Études sartriennes. 2019, n° 23. Sur les concepts d’histoire : Sartre en dialogue (original) (raw)
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Sur les concepts d'histoire: Sartre en dialogue
2019
Si, dans le passage cité, Rancière utilise la référence critique à Sartre comme prétexte pour justifier le titre de son recueil, il a davantage déployé ses réserves vis-à-vis de la dialectique sartrienne dans Le Philosophe et ses pauvres,
Entretien : Maurice Sartre et le métier d’historien
Anabases, 2011
Nous proposons ici le texte à peine retouché d'un entretien avec Maurice Sartre qui s'est déroulé le 14 mai 2010, à l'Université de Toulouse II-Le Mirail, dans le cadre du séminaire annuel de l'équipe PLH-ERASME. Nous avons conservé pour l'essentiel la spontanéité et la tournure orale des échanges, et ajouté quelques notes pour aider les lecteurs. Nous remercions Nathaël Recoursé, doctorant, pour une première transcription de l'enregistrement intégral, et Maurice Sartre, à la fois pour sa révision et pour la générosité qu'il a manifestée lors de cette visite. L'article qui suit est comme une mise en oeuvre des principes exposés et discutés au cours de ces échanges. Pascal Payen : La meilleure façon de rendre hommage à un historien, à ses travaux, à ses recherches, est certainement de le convier à en parler et de dialoguer avec lui sur son métier. Maurice Sartre a de longues années de pratique de ce métier et de débat sur l'évolution des sciences historiques et sur les rapports entre recherche et diffusion des connaissances. Ses analyses peuvent donc intéresser tous les historiens que nous sommes, jeunes et moins jeunes. Faire venir Maurice Sartre, que nous remercions d'avoir fait le voyage spécialement de Syrie pour cette occasion, était un projet que nous avions en tête depuis quelques années, parce que la diversité de ses activités d'historien et au service de l'histoire correspond bien à l'esprit que nous tentons d'impulser au sein de l'équipe ERASME, autour de l'Antiquité et de ses réceptions. Pour ouvrir la table ronde en songeant à la diversité des publics qui sont réunis, je voudrais tout d'abord présenter l'oeuvre de Maurice Sartre, en essayant de dégager, livres à l'appui, ce qui constitue les lignes de force de son travail d'historien et de son activité. Le premier registre dans lequel se situent ses travaux est celui de l'érudition. Le territoire de Maurice Sartre historien est la Syrie ancienne, le Levant antique, une très vaste région couverte par les États modernes du Liban, d'Israël, des territoires palestiniens, de la Syrie et de la Jordanie. Maurice Sartre a ainsi édité de nombreuses inscriptions depuis 1982, lorsqu'il publie, dans les Inscriptions grecques et latines de Syrie, le volume 13.1, consacré à Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011 la cité de Bostra 1 , la capitale de la province romaine d'Arabie, dont il est le spécialiste, comme en témoigne la monographie qu'il lui consacre en 1985 2. Dans sa carrière, ce sont plus de 4 000 inscriptions qu'il a trouvées, accompagné de son épouse, historienne elle aussi, qu'il a éditées et commentées avec elle. Le deuxième registre se situe à la croisée du domaine savant et des activités d'enseignement. Maurice Sartre est l'auteur de grandes synthèses concernant l'histoire du Proche-Orient à l'époque hellénistique et romaine. Le premier ouvrage rédigé en ce sens est L'Orient romain. Provinces et sociétés provinciales en Méditerranée orientale d'Auguste aux Sévères, 31 av. J.-C.-235 ap. J.-C., publié en 1991 3. Mais celui qui me séduit le plus dans cette vaste production est un autre livre de synthèse, dont il dit qu'il l'a écrit avant tout pour lui-même et non pas pour le public : D'Alexandre à Zénobie. Histoire du Levant antique, IV e siècle av. J.-C.-III e siècle ap. J.-C., paru en 2001 4. Dans le même registre, on signalera encore les manuels, c'est-à-dire des livres qui permettent à des générations d'étudiants, mais aussi de collègues, de se former, en particulier ceux qui ont paru dans la collection U, chez Armand Colin : L'Asie mineure et l'Anatolie, d'Alexandre à Dioclétien IV e siècle av. J.-C.-III e siècle ap. J.-C. 5 et L'Anatolie hellénistique, de l'Égée au Caucase 6. Une troisième facette de ce vaste travail est la diffusion du savoir historique, destinée à toucher des publics plus larges que ceux des milieux universitaires. Je voudrais signaler à ce sujet un livre passionnant : Histoires grecques, paru en 2006 et constitué de quarantetrois courts chapitres reposant sur une source, d'abord traduite, puis objet d'un commentaire historique 7. Ce livre est une vraie leçon de méthode, et il est déjà traduit en anglais, aux États-Unis, avec des traductions en préparation en serbe, turc et grec. Je signale également, dans le même registre, un livre intitulé La Syrie antique 8. Enfin, il faut souligner la place que prend Maurice Sartre dans la revue L'Histoire où il siège depuis maintenant quinze ans au comité de rédaction. De même, chacun connaît sa participation active au Monde des livres et son rôle dans les débuts des « Rendezvous de l'histoire » à Blois. Ces trois registres : l'érudition scientifique, l'écriture de larges synthèses, les formes variées de la diffusion du savoir, sont, reconnaissons-le, fort difficiles à concilier, ne serait-ce que pour des raisons de temps. J'ajoute que Maurice Sartre a été un enseignant, un universitaire, faisant des cours, participant à des jurys de concours, dirigeant des mémoires de toute sorte et de très nombreuses thèses. C'est donc autour de ces travaux que nous allons échanger, enseignants-chercheurs, doctorants et public. Il sera question de l'histoire et de l'archéologie du Proche-Orient, et des rapports entre Orient ancien et Orient moderne ; nous discuterons aussi de l'engagement de l'historien dans les formes de diffusion du savoir et des dossiers qui semblent les plus prometteurs dans le domaine de l'histoire de l'Antiquité, y compris les questions de réception qui nous tiennent spécialement à coeur. J'ouvre le débat par une première question. Depuis le début des années '60, l'étude de l'Antiquité n'est nullement restée à l'écart des grands renouvellements historiographiques qui ont touché l'ensemble des disciplines historiques, en particulier par la rencontre avec d'autres disciplines : je pense à la psychologie historique et à l'anthropologie-et je renvoie à l'oeuvre de Jean-Pierre Vernant-, mais aussi avec la sociologie, du côté de Paul Veyne, dont le grand livre Le pain et le cirque est sous-titré Sociologie historique d'un pluralisme politique 9. Le renouvellement s'est opéré aussi du côté des thématiques, par exemple avec l'histoire des rapports entre les sexes. Quelle appréciation d'ensemble portez-vous sur ce renouvellement du questionnement dans le champ historiographique depuis quarante ou cinquante ans ? Ce contexte at -il exercé une influence sur vos propres recherches et, si c'est le cas, en quel sens ? Maurice Sartre : Ce n'est pas par esprit de contradiction, encore que l'historien se doit d'avoir l'esprit de contradiction, mais je vais répondre aux questions en sens inverse. D'abord, merci pour cette présentation, qui souligne l'une de mes plus profondes convictions : je crois effectivement que l'érudition est le fondement de Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011 Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011 Pour ce qui est des synthèses, je les crois aussi indispensables qu'éphémères. D'autres chercheurs, plus jeunes, donneront un jour des synthèses proposant une nouvelle Entretien : Maurice Sartre et le métier d'historien Anabases, 13 | 2011
Accumulant des notes sur le rôie du jansénisme et du protestantisme dans la formation de I'idéologie bourgeoise, Sartre s'en prend à plusieurs reprises i\ l'interprétation des idéologies en temes d'intérêts de classe, clu nommément à Engels. Mais si le marxisme est la seule cible avérée de < Liberté -Égalité >, on peut aussi supposer qu'il constitue, pour Sartre, le seul adversaire digne de considération, celui dont les thèses s'approchent sufTisamment de la vérité pour mériter d'être contestées ou nuancées. On peut noter ainsi, sans ouvrir d'autres débats, que Sartre aurait pu cliscuter I'interprétation wébérienne de l'éthique protestante, qui est exposée, entre autres, dans une des sources qu'il explclite le plus abondamment, à savoir le classique de Tawney, Lu Reli.gion et I'essor du cupitolisnte. Or, non seulement Sartre n'évoqr-re ni le nom ni les hypothèses de Max W-eber, qui constituent i\ l'époque la plus célèbre alternative au marxisme, mais il ne discute pas non plus les positions très nuancées de Tawney, dont il suit pourtant plusieurs éléments favorables à sa propre lecture critique d'Engels.
Les positions que Sartre a choisi de développer, à la fin de sa vie, par un dialogue prolongé et systématique avec Benny Lévy sont difficiles à reconstruire et à interpréter 1 . Il y a plusieurs raisons à cela : en premier lieu, la difficulté de situer avec précision la contribution propre à chacun des deux penseurs dans une pratique intellectuelle se voulant commune. En outre, il est difficile d'éviter la tentation de lire les échanges entre Sartre et B. Lévy exclusivement à partir du trajet postérieur de l'ancien Pierre Victor, si bien que l'appropriation et le dépassement des motifs sartriens dans une perspective s'autorisant de Levinas semblent finir par épuiser les enjeux à la fois philosophiques et politiques de cette réflexion à bien des égards extrême de l'auteur de la Nausée. Or notre hypothèse est que ces enjeux restent irréductibles à leur appropriation par le trajet ultérieur de Benny Lévy, et que leur nature explique à la fois les difficultés qu'implique leur intelligence et l'utilité de leur réappréciation. Entre 1975 et 1980, Sartre se confronte, à travers sa collaboration avec Benny Lévy, avec une conjoncture historique qui ne pouvait pas ne pas mettre profondément en question le sens de son parcours. Les années 1975 sont l'époque de la « crise du marxisme »une formule de Louis Althusser qui semble faire (négativement) écho à celle du marxisme comme « horizon indépassable » -et de l'épuisement de la perspective communiste, tant sous sa forme soviétique qu'en ce qui concerne les tentatives de réactiver des processus révolutionnaires par-delà l'ordre figé issu de la guerre froide. Il est bien connu que le bilan de l'expérience maoïste et gauchiste représentait un moment décisif de la collaboration entre Sartre et Lévy. Pourtant, il faut éviter, contre l'interprétation de nombreux anciens gauchistes, de réduire ce bilan à une étape dans une recherche intime qui débouchera sur l'abandon de la politique, les processus historiques n'apparaissant plus, dès lors, que comme les prétextes d'une « conversion » individuelle. En réalité, la dissolution des nouvelles gauches nées entre l'après-guerre et les années 1960 dépasse largement la « petite histoire » du gauchisme français : la crise des années 1970 met en cause tous les processus historiques qui semblaient pouvoir engendrer une nouvelle figure de l'idée de révolution par-delà la glaciation de l'URSS -en s'attaquant à des formes d'oppression venues du fond des âges, à un ordre mondial soutenu par l'équilibre de la terreur et à un système capitaliste qui semblait avoir neutralisé le conflit social à travers la technologie et la consommation de masse. Lorsque le communisme chinois, les expériences révolutionnaires et socialistes en Afrique et en Amérique Latine et les mouvements oppositionnels dans les pays industrialisés, entament leur déclin, c'est toute une séquence historique qui se referme, que l'oeuvre de Sartresa philosophie mais aussi son « style » d'intervention et d'engagement -avait essayé d'interpréter et d'exprimer et à laquelle elle avait fini par être identifiée 2 . L'enjeu que révèle l'épisode gauchiste touche directement à la possibilité de continuer à penser l'histoire comme le lieu d'une recherche de soi de la part de l'humanité, cherchant à « vivre ensemble, comme des hommes, et à être des hommes » 3 . Il s'agit, dès lors, de se confronter avec une conjoncture historique dont les formes visibles et immédiates semblent infliger un démenti radical à l'idée que l'histoire pourrait être autre chose que le retour éternel et « naturel » de l'exploitation et de l'aliénation. Du coup, il devient urgent d'interroger la contre-finalité qui fait que les processus de libération, dont l'idée de Révolution est le symbole et le paradigme, finissent par se renverser dans la reconstitution de l'asservissement et de l'oppression.
"Le biographique et l'historique", à propos de Jean-Paul Sartre (texte et vidéo)
Jean-Paul Sartre, Les Cahiers de la nuit de la philosophie 2011, centre Darius Milhaud, Aix-en- Provence, 2012, p14-17., 2012
Jean-Paul Sartre, Les Cahiers de la nuit de la philosophie 2011, centre Darius Milhaud, Aix-en-Provence, 2012, p14-17.
2023
Comme le montre le passage célèbre de la « pierre qui tombe » dans l’Appendice de la première Partie de l’Éthique de Spinoza, on ne peut jamais expliquer ou justifier intégralement une action ou un phénomène, à moins de se réfugier dans « la volonté divine », c’est-à-dire, comme dit Spinoza, dans « l’asile de l’ignorance ». Une philosophie de l’immanence aboutit ainsi, paradoxalement bien que nécessairement, à une théorie de la pure préférence injustifiée. L’existentialisme sartrien enveloppe lui-aussi l’idée (très proche de « l’absurde ») selon laquelle nos vies reposent fondamentalement sur des « choix » existentiels absolument injustifiables en eux-mêmes, même s’ils justifient toutes nos actions. Dans ce texte, j’établis, par une démonstration logique et par la méthode du langage ordinaire (« que disons-nous quand ? »), l’équivalence entre le « choix existentiel » sartrien et une « préférence existentielle », et montre que cette dimension fondamentalement injustifiable de l’ontologie comme des pratiques humaines s’accorde aussi bien avec l’absence spinozienne de libre-arbitre qu’avec la liberté sartrienne, car les distinctions entre « liberté » et nécessité », ou entre « activité » et « passivité » s’effacent lorsqu’il est question de « choix » ou de « préférences » existentiels, par exemple lorsqu’il est question de « vocations » politiques, esthétiques ou religieuses. As the famous passage of the "falling stone" in the Appendix to the first part of Spinoza's Ethics shows, one can never completely explain or justify an action or a phenomenon, unless one takes refuge in "the divine will", that is to say, as Spinoza says, in the "asylum of ignorance". A philosophy of immanence thus leads, paradoxically though necessarily, to a theory of pure unjustified preference. Sartrean existentialism also encompasses the idea (very close to the “absurd”) that our lives are fundamentally based on existential “choices” that are absolutely unjustifiable in themselves, even if they justify all our actions. In this text, I establish, by a logical demonstration and by the method of ordinary language ("what do we say when?"), the equivalence between the Sartrean "existential choice" and an "existential preference", and show that this fundamentally unjustifiable dimension of ontology, as of human practices, agrees just as well with the Spinozian absence of free will as with Sartrean freedom, because the distinctions between "freedom" and necessity", or between "activity" and “passivity” disappear when it is a question of existential “choices” or “preferences”, for example when it is a question of political, aesthetic or religious “vocations”.