Intelligibilité interactionnelle et souvenirs surréalistes dans Enfance de Nathalie Sarraute (original) (raw)
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Pluralité des voix et repentirs autobiographiques : une lecture d’Enfance de Nathalie Sarraute
Études françaises, 2000
Résumé Enfant, infans : celui « qui ne parle pas ». Qui ne se laisse pas écrire. C’est vers ce mutisme et cette résistance que Nathalie Sarraute procède, péniblement, à écrire son récit d’enfance, « une enfance qui n’est pas un âge de la vie et qui ne passe pas. Elle hante le discours » (Lyotard). C’est un discours rapporté par la voix narratrice. L’enfance de « Natacha » est déjà tortillée, déchirée, donc loin de cette image de « pureté », d’« innocence » ; la narration de cette enfance devient ainsi plurielle, ramifiée, morcelée. D’où les repentirs : d’une part, le sentiment d’impuissance, d’échec, de culpabilité ; d’autre part, dans la terminologie de peinture, ce mot désigne « changement apporté, correction faite en cours d’exécution », donc entreprise toujours à reprendre, à repenser, à corriger et à défaire. L’écriture, en devenir, en mouvement, en transformation, laisse voir sa texture, son processus. Le procédé du repentir est souvent opéré par cette seconde voix dérangeante...
Comment traduire certains éléments de subjectivité dans l'Enfance de Nathalie Sarraute?
2019
Comment traduire certains éléments de subjectivité dans 1 'E n fa n c e de Nathalie Sarraute ? Nous nous proposons de présenter pár cette étude les variantes de traductions en rapport avec les formes de subjectivité littéraires qui apparaissent dans VEnfance de Nathalie Sarraute. Pour traiter ce sujet, nous allons nous servir de la terminologie littéraire, stylistique, linguistique, et celle des études comparées (
Mémoire de fille ou la « mémoire pensante » d 'Annie Ernaux
Quêtes littéraires, 2022
La nouvelle édition du journal d’écriture d’Annie Ernaux, L’Atelier noir (Paris : Gallimard, 2022), porte une attention inédite à la gestation de près de trente ans qui a précédé la publication du texte Mémoire de fille (Paris : Gallimard, 2016). Tant le contenu que la forme de ce texte dénoncent une longue réflexion sur la mémoire ou, plutôt, sur la qualité intrinsèque d’un souvenir impossible ; pour cette raison, l’article tentera d’analyser le texte de 2016 au moyen des considérations sur l’Erinnerung et le Gedächtnis communes à Paul de Man et à Jacques Derrida. Le texte théorique de référence sera les Mémoires pour Paul de Man (1988) et, à partir des réflexions sur la « mémoire pensante », on tentera d’analyser les résultats narratifs et les stratégies discursives adoptées par Ernaux dans ce texte qui, plus que tout autre, semble constituer l’« événement » le plus radical de son écriture.
La matrice de la mémoire : non-maternité et traumatisme dans L’Espérance-macada de Gisèle Pineau
Sextant, 2019
Cet article propose une lecture de l'oeuvre de la romancière guadeloupéenne Gisèle Pineau à partir du couple matrice/mémoire, et de son corolaire stérilité/traumatisme. Nous verrons comment le rejet de la maternité y est pensé comme la trace latente d'une histoire non-résolue et comme la représentation métaphorique du souvenir traumatique. Cette mémoire ancrée au ventre se traduit d'abord par le retour du motif de l'infanticide esclave, représenté dans Femmes des Antilles : traces et voix et L'Espérance-macadam puis réactivé dans les récits du contemporain. Cette non-maternité violente porte un discours sur l'héritage mémoriel liant les femmes esclaves et contemporaines, d'une part, et un regard critique sur la violence des mondes post-abolition, d'autre part. Dans un deuxième temps, nous verrons comment la non-maternité est aussi représentée comme la réponse instinctive d'un corps mutilé, devenu infertile à la suite d'un événement traumatique, en particulier dans L'Espérance-macadam où l'infertilité d'Éliette signale le viol dont la protagoniste ne garde pourtant aucun souvenir. Dans les deux cas, la non-maternité met en crise la reproduction, qu'il s'agisse de la reproduction d'un passé, d'un système ou d'une lignée.
Oubli, mémoire, histoire dans la « Deuxième Considération inactuelle »
Revue germanique internationale, 1999
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Tous droits réservés Oubli, mémoire, histoire dans la «Deuxième Considération inactuelle» JACQUES LE RIDER La temporalité individuelle et les représentations culturelles du temps sont fondées sur une bonne économie de l'oubli et de la mémoire. Le bel ouvrage de Harald Weinrich sur l'histoire intellectuelle de l'oubli, Lethe 1 , fait contrepoids aux abondantes recherches sur la mémoire et la transmission. Il commence par l'analyse du passage du De oratore de Cicéron où Simonide, resté célèbre pour son invention d'une mnémotechnie, vient consulter le grand Thémistocle pour lui demander de lui enseigner l'art de la mémoire parfaite. Thémistocle lui répond qu'il se soucie fort peu d'acquérir l'art de la mémoire : il préférerait, dit-il, apprendre à oublier ce qu'il voudrait oublier, posséder l'art de l'oubli (ars oblivionis) plutôt que l'art de la mémoire (ars memoriae). Thémistocle souhaitait, commente Cicéron, se débarrasser de toutes ces choses vues et entendues qui encombraient sa mémoire, car rien de ce qui entrait dans son esprit ne pouvait en sortir. Plutarque confirme que Thémistocle se rappelait par exemple le nom de tous les Athéniens qu'il rencontrait. En somme, ses excellentes qualités de mémoire étaient poussées jusqu'à un paradoxal excès : même ce dont il ne voulait pas se souvenir, il se le rappelait, mais ce qu'il voulait oublier, il n'arrivait pas à le faire sortir de sa mémoire. Yosef H. Yerushalmi, dans sa contribution au Colloque de Royaumont « Usages de l'oubli », en 1987, commençait par un apologue fort suggestif. Il soulignait que la condition moderne se caractérise par deux maux présents simultanément : l'atrophie de la mémoire et l'hypertrophie de l'histoire. Les médias planétaires, la mode, l'impératif de dépassement perpétuel que les avant-gardes imposent aux « modernes » sont autant d'exemples de ce paradoxal alliage de l'historicisme et de l'amnésie. L'information en temps réel et l'accumulation des archives transforment le temps présent en « histoire immédiate » : toute « actualité » devenant de
Explication linéaire corrigée -Enfance, de Nathalie Sarraute
Dès Tropismes en 1939, Nathalie Sarraute (1900-1999), autrice du mouvement littéraire du Nouveau Roman, a fouillé, derrière le langage et ses formulations orales les plus courantes, les mécanismes de la formation de la pensée. Enfance, publié en 1983, porte cette interrogation sur la question de la mémoire. Son projet se concentre sur la manière dont sont convoqués les souvenirs. Certes, Enfance se lit d'abord comme le récit des premières années de l'auteur, partagées entre la France et la Russie, entre son père et sa mère séparés ; mais son enjeu est surtout dans les mécanismes de formation et de conservation des souvenirs. Née en 1900, Nathalie Sarraute est octogénaire quand elle mène cette rétrospection qui revient à soixante-dix ans auparavant. Depuis Freud, on a appris à accorder la plus grande importance aux souvenirs d'enfance mais aussi à se défier de ceux que la mémoire livre spontanément comme tels : l'enfance se retranche et se dissimule derrière des « souvenirs-écrans » que chaque individu construit a posteriori. Sarraute aborde ses souvenirs avec l'ambition de cette lucidité. Nous nous demanderons donc, dans cet incipit, comment la création d'un autre « moi » permet à Nathalie Sarraute de définir un projet autobiographique original. Notre lecture s'organisera en deux mouvements :-Du début jusqu'à « je le connais » (ligne 16) : l'exposition de la volonté autobiographique,-De la ligne 17 à la fin : le choix d'une écriture autobiographique inédite. Alors, tu vas vraiment faire ça ? « Évoquer tes souvenirs d'enfance »... Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs »... il n'y a pas à tortiller, c'est bien ça.-Oui, je n'y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi...-C'est peut-être... est-ce que ce ne serait pas... on ne s'en rend parfois pas compte... c'est peut-être que tes forces déclinent...-Non, je ne crois pas... du moins je ne le sens pas...-Et pourtant ce que tu veux faire... « évoquer tes souvenirs »... est-ce que ce ne serait pas... La première lecture est déroutante pour le lecteur. La mise en page laisse apparaître des blancs, des tirets, des points de suspension. Le dialogue est au premier abord difficile à identifier (absence de précisions narratives sur qui parle). Le dialogue est « in medias res ». La conversation semble avoir déjà commencé, en particulier grâce à l'emploi de l'adverbe « alors » (qui exprime ici une conséquence), du pronom démonstratif « ça » (un pronom reprend un élément dont on a déjà parlé) et l'emploi des guillemets dans « évoquer tes souvenirs d'enfance » comme si la première voix reprenait ce que venait de lui dire la deuxième juste avant le début du livre. Le lecteur surprend donc une discussion en plein vol. Les deux voix se tutoient et les nombreux points de suspension soulignent leur grande complicité. Elles se devinent l'une l'autre. Cette complicité apparaît également dans l'emploi du langage familier, celui qu'on emploie à l'oral entre deux personnes qui se connaissent bien : « tortiller », « faire ça ». On remarque rapidement que la première voix cherche à obtenir des précisions sur le projet autobiographique (« tu veux évoquer tes souvenirs », « est-ce que ce ne serait pas » (répété 3 fois), « il faut se le demander », « peut-être ») tandis que la deuxième voix commence ses phrases par « oui », « non », ou « oh » en réaction aux informations progressives apportées par la première. Ainsi, c'est la voix qui pose les questions qui apporte les informations, tandis que la deuxième réagit et confirme les informations données peu à peu (« oui, comme tu dis »). Au regard du titre du livre « Enfance », qui évoque une
Sur la scène intérieure ou les insuffisances de la mémoire
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2021
Publié en 2013, Sur la scène intérieure surgit de manière impromptue pour le lecteur familier de l'oeuvre de Marcel Cohen qui, depuis les années 1980, s'adonne surtout à une écriture fragmentaire et impersonnelle, du Grand paon-de-nuit aux trois premiers volumes de la série des Faits. Avec Sur la scène intérieure, l'écrivain se lance dans une enquête sur les traces de sa famille déportée, adoptant une forme qui, à côté de la fiction, est devenue l'unique moyen de questionner un événement qui n'a pas été vécu directement, comme l'avaient fait Patrick Modiano dans Dora Bruder (1997), Daniel Mendelsohn dans Les Disparus (2006), Lydia Flem dans Lettres d'amour en héritage (2006), Marianne Rubinstein dans C'est maintenant du passé (2009), Ivan Jablonka dans Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (2012) et comme le fera aussi Hélène Cixous avec Gare d'Osnabrück à Jérusalem (2016). Biographies incomplètes des disparus et autobiographies obliques de celui qui raconte, ces enquêtes sondent la disparition et mettent le plus souvent en scène leur démarche d'investigation. Mais la rupture qui s'inaugure avec Sur la scène intérieure n'est peut-être pas si radicale qu'elle pourrait le paraître. Un lecteur attentif aura 1 Marianne Rubinstein en particulier signale le rôle de déclencheur qu'a joué pour elle Les Disparus de Mendelsohn dans C'est maintenant du passé (Paris, Verticales, 2009, p. 290).
Des traces [re]croisées, camouflagées : du manque à la mémoire imaginaire
Des traces [re]croisées, camouflagées : du manque à la mémoire imaginaire But to translate the memory of what, precisely did not take place, of what, having been (the) forbidden, ought, nevertheless, to have left a trace, a specter, the phantomatic body, the phantom-member-palpable, painful, but hardly legible-of traces, marks scars. As if it were a matter of producing the truth of what never took place by avowing it. What then is this avowal, and the age-old error or originary defect from which one must write ? 1 Je commence avec cet extrait de Monolingualism of the Other comme un point de commencement et d'intrication pour cet essai. L'auteur/l'autrice de chaque texte (aveu) que j'explorerai ont produit leurs écrits comme si hanté par une mémoire imaginaire, raciné dans le déracinement. Qu'est que c'est la mémoire 2 ? C'est bien un corps fantômatique comme Derrida décrit, mais ce corps a un pouvoir omniprésente dans un monde non-fantôme. Personne ne vit aujourd'hui qui vécu pendant le passage milieu, ou le temps d'esclavage dans le Caraïbe, ou le Code Noir, mais les descendants de ces évènements historiques vivent encore avec leurs effets, sont encore hantées par ses mémoires, ses traces. Les écrivains du temps postcolonial doivent agir, écrire venant de cet espace de mémoire. Et d'écrire, c'est de faire/fabriquer des traces, mais aussi de recroiser les traces héritées. Dans chaque texte discuté dans cet essai, il y a un [anti-] présence du manque 3 , et c'est à travers ce manque que leurs écrivains offrent une mémoire imaginaire à leurs lecteurs. Dans la vue d'ensemble que j'essaye d'offrir ici, soit qu'on remarque à quel point les traces des post/mémoires imaginaires effectivement liées ces écrivains et leurs textes, à quel point on ressent leurs échos 1 Jacques Derrida (translated by Patrick Mensah). Monolingualism of the Other. 2 De la Dictionnaire française de Larousse, la définition de 'mémoire': a. Activité biologique et psychique qui permet d'emmagasiner, de conserver et de restituer des informations. b. Cette fonction, considérée comme un lieu abstrait où viennent s'inscrire les notions, les faits. c. Aptitude à se souvenir en particulier de certaines choses dans un domaine donné. d. Image mentale conservée de faits passés. e. Ensemble des faits passés qui reste dans le souvenir des hommes, d'un groupe. f. Souvenir qu'on a d'une personne disparue, d'un événement passé ; ce qui, de cette personne, de cet événement restera dans l'esprit des hommes.
La mémoire dans la peau : Les généalogies alternatives de Douce France de Karine Tuil
2016
Le présent article analyse le changement de peau de la narratrice de Douce France de l’auteure française Karine Tuil après son incarcération dans un centre de rétention à la lumière des enjeux mémoriels et généalogiques qu’il soulève. Fable sur la (post)mémoire, l’identité et l’immigration, Douce France fait valoir le caractère poreux de la subjectivité, la façon dont celle-ci est façonnée par les discours qui précèdent et entourent le sujet sans que soient pour autant forcloses toutes possibilités de transformation. La mise en dialogue de récents travaux de la critique féministe sur la subjectivité, dont ceux de Judith Butler et de Rosi Braidotti, avec des écrits sur les retombées du nazisme chez les générations d’après permet d’envisager l’intrication de la subjectivité, du corporel et du mémoriel dans Douce France.