Penser la « banalité du mal radical » avec et contre Arendt (2012) (original) (raw)

La banalité du mal et la volonté : Revisiter l'héritage augustinien chez Arendt

Article paru dans Symposium, vol. 20 no 2, automne 2016, pp. 42-63. La notion arendtienne de « banalité du mal » est au coeur d'une controverse depuis la parution en 1963 de Eichmann à Jérusalem : Rapport sur la banalité du mal. L'objectif de cet article n'est pas de reprendre l'entièreté du débat, mais de clarifier la pluralité des racines théoriques de Hannah Arendt, et plus particulièrement l'héritage augustinien du mal comme privatio boni. Il s'agit d'une source très peu commentée qui permet pourtant d'analyser le rôle de la volonté dans la banalité du mal et de mettre en lumière la réponse d'Arendt au mal dans l'amor mundi et la formation du caractère.

Penser l'anticolonialisme avec Arendt, contre Arendt

L'anticolonialisme canadien, en tant que théorie accompagnée d'incarnation politique, connaît un regain de vigueur depuis « l'été indien » de 1990 et la décennie qu'il a inaugurée. Ses développements au cours des trente dernières années ont participé à dévoiler des problèmes de fond propres au colonialisme nord-américain. En tant qu'universitaires allochtones, comment penser ces thématiques à partir d'un corpus occidental sans masquer des enjeux particularistes ou ethnocentrés sous la prétention d'une neutralité axiologique de bon aloi ? En problématisant les rapports de domination via les catégories de paria et de parvenu, cette contribution cherche à élaborer une approche arendtienne de l'anticolonialisme à même de répondre partiellement à cette interrogation. Elle se fonde avant tout sur une recherche théorique, accrochée aux événements – à l'image d'Arendt – par une méthodologie sociologique participative, appuyée par des entrevues ouvertes.

La question du mal chez Hannah Arendt: rupture ou continuité?

PhaenEx, 2008

En 1945, Hannah Arendt écrivait : « the problem of evil will be the fundamental question of post-war intellectual life in Europe » (Arendt, Essays in Understanding 134). Bien que peu d'intellectuels se soient effectivement penchés sur cette question, elle est devenue un thème majeur de la pensée arendtienne, un questionnement qui demeure aussi, chez elle, toujours lié à l'événement politique. La préoccupation pour cette problématique a surgi à la suite de la découverte de l'horreur des camps d'extermination, dont Arendt prit connaissance en 1943.

De la critique du totalitarisme à l’action : Arendt, ou la politique comme critique

C’est une des grandes lignes directrices de la pensée de Miguel Abensour que de relancer une philosophie politique critique. Le retour des choses politiques en constitue la nécessité et l’actualité. A notre époque, néanmoins, ce retour n’est pas sans être teinté d’un renouveau du danger totalitaire – soit dans les Guantanamo américains, soit dans la globalisation d’un mode d’être néolibéral vorace et expéditionnaire, mode d’être qui déstabilise valeurs et droits en les soumettant à un mouvement stupéfiant. Les pratiques globales du néolibéralisme sont telles que l’avertissement d’Hannah Arendt, à la fin de son grand livre Origins of Totalitarianism, y trouve un écho : « Les solutions totalitaires peuvent fort bien survivre à la chute des régimes totalitaires, sous la forme de tentations fortes qui surgiront chaque fois qu’il semblera impossible de soulager la misère politique, sociale et économique d’une manière digne de l’homme… Il se peut que les véritables difficultés de notre époque ne revêtent leur forme authentique – sinon nécessairement la plus cruelle – qu’une fois le totalitarisme devenu chose du passé ». A prêter l’oreille à cet avertissement, nous nous garderions de célébrer trop hâtivement l’avènement de l’ère post-totalitaire. Le cynisme, collé à jamais à notre peau depuis l’obscurcissement totalitaire de la distinction entre vérité et mensonge, semble bien être le signe de nos temps. La question se pose alors de savoir si aujourd’hui la critique de la domination ou de l’idéologie peut, à elle seule, atteindre son but. Pour rappeler la formule de Slavoj Zizek concernant la faillite de la critique de l’idéologie à l’ère de la fausse conscience éclairée, « ils savent très bien ce qu’ils font, et ils le font tout de même ». Il est fort probable que la prise de conscience ne peut plus servir de gage, car l’idéologie n’est plus un mode de voir ou de penser mais un mode d’être pratique, concret, un mode de gestion du quotidien. Le retour des choses politiques exige alors également un retour à l’agir – et dans le même sillage, un retour à Hannah Arendt. La théorie de l’action élaborée par Arendt possède deux forces principales. D’un côté, elle nous permet de concevoir la politique, ou plus précisément, l’agir ensemble, comme le plus grand antidote de la domination et du cynisme : ce n’est qu’en agissant qu’on saura bouleverser les pratiques idéologiques sociales, économiques et culturelles. De l’autre côté, elle recèle une éthique proprement politique, éthique à déduire de sa critique du totalitarisme. Le retour à Arendt est d’autant plus pertinent, voire nécessaire, que l’oubli de l’action incite les théories postmodernes à proposer des solutions insensées, allant de l’abandon total des lieux de pouvoir à l’autodestruction, en passant par un « souci de soi » apolitique et sans vision. L’éthique arendtienne, au contraire, permet de repenser la liberté, non pas comme une négativité absolue, mais comme une re-symbolisation, comme l’institution d’un mode d’être qui change les donnés de la situation. Bien mieux, elle nous permet de reconnaître les expériences actuelles de liberté là où elles surgissent. De telles expériences possèdent la force d’une critique concrète, critique réalisée et affirmée par les choses elles-mêmes.

Le rôle du tragique dans le rapport entre l’art et la politique : Hannah Arendt contre Carl Schmitt

Philonsorbonne, 2019

URL: https://journals.openedition.org/philonsorbonne/1094 Cet article examine les conceptions opposées de Carl Schmitt et d’Hannah Arendt sur la relation entre la (ou le) politique et l’esthétique. On montrera que, pour Schmitt, le tragique assume le rôle de critère permettant de mettre en relief la distinction du politique d’avec l’esthétique. En revanche, chez Arendt, le tragique permet d’entrevoir le rapport intrinsèque entre la politique et l’esthétique, fondé sur le jugement réfléchissant : pareille à une scène théâtrale, la sphère publique arendtienne accueille une pluralité d’acteurs-spectateurs capables d’entamer un débat sur une affaire d’intérêt commun et d’en former des jugements, fondés sur leur expérience partagée.

Comment assumer l’inconsistance du réel ? Penser avec Arendt la crise de l’autorité politique moderne

Dans ce texte, la notion d'autorité est abordée sous l'angle ontologique et politique : parce qu'elle souligne la perte de poids du passé sur le présent, la problématisation de l'autorité à l'époque moderne réalisée par Hannah Arendt invite à prendre conscience de la progressive inconsistance du réel. La solution envisagée par l'auteure réside dans la conceptualisation de la qualité particulière de réel de certains moments fondateurs, les révolutions modernes, dont Machiavel le premier, selon Arendt, parait avoir eu l'intuition.