Idées, institutions, usages, savoirs: l'esprit de la justice, la sagacité de l'expert, la puissance du droit de punir (original) (raw)
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De l'esprit des lois à l'émotion judiciaire
HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2000
La traduction juridique est plurielle à la mesure de la diversité des discours de nature juridique. De l'objectivité recherchée du texte de loi à la subjectivité totale de la lettre versée à un dossier d'instruction, il existe de nombreux types de textes qui servent des objectifs différents, qui s'inscrivent dans des situations de communication très diverses et qui, de ce fait, appellent des stratégies de traduction différenciées. Si le texte législatif ou réglementaire, ou encore le contrat, se prête à une approche contrastive mettant en correspondance des stéréotypes, pour tenter de susciter une lecture identique dans les différentes langues (cas de l'Union européenne, par exemple), la demande d'asile politique ou de droit de visite d'enfants légitimes en cas de divorce, de même que toute déposition dans des affaires judiciaires, justifie une démarche interprétative/adaptative de nature à déclencher chez le lecteur-utilisateur de la traduction la réaction voulue. Dans le premier cas, la fidélité est à l'émission ; dans le second, la fidélité est à la réception. Le traducteur est ainsi conduit à mettre en oeuvre une méthodologie répondant à des paradigmes théoriques opposés. Au texte objectif convient la théorie linguistique de la traduction avec la démarche comparatiste qu'elle suscite et la recherche de correspondances notionnelles proprement dénotatives. En revanche, la théorie interprétative/adaptative de la traduction offre une approche efficace du texte subjectif avec une démarche applicative orientée vers une réécriture visant à produire des équivalences émotionnelles. Finalement, le domaine juridique est peut-être un des rares champs d'application de la traduction où peuvent coexister des approches fondées sur des axes théoriques contradictoires.
EXPÉRIENCE PRATIQUE DU JUGEMENT: ART, HYPOTHÈSE INDIFFÉRENTE ET JURISPRUDENCE
L'art du jugement dans et sur les arts, Pierre Sauvanet, Peter Kuon (dir.), Eidolon n°133, PUB, 2022
Juger, c'est à la fois considérer, évaluer, sous-peser, puis exposer et argumenter. Juger convoque tout autant la pensée rationnelle que la pragmatique, s'emploie à établir des preuves, d'ordre intellectuel et sensible sur la base de phénomènes discutables (vrai/faux, beau/laid, coupable/innocent, etc.). L'art du jugement consisterait en une manipulation toute en dextérité (manuelle, mentale et oratoire) de facultés de discernement des faits (ce qui est), de leurs relations (ce qu'ils génèrent) et d'argumentation (structuration) verbale, voire visuelle (la preuve par l'image). Ce pattern, ou réseau de relations, souligne combien, ce n'est pas la vérité qui compte, mais la finalité. On osera résumer que cette finalité, c'est l'acceptation d'une réalité avec discernement. Aussi, cet art du jugement, s'il permet d'avancer avec discernement tout en manipulant des faits discutables est, sans aucun doute, prédisposé à l'innovation, à l'invention et au développement de la connaissance puisqu'il permettrait de renégocier quelque principe de réalité. On peut donc considérer que l'exercice du jugement est une bonne pratique de l'arbitrage, s'il est bien conduit. En revanche, si on discerne mal, si on juge avec arbitraire, si on impose sans bon sens ni discussion son autorité, on juge mal. Qui juge mal prive l'autorité de ses fondations, c'est-à-dire de sa faculté de juger.
Punir autrement ? Sanctions alternatives et émergence de nouveaux modèles de justice
Interrogé sur la «juste peine» à attribuer à quatre figures de délinquant (un chauffard, un cambrioleur, un violeur et un banquier malhonnête), une large part (48,4 %) d'un échan-tillon représentatif de la population suisse préconise, dans l'un des quatre cas au moins, de prononcer uniquement une sanction alternative – c'est-à-dire non prévue par le code pénal. Partant de ce constat, nous décrirons d'abord les types de sanctions alternatives suggérées pour chaque situation. Puis, nous interrogerons le profil des enquêtés ayant privilégié ces sanctions alternatives. L'analyse des sanctions alternatives proposées révèle une grande hétérogénéité en termes de finalité et de sévérité de la peine. Le fait de refuser une peine traditionnelle n'informe donc en rien sur la forme de justice préconisée à la place, ni sur son degré de punitivité. Par ailleurs, cet engouement pour les sanctions alternatives révèle une critique du système pénal contemporain et une forme de plébiscite pour un modèle pénal alternatif. Ce modèle – dont l'essor récent de la justice restauratrice à l'échelle internationale illustre la vigueur – propose une justice plus horizontale, plus personnalisée, et qui prend davantage en compte les victimes. Mais il ouvre aussi la porte à des sanctions potentiellement plus longues et contraignantes. Mots-clés: sanctions alternatives, juste peine, modèles de justice, justice restaurative Summary Asked about the «fair sentence» for four types of criminal offences (traffic offence, burglary , rape and money embezzlement), a large proportion (48.4 %) of a representative sample of the Swiss population advocates, in at least one of the four cases, to pronounce only an alternative sanction – that is to say, not provided for by the criminal code. Based on this finding, we first describe the types of alternative sanctions suggested for each offence. Then, we examine the profile of the respondents who opted for these alternative sanctions. The alternative sanctions proposed are heterogeneous regarding the purpose and the harshness of the sentence. Thus refusing a traditional sentence does not inform in any way about the form of justice advocated instead or its degree of harshness. Moreover, this enthusiasm for alternative sanctions reveals a critique of the contemporary penal system and a claim for an alternative penal model. This model – illustrated by the rise of restorative justice at the international level – offers a more horizontal and individualised justice that takes victims more into account. But it also takes a step towards potentially longer and more restrictive sanctions.
« Les styles judiciaires » : diversité des approches, nécessité des évolutions
Droit et société, 2015
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Les Cahiers de Droit, 2024
En 2013, la Ville de Québec annonce la création d’un tribunal à caractère communautaire à sa cour municipale. De plus en plus répandus au Québec, les tribunaux communautaires, adaptés ou spécialisés préconisent des mesures alternatives à l’incarcération pour des justiciables considérés comme étant aux prises avec diverses « problématiques », telles que l’itinérance, la toxicomanie ou des troubles de santé mentale. Cet article propose une sociohistoire du modèle des tribunaux spécialisés afin d’éclairer l’engouement qu’ils semblent susciter aujourd’hui. Cette sociohistoire prend pour point de départ la création des premiers tribunaux de traitement de la toxicomanie dans le contexte de la « guerre contre la drogue » (War on Drugs) aux États-Unis, puis trace la circulation et la consécration de ce modèle jusqu’à différentes municipalités québécoises. Chemin faisant, l’analyse propose d’interroger la notion même de l’« alternative » à l’incarcération.
Misère et pathos dans le raisonnement judiciaire. Exemples sud-africains et colombiens
Revue juridique de La Sorbonne, 2021
Le mouvement Law and emotion est venu poursuivre le travail de la rationalité juridique amorcé par Law and society dans la seconde moitié du XX ème siècle. Contre du positivisme juridique moderne, et à partir contestation plus vaste de la raison associée au cartésianisme, il faudrait reconsidérer le rôle joué par dans le raisonnement des juristes. Les approches sont très variées 1 mais si en reste à générale, la parenté est évidente avec Law and literature 2 , qui vise à rapprocher le discours juridique du discours littéraire. Comme formulé Martha NUSSBAUM, une auteure majeure du champ, de les : R. BOUDON, Le juste et le vrai. Études sur l'objectivité des valeurs et de la connaissance, Fayard 1995. 6 M. NUSSBAUM, « Emotion in the Language of Judging », op. cit., p. 25 : « emotions are not just mindless ; they embody thoughts ». Plus précisément, « emotions have many cognitive features, and embody forms of thought » (Ibid., p. 25). ARISTOTE mais également dans une moindre mesure sur Antonio DAMASIO (infra), la philosophe va légèrement au-delà du cognitivisme en estimant que les émotions sont un moyen de connaitre les valeurs mais sont, peut-être, en elles-mêmes, la seule forme connaissable de jugement, en faisant le lien entre notre environnement extérieur et nos valeurs, objectifs et désirs ainsi connus : M.
L'Expertise Judiciaire Dans La Construction Du Jugement: De La Ressource à La Contrainte
Droit et société, 2000
le droit dans la construction du jugement ? De quel partage des tâches entre le magistrat et l'expert naît la décision de justice ? L'expertise, en tant que forme privilégiée de développement des savoirs dans l'institution judiciaire, offre un angle intéressant et inédit pour reconsidérer à la fois le rapport du droit aux autres disciplines et celui du magistrat au jugement 6. Alors que la loi conçoit l'expertise comme un accessoire, c'est bien la capacité à produire des certitudes qui, in fine, détermine le niveau de participation du technicien dans l'élaboration du jugement. Tantôt négligeable, tantôt décisive, l'expertise contribue très inégalement à la formation du verdict mais fait varier d'autant le rôle du magistrat. Maître de la décision, le juge peut aussi n'en être que l'organisateur. L'ouverture de la Justice à des partenaires extérieurs donne ainsi à penser une possible évolution des modes de juger pratiqués au sein de cette institution. L'expertise judiciaire, entre approche praticienne et discours juridique L'expertise judiciaire constitue, à ce jour, un angle mort des sciences sociales 7 , en particulier de la science politique. Si des approches historiques 8 , sociologiques 9 , psychologiques 10 ou linguistiques 11 se développent timidement depuis une quinzaine d'années, la science politique 6 Cet article s'inscrit dans une recherche plus large qui porte sur la dynamique savoir-pouvoir observée à travers le cas de l'expertise judiciaire. Il s'agit d'une thèse de doctorat en science politique, intitulée « L'expertise comme nouvelle raison politique ? Un terrain privilégié : l'expertise judiciaire » et réalisée sous la direction de Jacques Commaille et Martine Kaluszynski. L'auteur tient à remercier chaleureusement les personnes qui lui ont fait l'amitié de relire les différentes versions de ce texte et de lui faire part de leurs remarques aussi judicieuses que bienveillantes : Jacques Commaille, Martine Kaluszynski, Kristoff Talin et Philippe Warin. L'auteur tient également à remercier toutes les personnes qui ont rendu possible le travail de terrain : experts, magistrats et juristes rencontrés. 7 Il s'agit ici de l'expertise judiciaire en tant qu'objet à part entière. En revanche, les recherches concernant des pans particuliers de l'expertise ne sont pas rares. C'est le cas en particulier de l'expertise médico-légale et psychiatrique.