actualité et virtualité : de Saussure avec Bergson (original) (raw)

L'actuel et le virtuel chez Bergson

Une version modifiée sera publiée aux Editions Mimesis., 2023

Je voudrais insister aujourd’hui sur un dispositif fondamental qui est à l’œuvre dans la pensée bergsonienne du devenir : c’est le schème conceptuel « actuel/virtuel ». C’est Gilles Deleuze qui a montré l’importance de ce couple dans la pensée de Bergson, et il faut lui rendre hommage. Mais en même temps mon objectif est de regarder comment il fonctionne dans le texte de Bergson, et non pas simplement dans la lecture de Deleuze. Pour l’introduire ici, je voudrais insister sur un point. Penser le réel pour Bergson, c’est penser le réel directement. Par l’intuition. Pas par la spéculation. Pas de pensée du réel qui ne soit en même temps une expérience du réel. Mais l’expérience du réel peut-elle simplement être une expérience de la durée vécue par la conscience ? Pourrait-on donc écrire, par exemple : (1) Le devenir = Le devenir de la durée vécue par la conscience ? Cette proposition (1) est un contresens complet sur la philosophie de Bergson. On la voit pourtant couramment employée dans la littérature qui s’y réfère, notamment la littérature analytique. Et le dispositif conceptuel « virtuel/actuel » mis en place dans Matière et mémoire nous permet vraiment déjà de comprendre pourquoi une pensée du devenir requiert un élargissement de l’expérience qui ne peut pas se limiter au point de vue de la conscience. Il sera complété ensuite, dans L’évolution créatrice, par « la théorie des deux ordres ». Ce sont là pour moi les deux dispositifs centraux, les deux schèmes d’une pensée intuitive du devenir qui sont aussi l’apport principal de la métaphysique bergsonienne.

Le Schématisme De Bergson, Les Possibles Et Le Virtuel

2018

Bergson has defined a dynamic schema which challenges structuralism in advance and leads a new path to modal metaphysics. While structuralism carries as its cross its commitment to the Saussurian synchronism, the Bergsonian scheme is from the start an animated structure where the virtual object performs a double move. It contains a Thom & Petitot catastrophe on color as a Riemanian multiplicity. And Hamlet, in the Bergsonian metaphysics, demonstrates a «creation of the possible through the real» which requires a new concept of possibility, corresponding to its concept of the virtual. When Deleuze decides that Albertine is a «possible world», he lays down the foundation of a modal logic which is exactly suitable for this kind of modality. And it is only when Bergson, Proust, Péguy and Deleuze are together embarked on the Bergsonian boat that the true meaning of the Bergsonism may be unveiled. Therefore, in the lineage where Plato comes first and Leibniz comes second, Bergson is the t...

Matière et esprit chez Bergson

HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2005

Matière et esprit chez Bergson intervention d'Alain Panéro, professeur de philosophie à Amiens lors du stage du 4 février 2005 Bergson (1859-1941) est un auteur connu et reconnu. Ce statut d'auteur canonique de l'histoire de la philosophie peut fausser notre approche des textes. On risque de réduire le bergsonisme à une sorte de philosophie convenue, un peu momifiée, faite par un professeur conformiste, plutôt timide et très poli. Évoquer Heidegger ou surtout, aujourd'hui, Wittgenstein, ou encore Merleau-Ponty, cela paraît beaucoup plus suggestif, plus prometteur. Il y a dans leurs textes comme un goût de mystère. Mais parler de Bergson, cela réveille au mieux quelques vieux souvenirs scolaires plus ou moins angoissants, quelques notions plus ou moins vagues: la mémoire-habitude, la leçon apprise par coeur, la mémoire pure, l'intuition de la durée pure, ou encore la fameuse distinction entre «vivre le temps» et «penser le temps» souvent invoquée dans les dissertations. Bref, on a le sentiment que Bergson est un auteur vénérable mais assez ennuyeux qu'il a bien fallu fréquenter à un moment de notre formation parce que l'Université française a ses auteurs incontournables et que Bergson est l'un d'eux. Dans ces conditions, je crois que l'on a des difficultés à imaginer l'enthousiasme et le sentiment de nouveauté provoqués par sa philosophie. Les lecteurs mais aussi les auditeurs de Bergson ont vu dans sa façon de poser les problèmes, non pas un simple appel irrationaliste à l'intuition, mais une véritable révolution méthodologique qui permettait de transgresser rationnellement l'interdit kantien de l'Inconnaissable (1). L'académicien Henri Gouhier parle, dans l'Avant-propos de l'un de ses livres (2) de la philosophie bergsonienne comme d'une «philosophie explosive». Le terme est fort. Ce professeur, écrit-il, paisible et de tempérament plutôt conservateur fut l'inventeur d'une philosophie explosive: celle-ci se présente comme une nouvelle vision du réel, imposant une rupture violente avec les systèmes d'idées et d'images quotidiennes. C'est cette sorte de «choc» intellectuel dont fait état Édouard Le Roy (1870-1954), dès 1912, ce disciple de la première heure qui était mathématicien et qui a écrit un livre dont le titre est explicite: Une philosophie nouvelle: Henri Bergson. Je le cite: M. Bergson, dans le moindre objet, excelle à donner le sentiment de profondeurs inconnues, de dessous infinis. Jamais nul n'a mieux su remplir le premier office du philosophe, qui est de faire apparaître en toute chose le mystère latent. De la réalité la plus familière, depuis toujours offerte à nos regards, nous voyons tout d'un coup avec lui, l'épaisseur concrète, l'inépuisable prolongement et [nous voyons] que nous n'en connaissions que la pellicule superficielle.(3) Ce qui veut dire que Bergson ne se situe plus-et j'y reviendrai tout à l'heure-dans une perspective métaphysique habituelle: il ne s'agit plus d'atteindre une fois pour toutes des réalités transcendantes ou, au contraire, de prendre acte une fois pour toutes d'une inconnaissable chose en soi; il ne s'agit plus de tracer trop tôt et trop vite les limites de la connaissance ou, au contraire, d'outrepasser impatiemment toute limite. La querelle n'est plus celle du rationalisme et de l'irrationalisme. Il s'agit plutôt de s'enfoncer de plus en plus dans le réel, de chercher à le connaître peu à peu sans vouloir le surplomber. Et c'est cette démarche progressive, «approfondissante» mais jamais surplombante dont entend rendre compte l'emploi du terme «intuition». Bergson a d'ailleurs hésité, comme il le dit lui-même à employer ce mot car il craignait, à juste titre, son assimilation à une simple intuition intellectuelle, c'est-à-dire à une intuition hors du temps d'essences intemporelles. Chez Bergson, et c'est ce qui fait toute l'originalité de sa philosophie, on ne peut jamais sortir du temps. Croire que l'intuition de la durée pure s'apparente à une intuition hors du temps d'une substance éternelle, c'est un formidable contresens qui perdure encore chez les commentateurs contemporains, tant est fort le poids de nos habitudes théologiques. (4) C'est sur ce point que j'attirais votre attention la dernière fois (à propos de la critique ryléenne de Descartes) lorsque je pointais les limites d'une certaine critique contemporaine de la métaphysique ou du spiritualisme. Il est facile de critiquer ce que l'on a d'abord caricaturé. Et ce qui est vrai à propos de Descartes l'est encore plus à propos de Bergson. Il ne suffit pas de dire avec Russell que Bergson est l'exemple de tout ce qu'il ne faut pas faire, encore faut-il le lire. En nous donnant à penser le temps, l'imprévisible nouveauté, le caractère intotalisable et inépuisable du réel, d'une expérience qu'on n'en finit pas d'approfondir, d'un réel qu'on n'en finit pas d'explorer, Bergson interdit toute critique surplombante qui ferait le partage une fois pour toutes entre ce qui est vrai et ce qui est faux (5). Ce qui, du reste, fait apparaître clairement l'invraisemblable prétention de forger une logique intemporelle, et ne peut, en effet, qu'irriter Russell. C'est d'ailleurs cette perspective qui fait que l'on a pu accuser Bergson de «pragmatisme», en employant ce mot de façon péjorative, en voulant dire par là que la vérité chez Bergson était mouvante, changeante, que toute vérité n'était, au fond que provisoire comme disent les sujets de dissertation. En réalité, loin de vouloir dissoudre la vérité dans le fleuve du scepticisme, Bergson nous demande seulement de penser autrement, de «penser en durée», selon sa célèbre formule. Bergson n'est pas un sceptique car, à ses yeux, nous sommes immergés dans la réalité, nous sommes toujours et déjà en contact avec elle, même si cette réalité saturante, qui n'en finit pas de s'inventer, nous englobe et nous dépasse. «Nous sommes, nous vivons et nous nous mouvons dans l'Absolu», dit Bergson. Mais cette formule ne doit pas être interprétée en un sens platement spiritualiste ou théologique, et j'y reviendrai tout à l'heure à propos de l'univers d'images du premier chapitre de Matière et mémoire. En tout cas, pas de risque de scepticisme chez Bergson! Et pas de risque de dogmatisme non plus puisque l'Absolu est mouvant. En fait, la réalité est tellement riche que tous les philosophes doivent s'unir pour l'explorer au lieu de vouloir, le temps d'une vie, forger solitairement un système philosophique qui dirait prétendument le dernier mot, et qui ne peut être, dans ces conditions, qu'une dialectique schématique, vide et imprécise, une sorte de soliloque, un monologue que le philosophe déclame, un discours qui ne se soucie ni de l'altérité du monde ni de la singularité des expériences d'Autrui. Ce qui a toujours manqué à la philosophie, dit Bergson, c'est la précision. Et il est vrai que si un philosophe croit dire à lui tout seul tout le réel, il ne peut que sombrer dans la présomption. C'est cet idéal d'une philosophie collective, d'un travail de déchiffrement indéfini du réel que prône Bergson dans La Pensée et le mouvant, recueil d'essais et de conférences publié en 1934. Il s'agit de démêler ensemble et patiemment un magma d'intuitions disparates de nos vécus intimes et secrets du temps réel. Croire qu'une seule intuition de la durée pure règlerait tous les problèmes chez Bergson, c'est aller trop vite, c'est vouloir sauter par dessus la pluralité des intuitions (6), c'est confondre son intuition avec celle des mystiques, qui n'est qu'un type d'intuition parmi d'autres. L'intuition mystique n'intéresse Bergson dans Les Deux sources de la morale et de la religion que comme un simple objet d'étude, comme une intuition instructive au même titre que d'autres faits psychologiques ou psycho-pathologiques. Car Bergson ne se réfère plus à une unité théologique, à une éternité, à une mêmeté, à un Dieu ou un Esprit avec un E majuscule qui garantirait comme chez Plotin l'accord des esprits(7). Il s'agit plutôt de forger ensemble, modestement, des principes d'univocité, des principes d'harmonisation qui nous permettent de saisir une unité de signification, un point commun entre nos expériences singulières du temps. Il faut essayer de penser un temps commun qui ne soit pas seulement le temps chronométré de l'horloge. Il faut essayer d'envisager des synchronisations profondes qui ne relèvent plus du vieux paradigme éternitariste de la fusion et de la communion. L'accord des esprits, pour être effectif, ne peut pas se réduire à l'accord d'un philosophe avec sa propre pensée. Il ne s'agit pas d'opérer une médiation entre des symboles abstraits mais entre des hommes réels dont les vécus diffèrent. De ce point de vue, l'idéal méthodologique de Bergson rejoint sans doute celui de la phénoménologie. J'imagine que Husserl n'a jamais pensé accomplir seul toute la phénoménologie! Cela dit, et peut-être pourra-ton en reparler tout à l'heure, il convient de se défier, aux yeux de Bergson, de tout système qui prétendrait En tout cas, dès les premières pages de Matière et mémoire, Bergson parie sur la possibilité d'un véritable étonnement, d'un véritable retour aux sources. Sur la question des rapports de la matière et

Les enjeux de la transmission chez Bergson

HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2021

HAL is a multidisciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L'archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d'enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Kant et Bergson aujourd hui

Les travaux menés par le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond depuis plus de cinquante ans, nous semblent offrir aujourd’hui l’opportunité d’un retour et d’une réflexion, non seulement sur Durée et simultanéité mais aussi sur le Dialogue de Galilée, entre physique et métaphysique. Une autre lecture peut, en effet, être envisagée qui ne se restreigne pas au seul contexte de la philosophie de Bergson ou de la physique d’Einstein. Après le siècle qui vient de s’écouler, c’est la question même de Bergson qui demande à être examinée en dehors du bergsonisme, à être posée en un nouvel horizon, celui de la philosophie kantienne - en particulier avec la question précritique des grandeurs négatives et de l’opposition réelle -, mais aussi celui de la théorie quantique, cette théorie née peu de temps avant la relativité, et qui n’avait pas encore trouvé au moment où parut Durée et simultanéité, cette forme paradoxale donnée en 1927 avec l’interprétation de Bohr, cette interprétation qu’Einstein n’eut de cesse, jusqu’à sa mort, de critiquer.

Saussure, Peirce et le pragmatisme: quelques points de repère

Ferdinand de Saussure et Charles S. Peirce sont considérés depuis un demi-siècle les deux pères fondeurs de la sémiotique moderne. Ici on conduira cependant une comparaison entre Saussure et le pragmatisme philosophique américain, inaugurée par Peirce même. Après avoir présenté le pragmatisme, on montrera de quelle façon sa maxime s'applique à l'habitude saussurienne de penser par couples de notions. Ensuite, on se tournera aux autres pragmatistes, pour mettre en évidence que le plus proche de Saussure -sous bien d'aspects -n'est pas Peirce, mais plutôt Mead. Après avoir observé qu'il y a un coté de la réflexion saussurienne -celui qui a été systématisé par le structuralisme -qui résiste à la comparaison avec le pragmatisme, notre conclusion emploiera ce qu'on a été dit pour des brèves remarques sur la relation de Saussure à la philosophie.