par ailleurs plus facile à penser dans la mesure où les peuples européens ont un sol de traditions communes. Au début des années quatre-vingt-dix, Gadamer a pourtant noté la nouveauté du défi que constitue la puissance du « développement technique et industriel » à une époque où ce n'est plus seulement l'Europe, mais « toute l'humanité sur cette terre » qui doit « apprendre à penser de manière oecuménique » 1 . Et s'il pointe la nature écologique de ce défi, Gadamer pose aussi la question de l'incidence de cette nouvelle oikoumenè sur la philosophie au sens occidental de ce terme, et, inversement de l'« exposition » de l'ensemble du monde à la philosophie européenne 2 .

Research paper thumbnail of Que disent les locutions : de, devant, et, en tant que, entre… ? (publié in Le langage, Alter n° 19 / 2011, p. 107-122)

Que disent les locutions de, devant, et, en tant que, entre… ? Comme tous les termes d'une langue... more Que disent les locutions de, devant, et, en tant que, entre… ? Comme tous les termes d'une langue, les concepts philosophiques n'ont de sens que par leur relation à l'ensemble de la conceptualité à laquelle ils appartiennent. Mais cela signifie que la relation entre les concepts n'est pas moins essentielle que ces derniers. Et c'est cette relation que disent les éléments du langage que l'on appelle communément des particules de liaison comme de, et, après…, en dehors desquelles la parole serait pure nomination. Seulement, poser l'égale importance de ces particules par rapport aux termes qu'elles relient implique la mise en question du primat accordé par la logique aux concepts, et donc le primat ontologique des essences qu'ils désignent, c'est-à-dire le privilège accordé à ce que la tradition philosophique appelle les catégorèmes par rapport aux syncatégorèmes, ou encore aux énoncés auto-sémantiques ou auto-signifiants par rapport à ceux qui ne sont que co-sémantiques ou co-signifiants, et dont la diversité est irréductible aux connecteurs logiques.

Research paper thumbnail of La reconduction de la parole à la praxis chez Gadamer et Wittgenstein (publié in Wittgenstein et l’herméneutique, Ch. Chauviré éd., Paris, L’art du comprendre, n° 20 / 2011, p. 163-173)

On sait que Wittgenstein a élaboré sa pensée à une époque où celle de Gadamer n'avait pas encore ... more On sait que Wittgenstein a élaboré sa pensée à une époque où celle de Gadamer n'avait pas encore trouvé son expression. Inversement, Gadamer, qui a explicitement qualifié sa philosophie d'herméneutique n'a « pu étudier l'oeuvre tardive de Wittgenstein qu'après avoir tracé [son] propre chemin de pensée » 1 . C'est donc seulement rétrospectivement qu'il a pointé une convergence entre sa pensée et celle du Wittgenstein des Recherches philosophiques, dont il compare l'importance au 20 e siècle à celle de Heidegger, leur commune reconnaissance de l'autonomie de la langue parlée ayant fait « s'effondrer l'affect antimétaphysique du positivisme logique » 2 . La convergence est d'abord négative, puisqu'elle tient à un commun rejet de l'analyse logique de la langue à laquelle invite le positivisme logique. Mais par-delà cette critique, Gadamer met l'accent sur l'horizon commun de leur interrogation relative au langage dans son épaisseur historique, le seul chemin, à ses yeux, auquel la philosophie se voit le plus clairement reconduite 3 . À supposer que l'on admette, au moins à titre provisoire, qu'ils frayeraient tous deux leurs chemins dans une telle direction, le contexte et les arrière-plans de leurs interrogations sont néanmoins si différents -ou, pour le dire en termes wittgensteiniens, la différence des jeux de langage dans lesquels le terme de langage intervient est si remarquable -, que l'on peut se demander si l'acception de ce terme est bien la même. Si cela vaut aussi de concepts qu'ils ont tous deux thématisé de façon remarquable et dont la comparaison permettrait de mieux saisir leurs originalités respectives -ceux de compréhension ou de jeu en seraient de bons exemples 4 . -, il convient plutôt de s'interroger sur la spécificité de leur interrogation, 1 Gesammelte Werke (désormais cité GW suivi du tome et de la page), Tübingen, J. C. B. Mohr, 1986, tome 2, p. 4, « Entre phénoménologie et dialectique ». 2 GW 2, 71 sq., trad. « La nature de la "res" et le langage des choses », in L'art du comprendre (désormais AC), tome II, Paris, Aubier, 1991, p. 130. 3 GW 2, 71, trad. AC II, 130. 4 Dans sa postface de 1972 à la 3 ème édition de Vérité et méthode, Gadamer considère ainsi que dans « le concept de jeu [qu'il a] arraché il y a déjà des décennies à la sphère subjective de la "pulsion ludique" (Schiller) et employé pour critiquer "la différenciation esthétique" […] s'unissent le jeu réciproque (Ineinanderspiel) de l'événement et de la compréhension, mais aussi les jeux langagiers de notre expérience du monde en général, puisque celle-ci constitue le cadre à l'intérieur duquel ces concepts prennent sens. Nous commencerons par considérer deux passages des écrits de Gadamer qui tendent à effacer les différences entre les deux penseurs, avant d'interroger la nature de l'écart que ce rapprochement ne saurait néanmoins combler.

Research paper thumbnail of Le port, l’allure et la gravité de l’exister (publié in Le cercle herméneutique n° 18-19, 2012, p. 9-12)

Si le mode d'être spatial de l'existence humaine a été mis en évidence par Heidegger dans Être et... more Si le mode d'être spatial de l'existence humaine a été mis en évidence par Heidegger dans Être et temps, on sait encore que Binswanger a invité à penser cette spatialité en fonction de directions de sens. Essentiellement déterminées par les axes de verticalité et d'horizontalité, ces directions s'avèrent néanmoins le plus souvent inégalement accentuées dans l'existence de chacun, dans la mesure où celle-ci parvient plus ou moins à s'approcher de ce que serait une juste « proportion anthropologique ». Seulement, l'élévation ou la chute, les deux grandes

Research paper thumbnail of Le répons poétique de Rilke au Torse de Milet (publié in Miettes esthétiques, Université de Bourgogne, 2015, p. 107-135)

La transposition, par exemple, d'un roman en une oeuvre cinématographique ou d'une oeuvre plastiq... more La transposition, par exemple, d'un roman en une oeuvre cinématographique ou d'une oeuvre plastique en une oeuvre littéraire relève d'un fait, mais elle n'en pose pas moins une question dès lors que l'on admet la singularité de chacune des formes d'art. Déjà posée par la description du bouclier d'Achille au chant XVIII de l'Iliade, cette question est largement thématisée par un poète qui a interrogé sa propre pratique d'une telle transposition : Rainer Maria Rilke. Ainsi, de quel ordre est la relation du poème rilkéen Torse archaïque d'Apollon1 au torse anonyme du 5 e-6 e siècle, dit de Milet d'après le théâtre où cette sculpture fut trouvée et qui est maintenant conservée au Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre ? Ce poème est-il simplement inspiré par cette forme plastique ou peut-on y voir une tentative de transposer ou de traduire celle-ci en un poème ? Si ce poème de Rilke ouvre la deuxième partie des Nouveaux poèmes dédiée à Rodin qui lui a fait découvrir les oeuvres de l'Antiquité et dont il a été le secrétaire, cette question de la traductibilité d'une oeuvre donnée en une autre d'un autre genre est encore posée par les descriptions rilkéennes des statues du sculpteur de Meudon dans la monographie que le poète lui a consacré2.

Research paper thumbnail of La  vérité du mythe dans la pensée de Patočka (publié in Jan Patočka. Liberté, existence et monde commun, Éd. du Cercle herméneutique, 2012, p. 225-238)

Le mythe tel que je l'entends est une chose sans laquelle l'homme pourrait difficilement vivre. [... more Le mythe tel que je l'entends est une chose sans laquelle l'homme pourrait difficilement vivre. [...] l'homme est un être qui vit dans la vérité, qui ne peut vivre autrement, car l'homme est un être déterminé dans sa structure par la manifestation en tant que telle et par la manifesteté, et la manifesteté première, radicale et encore non réfléchie, s'exprime sous la forme du mythe » (Patočka, Platon et l'Europe, 52). Traditionnellement, le discours ou la parole mythique n'est jamais considéré que comme l'autre, l'antipode, du discours philosophique, la naissance de la philosophie impliquant l'arrachement au mythe qui ne serait que l'une des modalités de la doxa. C'est apparemment aussi le point de vue de Patočka 1 lorsqu'il déclare ne s'y intéresser que dans la mesure où la philosophie se déploie dans un « cadre mythique », c'estàdire se démarque du mythe 2 en ébranlant -par son questionnement -son supposé savoir et en ouvrant ainsi la dimension de l'histoire 3 . Cela signifie donc que, inversement, la dimension dans laquelle se déploie le mythe est d'ordre « préhistorique » en un sens qu'il nous faudra d'autant plus éclairer qu'il semble difficile à entendre de façon essentiellement chronologique, puisque c'est constamment à partir du mythe que la philosophie se déploie. Seulement, comment comprendre que Patočka considère le mythe comme « vrai », ce qui impliquerait la récusation de l'esprit même qui, au nom des Lumières, a commandé son rejet ? 4 À cet égard, le mythe semble être un phénomène plus difficile à élucider qu'on ne l'admet communément 5 .

Research paper thumbnail of L’impact de la philosophie jaspersienne de l’existence sur la Psychopathologie générale (publié in La Psychopathologie générale  de Karl Jaspers 1913-2013, Éditions du Cercle herméneutique, 2013, p. 167-183)

Dans sa contribution intitulée « Karl Jaspers und die Psychiatrie » (1943) au recueil destiné à f... more Dans sa contribution intitulée « Karl Jaspers und die Psychiatrie » (1943) au recueil destiné à fêter le soixantième anniversaire du philosophe pendant la Seconde Guerre, Binswanger n'hésite pas à écrire : « Comme auteur de la Psychopathologie générale et de Strindberg et Van Gogh, Jaspers a indiqué à la recherche psychiatrique l'orientation et la voie vers l' "esprit". Ne serait-ce que pour cette raison, nous considérons l'interruption de sa carrière psychiatrique comme la plus grande possibilité manquée de la psychiatrie moderne » 2 . Mais le propre de Jaspers n'est pas encore pour autant pointé au regard d'une distinction essentielle de la version plus tardive de la Psychopathologie qui paraît trois ans plus tard. Ce qui le singularise, c'est la distinction -déjà thématisée dans sa Philosophie de 1932, mais pratiquement sans considération de la maladie -entre deux dimensions de la compréhension : la compréhension de la maladie, qui est d'ordre psychologique ou herméneutique et celle qui est d'ordre existentiel. La première relève des sciences dites naturelles et humaines, la seconde de la philosophie existentielle -et ces dimensions définissent les deux versants de la tâche du médecin. Quelle est l'incidence de la pensée existentielle de Jaspers sur la conception de la psychopathologie élaborée à l'époque où il s'était engagé dans la voie de la psychiatrie ? Après avoir éclairé le sens de la compréhension psychologique des symptômes pathologiques, nous en rappellerons les limites en particulier dans la mesure où la souffrance accompagne la maladie ; un dernier moment mettra en évidence la dimension clair-obscure vers laquelle l'être-malade fait signe et qui excède celle communément qualifiée de psychosomatique.

Research paper thumbnail of La question de la compréhension interculturelle à l’âge écologique (publié in Charles Taylor. Interprétation, modernité et identité, Argenteuil, Le cercle herméneutique, 2014, p. 53-68)

La pensée de Charles Taylor s'est élaborée dans la confrontation au phénomène du multiculturalism... more La pensée de Charles Taylor s'est élaborée dans la confrontation au phénomène du multiculturalisme propre aux sociétés qui ont connu de fortes immigrations ; l'expérience quotidienne du multiculturalisme de certaines mégalopoles et plus largement, par exemple, du Canada, est loin d'être celle de toutes les sociétés actuelles. Mais même dans les sociétés dans lesquelles cette expérience n'est pas immédiate, on considère que la globalisation appelle néanmoins une compréhension réciproque entre les cultures. Dans les deux cas, cette compréhension est en général simplement destinée à permettre une meilleure communication destinée à faciliter le commerce, et non à comprendre l'autre en tant que tel. C'est pourquoi, comme y invite Fred Dallmayr, il convient de distinguer deux niveaux, respectivement faible et fort, de compréhension. Le premier vise à assurer une « stratégie pragmatique de communication » et les conditions d'un « discours moral universel » afin de penser les conditions formelles capables d'assurer une communication correcte. Une véritable compréhension, un véritable « dialogue herméneutique éthique », vise en revanche à comprendre des modes de pensée et d'être, des styles de vie, étrangers 1 . Quelle en serait la nécessité ? Il est assurément possible de s'intéresser à des modes étrangers et singuliers de vie et de pensée à titre ethnologique. Mais une telle entente n'a en elle-même rien de nécessaire. Elle peut également répondre à une demande de reconnaissance, mais cette entente n'est pas non plus absolument nécessaire, puisque certaines cultures bénéficient déjà de cette reconnaissance. En revanche, aussi trivial que soit le constat, il me semble qu'une entente est aujourd'hui nécessaire à toutes les cultures à propos d'une question précise : la question écologique. La nécessité d'une telle entente tient au fait que les questions de cet ordre ne 1 F. Dallmayr, « Modalities of Intercultural Dialogue », in Cultural Diversity and Transversal Values : East-West Dialogue on Spiritual and Secular Dynamics, Paris, Unesco, 2006, p. 79, et voir p. 80 : « In ethicalhermeneutical dialogue, partners seek to understand and appreciate each other's life stories and cultural backgrounds, including cultural and religious (or spiritual) traditions, storehouses of literary and artistic expressions, and existential agonies and aspirations. It is in this mode that cross-cultural learning most importantly takes place ».

Research paper thumbnail of La rencontre entre Ebeling et Heidegger (publié in Revue de théologie et de philosophie, 144 (2012), p. 293-304)

Résumé : Le protocole des deux séances du séminaire auquel Ebeling invite Heidegger à participer ... more Résumé :
Le protocole des deux séances du séminaire auquel Ebeling invite Heidegger à participer en 1961 témoigne de leur tentative de dialoguer sur le fond, du côté de Heidegger, de son dialogue antérieur avec Bultmann et de sa lecture de Luther au cours des années 1920, et, du côté de Ebeling, de sa familiarité avec l’œuvre ultérieure de Heidegger. Afin d’interroger la relation entre théologie et philosophie, Ebeling propose de partir de la Disputatio de homine de Luther. La lecture du De homine par Heidegger, essentiellement interrogative, s’abstient étonnamment de recourir aux notions à l’aide desquelles se déploie sa propre pensée, pour s’attacher au texte même de Luther. Heidegger interroge la manière dont Luther s’approprie la conceptualité scolastique en la soumettant à une destructio. Reprenant une suggestion de Ebeling, Heidegger avance d’abord que la définition théologique de l’homme repose sur le prédonné du kérygme, ce qui implique de penser l’homme en termes d’écoute. Il interroge ensuite l’appropriation luthérienne de la conception scolastique de l’homme, des quatre causes et du couple forme – matière, pour opposer aux scolastiques l’expérience grecque de l’homme en tant que mortel.

Research paper thumbnail of L’appropriation gadamérienne de l’esthétique ingardienne des œuvres d’art architecturales (publié in The Dialogue, Yearbook of Philosophical Hermeneutics 6 / 2014, Constellations herméneutiques. Interprétation et liberté, Lit Verlag, p. 161-174)

On sait que l'herméneutique de Gadamer accorde une place fondamentale au langage auquel est consa... more On sait que l'herméneutique de Gadamer accorde une place fondamentale au langage auquel est consacrée la troisième et dernière partie de Vérité et méthode et, de ce fait, à la poésie. On pourrait donc s'attendre à ce que l'architecture -comme les arts plastiques en général -se voit considérée comme la forme d'art la plus pauvre, puisque la plus éloignée des idéalités langagières. Or malgré cette place essentielle accordée au langage, le point d'orgue de « l'ontologie de l'oeuvre d'art » 1 par laquelle s'ouvre Vérité et méthode est une analyse de la singularité de l'architecture. Destinée à vérifier les thèses antérieures relatives à la vérité de l'oeuvre d'art, et en particulier à la littérature, cette analyse s'achève par la célèbre déclaration selon laquelle il nous faudrait substituer une herméneutique à l'esthétique. Seulement, si Gadamer invite alors à se référer plutôt à Hegel qu'à Schleiermacher, sa critique d'une esthétique des oeuvres d'art vise aussi Roman Ingarden auquel Gadamer ne manque pas de se référer nommément 2 ; quels sont le sens et la portée de cette référence généralement ignorée par les commentateurs 3 de Vérité et méthode ? L'oeuvre d'art littéraire. Recherches à la frontière de l'ontologie, de la logique et de la littérature (1931) d'Ingarden se donne pour tâche d'investiguer les différents modes d'être des oeuvres d'art, et c'est aussi à l'ontologie qui s'esquisse dans cet ouvrage, qui n'est pas sans avoir marqué aussi bien Mikel Dufrenne que Wolfgang Iser, que répond Gadamer. Plutôt que d'interroger l'impact en général de la lecture d'Ingarden sur la pensée de Gadamer, nous considérerons ici l'architecture au regard d'une part de l'importance que lui accorde Vérité et méthode, et d'autre part du fait que Ingarden lui consacre un essai spécifique. Gadamer ne pouvait pourtant y renvoyer dans Vérité et méthode, car l'ampleur du manuscrit de L'oeuvre d'art littéraire fit reporter l'édition de L'oeuvre d'art architecturale d'Ingarden et des autres essais complémentaires et relatifs à la musique et aux arts plastiques en général, de sorte que 1 Gadamer, Wahrheit und Methode, Gesammelte Werke, Tübingen, J. C. B. Mohr -désormais cité WM suivi de la page -, p. 196 sq., trad. P. Fruchon, J. Grondin, G. Merlio, Vérité et méthode, Paris, Seuil, 1996.

Research paper thumbnail of La question en retour sur la vie et l’idée husserlienne de la biologie comme science universelle (publié in La Krisis de Husserl. Approches contemporaines, Le Cercle herméneutique n° 10, 2008, p. 95-106)

La mise en question des limites de la physique, c'est-à-dire de la science galiléenne, qui invite... more La mise en question des limites de la physique, c'est-à-dire de la science galiléenne, qui invite à remonter en amont des « vêtements d'idées » que constituent ses idéalisations, c'est-à-dire ses théorisations, est un des thèmes les plus célèbres de la Krisis. Comme on sait, Husserl y défend la thèse selon laquelle ces théorisations recouvrent l'expérience propre au monde de la vie et sont indissociables de l'oubli de la question de leur sens, du sens, pour la vie, de la science. Celle-ci se transforme alors en simple technique -le sens même du terme de science n'étant plus que « résiduel » 1 . C'est aussi dans ce cadre que s'élaborent les considérations husserliennes relatives à l'historicité, c'est-à-dire à la traditionalité, et à la communauté de l'existence des hommes. Mais -déployée en particulier à partir du § 63, et plus encore dans les § 65 à 67 de la Krisis -la critique du concept d'expérience propre aux sciences modernes au regard de l'expérience « commune » propre au « monde de la vie » 2 , a un enjeu plus décisif pour la phénoménologie. Cette critique dénonce en effet le dualisme psychophysique classique, le dualisme de l'esprit et du corps, de la culture et de la nature : un tel dualisme est « en contradiction », déclare le § 65, avec les sources les plus originelles de l'expérience 3 . Pour surmonter ce dualisme, il faut donc revenir à notre « expérience des corps » et revenir des théorisations de la biologie moderne ; c'est la voie dans laquelle s'engage l'appendice XXIII au § 65, alors que le § 66 thématise le concept d'expérience commune. Sans interroger ici l'idée problématique d'une « expérience nue » (schlichte Erfahrung) -expérience « dans laquelle le monde de la vie est donné, [et qui] est le fondement ultime de toute connaissance 1 Die Krisis, Husserliana VI (désormais Hua, suivi de la pagination), § 3, p. 6, trad. G. Granel, La crise des sciences européennes et la philosophie transcendantale (désormais cité La crise suivi de la pagination), Gallimard, 1976, p. 13. 2 Hua VI, § 65, p. 227, trad. La crise, p. 253 et 254. 3 Hua VI, § 65, p. 228, trad . La crise, p. 253.

Research paper thumbnail of L'Idée d’une philosophie mondiale (Conférence à l'Institut francais de Mainz 2013)

La mondialisation qui signe le commencement d'une « histoire mondiale », où les différentes cultu... more La mondialisation qui signe le commencement d'une « histoire mondiale », où les différentes cultures sont amenées à partager un même destin, appelle à une compréhension interculturelle qui ne se réduise pas à permettre des échanges d'ordre économique. Ce tournant est une chance pour l'Europe ou l'Occident, puisqu'il lui donne la possibilité d'interroger ses propres présupposés ou préjugés afin de parvenir à une « raison élargie » comme disait Kant. Goethe parlait déjà en son temps de « littérature mondiale », mais la possibilité et la nécessité d'une philosophie mondiale peut se penser à partir de deux philosophes, allemand et français, et du modèle que constitue une philosophie qui s'est déployée au 20 e siècle sans que nous puissions dire qu'elle est allemande ou française puisqu'elle est les deux à la fois. Ces deux philosophes, ce sont Karl Jaspers et Merleau-Ponty. Ils se sont rencontrés après la Seconde Guerre à l'occasion des « Rencontres internationales » de Genève, bien que leur méconnaissance de la langue de l'autre n'ait pas permis d'échange fructueux ; mais tous deux appellent explicitement à élargir l'horizon et le sol de la philosophie européenne. Le modèle, c'est celui que constitue le mouvement dit phénoménologique. Après avoir précisé l'idée jaspersienne d'une philosophie mondiale, il conviendra d'interroger l'idée romantique de compréhension dans la mesure où elle semble interdire par avance la possibilité d'une compréhension interculturelle ; un dernier temps sera consacré à une notion qui chez Merleau-Ponty permet de penser la possibilité de philosophies qui se sont effectivement déployées et que l'on pourrait qualifier de « mondiales ». Je commence par l'exemple qui atteste de la fécondité d'une rencontre entre des traditions de pensée étrangères et qui est susceptible de constituer un modèle pour penser la possibilité d'une philosophie mondiale. Comme on sait, le courant phénoménologique, dont les fondateurs sont Husserl, Heidegger ou Scheler, est initialement allemand ; mais pendant et après la Seconde Guerre mondiale, ce mouvement se transplante en France où l'on s'approprie de manière originale les questions et les concepts phénoménologiques, et ses figures sont alors essentiellement françaises : Sartre, Merleau-Ponty, Lévinas, Michel Henry ou Jean-Luc Marion…, de sorte que cela n'a plus beaucoup de sens de se demander si, pris en sa totalité, ce mouvement est allemand ou français : c'est un courant pour ainsi dire « francoallemand », si l'on admet que ce genre de caractérisation nationale est pertinent et renvoie à Et, dans la mesure où ces grandes figures continuent à déterminer le sens même de l'existence humaine, le premier volume des Grands philosophes de Jaspers, qui est consacré aux « éveilleurs », compte aussi bien Confucius, Le Bouddha et Jésus que Socrate. Mais l'idée d'une époque axiale de l'humanité ne sert pas simplement à mieux comprendre le passé : Jaspers avance en effet que nous sommes peut-être aujourd'hui à l'époque d'une seconde époque axiale, où, du fait cette fois d'une confrontation des cultures, l'humanité est susceptible de connaître un nouveau moment de son histoire. Elle se tiendrait, estime Jaspers, devant une alternative entre le déploiement d'un « empire mondial » (Weltimperium) qui imposerait une paix, mais en annihilant la liberté, et un « ordre mondial » (Weltordnung) auquel nous parviendrions librement. Un tel ordre implique une compréhension réciproque, c'est-à-dire une communication interculturelle dans le cadre de laquelle devrait émerger une « philosophie mondiale » pour reprendre, là encore, une expression jaspersienne.

Research paper thumbnail of Le partage du sens à l’origine de l’humanité (publié in Le sens commun,  EUD, 2004, p. 75-92)

On parle du sens de " l'hospitalité ", de " l'amitié ", de " la décoration " ou même de " l'ortho... more On parle du sens de " l'hospitalité ", de " l'amitié ", de " la décoration " ou même de " l'orthographe " pour désigner un genre particulier de savoir inégalement réparti entre les hommes. L'expression de sens commun désigne en revanche la capacité commune à tous les hommes de saisir un ensemble de savoirs primitifs constituant l'assise des savoirs plus particuliers. Par sa généralité, ce sens serait du même ordre que le " sens de la mesure ". Un tel sens commun suppose donc qu'il y ait des évidences premières irréductibles à la sphère des simples opinions communes. Et dans la mesure où ces savoirs sont communément partagés par les hommes en vertu de leur commune lumière naturelle, le sens commun renvoie implicitement à une communauté humaine. Comment penser l'articulation de ces deux dimensions théorique et sociale ?

Research paper thumbnail of L’esthétique brentanienne comme science normative (publié in Studia Phaenomenologica, IV, n° 1-2 / 2004, p. 31-51)

Comme on sait, la Psychologie du point de vue empirique de Brentano distingue trois classes de ph... more Comme on sait, la Psychologie du point de vue empirique de Brentano distingue trois classes de phénomènes psychiques, mais si celle des représentations constitue le fond des deux autres, les représentations se caractérisent aussi par le fait qu'elles n'impliquent aucune position ou ne sont pas polarisées comme le sont les classes du jugement qui affirme ou nie, et du vouloir / du désir qui aime ou hait. L'asymétrie entre la première des trois classes et les deux autres laisse ainsi supposer qu'il ne saurait y avoir de rectitude ou de correction en ce qui concerne une représentation 1 . Avancer l'idée d'une correction de la représentation semble donc relever d'un non sens. Bien qu'il reconnaisse la difficulté 2 , Brentano fait néanmoins correspondre aux trois classes de phénomènes psychiques trois sciences pratiques normatives : l'éthique, la logique et l'esthétique, et il est ainsi 1 Il est ainsi remarquable que l'analyse par Chisholm du concept de valeur intrinsèque ne dise pratiquement mot de l'esthétique, voir Brentano and Intrinsic Value, Cambridge University Press, 1986. 2 Grundzüge der Ästhetik, Bern, Francke Verlag, 1959, p. 144. Voir aussi par exemple Vom Ursprung sittlicher Erkenntnis, Hambourg, Meiner, 1969, § 21, 22 et 30, trad. M. de Launay, L'Origine de la connaissance morale, Gallimard, 2003, p. 52 et 68. Mais dans la mesure où le sentiment esthétique est précisément un sentiment, il est nécessaire de s'interroger sur préciser la nature de la relation entre représentation et sentiment. La question posée par cette esthétique comme science pratique est donc double.

Research paper thumbnail of Le sol et l'horizon rhétorique de l'herméneutique : de H.-G. Gadamer à R. Rorty (publié in La Rhétorique : Enjeux de ses résurgences, Bruxelles, Ousia, 1998, p. 224-244)

De façon très générale, et comme le notait déjà Schleiermacher 1 , le dire et l'entendre, la paro... more De façon très générale, et comme le notait déjà Schleiermacher 1 , le dire et l'entendre, la parole et la compréhension, constituent les deux versants indissociables du caractère langagier de notre existence. Autrement dit, dans la mesure où toute parole s'adresse à quelqu'un dans l'espoir d'être entendue et où le phénomène de la compréhension est langagier, la rhétorique et l'herméneutique sont entrelacées ou s'appellent l'une l'autre. En second lieu, c'est le sens même de la rhétorique et de l'herméneutique qui coïncide, si l'on admet qu'elles visent toutes deux à franchir la distance qui nous sépare d'autrui, de l'étranger 2 , que l'étrangèreté soit celle d'un toi, ou celle de cultures, de mondes historiques passés, de sorte que puisse finalement être surmontée notre propre étrangèreté à nousmêmes. La difficulté de persuader, de toucher, autrui par la parole, comme la difficulté de le comprendre, d'être touché, a conduit à élaborer une théorie et un art du discours persuasif, comme une théorie et un art de la compréhension.

Research paper thumbnail of L’interprétation comme mode d’être de l’animal et de l’homme (publié in L’interprétation, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 65-77)

L'interprétation désigne d'abord le genre d'appréhension, voire de connaissance, relatif aux obje... more L'interprétation désigne d'abord le genre d'appréhension, voire de connaissance, relatif aux objets qui appartiennent à la sphère des phénomènes culturels ou -pour reprendre l'expression de Dilthey qui a défendu la spécificité des sciences humaines face aux sciences de la nature -des extériorisations vitales durablement fixées 1 . Cette sphère s'étend des textes jusqu'aux vestiges et monuments historiques en passant par les oeuvres d'art et les institutions juridiques et politiques. Mais il suffit de penser à l'interprétation médicale des symptômes pathologiques pour se voir conduit au-delà de ces limites puisque le médecin a immédiatement affaire à une entité qui est simultanément spirituelle et biologique. S'il est dès lors difficile d'en rester au dualisme traditionnel entre les sciences dites humaines ou de l'esprit et les sciences dites naturelles, il n'est pas moins remarquable que certaines avancées de l'éthologie invitent à penser l'interprétation comme une activité qui appartient non seulement aux hommes, mais plus largement aux vivants. Nous nous proposons ici de montrer la nécessité d'élargir ainsi la sphère d'application du concept d'interprétation. Il conviendra en un second temps de s'interroger sur les distinctions qu'un tel élargissement appelle afin que le concept ne perde pas de son acuité en méconnaissant la spécificité de l'interprétation propre aux hommes. humaines que le débordement du grand partage entre les sciences s'avère nécessaire. Mais cette nécessité est également avérée si l'on se situe du côté des sciences de la nature, c'est-à-dire au regard des observations du fondateur de l'éthologie : Jacob von Uexküll 4 . Uexküll est d'abord connu pour avoir forgé en 1909 le concept de monde ambiant ou environnant, c'est-à-dire d'Umwelt, dont on connait le succès ; mais on méconnait le plus souvent le fait que c'est en opposition explicite au concept de « milieu » qui s'était pourtant déjà acclimaté dans la langue allemande, y compris chez Dilthey où il concurrence « environnement » (Umgebung) 5 . « La doctrine positiviste d'un monde objectif omni-englobant culmine dans la théorie dite du milieu (Milieu) qui considère l'homme singulier comme le produit de son environnement (Umbegung) immédiat, écrit Uexküll. On a ainsi finalement fait de l'ombre le régent de l'effectivité. Car le monde objectif n'est qu'une ombre translucide de tous les mondes ambiants humains et il est dénué de toute réalité qui lui soit propre » 6 . Si le monde ambiant est à la fois celui qui est perçu et donc celui où se déploie l'activité d'un sujet (Merk-et Wirkwelt), ce que Uexküll récuse, c'est la confusion (celle de Comte, Durkheim, Tarde…) entre la fiction utile d'un tel monde objectif et le caractère subjectif du monde ambiant effectif, c'est-à-dire aussi son caractère relationnel ou corrélatif. Si cela signifie, comme on le verra, que l'appréhension du

Research paper thumbnail of De l’interprétation des symptômes à la lecture des chiffres dans la pensée de Jaspers » (publié in Introduction à l’herméneutique médicale, Éd. Le cercle herméneutique, 2011, p. 33-44)

Il convient, au regard de la tendance dominante et déjà ancienne à réduire la médecine à une tech... more Il convient, au regard de la tendance dominante et déjà ancienne à réduire la médecine à une techno-science parmi d'autres, de réinterroger ce qui lui donne son sens : l'expérience de la maladie. Comme on sait, cette expérience se traduit par un trouble de l'assiette du malade, comme disait déjà Montaigne, un trouble qui, en général, est accompagné par une souffrance, qu'il revient au médecin de, respectivement, rétablir et soulager ; mais elle est par ailleurs toujours susceptible de mettre en jeu la vie même du malade en le confrontant à la possibilité de sa mort. Qu'en est-il à ce double égard de la tâche du médecin, dont Hippocrate et Galien ont, au premier abord étrangement, laissé entendre qu'elle avait à voir avec la philosophie ? La pensée de ce malade chronique 1 et médecin philosophe que fut Karl Jaspers mérite ici d'être entendue, dans la mesure où, reprenant à son compte une telle suggestion, elle invite à distinguer -tout en les articulant -une dimension proprement herméneutique et une seconde dimension qui l'excède 2 . Après avoir indiqué les grandes lignes de la conception que Jaspers se fait de l'herméneutique médicale, je me propose d'en cerner les limites au regard de la philosophie existentielle qu'il a élaboré, c'est-à-dire en considérant d'abord la souffrance qui accompagne la maladie, puis la dimension plus obscure à laquelle cette souffrance est susceptible de donner accès.

Research paper thumbnail of L’origine et l’avenir biologique de la notion diltheyenne de structure (publié in Dilthey. Une pensée de la structure, in Lo Sguardo – Rivista di filosofia, n° 14, 2014 (I) – Wilhelm Dilthey : un pensiero della struttura,  p. 101-116)

In his « Ideas for a Descriptive and Analytic Psychology » Dilthey thinks of the psychic nexus or... more In his « Ideas for a Descriptive and Analytic Psychology » Dilthey thinks of the psychic nexus or Lebenszusammenhang as a purposive nexus, and I shall first investigate the meaning of this notion; but as psychic nexus refers in this essay not only to human but more widely to animal psyche, how should we understand this purposiveness? In his last work Dilthey uses another word than purposiveness or Zweckmäßigkeit: the word Zielstrebigkeit which was borrowed from the biologist Karl von Baer und which means a strive without any consciousness. The third and last part of this paper invites to consider a key concept of Jakob von Uexküll, which gives perhaps the possibility to go beyond the " nexus " : the concept of Komposition. « L'analogie saussurienne entre la langue et le jeu d'échec peut-être poussée jusqu'au bout. Il existe des changements linguistiques qui, pareillement au jeu d'échecs, ont " l'intention d'exercer une action sur le système " », « la question du but d'un événement phonétique qui s'impose de plus en plus au linguiste, à la place de la question traditionnelle des causes » (« Proposition au premier congrès international de linguistes », écrit en octobre 1927, puis contresignée par Karcevski et Trubetzkoy, et reproduite dans les Actes du 1 er Congrès International de Linguistes du 10-15 avril, 1928, réédité in Selected Writings I, The Hague, Mouton & Co, 1962, p. 6). Pointe le « dogme » saussurien (p. 17) de l'antinomie entre « le sens interne fonctionnel du système linguistique » et « le manque de sens », le « hasard aveugle de l'évolution de la langue ». « Dans l'interprétation de la diachronie, Saussure se rattache étroitement aux traditions scientifiques du XIX e siècle. Pour lui, les changements se produisent en dehors de toute intention, ils sont fortuits et involontaires, certains éléments sont altérés sans égard à la solidarité qui les lie au tout et, en conséquence, ne peuvent êere étudiés qu'en dehors du système ; le déplacement d'un système se fait sous l'effet d'évènements qui non seulement lui sont étrangers, mais qui sont isolés et ne forment pas un système entre eux. Ainsi se creuse un fossé profond entre la linguistique diachronique et la linguistique synchronique, la brillante comparaison de Saussure et le jeu de la langue et une partie d'échecs perd sa force persuasive si l'on se range à l'opinion de Saussure affirmant que la langue ne prémédite rien et que ses pièces se déplacent fortuitement. Cette affirmation nous fait présenter l'histoire des sons d'une langue donnée comme une suite de troubles et de " détériorations " aveugles causées par

Research paper thumbnail of Prendre soin, prodiguer des soins : le souci de soi, des autres et de la nature (publié in Ethique, politique, religions 2013 – 2, n° 3, Prendre soin de la nature et des hommes, p. 31-44)

Résumé : La thèse soutenue par cette contribution défend une double thèse. Le soin demande d’abor... more Résumé :
La thèse soutenue par cette contribution défend une double thèse. Le soin demande d’abord à être entendu en un sens existentiel, c’est-à-dire désigne un mode d’être qui concerne, de ce fait, aussi bien sa propre personne, autrui que la nature. Le contexte propre à notre époque actuelle implique par ailleurs d’articuler ce souci existentiel au politique. Faute de quoi, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, les discours relatifs au soin relèvent surtout d’une bien-pensance soucieuse de déterminer des règles, finalement techniques, destinées à moraliser les relations humaines.

The aim of the article is to outline the idea that care has to be thought of as an existential concept, i.e. a way of being, and as such it concerns simultaneously the self, the other human beings and nature. In the context of globalization this existential care implies also a political dimension. Otherwise the notion of care belongs nowadays mainly to political correctness.

Research paper thumbnail of L’animal dans la peinture de Roelandt Savery (publié in Au risque de l’existence : le mythe, la science et l’art, EUD, 2009, p. 209-219)

Les animaux, les paysages et les bouquets floraux constituent les grands thèmes de la peinture de... more Les animaux, les paysages et les bouquets floraux constituent les grands thèmes de la peinture de Savery, mais son oeuvre est en particulier un des témoins majeurs du processus au terme duquel l'animal devient un objet d'intérêt en soi, et non plus un simple élément d'un paysage -un processus qui commence dans la seconde moitié du XVI e siècle et s'observe en particulier dans la peinture et la tapisserie flamandes. Avant de se demander dans quelle mesure sa peinture est encore susceptible de nous toucher aujourd'hui, il convient de repréciser le contexte de l'activité picturale de Savery. En ce qui le concerne, le qualificatif de flamand demande à être relativisé dans la mesure où, comme l'indique Georges Marlier, c'est, 1 du fait des guerres de religion, « hors des frontières des anciens PaysBas que s'élabore alors la peinture flamande vivante » 1 .

Research paper thumbnail of Vérité et méthode et la question de la compréhension interculturelle (publié in Fifty Years after H.-G. Gadamer’s Truth and Method, Yearbook of Philosophical Hermeneutics 5/ 2012, p. 239-252)

Il est étrange de constater, aujourd'hui plus encore que dans les années soixante du 20 e siècle,... more Il est étrange de constater, aujourd'hui plus encore que dans les années soixante du 20 e siècle, l'absence d'intérêt marqué de Vérité et méthode pour la compréhension interculturelle, c'està-dire, au fond l'absence d'une curiosité pour la figure peut-être la plus extrême de l'altérité ou de l'étranger pour un Européen : celle de l'Extrême-orient, et cela vaut évidemment au premier chef de la philosophie. On peut comprendre que, au cours des années cinquante, Gadamer ait plus eu à l'esprit la question de l'intercompréhension européenne qui est par ailleurs plus facile à penser dans la mesure où les peuples européens ont un sol de traditions communes. Au début des années quatre-vingt-dix, Gadamer a pourtant noté la nouveauté du défi que constitue la puissance du « développement technique et industriel » à une époque où ce n'est plus seulement l'Europe, mais « toute l'humanité sur cette terre » qui doit « apprendre à penser de manière oecuménique » 1 . Et s'il pointe la nature écologique de ce défi, Gadamer pose aussi la question de l'incidence de cette nouvelle oikoumenè sur la philosophie au sens occidental de ce terme, et, inversement de l'« exposition » de l'ensemble du monde à la philosophie européenne 2 .

Research paper thumbnail of Que disent les locutions : de, devant, et, en tant que, entre… ? (publié in Le langage, Alter n° 19 / 2011, p. 107-122)

Que disent les locutions de, devant, et, en tant que, entre… ? Comme tous les termes d'une langue... more Que disent les locutions de, devant, et, en tant que, entre… ? Comme tous les termes d'une langue, les concepts philosophiques n'ont de sens que par leur relation à l'ensemble de la conceptualité à laquelle ils appartiennent. Mais cela signifie que la relation entre les concepts n'est pas moins essentielle que ces derniers. Et c'est cette relation que disent les éléments du langage que l'on appelle communément des particules de liaison comme de, et, après…, en dehors desquelles la parole serait pure nomination. Seulement, poser l'égale importance de ces particules par rapport aux termes qu'elles relient implique la mise en question du primat accordé par la logique aux concepts, et donc le primat ontologique des essences qu'ils désignent, c'est-à-dire le privilège accordé à ce que la tradition philosophique appelle les catégorèmes par rapport aux syncatégorèmes, ou encore aux énoncés auto-sémantiques ou auto-signifiants par rapport à ceux qui ne sont que co-sémantiques ou co-signifiants, et dont la diversité est irréductible aux connecteurs logiques.

Research paper thumbnail of La reconduction de la parole à la praxis chez Gadamer et Wittgenstein (publié in Wittgenstein et l’herméneutique, Ch. Chauviré éd., Paris, L’art du comprendre, n° 20 / 2011, p. 163-173)

On sait que Wittgenstein a élaboré sa pensée à une époque où celle de Gadamer n'avait pas encore ... more On sait que Wittgenstein a élaboré sa pensée à une époque où celle de Gadamer n'avait pas encore trouvé son expression. Inversement, Gadamer, qui a explicitement qualifié sa philosophie d'herméneutique n'a « pu étudier l'oeuvre tardive de Wittgenstein qu'après avoir tracé [son] propre chemin de pensée » 1 . C'est donc seulement rétrospectivement qu'il a pointé une convergence entre sa pensée et celle du Wittgenstein des Recherches philosophiques, dont il compare l'importance au 20 e siècle à celle de Heidegger, leur commune reconnaissance de l'autonomie de la langue parlée ayant fait « s'effondrer l'affect antimétaphysique du positivisme logique » 2 . La convergence est d'abord négative, puisqu'elle tient à un commun rejet de l'analyse logique de la langue à laquelle invite le positivisme logique. Mais par-delà cette critique, Gadamer met l'accent sur l'horizon commun de leur interrogation relative au langage dans son épaisseur historique, le seul chemin, à ses yeux, auquel la philosophie se voit le plus clairement reconduite 3 . À supposer que l'on admette, au moins à titre provisoire, qu'ils frayeraient tous deux leurs chemins dans une telle direction, le contexte et les arrière-plans de leurs interrogations sont néanmoins si différents -ou, pour le dire en termes wittgensteiniens, la différence des jeux de langage dans lesquels le terme de langage intervient est si remarquable -, que l'on peut se demander si l'acception de ce terme est bien la même. Si cela vaut aussi de concepts qu'ils ont tous deux thématisé de façon remarquable et dont la comparaison permettrait de mieux saisir leurs originalités respectives -ceux de compréhension ou de jeu en seraient de bons exemples 4 . -, il convient plutôt de s'interroger sur la spécificité de leur interrogation, 1 Gesammelte Werke (désormais cité GW suivi du tome et de la page), Tübingen, J. C. B. Mohr, 1986, tome 2, p. 4, « Entre phénoménologie et dialectique ». 2 GW 2, 71 sq., trad. « La nature de la "res" et le langage des choses », in L'art du comprendre (désormais AC), tome II, Paris, Aubier, 1991, p. 130. 3 GW 2, 71, trad. AC II, 130. 4 Dans sa postface de 1972 à la 3 ème édition de Vérité et méthode, Gadamer considère ainsi que dans « le concept de jeu [qu'il a] arraché il y a déjà des décennies à la sphère subjective de la "pulsion ludique" (Schiller) et employé pour critiquer "la différenciation esthétique" […] s'unissent le jeu réciproque (Ineinanderspiel) de l'événement et de la compréhension, mais aussi les jeux langagiers de notre expérience du monde en général, puisque celle-ci constitue le cadre à l'intérieur duquel ces concepts prennent sens. Nous commencerons par considérer deux passages des écrits de Gadamer qui tendent à effacer les différences entre les deux penseurs, avant d'interroger la nature de l'écart que ce rapprochement ne saurait néanmoins combler.

Research paper thumbnail of Le port, l’allure et la gravité de l’exister (publié in Le cercle herméneutique n° 18-19, 2012, p. 9-12)

Si le mode d'être spatial de l'existence humaine a été mis en évidence par Heidegger dans Être et... more Si le mode d'être spatial de l'existence humaine a été mis en évidence par Heidegger dans Être et temps, on sait encore que Binswanger a invité à penser cette spatialité en fonction de directions de sens. Essentiellement déterminées par les axes de verticalité et d'horizontalité, ces directions s'avèrent néanmoins le plus souvent inégalement accentuées dans l'existence de chacun, dans la mesure où celle-ci parvient plus ou moins à s'approcher de ce que serait une juste « proportion anthropologique ». Seulement, l'élévation ou la chute, les deux grandes

Research paper thumbnail of Que disent les locutions de, devant, et, en tant que, entre… ?

Research paper thumbnail of Une phénoménologie de la Métaphysique. L’inspiration aristotélicienne de la fondation diltheyenne des sciences de l’esprit

Research paper thumbnail of L'invitation gadamérienne à résorber l'esthétique dans l'herméneutique (publié in Études Germaniques 62 (2007) 2, p. 279-290)

Gadamers Kritik der modernen Ästhetik geht von der Erfahrung der Kunst aus, um sie als Erfahrung ... more Gadamers Kritik der modernen Ästhetik geht von der Erfahrung der Kunst aus, um sie als Erfahrung der Wahrheit zu verstehen, und infolgedessen verteidigt er die These einer Integration der Ästhetik in die Hermeneutik. Daraus folgt aber auch eine Umwandlung des traditionellen Hermeneutikbegriffs seit Schleiermacher, der Hermeneutik als Pendant der Poetik verstand. Abstract : Against what he calls the kantian subjectivation of art, Gadamer's critique

Research paper thumbnail of Herméneutique et interculturalité a cura di C. Canullo, C. Berner

Sito web: www.losguardo.net Contatti: redazione@losguardo.net "Lo Sguardo" è una rivista elettron... more Sito web: www.losguardo.net Contatti: redazione@losguardo.net "Lo Sguardo" è una rivista elettronica di filosofia open access pubblicata da Edizioni di Storia e Letteratura. A partire dal 2010 la rivista pubblica con cadenza quadrimestrale numeri esclusivamente monotematici costituiti da articoli scientifici inediti, saggi-intervista, traduzioni di estratti da opere scientifiche significative e di recente pubblicazione o articoli rilevanti per la comunità scientifica, recensioni di libri ed eventi culturali.

Research paper thumbnail of L'herméneutique diltheyenne des mondes de la vie (publié in Philosophie. La question de la Lebenswelt n° 108, hiver 2010, p.66-76)

Aux yeux de Dilthey, la théorie classique de la connaissance, pour laquelle notre appréhension de... more Aux yeux de Dilthey, la théorie classique de la connaissance, pour laquelle notre appréhension des choses et du monde se déploie dans la sphère de la seule représentation et du jugement, manque la concrétude de notre relation aux choses et pense un monde déjà théorisé, et en l'occurrence dévitalisé, cette abstraction privant du même coup la philosophie de la possibilité d'agir dans la sphère de la vie pratique. La préface à l'Introduction aux sciences de l'esprit oppose ainsi la vie à la simple représentation (« Leben, nicht […] bloßes Vorstellen ») 1. La centralité du concept de vie dans la pensée diltheyenne est en revanche le point focal d'une théorie de la connaissance partant du donné empirique le plus primitif et irréductible : non pas celui des choses constituées, mais celui d'une expérience vitale où entrent en jeu non seulement des représentations, mais également des sentiments et des volitions. Autrement dit, la question gnoséologique s'inscrit ainsi dans une philosophie de la vie. Mais comment entendre ce terme de vie ?

Research paper thumbnail of Monde et individuation. Autour de Jan Patocka - UCL - 17/18 octobre 2016