Le civisme à l'épreuve de la Révolution française (original) (raw)

Rituels civiques et paroles citoyennes pendant la Révolution française

Au début de la Révolution française, les Dictionnaires créditent le mot civisme du titre de néologisme, même si nous savons aujourd'hui que ses premiers emplois sont attestés dans les années 1770 . Le ton généralement emprunté pour définir ce "mot nouveau" est plutôt ironique, voire même dépréciatif. Gallois dans son Extrait d'un Dictionnaire inutile (1790) remarque que "le substantif de civique manquait à notre langue pauvre et timide /.../ Civisme est bien plus énergique, plus ronflant". Quant au Dictionnaire raisonné de plusieurs mots qui sont dans la bouche de tout le monde (1790), il ajoute que "Civisme est un mot imaginé pour désigner une nouvelle vertu, apparemment inconnue aux anciens". Cependant il serait particulièrement hâtif d'en conclure que l'usage du mot civisme pendant la Révolution française procède d'emblée d'une morale politique dévaluée par les événements. Il s'agirait alors d'une de ses petites vertus politiques que l'individualisme contemporain ne classe plus parmi les "grandes vertus" . De fait, la référence au civisme occupe une place centrale dans la radicalité de 1789. Il importe donc de prendre en compte la doctrine de Sieyès qui en théorise les caractéristiques majeures

La citoyenneté à l’épreuve de l’exclusion : approche historique et comparative -- Pub. 1999

Depuis la Révolution française, et de manière générale au sein de la tradition civique, l’accès à la citoyenneté en France n’a jamais été uniquement une affaire de droit positif. L’exception française admet une forme de citoyenneté acquise dans la lutte pour les droits subjectifs (droit à l’existence, droit au travail, droit à la liberté de la personne humaine, etc.). A ce titre les populations exclues de la représentation politique, les « sans », ont toujours contribué au développement de la citoyenneté dans la société civile. Leur quête d’émancipation s’est avérée souvent créatrice de formes inédites de citoyenneté. Il importe alors de prendre au sérieux la parole des « sans », d’en valoriser les ressources interprétatives, en particulier sous la forme d’une certaine intelligence de leur situation. Qui plus est, la présence attestée de porte-parole autoconstitués au sein même de ces acteurs du champ de l’exclusion introduit sur la scène politique une multiplicité d’intermédiaires, donc d’interlocuteurs susceptibles de contredire l’image ordinaire de la passivité du dit exclu.

Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante. Le cas marseillais---- Pub. 2003

« Un argument saisi dans le mouvement démocratique, la souveraineté délibérante à Marseille », Qui veut prendre la parole ? dir. M. Detienne, Paris, Seuil, Le Genre Humain, 2003, p. 329-349. --------------------------- L’étude des manières de s’assembler pour délibérer des affaires communes pendant la Révolution française est généralement rapportée à une émergence fondatrice, certes radicale, l’avènement d’un espace législatif inédit avec la formation de l’Assemble nationale en juin 1789. A partir de cet événement majeur s’instaure un ensemble de pratiques délibératives propres à la centralité législative, mais progressivement étendues, par le biais du club des Jacobins , au réseau des sociétés populaires. Cependant le « partage des langues » pendant la Révolution française, dont la complexité suscite des pratiques colingues démocratiques n’est pas calqué sur le partage du pouvoir politique dans l’espace de la « centralité législative ». Il n’est donc pas possible de limiter l’espace délibératif à l’espace tribunitien de l’Assemblée nationale et du club des Jacobins dont il suffirait de décrire les règles de fonctionnement et son insertion interlocutive dans le nouvel espace public pour comprendre l’impact du mécanisme démocratique dans son ensemble, y compris dans sa dimension foncièrement représentative. Bref, il ne nous semble guère possible de s’en tenir à la description des pratiques langagières du discours d’assemblée si l’on veut appréhender la dimension foncièrement démocratique des nouveaux espaces délibératifs.

Marseille et l’organisation « autonome » des pouvoirs constituant et exécutif pendant la Révolution française

L’histoire de Marseille est devenue une donnée majeure de la compréhension du présent des Marseillais. Cité par excellence, Marseille confère un potentiel civique exceptionnel à ses initiatives civiques. Notre objectif est de montrer l’ampleur de l’action civique des Marseillais, au cours de la Révolution française, et son apport décisif à la formation des pouvoirs. Nous nous intéressons ainsi plus particulièrement aux pouvoirs constitués pendant le moment fédéraliste (1793) dont la condamnation immédiate par le centre parisien a quelque peu obscurci la dimension démocratique.

La Révolution française à l'horizon du mouvement social. Une question de visibilité sociale

Fortement marqué par la recrudescence au cours des années 1990 du mouvement social par le fait des luttes et de la parole des sans, nous avons essayé d’en évaluer les caractéristiques propres à l’épreuve de la Révolution française, et tout particulièrement du phénomène conjoint des porte-parole. Nous avons voulu ainsi attester du présent de la Révolution française dans le mouvement social, donc sa part inhérente, voire immanente, aux ressources cognitives permettant de comprendre la portée émancipatoire des luttes sociales actuelles. Nous avons ainsi contribué, nous semble-t-il, à donner une visibilité et une centralité historiques à un mouvement des sans relégué trop souvent sur les marges de la société.

La langue politique et la Révolution française. Autour de Renée Balibar

La personnalité intellectuelle de Renée Balibar est très présente dans mon trajet de recherche. Elle y occupe, en effet, une place privilégiée dans la mesure où elle a accompagné, par ses travaux et ses réflexions de trente années, chaque étape de mon étude au long terme de la langue politique pendant la Révolution française. Dans les années 1970, inscrivant l’un et l’autre nos recherches dans une tradition marxiste amplifiée par Gramsci et revisitée par Althusser, nous avons mis conjointement l’accent sur la pratique du « français national » au sein des appareils politiques démocratiques. Certes, tandis que Renée Balibar s’intéresse à la manière dont la « langue commune » des citoyens s’instaure dans le nouvel espace démocratique de « libre communication », je limite mes premières recherches au cas de la presse révolutionnaire. Cependant, au cours des années 1980, avec la préparation du bicentenaire de la Révolution française, l’élargissement de l’interrogation de Renée Balibar à « l’institution du français » à la fois dans son historicité de longue durée et son événementiel le plus proche des acteurs révolutionnaires devait marquer mes études sur les porte-parole républicains, tant à Marseille qu’à Paris, et me permettre également d’amorcer, au cours des années 1990, une réflexion sur la part de l’événement linguistique dans l’institution du français comme langue politique. Ainsi s’opère un déplacement de 1793 vers 1789 qui ne perd pas pour autant de vue la tradition marxiste. Cependant les Jacobins-Montagnards, n’occupent plus seuls le premier plan de la scène linguistique. La figure de Sieyès, législateur-philosophe, y apparaît en pleine lumière.

Prises de parole démocratiques et pouvoirs intermédiaires pendant la Révolution française

Il n'est guère possible de s'en tenir à la description de la parole révolutionnaire selon l'échelle d'observation du discours d'assemblée si l'on veut rendre compte de la dimension démocratique des langages de la Révolution française . Quel que soit l'impact de la "centralité législative" dans la formation de la nation française, il n'en reste pas moins que l'instauration d'une raison constituante , avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ouvre la parole révolutionnaire à une expérimentation au quotidien de la citoyenneté au-delà du discours d'assemblée. C'est là où nous faisons intervenir la réflexion stimulante de Jürgen Habermas, au moment du bicentenaire de la Révolution française, sur le "pouvoir engendré communicativement" au sein des procédures démocratiques de formation de l'opinion et de la volonté

Jacobinisme et marxisme: le libéralisme politique en débat

Depuis le bicentenaire de la Révolution française, l’interrogation sur l’apport marxiste ne relève plus d’un corps de concepts « marxistes » (mode de production, lutte des classes, révolution bourgeoise, etc.), issus du matérialisme historique et applicables de façon mécanique à la réalité de la Révolution française. Ce sont les catégories explicatives elles-mêmes de l’histoire de la Révolution française, telles qu’elles sont élaborées réflexivement par les penseurs contemporains de l’événement révolutionnaire, tant allemands que français, puis traduites dans les premiers textes de Marx, qui sont prises en compte au sein de la lecture marxienne du jacobinisme. En tant qu’historien du discours, donc au titre de l’ancrage référentiel des notions-concepts dans la matérialité du discours, j’ai mis l’accent sur la reprise marxiste des catégories explicatives mises en œuvre par les penseurs marxistes du jacobinisme historique, sur la base de leur configuration en couple par le jeune Marx : mouvement populaire/mouvement révolutionnaire, Terreur/révolution permanente, porte-parole/langue populaire.

Le tout de la nation. Portée et limites du discours d'assemblée (1789-1791)

Le mot nation, alors qu'il fait événement à travers l'expression d'"Assemblée nationale", est un enjeu fondateur du discours d'assemblée : il concrétise la puissance objective de la nouvelle représentation nationale tout en fondant le nouvel "ordre des choses" sur la puissance subjective du droit naturel, c'est-à-dire sur la manière d'être d'une nation qui proclame la toute puissance de la citoyenneté, ouvrant ainsi la politique à l'illimité de l'expérience humaine de la réalisation des droits. Une fois affirmée la part foncièrement subjective du mot de nation, il est possible d’en resserrer le sens d’un point de vue plus strictement lexicologique. De fait cette notion-concept devient une unité lexicale distinctive de la spécificité révolutionnaire française dans une perspective comparative et se régularise par son association à d'autres mots ("Constitution", "représentation", "ordre", "pouvoir", etc.) qui tendent à configurer le champ sémantique de la politique moderne.