Juan Branco | Yale University (original) (raw)
Doctorat (PhD) by Juan Branco
Perhaps we should abandon the belief that power makes mad and that, by the same token, the renunc... more Perhaps we should abandon the belief that power makes mad and that, by the same token, the renunciation of power is one of the conditions of knowledge. We should admit rather that power produces knowledge; that power and knowledge directly imply one another; that there is no power relation without the correlative constitution of a field of knowledge, nor any knowledge that does not presuppose and constitute at the same time power relations.
De l'affaire Katanga au contrat social: un regard sur la Cour pénale internationale Soutenue à l... more De l'affaire Katanga au contrat social: un regard sur la Cour pénale internationale
Soutenue à l'ENS Ulm, novembre 2014. Félicitations du jury à l'unanimité (Mireille Delmas-Marty, Professeur honoraire au Collège de France, Présidente; Jean-Louis Halpérin, Professeur de droit à l'ENS Ulm, directeur de thèse; Hélène Ruiz-Fabri, Professeur de droit à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, directrice du Max Planck Institute Luxembourg; Marc Crépon, Directeur de recherches au CNRS, directeur du département de philosophie à l'ENS Ulm; Isabelle Delpla, Professeur de philosophie, Université Lyon III). Prix de thèse de l'Institut Varenne.
Propos préliminaire
Il convient de faire savoir que l’angle adopté pour cette thèse a tardivement évolué sous l’influence d’un événement déclencheur: la lecture du jugement contre Germain Katanga, deuxième accusé de la Cour pénale internationale, condamné pour « complicité résiduelle » d’actes commis dans un village isolé de la région la plus excentrée de la République Démocratique du Congo. Germain Katanga a été reconnu coupable d’avoir, à 24 ans, reçu et redistribué, sur ordre, des armes dont personne n’a jamais cherché à connaître les acquéreurs ni les destinataires, dans un village où les équipes du Procureur ne se sont jamais rendues. La condamnation est intervenue onze ans après les faits, dix ans après l’ouverture de l’enquête, sept ans après le transfert de l’accusé à la Haye et plus de quatre ans après l’ouverture de son procès. Germain Katanga est aujourd’hui la seule personne à avoir été définitivement reconnue coupable par la Cour pénale internationale, institution pensée pour mettre fin à l’impunité contre les crimes les plus graves et ses principaux responsables. Son Jugement a fait l’objet d’une opinion dissidente d’une virulence rare par l’un des trois juges ayant participé au procès, juge qui s’est désolidarisée de toutes les procédures menées les deux années précédentes. Alors que son co-accusé a été acquitté dans l’indifférence en 2012, M. Katanga a lui été condamné après avoir vu ses charges requalifiées six mois après l’ouverture des délibérés, alors qu’il avait été établi qu’il n’était pas l’auteur des crimes dont on l’accusait. Encore un an avant les événements qui lui valurent son transfert à La Haye, il chassait des okapis au milieu de la forêt congolaise.
Cet événement, ainsi qu’une distanciation avec le Bureau du Procureur suite à une tentative d’intervention dans le contenu de nos recherches, ont permis de condenser tout ce qui jusque-là était apparu comme gênant, contestable, parfois scandaleux, mais qui, pris isolément, n’entamaient pas un jugement d’ensemble globalement bienveillant sur l’institution. Au cœur du pouvoir, au plus proche du Procureur puis sous les ors vieillis d’une grande chancellerie, l’on ne s’inquiète pas des petits détails, de l’importance des destins individuels et de la cruelle symbolique qu’ils peuvent renvoyer. Il en va autrement dès que l’attache se fait plus profonde ; que, dans le cadre d’une recherche minutieuse et d’apparence vaine ou secondaire, les grands desseins s’effacent pour faire face à la réalité des corps, révélant le coeur d’une institution née du traumatisme de l’Holocauste pour en éviter la répétition et réduite à poursuivre des hères coupables d’avoir été entraînés, à peine adultes, dans la violence téléguidée d’un endroit oublié de tous si ce n’est des marchands d’armes occidentaux, de l’hubris néo-divine des potentats locaux et de nombreuses multinationales. En l’occurrence donc, M. Katanga, paysan devenu milicien au milieu de cet impensé de la modernité politique qu’était l’Afrique des Grands lacs, coupable d’avoir pris les armes suite à la destruction de son école et au massacre de ses camarades, d’être devenu un combattant pour défendre sa communauté, puis d’avoir croisé des forces lancées par le pouvoir central, forces qu’il alimenta comme un logisticien d’un soir .
Germain Katanga donc, âgé de 24 ans, qui fit transiter des armes automatiques « venues du ciel », armes dont la présence sur ce territoire fit qu’entre trente et deux cent personnes, dont des enfants et des vieillards, ne mourussent pas seulement sous le coup des machettes et des arcs, de la pauvreté et de l’indifférence, mais aussi de kalachnikovs produites en Europe et financées par ses consommateurs de matières premières, c’est-à-dire par nous.
C’est de cet homme rattaché finement à notre existence par notre propre « complicité résiduelle » dont la Cour pénale internationale a fait son premier condamné définitif après douze ans d’existence. Un homme que l’on affubla un jour d’un costume de général, à la veille de ses vingt-six ans, afin de le transférer à La Haye et de l’y faire juger comme un grand homme. Un homme soudainement « passé du mauvais côté » pour une communauté internationale qui s’était jusqu’alors obstinée à l’ignorer, et qui s’est soudainement crue légitime à le condamner, en s’appuyant sur l’indifférence, le malaise au mieux de ceux qui, trop vaguement intéressés, craignirent et craindront toujours trop de s’apitoyer sur un bourreau pour chercher à regarder. Un homme coupable peut-être, en tout cas condamné comme bien d’autres à l’angle mort de la prétention à l’universel.
La fragilité de la « perspective » dans les recherches intellectuelles appelle à l’humilité. Une évolution tardive du regard sur un objet de recherche peut apparaître comme une faiblesse dans le cadre d’un travail universitaire. J’ai pourtant accueilli avec bonheur cette remise en question, comme un rappel juste à temps de la versatilité des constructions théoriques, pour élaborées, étayées et confrontées à « l’expérience » qu’elles puissent sembler. Cette rupture fut aussi accueillie comme la confirmation que l’esprit critique n’est jamais assez aiguisé, et que, pour reprendre le mot de Pascal Quignard, « il y a un apprendre qui ne rencontre jamais le connaître ». Il me semblait dès lors important d’admettre cette évolution avant de proposer ce travail et, partant, admettre être conscient d’une fragilité qui est nécessairement encore présente, qui est celle de toute entreprise similaire, et qui se renforce naturellement avec l’implication personnelle, professionnelle et émotionnelle du chercheur dans ses sujets de recherche - mais dont j’ai eu la chance qu’elle apparaisse partiellement à temps pour retrouver une distance que j’espère aujourd’hui suffisante. Il est évident que cette rupture a permis d’éclairer ma démarche et de faire un petit pas dans le sens d’une plus grande sincérité, d’une moindre cécité, mais il est tout aussi évident que rien ne permette d’affirmer que ce soit là assez. Il faudra se contenter d’avoir pu rompre les dernières digues émotionnelles comme intellectuelles qui me rattachaient à une institution qui m’a beaucoup offert, et ainsi d’enfin pouvoir percevoir clairement ce sur quoi, comme beaucoup d’autres, je buttais depuis que j’avais rencontré la Cour sans jamais réussir à le comprendre: l’ouvrage auquel je me suis dédié pendant cinq ans avec minutie, comme un petit artisan tentant de corriger un objet rongé par un invisible défaut qu’aucun geste ne viendrait compenser, vrillerait en fait de par ses inaltérables fondations.
Livres (Books) by Juan Branco
Collection Ouvertures (dirigée par Alain Badiou et Barbara Cassin) - Fayard. Non accessible sur c... more Collection Ouvertures (dirigée par Alain Badiou et Barbara Cassin) - Fayard. Non accessible sur ce site.
Fiction and reality. Here is the twosome that Edward Snowden has perhaps the most sustainably sha... more Fiction and reality. Here is the twosome that Edward Snowden has perhaps the most sustainably shaken. Some alerts had already been raised with the revelation of the Echelon system at the end of the last century; the ever-growing number of terrorism laws, the progressively more oligopolistic Internet ecosystem during the 2000s… But, by revealing - that is materialising - the surveillance mechanisms that control every aspect of our lives, en masse and with no criteria, Edward Snowden has turned the anxiety of the future into a terror of the present.
Thus fiction and reality, but also, perhaps especially, fiction and (im)materiality. Because if no one could have imagined, nor anticipated the art and the scope of the surveillance we are submitted to, it is due to that immateriality of surveillance that we should question. How can Cinema or Literature capture what from now on goes without a body: that circulation of bits that cannot be controlled? How to narrate those lives that each day stray away from the physical world we know. What links can we find between the activists’ technical resistance to rebuild our autonomy and sovereignty and the new narratives taking control over the digital universe? Have we returned to the starting point, when Ivan Illich and a few critical thinkers described computers as a vehicle for a society of surveillance and control, and when Michel Foucault described the deeply securitarian nature of modern States? Is it necessary to repress the enthusiasm with which individuals take control of the digital world to communicate, to express or invent themselves in a new space?
Though our relationship with the world seemed defined, the invisible and the monstrous suddenly appeared to remind us of the siege that the powers put us under. How do we respond to that? Do we need to use figuration to denunciate more efficiently – exposing those interdependent bodies mutated into cyborgs – rather than the suggestion of this impalpable influence that surrounds us, dominates us and threatens us with all its weight?
In the end, it’s the relationship between art and resistance that this case questions. Because if there’s any lesson to take from the continuous discoveries about the massive surveillance we’re under, it’s that the simple fact of showing is a resistance act per se. Showing those who want to see everything on the condition of not being seen themselves. Showing, as well, how we can build our own narratives, conceiving a different digital universe, independently or in response to their vigilance.
At the time of faceless powers, how to structure this resistance? On whom will we henceforth rest to defend our freedoms in the future, besides whistleblowers? Are artists, eternal image revealers, shouldn’t they have their saying on this endless struggle? Isn’t creation itself threatened by this flood of bits, algorithms and automatic restriction devices, which obsession is to erase unpredictability, risk and anomaly? Those are the questions we will seek to answer by gathering some of the advocates of the virtual struggle (Julian Assange, Jérémie Zimmermann, Jennifer Robinson…) and some of the creators and thinkers invited to the festival. Because, in the end, though the fight of the invisibles has begun, what is better than a festival made of images and image creators to open the debate?
Non accessible sur ce site - LGDJ/Institut Varenne, 2015
On how to modernize French "droits d'auteur" system. Collection "Actualités critiques" direct... more On how to modernize French "droits d'auteur" system.
Collection "Actualités critiques" directed by Emmanuel Burdeau, starring works by Rancière, Zizek, Jameson...
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Articles (Articles & Papers) by Juan Branco
Communication to the Office of the Prosecutor of the International Criminal Court Pursuant to the... more Communication to the Office of the Prosecutor of the International Criminal Court Pursuant to the Article 15 of the Rome Statute
Long and unedited version of the investigation published in September 2018 by Le Monde Diplomatique.
C'est une fine rivière rouge sang qui traverse un empire de verdure. 134 kilomètres de piste oubl... more C'est une fine rivière rouge sang qui traverse un empire de verdure. 134 kilomètres de piste oubliés de la modernité et du monde. Tracée en toute hâte il y a cinq ans par des dizaines de camions et de 4x4 rutilants, la route en latérite brûlante qui relie Bangassou à Bakouma devait apporter la prospérité à tout un pays, la fortune à ses travailleurs, et de l'énergie pour un siècle à la France. On lui promettait de devenir l'aorte d'un nouveau monde, conçu dans la précipitation en Afrique du Sud, racheté à Toronto et transbordé en Europe après avoir été immatriculé aux Îles Vierges. Ces 134 kilomètres au milieu de nulle part ont, cinq ans durant, traversé le les continents, fait l'objet de commentaires, spéculations, enquêtes et faillites à Paris, Pretoria et Pékin, brassé des milliards, marqué les destins d'une infinité de personnes. Ils sont aujourd'hui dévorés par une végétation féroce et insatiable, colonisés par des crevasses, des papillons et des fourmis rouges. Ils s'apprêtent à disparaître. Leurs pulsations, loin de la grandeur des premiers jours, ne nourrissent plus, depuis l'oubli, que l'un des plus grands scandales industriels du siècle naissant. Ces kilomètres, on y accède depuis Bangui, la capitale d'un des pays les plus pauvres du monde, la République centrafricaine, après deux jours de voyage entourés de misère et de groupe armés qui ne se laissent pas tout à fait voir. S'ensuivent quelques heures passées sur une motocyclette prisant les pannes sur une route toujours plus étroite, avant que les branches, l'humidité et un soleil de plomb ne forcent à mettre pied à terre pour traverser les derniers fleuves, rivières et ruisseaux qui nourrissent la forêt vierge de la préfecture de Bangassou. Quelques heures de marche supplémentaires laissent enfin apparaître un ensemble de cases faites de la même terre que le sol, aux toits couverts de branches sèches et aux intérieurs emplis de lits sans matelas. Un lieu sans odeur, ni couleur particulière, que le soleil habite de six heures à six heures toute l'année, nourri du manioc des champs environnants, un lieu comme un autre se dit-on, et dont l'autarcie est pourtant régulièrement rompue par le flot irrégulier d'étranges pèlerins arrivant les yeux pleins de lucre et de promesses, repartant toujours asséchés, repoussés par le poison doré qu'ils recherchaient. Un lieu encerclé par un minerai qui avait promis à l'Occident l'éternité et qui prend chaque jour un peu plus la forme de son ultime malédiction : l'uranium. Ce lieu, son nom : BAKOUMA. Dans ses cases résident les secrets de l'effondrement du plus grand groupe nucléaire au monde AREVA.
Sokourov et l'humanisme, une affaire de cadre. Libre, il faut avoir senti le cadre. Dans un entre... more Sokourov et l'humanisme, une affaire de cadre. Libre, il faut avoir senti le cadre. Dans un entretien avec les Cahiers du Cinéma (novembre 2015, n°716), le réalisateur russe Alexandre Sokourov défend Pétain au nom d'une certaine idée de l'humanisme : « Pour moi, la décision historique de Pétain a été bonne pour la France. Il y avait beaucoup de circonstances morales très dures, mais c'était une position justifiée. Plus de vies humaines ont été sauvées de cette manière. Le film part de ça, de cette balance : quel est le prix de la vie humaine ? Pendant que vous pouviez aller au café à Paris, les Russes mouraient en masse. Peut-être qu'on est morts pour cela d'ailleurs, pour Paris et pour la culture. Mais personne ne nous a dit merci (…) Au cours des huit premiers mois, trois millions de Russes ont été tués ou faits prisonniers sur le front de l'Est. Mais on ne peut pas dire qui est coupable. Le choix de Pétain, sa décision de trouver un compromis, était sans doute très dure mais aussi plus humaniste. Toute décision humaniste a un versant moral compliqué ». On serait tenté de dire que M. Sokourov a parfaitement raison. L'humanisme de Pétain dans son refus de livrer à la mort des millions de français est, dans une perspective littérale, incontestable, et toute décision humaniste a un versant moral compliqué. Mais nous serions tentés de le dire pour préciser aussitôt que M. Sokourov ne peut avoir raison que dans un certain cadre, un cadre ancien, oublié, qui nous apparaît à sa lecture étranger, cadre qui est celui de la nation, cadre qu'il adopte d'ailleurs explicitement, par l'utilisation régulière du « on » renvoyant à ses compatriotes russes (« Peut-être qu'on est morts pour cela d'ailleurs »). Sauf que l'on se rend vite compte – immédiatement, intuitivement, par analogie à cette idée de cadre – que M. Sokourov ne peut avoir tout à fait raison, parce que le cadre dont il parle, dont il part, la nation, n'existait alors pas, puisqu'elle ne respectait pas ses promesses – son propre discours – et excluait ceux qui lui appartenaient légitimement, tout un pan de la population, les juifs bien entendu, et les autres victimes de la politique nazie, sans que rien ne justifie ce geste.
Publié en Une de Médiapart le 2 septembre 2016 Qu'a donc bien pu faire l'été 2016 Julian Assange... more Publié en Une de Médiapart le 2 septembre 2016
Qu'a donc bien pu faire l'été 2016 Julian Assange pour avoir été qualifié en quelques jours d'agent du KGB (sic), d'antisémite, de propagandiste du Kremlin, de menace pour l'intégrité de dizaines de millions de femmes turques et pour la démocratie états-unienne, en sus des déjà classiques accusations de viol, le tout relayé par certains des médias les plus puissants de cette planète, du New York Times au Bild ? Qu'a pu déclencher une si risible accumulation de caricatures, ne s'appuyant sur aucun élément concret, contre un homme dont la vie a été passée au peigne-fin par des centaines de médias depuis plus de dix ans, dont chaque visiteur, chaque mouvement, est scrupuleusement suivi par les agences de renseignement les plus puissantes du monde, sans qu'à aucun moment le moindre élément probant permettant d'étayer ces accusations n'ait été dévoilé ?
Daesh est venu chercher le don qu'on lui refusait : celui du sang. 1st page of a two-parts artic... more Daesh est venu chercher le don qu'on lui refusait : celui du sang.
1st page of a two-parts article published in the issues number 50 (May 2016) and 51 (October 2016) of Lignes.
Revue Envers - Le Chef - 2014
Rome, 16 mars 1978. Aldo Moro, icône de la Démocratie chrétienne, est enlevé. Depuis dix ans, une... more Rome, 16 mars 1978. Aldo Moro, icône de la Démocratie chrétienne, est enlevé. Depuis dix ans, une chape de plomb s’est abattue sur la péninsule. La violence et les groupuscules extrémistes fleurissent, sur fond d’une puissante crise de sens. Le système politique, incapable d’y répondre, semble n’avoir plus d’autre but que d’assurer sa propre survie. Le soir même de l’enlèvement de Moro, l’alliance dont il rêvait entre Démocratie chrétienne et Parti communiste est effective. Le système assure ainsi sa continuité, sur le dos de son zélé défenseur et au mépris de la volonté du peuple. Plutôt que de prendre le risque d’une rupture nécessaire, les dirigeants font le pari de l’absurde pour préserver leur pouvoir. Muré dans son autisme et pris par une soudaine crise d’autoritarisme, le gouvernement laissera mourir Aldo Moro entre les mains de ses geôliers, malgré les nombreuses tentatives de médiation et des exigences revues à la baisse de la part des Brigades rouges.
Jardins de l’Elysée, 14 juillet 2013. Face aux journalistes qui lui posent une question précise sur la hausse des impôts, le Président ignore leurs relances et se laisse emporter dans une digression interminable sur la définition des classes moyennes. La parole patine, flotte, se montre rêche dans sa technicité d’apparence. Elle est débitée avec assurance, mais ne semble avoir d’autre but que de convaincre son propre énonciateur de la maîtrise de la situation. Elle ne dit rien. A peine six millions de Français regarderont l’intervention, qui pourtant ne dure que trente-cinq minutes. Face à une crise sans précédents et alors que montent les signes d’une explosion sociale, le Président est devenu inaudible.
L’essayiste Leonardo Sciascia et Pasolini avant lui lièrent la naissance des années de plomb italiennes à la progressive déconnection de la parole publique avec le réel. La Démocratie chrétienne et le Parti communiste italien, embourbés dans une crise systémique, semblaient avoir construit un nouveau langage, donnant à entendre une parole si vague et déconnectée de la réalité qu’elle paraissait s’adresser à un public inconnu, caché. Dépolitisés, ayant renoncé à trouver une réponse aux aspirations populaires, leur pouvoir n’avait plus pour autre objectif que son propre renouvellement. Moro, «le moins pire de tous», pourtant responsable et modéré, était pour Sciascia le symbole ultime de cette bulle politique autosuffisante qui s’était défaite du réel. Il ne voyait aucun hasard au fait qu’il fut la cible des Brigades rouges. Tentative de maquillage d’une impuissance orchestrée et, alors même qu’elle avait éloigné les politiques de la société, cette construction discursive avait permis de préserver l’emprise des partis sur le pouvoir politique, au prix d’une dégradation terrifiante du climat social et intellectuel. L’émergence de la violence d’extrême gauche fut décryptée par Sciascia comme une tentative de rupture dialectique plus encore que de révolution véritable, cherchant avant tout à faire sortir une nouvelle parole, purgée, ancrée dans le réel et acceptant enfin la confrontation. L’apparition brutale du terrorisme comme réponse désespérée à ce véritable autisme politique ne fit que le renforcer.
Aujourd’hui en France, la parole présidentielle ne s’énonce à son tour plus que par codes, messages subliminaux et énoncés fragmentés. Face à son auditoire imaginaire, François Hollande ne cesse de détailler l’évidence et de montrer sa virtuosité intellectuelle, comme s’il s’agissait encore de briller à un cas pratique de l’ENA ou un exercice d’application d’HEC. Sa parole, se parant des meilleures intentions, révèle l’effroyable banalité d’une politique qui, angoissée à l’idée d’une quelconque rupture, s’enferre dans son approche toujours plus gestionnaire et conservatrice.
Alors que Nicolas Sarkozy comblait son impuissance par des jérémiades et des variations infinies autour de la dichotomie entre le «nous» et l’Autre, qui fondèrent le programme de son quinquennat, le président de la République tente, lui, sans plus de succès, l’artifice de la parole fragmentée. Au changement de paradigme qu’il ne veut ni ne peut envisager, il croit pouvoir substituer une accumulation de réponses catégorielles. Entreprises, syndicats, marchés, tous ont droit au bon mot, à la phrase censée les satisfaire et aux mesures qui en découlent. Incapable de formuler un projet global, le Président s’en trouve réduit à distribuer les prébendes. A trouver des équilibres.
Comme dans l’Italie des années de plomb, cette stratégie qui ne vise que le maintien en place du système tel qu’il est, et de ses dirigeants avec, par la satisfaction d’intérêts particuliers, se trouve en complet décalage avec une situation explosive et des attentes à l’avenant. A force de n’être qu’éléments de langage agglomérés, le discours comme la politique est devenu inintelligible. Croyant satisfaire chacun, Hollande ne se fait entendre par aucun. Fragmentée et fragmentante, la parole présidentielle nourrit les frustrations à la fois que la montée des violences, sans même s’en rendre compte. La proposition faite par le Président d’une «clause de conscience» à la loi sur le mariage pour tous a ainsi joué un rôle fondateur dans la naissance des larges mouvements d’opposition au projet qui survivent encore, alors qu’elle ne fut énoncée que pour éviter les sifflets d’une assemblée de maires. La parole comme simple support, sans conscience de sa puissance.
Dénués de rapport à la culture autre qu’utilitaire, le Président comme son entourage ne croient pas au tragique de l’Histoire. Ils refusent d’accepter qu’ils en sont traversés de toute part, et que la pauvreté de leur parole limite l’horizon de leur politique. Alors que son ex-camarade de promotion Laurent Mauduit lui envoyait récemment un ouvrage intitulé l’Etrange Capitulation,Hollande répondit : «Rien n’est étrange.» Peut-être cette phrase permet-elle de comprendre le regard que porte le Président sur le monde. Tout s’explique, tout se rationalise, tout se résout. Le rôle des mots est dès lors tout tracé : expliquer, encore, l’omniscience de la raison économique et de modèles techniques appris de seconde main. Résumer, encore et encore, les solutions sans imagination trouvées par une technocratie aux abois. Sans ne jamais interroger. Ce rapport au réel est certes parfois dépassé. Mais c’est alors comme un aveu d’impuissance, frisant l’absurde, sans s’inquiéter de construire un imaginaire commun ou ouvrir la pensée. Dans un demi-lapsus, François Hollande prétendra, lors de son dernier entretien, avoir devancé la catastrophe de Brétigny, affirmant «ne pas avoir attendu le désastre pour en tirer toutes les conséquences». Dans un registre moins anodin, il appellera à la «destruction» et à «l’éradication» des «criminels terroristes» au Mali, empruntant à la rhétorique néoconservatrice sans réaliser les dangers de cette parole sans pensée.
Il n’est nulle place pour le clair-obscur, pour l’ouverture au monde. La pauvreté du langage apparaît comme la traduction de celle du regard. D’un regard qui considère le pouvoir comme outil d’ajustement, moule prédéfini auquel on ne peut déroger, et qui conçoit le discours, la politique, comme pure technique. Morcellement du corps social, exacerbation des violences, réduction du champ des possibles. Loin de son apparente futilité, le vide de la parole présidentielle crée pourtant les conditions d’une catastrophe politique à venir. Loin d’un symptôme secondaire, elle montre la profondeur de l’impasse dans laquelle s’enferre le Président, convaincu non pas tant de sa bonne étoile que de la pertinence de sa raison pratique. Une obstination coupable, qui ne semble avoir d’autre but que la préservation du pouvoir. Si la situation n’est pas encore comparable à celle des années de plombs italienne, l’inquiétante similitude des mécanismes en œuvre doit être notée. L’impasse n’est pas loin.
Il faut porter le deuil du fou. Car sa folie dit quelque chose de nous. Je me sens loin. Tandis ... more Il faut porter le deuil du fou. Car sa folie dit quelque chose de nous.
Je me sens loin. Tandis que les entrepreneurs de haine fraichement convertis louaient à l'unanimité une France nouvelle, ressoudée autour de ses valeurs éternelles et digne d’exemple pour le monde, je ne pouvais m’empêcher de voir, dans la disproportion du deuil, la violence de l’émotion et l’angoisse de la barbarie, une société recroquevillée sur elle-même. Une société capable de faire corps seulement pour lutter contre un Autre auquel elle s’était immédiatement refusée à attribuer la moindre possibilité d'identité, de conscience, et même d’humanité, et qu’elle rejette aujourd’hui comme un déchet qui n’aurait jamais dû exister.
J’ai vu une société tant de fois indifférente qui soudainement révélait sous couvert de l’émotion et d’une union télégénique son vrai visage, accrochée avant tout à ses privilèges, ses structures de domination, l’effacement de ses souffre-douleurs, ces Autres pour qui la liberté d'expression n'a jamais et n'existera jamais, à qui on accorde mille droits virtuels dont ils ne pourront jamais se saisir. Une société qui refuse de voir le matraquage quotidien qu'elle inflige à ses populations les plus marginalisées, et qui ne s'indigne que lorsque ce privilège est attaqué. Qui ne manifeste et ne s’émeut, en masse et au rythme de dispositifs qu’elle prétend ignorer, que pour ses Mêmes.
Une société qui nie sa propre violence, et où l’on a déjà oublié les chemins ouverts par le papier il y a un peu moins d’un siècle. Une société qui s’aveugle au point d’être fière d’avoir manifesté avec les Le Pen, leurs sous-fifres et leurs alter ego. Satisfaite au point de marcher sans angoisse aux côtés de Viktor Orban, Manuel Valls, Ali Bongo, Nicolas Sarkozy. Un ministre de Poutine. Satisfaite au point de le faire au nom de la liberté.
J'ai vu une société dans laquelle je ne me reconnais plus. Avec laquelle je ressens une distance qui me terrifie. Dans laquelle je me sens vulnérable. Ce n'est plus l’État. Ce n'est plus cet État et ses violences dénonçables, répétitives, toujours orientées, qui pouvaient être combattus, contre lesquels existaient des relais. Mais une société qui soudain se dit unie dans une guerre contre elle-même, sans craindre l’appui de ceux qui hier l’effrayaient.
Au nom de ses valeurs, la République colonisait. Aujourd’hui, elle ségrégue et discrimine. Manifeste. Cette évidence n’est plus dicible. Elle apparaît comme une trahison, une justification servile au service de l’Ennemi. Entre temps, la violence quotidienne, sourde, ciblée contre les mêmes populations, demeure et se reproduit et créé des monstruosités. Comme dans tout système de domination, la bonne conscience nie pourtant, cherche dans l’irrationnel, la folie et un nouveau totalitarisme étranger le résultat de son aveuglement. Redisons le. La République exploite, écrase, discrimine des populations entières au quotidien, et humilie celles qui cherchent en conséquence refuge dans une religion qui n’est pas la sienne. La République fait la guerre contre des ennemis éloignés de milliers de kilomètres, mais aussi dans ses banlieues, ne dit jamais combien elle tue, et ne parle jamais que « d’interventions ». La République ne fait jamais le deuil que pour ses semblables, et oublie les morts qu’elle provoque au quotidien. Et cet écart fait violence..
Or aujourd’hui la République, responsable devenue victime, se dit en guerre contre la « barbarie », et cette fois la société applaudit, mobilisée aux côtés de ses véritables ennemis, dans l’unanimité de l’émotion. En guerre contre la barbarie, c’est-à-dire, étymologiquement, contre l’Autre, contre l’étranger. Je me sens loin. Parce que tous semblent chercher à nier l’évidence. Ces « barbares », ils étaient et restent nos frères, nos enfants. Des enfants qui nous ont tendu un instant, dans leur folie incommunicable, un miroir insoutenable. Ces meurtriers, ces assassins, ces terroristes que l’on prétend combattre, déjà !, en fermant les frontières et censurant les réseaux sociaux, sont nés chez nous, ont vécu à côté de nous, mais jamais avec nous. Ils se sont attaqués au symbole d’une liberté qui ne leur avait jamais été offerte, et qui ne représentait que violence et humiliation à leurs yeux. Une liberté qu'aucun musulman, arabe, antillais, banlieusard, immigré de ce pays n’a jamais eue, parce que jamais ils n’ont été reconnus comme parts égales à notre société. Une liberté qui au mieux, n’est exercée à leur profit que par l’intermédiaire de bonnes âmes blanches et bien nées. Au milieu de Zemmour, Houellebecq, Finkielkraut et autres Charlie Hebdo, quelques uns leurs prêtent parfois doucement, leur parole. Sans jamais leur laisser leur place. Et sans jamais incarner la moindre différence, la moindre âpreté.
Ces populations sont devenues communautés à force de l’être dans nos regards, dans nos médias, dans notre liberté d’expression, malgré notre refus, même dans leur mort, de leur attribuer la capacité à faire politique. Il n’y a pas à craindre l’amalgame, parce que l’amalgame dit le réel. Ces individus, comme des milliers d’autres, sont devenus « musulmans », parce qu’ils étaient arabes et noirs, parce qu’ils étaient banlieusards. Parce que leur naissance les condamnait pour les plus courageux à une lutte de toute une vie pour une égalité illusoire, pour les moins armés à l’anomie, voire au renoncement de l’être. Non il n’y a pas d’amalgame. Ils sont devenus terroristes parce que « musulmans » - et la polysémie du terme est ici utile - parce que là où on leur promettait enfin une reconnaissance, dans cette socialisation nouvelle que leur offrait la religion, l’humiliation imposée par notre société avait redoublé. Et ils ont ciblé Charlie Hebdo non pas aveuglément, mais politiquement. En se trompant, de façon détestable. Mais politiquement. En portant une revendication allant bien au-delà de ce que l’islam radical - cet objet transitionnel comme un autre pour la marge et l’opprimé - avait rendu dicible. Mais que ne nous pouvons entendre. Une revendication d’égalité.
Une revendication que nous ne pouvons entendre et que nous ne pourrons entendre tant que nous n’accepterons pas que ces assassins, ces terroristes, étaient nos enfants, c’est-à-dire nous. Nous, et non cet Autre qu’il suffira de combattre en faisant masse, sans bien savoir avec qui, ni au nom de quoi. Tant que nous n’accepterons pas que nous devrons leur reconnaître, sans renoncer au dégoût, leur qualité de Mêmes, et à en porter le deuil. Un deuil qui n’insultera pas leurs victimes, qui n’impliquera nulle équivalence, n’imposera nul pardon. Un deuil qui ne se substituera pas à un procès et une condamnation qui seuls auraient offert la possibilité d’une rémission. Mais un deuil qui nous permettra enfin de les poser en tant qu’humains, dont la monstruosité dit quelque chose, et dont la reproduction pourra ainsi être évitée. Le rassemblement de dimanche s’y est refusé, en faisant de ces individus un Autre venus du néant et renvoyé au néant, et pouvant dès lors être ignorés, comme ils le furent tout au long de leur vie. Reste à s’interroger. Qu’y a-t-il en eux qui nous fasse si peur, qui nous inquiète tant de ce qu’il reflète de ce que nous sommes ? Qu’est-ce qui fait que nous ne soyons pas terrifiés, effondrés, non pas seulement de la mort de vingt d’entre nous, mais du fait qu’une part de nous, cette petite fraction dérivante et monstrueuse née en nous, nous en rende responsable ?
ll y a quelques années, Jean-Luc Godard évoquait publiquement son affection pour le livre de Jacq... more ll y a quelques années, Jean-Luc Godard évoquait publiquement son affection pour le livre de Jacques Rancière, le Maître ignorant. Le postulat de l’égalité des intelligences qui y est présenté fait écho à la confiance que JLG a toujours eue en l’«intelligence» de ses interlocuteurs, en leur répartie, leur capacité tennistique à renvoyer la balle. Ainsi Godard s’est-il toujours contenté, en entretien comme dans ses films, de dire sans expliquer. Parole pensive et sacerdotale. Au spectateur de saisir ou de laisser passer.
On aurait pu penser que les nouvelles technologies, offrant une réticularité beaucoup plus importante que les médias traditionnels, donneraient à ce jeu une nouvelle dimension. La polémique de ces derniers jours vient prouver le contraire. Accaparés par des médias dominants en manque chronique de spectres et d’audience, les réseaux sociaux ont en effet ouvert une troisième voie : arracher la parole au cheminement de la pensée, écraser et triturer sans effort la balle qui venait d’être lancée. En d’autres mots, instrumentaliser pour faire peur, s’indigner pour se rendre populaire, sans en avoir l’air.
Godard donc, dans un entretien au Monde se félicite de la victoire de Marine Le Pen aux élections européennes, ajoutant qu’il l’aurait souhaitée Premier ministre. Dans une hystérie qui fait signe, l’effusion est immédiate. L’Obs affirme sans ambages qu’il s’agit là d’un clair soutien du réalisateur au parti. Twitter s’enflamme. Le général est plusieurs fois convoqué - «vieillir est un naufrage» - et c’est de sénilité que Godard est accusé. Voilà Twitter, source potentiellement infinie de jaillissements et d’aphorismes, réduit à un terrain de jeu minable. Voilà Godard identifié à un fasciste au pire, à un provocateur au mieux. Con, de toute façon.
Cela n’est pas nouveau : déjà en 68 il était, pour les staliniens, «le plus con des Suisses prochinois». Révélatrice, la parole de Godard l’a toujours été de son époque et des sombres obsessions de ses contemporains. Qu’importe que dans le même entretien au Monde il rende hommage à Sartre et Malraux, deux combattants antifascistes, piliers de sa bibliothèque imaginaire que l’on sait depuis longtemps peuplée par un humanisme parfois un peu suranné ; qu’importe qu’il y rappelle son inimitié pluridécennale avec le FN (Le Pen père le voulant hors de France au moment de la sortie du Petit soldat) ou qu’il dénonce les illusions du culte du chef. Le propos est tronçonné et vendu à la découpe. La nouvelle se répand comme la poudre. Le voilà con, fasciste. Perdu à jamais. Une nouvelle fois.
Une sociologie historique des Intelligents ayant con-chié Godard reste à faire. Les voilà pourtant qui tous ont un temps de retard sur celui qu’ils attaquent. Dans Film Socialisme revenait comme un refrain entêtant une phrase actualisant la philosophie politique sartrienne : «Aujourd’hui les salauds sont sincères.» Aussi ne faut-il pas douter de la sincérité sans ombre de la petite armée de soldats citoyens modèles et de leurs généraux, les penseurs médiatiques, trop heureux de cette occasion : pouvoir enfin remettre à sa place de dangereux «anarchiste de droite» le «dieu des pseudo-intellos», le «con qu’on prend à tort pour un génie» - et dont on n’est même pas tout à fait sûr qu’il soit un citoyen français (#SwissGoHome, tweete non sans audace Aude Lancelin). Sincérité presque touchante, bonne foi en la Démocratie occidentale, en la Liberté d’expression, celle utilisée pour étouffer les voix qui gênent.
Là encore, ils ont un train de retard, eux qui manient l’insulte et fétichisent leur liberté d’expression pour mieux rejeter la parole. La liberté d’expression, derrière laquelle avancent plus ou moins masqués idéologues de tous bords, Godard lui a déjà fait le sort qu’elle mérite depuis longtemps : «Sans intérêt ni utilité ; ce qui m’intéresse, disait-il, c’est la liberté d’impression.» (Facilité de l’expression, cache-sexe du pire ; difficulté de l’impression, révélateur patient et sans jugement d’une réalité donnée.) Puissant aphorisme faisant sens aussi bien dans le champ esthétique (les films publicitaires, à message, expriment tandis qu’impriment ceux qui tendent un miroir au réel) que politique ou social - produisant les grandes ou petites déchirures nécessaires, dans le tissu con-sensuel de notre époque.
Aujourd’hui les salauds sont donc sincères et, alors qu’ils ne font que s’exprimer, se croient aussi imprimants, car imprimés - Twitter mêlant dans cette illusion énonciateurs et énoncés. Cette perturbation de l’échange, cette mascarade illusoire, le vieux con ne l’avait pas prévue. Brusquement exposée, exprimée comme on exprime le jus d’un citron, et certainement de façon inattendue, la parole de Godard n’en demeure pas moins précieuse. Prise de position sartrienne radicale, son propos sur le FN ne fait que reprendre au vol une réalité palpable par tous pour, enfin, la cristalliser : la France, sa classe politique en tête, secondée par les médiatiques «libres de s’exprimer», s’est soumise au spectre du FN avec bonheur.
Tous s’indignent sans frais, pour mieux justifier leur immobilisme, tout en réclamant du mouvement. Il y a déjà un certain temps, le philosophe Giorgio Agamben rappelait que la télévision fabriquait des Indignés mais dans le même temps les rendait impuissants : les indignés de Twitter, malgré leurs prétentions intellectuelles, ne sont pas autre chose que les indignés du journal de 20 heures. Laissant croître le monstre en l’alimentant, les bien heureux impotents s’en trouvent confortés : jusqu’au plus haut de l’Etat, leur racisme ordinaire, leurs trahisons permanentes sont immédiatement relativisées et protégées par le ravage qu’impliquerait leur dénonciation, leur départ au profit de l’autre infernal.
Godard, lui, n’a pas peur de rompre. On dira que c’est facile pour qui vit reclus dans un village du canton de Vaud, en zone neutre. Dans la marge : «celle qui fait tenir les pages». Il n’empêche, c’est peut-être là, aujourd’hui, la condition de possibilité d’un engagement qui, dans un espace politique saturé par le chantage moral, n’est plus possible que par l’appel à la rupture. En nous appelant à ne pas craindre cette dernière, fut-elle cruelle, à en faire le révélateur qui s’impose enfin à cette époque morne et immobile pour mettre tout un chacun face à sa conscience, aujourd’hui, introuvable, Godard ouvre enfin la voie à une sortie des incantations creuses.
Nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’Occupation. Nous ne le serons jamais autant que sous le FN, ce FN qu’à force de faire semblant de fuir, nous ne faisons que renforcer. C’est en quelque sorte l’énonciation, avant tout le monde, d’une évidence devenue incontestable : il ne semble y avoir aujourd’hui plus d’autre façon de retirer le pouvoir au FN que celle de lui donner. Généreux, JLG n’a pas pointé les responsables qui nous ont menés à cette aporie. Mais ceux-ci, d’eux-mêmes, comprenant qu’ils étaient visés, ont déversé leur outrance, et se sont ainsi révélés. La boucle est bouclée.
En redonnant un sens à la parole à l’heure de son évidement, Jean-Luc Godard n’a fait que se livrer à un énième contre-pied : agir comme un révélateur qui n’exprime rien, se contentant d’imprimer le réel.
Esprit - Janvier 2015 - Non accessible sur ce site
Esprit - Décembre 2014 - Non accessible sur ce site.
Perhaps we should abandon the belief that power makes mad and that, by the same token, the renunc... more Perhaps we should abandon the belief that power makes mad and that, by the same token, the renunciation of power is one of the conditions of knowledge. We should admit rather that power produces knowledge; that power and knowledge directly imply one another; that there is no power relation without the correlative constitution of a field of knowledge, nor any knowledge that does not presuppose and constitute at the same time power relations.
De l'affaire Katanga au contrat social: un regard sur la Cour pénale internationale Soutenue à l... more De l'affaire Katanga au contrat social: un regard sur la Cour pénale internationale
Soutenue à l'ENS Ulm, novembre 2014. Félicitations du jury à l'unanimité (Mireille Delmas-Marty, Professeur honoraire au Collège de France, Présidente; Jean-Louis Halpérin, Professeur de droit à l'ENS Ulm, directeur de thèse; Hélène Ruiz-Fabri, Professeur de droit à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, directrice du Max Planck Institute Luxembourg; Marc Crépon, Directeur de recherches au CNRS, directeur du département de philosophie à l'ENS Ulm; Isabelle Delpla, Professeur de philosophie, Université Lyon III). Prix de thèse de l'Institut Varenne.
Propos préliminaire
Il convient de faire savoir que l’angle adopté pour cette thèse a tardivement évolué sous l’influence d’un événement déclencheur: la lecture du jugement contre Germain Katanga, deuxième accusé de la Cour pénale internationale, condamné pour « complicité résiduelle » d’actes commis dans un village isolé de la région la plus excentrée de la République Démocratique du Congo. Germain Katanga a été reconnu coupable d’avoir, à 24 ans, reçu et redistribué, sur ordre, des armes dont personne n’a jamais cherché à connaître les acquéreurs ni les destinataires, dans un village où les équipes du Procureur ne se sont jamais rendues. La condamnation est intervenue onze ans après les faits, dix ans après l’ouverture de l’enquête, sept ans après le transfert de l’accusé à la Haye et plus de quatre ans après l’ouverture de son procès. Germain Katanga est aujourd’hui la seule personne à avoir été définitivement reconnue coupable par la Cour pénale internationale, institution pensée pour mettre fin à l’impunité contre les crimes les plus graves et ses principaux responsables. Son Jugement a fait l’objet d’une opinion dissidente d’une virulence rare par l’un des trois juges ayant participé au procès, juge qui s’est désolidarisée de toutes les procédures menées les deux années précédentes. Alors que son co-accusé a été acquitté dans l’indifférence en 2012, M. Katanga a lui été condamné après avoir vu ses charges requalifiées six mois après l’ouverture des délibérés, alors qu’il avait été établi qu’il n’était pas l’auteur des crimes dont on l’accusait. Encore un an avant les événements qui lui valurent son transfert à La Haye, il chassait des okapis au milieu de la forêt congolaise.
Cet événement, ainsi qu’une distanciation avec le Bureau du Procureur suite à une tentative d’intervention dans le contenu de nos recherches, ont permis de condenser tout ce qui jusque-là était apparu comme gênant, contestable, parfois scandaleux, mais qui, pris isolément, n’entamaient pas un jugement d’ensemble globalement bienveillant sur l’institution. Au cœur du pouvoir, au plus proche du Procureur puis sous les ors vieillis d’une grande chancellerie, l’on ne s’inquiète pas des petits détails, de l’importance des destins individuels et de la cruelle symbolique qu’ils peuvent renvoyer. Il en va autrement dès que l’attache se fait plus profonde ; que, dans le cadre d’une recherche minutieuse et d’apparence vaine ou secondaire, les grands desseins s’effacent pour faire face à la réalité des corps, révélant le coeur d’une institution née du traumatisme de l’Holocauste pour en éviter la répétition et réduite à poursuivre des hères coupables d’avoir été entraînés, à peine adultes, dans la violence téléguidée d’un endroit oublié de tous si ce n’est des marchands d’armes occidentaux, de l’hubris néo-divine des potentats locaux et de nombreuses multinationales. En l’occurrence donc, M. Katanga, paysan devenu milicien au milieu de cet impensé de la modernité politique qu’était l’Afrique des Grands lacs, coupable d’avoir pris les armes suite à la destruction de son école et au massacre de ses camarades, d’être devenu un combattant pour défendre sa communauté, puis d’avoir croisé des forces lancées par le pouvoir central, forces qu’il alimenta comme un logisticien d’un soir .
Germain Katanga donc, âgé de 24 ans, qui fit transiter des armes automatiques « venues du ciel », armes dont la présence sur ce territoire fit qu’entre trente et deux cent personnes, dont des enfants et des vieillards, ne mourussent pas seulement sous le coup des machettes et des arcs, de la pauvreté et de l’indifférence, mais aussi de kalachnikovs produites en Europe et financées par ses consommateurs de matières premières, c’est-à-dire par nous.
C’est de cet homme rattaché finement à notre existence par notre propre « complicité résiduelle » dont la Cour pénale internationale a fait son premier condamné définitif après douze ans d’existence. Un homme que l’on affubla un jour d’un costume de général, à la veille de ses vingt-six ans, afin de le transférer à La Haye et de l’y faire juger comme un grand homme. Un homme soudainement « passé du mauvais côté » pour une communauté internationale qui s’était jusqu’alors obstinée à l’ignorer, et qui s’est soudainement crue légitime à le condamner, en s’appuyant sur l’indifférence, le malaise au mieux de ceux qui, trop vaguement intéressés, craignirent et craindront toujours trop de s’apitoyer sur un bourreau pour chercher à regarder. Un homme coupable peut-être, en tout cas condamné comme bien d’autres à l’angle mort de la prétention à l’universel.
La fragilité de la « perspective » dans les recherches intellectuelles appelle à l’humilité. Une évolution tardive du regard sur un objet de recherche peut apparaître comme une faiblesse dans le cadre d’un travail universitaire. J’ai pourtant accueilli avec bonheur cette remise en question, comme un rappel juste à temps de la versatilité des constructions théoriques, pour élaborées, étayées et confrontées à « l’expérience » qu’elles puissent sembler. Cette rupture fut aussi accueillie comme la confirmation que l’esprit critique n’est jamais assez aiguisé, et que, pour reprendre le mot de Pascal Quignard, « il y a un apprendre qui ne rencontre jamais le connaître ». Il me semblait dès lors important d’admettre cette évolution avant de proposer ce travail et, partant, admettre être conscient d’une fragilité qui est nécessairement encore présente, qui est celle de toute entreprise similaire, et qui se renforce naturellement avec l’implication personnelle, professionnelle et émotionnelle du chercheur dans ses sujets de recherche - mais dont j’ai eu la chance qu’elle apparaisse partiellement à temps pour retrouver une distance que j’espère aujourd’hui suffisante. Il est évident que cette rupture a permis d’éclairer ma démarche et de faire un petit pas dans le sens d’une plus grande sincérité, d’une moindre cécité, mais il est tout aussi évident que rien ne permette d’affirmer que ce soit là assez. Il faudra se contenter d’avoir pu rompre les dernières digues émotionnelles comme intellectuelles qui me rattachaient à une institution qui m’a beaucoup offert, et ainsi d’enfin pouvoir percevoir clairement ce sur quoi, comme beaucoup d’autres, je buttais depuis que j’avais rencontré la Cour sans jamais réussir à le comprendre: l’ouvrage auquel je me suis dédié pendant cinq ans avec minutie, comme un petit artisan tentant de corriger un objet rongé par un invisible défaut qu’aucun geste ne viendrait compenser, vrillerait en fait de par ses inaltérables fondations.
Collection Ouvertures (dirigée par Alain Badiou et Barbara Cassin) - Fayard. Non accessible sur c... more Collection Ouvertures (dirigée par Alain Badiou et Barbara Cassin) - Fayard. Non accessible sur ce site.
Fiction and reality. Here is the twosome that Edward Snowden has perhaps the most sustainably sha... more Fiction and reality. Here is the twosome that Edward Snowden has perhaps the most sustainably shaken. Some alerts had already been raised with the revelation of the Echelon system at the end of the last century; the ever-growing number of terrorism laws, the progressively more oligopolistic Internet ecosystem during the 2000s… But, by revealing - that is materialising - the surveillance mechanisms that control every aspect of our lives, en masse and with no criteria, Edward Snowden has turned the anxiety of the future into a terror of the present.
Thus fiction and reality, but also, perhaps especially, fiction and (im)materiality. Because if no one could have imagined, nor anticipated the art and the scope of the surveillance we are submitted to, it is due to that immateriality of surveillance that we should question. How can Cinema or Literature capture what from now on goes without a body: that circulation of bits that cannot be controlled? How to narrate those lives that each day stray away from the physical world we know. What links can we find between the activists’ technical resistance to rebuild our autonomy and sovereignty and the new narratives taking control over the digital universe? Have we returned to the starting point, when Ivan Illich and a few critical thinkers described computers as a vehicle for a society of surveillance and control, and when Michel Foucault described the deeply securitarian nature of modern States? Is it necessary to repress the enthusiasm with which individuals take control of the digital world to communicate, to express or invent themselves in a new space?
Though our relationship with the world seemed defined, the invisible and the monstrous suddenly appeared to remind us of the siege that the powers put us under. How do we respond to that? Do we need to use figuration to denunciate more efficiently – exposing those interdependent bodies mutated into cyborgs – rather than the suggestion of this impalpable influence that surrounds us, dominates us and threatens us with all its weight?
In the end, it’s the relationship between art and resistance that this case questions. Because if there’s any lesson to take from the continuous discoveries about the massive surveillance we’re under, it’s that the simple fact of showing is a resistance act per se. Showing those who want to see everything on the condition of not being seen themselves. Showing, as well, how we can build our own narratives, conceiving a different digital universe, independently or in response to their vigilance.
At the time of faceless powers, how to structure this resistance? On whom will we henceforth rest to defend our freedoms in the future, besides whistleblowers? Are artists, eternal image revealers, shouldn’t they have their saying on this endless struggle? Isn’t creation itself threatened by this flood of bits, algorithms and automatic restriction devices, which obsession is to erase unpredictability, risk and anomaly? Those are the questions we will seek to answer by gathering some of the advocates of the virtual struggle (Julian Assange, Jérémie Zimmermann, Jennifer Robinson…) and some of the creators and thinkers invited to the festival. Because, in the end, though the fight of the invisibles has begun, what is better than a festival made of images and image creators to open the debate?
Non accessible sur ce site - LGDJ/Institut Varenne, 2015
On how to modernize French "droits d'auteur" system. Collection "Actualités critiques" direct... more On how to modernize French "droits d'auteur" system.
Collection "Actualités critiques" directed by Emmanuel Burdeau, starring works by Rancière, Zizek, Jameson...
Fair use authorised by the author, without the agreement of the editor.
Communication to the Office of the Prosecutor of the International Criminal Court Pursuant to the... more Communication to the Office of the Prosecutor of the International Criminal Court Pursuant to the Article 15 of the Rome Statute
Long and unedited version of the investigation published in September 2018 by Le Monde Diplomatique.
C'est une fine rivière rouge sang qui traverse un empire de verdure. 134 kilomètres de piste oubl... more C'est une fine rivière rouge sang qui traverse un empire de verdure. 134 kilomètres de piste oubliés de la modernité et du monde. Tracée en toute hâte il y a cinq ans par des dizaines de camions et de 4x4 rutilants, la route en latérite brûlante qui relie Bangassou à Bakouma devait apporter la prospérité à tout un pays, la fortune à ses travailleurs, et de l'énergie pour un siècle à la France. On lui promettait de devenir l'aorte d'un nouveau monde, conçu dans la précipitation en Afrique du Sud, racheté à Toronto et transbordé en Europe après avoir été immatriculé aux Îles Vierges. Ces 134 kilomètres au milieu de nulle part ont, cinq ans durant, traversé le les continents, fait l'objet de commentaires, spéculations, enquêtes et faillites à Paris, Pretoria et Pékin, brassé des milliards, marqué les destins d'une infinité de personnes. Ils sont aujourd'hui dévorés par une végétation féroce et insatiable, colonisés par des crevasses, des papillons et des fourmis rouges. Ils s'apprêtent à disparaître. Leurs pulsations, loin de la grandeur des premiers jours, ne nourrissent plus, depuis l'oubli, que l'un des plus grands scandales industriels du siècle naissant. Ces kilomètres, on y accède depuis Bangui, la capitale d'un des pays les plus pauvres du monde, la République centrafricaine, après deux jours de voyage entourés de misère et de groupe armés qui ne se laissent pas tout à fait voir. S'ensuivent quelques heures passées sur une motocyclette prisant les pannes sur une route toujours plus étroite, avant que les branches, l'humidité et un soleil de plomb ne forcent à mettre pied à terre pour traverser les derniers fleuves, rivières et ruisseaux qui nourrissent la forêt vierge de la préfecture de Bangassou. Quelques heures de marche supplémentaires laissent enfin apparaître un ensemble de cases faites de la même terre que le sol, aux toits couverts de branches sèches et aux intérieurs emplis de lits sans matelas. Un lieu sans odeur, ni couleur particulière, que le soleil habite de six heures à six heures toute l'année, nourri du manioc des champs environnants, un lieu comme un autre se dit-on, et dont l'autarcie est pourtant régulièrement rompue par le flot irrégulier d'étranges pèlerins arrivant les yeux pleins de lucre et de promesses, repartant toujours asséchés, repoussés par le poison doré qu'ils recherchaient. Un lieu encerclé par un minerai qui avait promis à l'Occident l'éternité et qui prend chaque jour un peu plus la forme de son ultime malédiction : l'uranium. Ce lieu, son nom : BAKOUMA. Dans ses cases résident les secrets de l'effondrement du plus grand groupe nucléaire au monde AREVA.
Sokourov et l'humanisme, une affaire de cadre. Libre, il faut avoir senti le cadre. Dans un entre... more Sokourov et l'humanisme, une affaire de cadre. Libre, il faut avoir senti le cadre. Dans un entretien avec les Cahiers du Cinéma (novembre 2015, n°716), le réalisateur russe Alexandre Sokourov défend Pétain au nom d'une certaine idée de l'humanisme : « Pour moi, la décision historique de Pétain a été bonne pour la France. Il y avait beaucoup de circonstances morales très dures, mais c'était une position justifiée. Plus de vies humaines ont été sauvées de cette manière. Le film part de ça, de cette balance : quel est le prix de la vie humaine ? Pendant que vous pouviez aller au café à Paris, les Russes mouraient en masse. Peut-être qu'on est morts pour cela d'ailleurs, pour Paris et pour la culture. Mais personne ne nous a dit merci (…) Au cours des huit premiers mois, trois millions de Russes ont été tués ou faits prisonniers sur le front de l'Est. Mais on ne peut pas dire qui est coupable. Le choix de Pétain, sa décision de trouver un compromis, était sans doute très dure mais aussi plus humaniste. Toute décision humaniste a un versant moral compliqué ». On serait tenté de dire que M. Sokourov a parfaitement raison. L'humanisme de Pétain dans son refus de livrer à la mort des millions de français est, dans une perspective littérale, incontestable, et toute décision humaniste a un versant moral compliqué. Mais nous serions tentés de le dire pour préciser aussitôt que M. Sokourov ne peut avoir raison que dans un certain cadre, un cadre ancien, oublié, qui nous apparaît à sa lecture étranger, cadre qui est celui de la nation, cadre qu'il adopte d'ailleurs explicitement, par l'utilisation régulière du « on » renvoyant à ses compatriotes russes (« Peut-être qu'on est morts pour cela d'ailleurs »). Sauf que l'on se rend vite compte – immédiatement, intuitivement, par analogie à cette idée de cadre – que M. Sokourov ne peut avoir tout à fait raison, parce que le cadre dont il parle, dont il part, la nation, n'existait alors pas, puisqu'elle ne respectait pas ses promesses – son propre discours – et excluait ceux qui lui appartenaient légitimement, tout un pan de la population, les juifs bien entendu, et les autres victimes de la politique nazie, sans que rien ne justifie ce geste.
Publié en Une de Médiapart le 2 septembre 2016 Qu'a donc bien pu faire l'été 2016 Julian Assange... more Publié en Une de Médiapart le 2 septembre 2016
Qu'a donc bien pu faire l'été 2016 Julian Assange pour avoir été qualifié en quelques jours d'agent du KGB (sic), d'antisémite, de propagandiste du Kremlin, de menace pour l'intégrité de dizaines de millions de femmes turques et pour la démocratie états-unienne, en sus des déjà classiques accusations de viol, le tout relayé par certains des médias les plus puissants de cette planète, du New York Times au Bild ? Qu'a pu déclencher une si risible accumulation de caricatures, ne s'appuyant sur aucun élément concret, contre un homme dont la vie a été passée au peigne-fin par des centaines de médias depuis plus de dix ans, dont chaque visiteur, chaque mouvement, est scrupuleusement suivi par les agences de renseignement les plus puissantes du monde, sans qu'à aucun moment le moindre élément probant permettant d'étayer ces accusations n'ait été dévoilé ?
Daesh est venu chercher le don qu'on lui refusait : celui du sang. 1st page of a two-parts artic... more Daesh est venu chercher le don qu'on lui refusait : celui du sang.
1st page of a two-parts article published in the issues number 50 (May 2016) and 51 (October 2016) of Lignes.
Revue Envers - Le Chef - 2014
Rome, 16 mars 1978. Aldo Moro, icône de la Démocratie chrétienne, est enlevé. Depuis dix ans, une... more Rome, 16 mars 1978. Aldo Moro, icône de la Démocratie chrétienne, est enlevé. Depuis dix ans, une chape de plomb s’est abattue sur la péninsule. La violence et les groupuscules extrémistes fleurissent, sur fond d’une puissante crise de sens. Le système politique, incapable d’y répondre, semble n’avoir plus d’autre but que d’assurer sa propre survie. Le soir même de l’enlèvement de Moro, l’alliance dont il rêvait entre Démocratie chrétienne et Parti communiste est effective. Le système assure ainsi sa continuité, sur le dos de son zélé défenseur et au mépris de la volonté du peuple. Plutôt que de prendre le risque d’une rupture nécessaire, les dirigeants font le pari de l’absurde pour préserver leur pouvoir. Muré dans son autisme et pris par une soudaine crise d’autoritarisme, le gouvernement laissera mourir Aldo Moro entre les mains de ses geôliers, malgré les nombreuses tentatives de médiation et des exigences revues à la baisse de la part des Brigades rouges.
Jardins de l’Elysée, 14 juillet 2013. Face aux journalistes qui lui posent une question précise sur la hausse des impôts, le Président ignore leurs relances et se laisse emporter dans une digression interminable sur la définition des classes moyennes. La parole patine, flotte, se montre rêche dans sa technicité d’apparence. Elle est débitée avec assurance, mais ne semble avoir d’autre but que de convaincre son propre énonciateur de la maîtrise de la situation. Elle ne dit rien. A peine six millions de Français regarderont l’intervention, qui pourtant ne dure que trente-cinq minutes. Face à une crise sans précédents et alors que montent les signes d’une explosion sociale, le Président est devenu inaudible.
L’essayiste Leonardo Sciascia et Pasolini avant lui lièrent la naissance des années de plomb italiennes à la progressive déconnection de la parole publique avec le réel. La Démocratie chrétienne et le Parti communiste italien, embourbés dans une crise systémique, semblaient avoir construit un nouveau langage, donnant à entendre une parole si vague et déconnectée de la réalité qu’elle paraissait s’adresser à un public inconnu, caché. Dépolitisés, ayant renoncé à trouver une réponse aux aspirations populaires, leur pouvoir n’avait plus pour autre objectif que son propre renouvellement. Moro, «le moins pire de tous», pourtant responsable et modéré, était pour Sciascia le symbole ultime de cette bulle politique autosuffisante qui s’était défaite du réel. Il ne voyait aucun hasard au fait qu’il fut la cible des Brigades rouges. Tentative de maquillage d’une impuissance orchestrée et, alors même qu’elle avait éloigné les politiques de la société, cette construction discursive avait permis de préserver l’emprise des partis sur le pouvoir politique, au prix d’une dégradation terrifiante du climat social et intellectuel. L’émergence de la violence d’extrême gauche fut décryptée par Sciascia comme une tentative de rupture dialectique plus encore que de révolution véritable, cherchant avant tout à faire sortir une nouvelle parole, purgée, ancrée dans le réel et acceptant enfin la confrontation. L’apparition brutale du terrorisme comme réponse désespérée à ce véritable autisme politique ne fit que le renforcer.
Aujourd’hui en France, la parole présidentielle ne s’énonce à son tour plus que par codes, messages subliminaux et énoncés fragmentés. Face à son auditoire imaginaire, François Hollande ne cesse de détailler l’évidence et de montrer sa virtuosité intellectuelle, comme s’il s’agissait encore de briller à un cas pratique de l’ENA ou un exercice d’application d’HEC. Sa parole, se parant des meilleures intentions, révèle l’effroyable banalité d’une politique qui, angoissée à l’idée d’une quelconque rupture, s’enferre dans son approche toujours plus gestionnaire et conservatrice.
Alors que Nicolas Sarkozy comblait son impuissance par des jérémiades et des variations infinies autour de la dichotomie entre le «nous» et l’Autre, qui fondèrent le programme de son quinquennat, le président de la République tente, lui, sans plus de succès, l’artifice de la parole fragmentée. Au changement de paradigme qu’il ne veut ni ne peut envisager, il croit pouvoir substituer une accumulation de réponses catégorielles. Entreprises, syndicats, marchés, tous ont droit au bon mot, à la phrase censée les satisfaire et aux mesures qui en découlent. Incapable de formuler un projet global, le Président s’en trouve réduit à distribuer les prébendes. A trouver des équilibres.
Comme dans l’Italie des années de plomb, cette stratégie qui ne vise que le maintien en place du système tel qu’il est, et de ses dirigeants avec, par la satisfaction d’intérêts particuliers, se trouve en complet décalage avec une situation explosive et des attentes à l’avenant. A force de n’être qu’éléments de langage agglomérés, le discours comme la politique est devenu inintelligible. Croyant satisfaire chacun, Hollande ne se fait entendre par aucun. Fragmentée et fragmentante, la parole présidentielle nourrit les frustrations à la fois que la montée des violences, sans même s’en rendre compte. La proposition faite par le Président d’une «clause de conscience» à la loi sur le mariage pour tous a ainsi joué un rôle fondateur dans la naissance des larges mouvements d’opposition au projet qui survivent encore, alors qu’elle ne fut énoncée que pour éviter les sifflets d’une assemblée de maires. La parole comme simple support, sans conscience de sa puissance.
Dénués de rapport à la culture autre qu’utilitaire, le Président comme son entourage ne croient pas au tragique de l’Histoire. Ils refusent d’accepter qu’ils en sont traversés de toute part, et que la pauvreté de leur parole limite l’horizon de leur politique. Alors que son ex-camarade de promotion Laurent Mauduit lui envoyait récemment un ouvrage intitulé l’Etrange Capitulation,Hollande répondit : «Rien n’est étrange.» Peut-être cette phrase permet-elle de comprendre le regard que porte le Président sur le monde. Tout s’explique, tout se rationalise, tout se résout. Le rôle des mots est dès lors tout tracé : expliquer, encore, l’omniscience de la raison économique et de modèles techniques appris de seconde main. Résumer, encore et encore, les solutions sans imagination trouvées par une technocratie aux abois. Sans ne jamais interroger. Ce rapport au réel est certes parfois dépassé. Mais c’est alors comme un aveu d’impuissance, frisant l’absurde, sans s’inquiéter de construire un imaginaire commun ou ouvrir la pensée. Dans un demi-lapsus, François Hollande prétendra, lors de son dernier entretien, avoir devancé la catastrophe de Brétigny, affirmant «ne pas avoir attendu le désastre pour en tirer toutes les conséquences». Dans un registre moins anodin, il appellera à la «destruction» et à «l’éradication» des «criminels terroristes» au Mali, empruntant à la rhétorique néoconservatrice sans réaliser les dangers de cette parole sans pensée.
Il n’est nulle place pour le clair-obscur, pour l’ouverture au monde. La pauvreté du langage apparaît comme la traduction de celle du regard. D’un regard qui considère le pouvoir comme outil d’ajustement, moule prédéfini auquel on ne peut déroger, et qui conçoit le discours, la politique, comme pure technique. Morcellement du corps social, exacerbation des violences, réduction du champ des possibles. Loin de son apparente futilité, le vide de la parole présidentielle crée pourtant les conditions d’une catastrophe politique à venir. Loin d’un symptôme secondaire, elle montre la profondeur de l’impasse dans laquelle s’enferre le Président, convaincu non pas tant de sa bonne étoile que de la pertinence de sa raison pratique. Une obstination coupable, qui ne semble avoir d’autre but que la préservation du pouvoir. Si la situation n’est pas encore comparable à celle des années de plombs italienne, l’inquiétante similitude des mécanismes en œuvre doit être notée. L’impasse n’est pas loin.
Il faut porter le deuil du fou. Car sa folie dit quelque chose de nous. Je me sens loin. Tandis ... more Il faut porter le deuil du fou. Car sa folie dit quelque chose de nous.
Je me sens loin. Tandis que les entrepreneurs de haine fraichement convertis louaient à l'unanimité une France nouvelle, ressoudée autour de ses valeurs éternelles et digne d’exemple pour le monde, je ne pouvais m’empêcher de voir, dans la disproportion du deuil, la violence de l’émotion et l’angoisse de la barbarie, une société recroquevillée sur elle-même. Une société capable de faire corps seulement pour lutter contre un Autre auquel elle s’était immédiatement refusée à attribuer la moindre possibilité d'identité, de conscience, et même d’humanité, et qu’elle rejette aujourd’hui comme un déchet qui n’aurait jamais dû exister.
J’ai vu une société tant de fois indifférente qui soudainement révélait sous couvert de l’émotion et d’une union télégénique son vrai visage, accrochée avant tout à ses privilèges, ses structures de domination, l’effacement de ses souffre-douleurs, ces Autres pour qui la liberté d'expression n'a jamais et n'existera jamais, à qui on accorde mille droits virtuels dont ils ne pourront jamais se saisir. Une société qui refuse de voir le matraquage quotidien qu'elle inflige à ses populations les plus marginalisées, et qui ne s'indigne que lorsque ce privilège est attaqué. Qui ne manifeste et ne s’émeut, en masse et au rythme de dispositifs qu’elle prétend ignorer, que pour ses Mêmes.
Une société qui nie sa propre violence, et où l’on a déjà oublié les chemins ouverts par le papier il y a un peu moins d’un siècle. Une société qui s’aveugle au point d’être fière d’avoir manifesté avec les Le Pen, leurs sous-fifres et leurs alter ego. Satisfaite au point de marcher sans angoisse aux côtés de Viktor Orban, Manuel Valls, Ali Bongo, Nicolas Sarkozy. Un ministre de Poutine. Satisfaite au point de le faire au nom de la liberté.
J'ai vu une société dans laquelle je ne me reconnais plus. Avec laquelle je ressens une distance qui me terrifie. Dans laquelle je me sens vulnérable. Ce n'est plus l’État. Ce n'est plus cet État et ses violences dénonçables, répétitives, toujours orientées, qui pouvaient être combattus, contre lesquels existaient des relais. Mais une société qui soudain se dit unie dans une guerre contre elle-même, sans craindre l’appui de ceux qui hier l’effrayaient.
Au nom de ses valeurs, la République colonisait. Aujourd’hui, elle ségrégue et discrimine. Manifeste. Cette évidence n’est plus dicible. Elle apparaît comme une trahison, une justification servile au service de l’Ennemi. Entre temps, la violence quotidienne, sourde, ciblée contre les mêmes populations, demeure et se reproduit et créé des monstruosités. Comme dans tout système de domination, la bonne conscience nie pourtant, cherche dans l’irrationnel, la folie et un nouveau totalitarisme étranger le résultat de son aveuglement. Redisons le. La République exploite, écrase, discrimine des populations entières au quotidien, et humilie celles qui cherchent en conséquence refuge dans une religion qui n’est pas la sienne. La République fait la guerre contre des ennemis éloignés de milliers de kilomètres, mais aussi dans ses banlieues, ne dit jamais combien elle tue, et ne parle jamais que « d’interventions ». La République ne fait jamais le deuil que pour ses semblables, et oublie les morts qu’elle provoque au quotidien. Et cet écart fait violence..
Or aujourd’hui la République, responsable devenue victime, se dit en guerre contre la « barbarie », et cette fois la société applaudit, mobilisée aux côtés de ses véritables ennemis, dans l’unanimité de l’émotion. En guerre contre la barbarie, c’est-à-dire, étymologiquement, contre l’Autre, contre l’étranger. Je me sens loin. Parce que tous semblent chercher à nier l’évidence. Ces « barbares », ils étaient et restent nos frères, nos enfants. Des enfants qui nous ont tendu un instant, dans leur folie incommunicable, un miroir insoutenable. Ces meurtriers, ces assassins, ces terroristes que l’on prétend combattre, déjà !, en fermant les frontières et censurant les réseaux sociaux, sont nés chez nous, ont vécu à côté de nous, mais jamais avec nous. Ils se sont attaqués au symbole d’une liberté qui ne leur avait jamais été offerte, et qui ne représentait que violence et humiliation à leurs yeux. Une liberté qu'aucun musulman, arabe, antillais, banlieusard, immigré de ce pays n’a jamais eue, parce que jamais ils n’ont été reconnus comme parts égales à notre société. Une liberté qui au mieux, n’est exercée à leur profit que par l’intermédiaire de bonnes âmes blanches et bien nées. Au milieu de Zemmour, Houellebecq, Finkielkraut et autres Charlie Hebdo, quelques uns leurs prêtent parfois doucement, leur parole. Sans jamais leur laisser leur place. Et sans jamais incarner la moindre différence, la moindre âpreté.
Ces populations sont devenues communautés à force de l’être dans nos regards, dans nos médias, dans notre liberté d’expression, malgré notre refus, même dans leur mort, de leur attribuer la capacité à faire politique. Il n’y a pas à craindre l’amalgame, parce que l’amalgame dit le réel. Ces individus, comme des milliers d’autres, sont devenus « musulmans », parce qu’ils étaient arabes et noirs, parce qu’ils étaient banlieusards. Parce que leur naissance les condamnait pour les plus courageux à une lutte de toute une vie pour une égalité illusoire, pour les moins armés à l’anomie, voire au renoncement de l’être. Non il n’y a pas d’amalgame. Ils sont devenus terroristes parce que « musulmans » - et la polysémie du terme est ici utile - parce que là où on leur promettait enfin une reconnaissance, dans cette socialisation nouvelle que leur offrait la religion, l’humiliation imposée par notre société avait redoublé. Et ils ont ciblé Charlie Hebdo non pas aveuglément, mais politiquement. En se trompant, de façon détestable. Mais politiquement. En portant une revendication allant bien au-delà de ce que l’islam radical - cet objet transitionnel comme un autre pour la marge et l’opprimé - avait rendu dicible. Mais que ne nous pouvons entendre. Une revendication d’égalité.
Une revendication que nous ne pouvons entendre et que nous ne pourrons entendre tant que nous n’accepterons pas que ces assassins, ces terroristes, étaient nos enfants, c’est-à-dire nous. Nous, et non cet Autre qu’il suffira de combattre en faisant masse, sans bien savoir avec qui, ni au nom de quoi. Tant que nous n’accepterons pas que nous devrons leur reconnaître, sans renoncer au dégoût, leur qualité de Mêmes, et à en porter le deuil. Un deuil qui n’insultera pas leurs victimes, qui n’impliquera nulle équivalence, n’imposera nul pardon. Un deuil qui ne se substituera pas à un procès et une condamnation qui seuls auraient offert la possibilité d’une rémission. Mais un deuil qui nous permettra enfin de les poser en tant qu’humains, dont la monstruosité dit quelque chose, et dont la reproduction pourra ainsi être évitée. Le rassemblement de dimanche s’y est refusé, en faisant de ces individus un Autre venus du néant et renvoyé au néant, et pouvant dès lors être ignorés, comme ils le furent tout au long de leur vie. Reste à s’interroger. Qu’y a-t-il en eux qui nous fasse si peur, qui nous inquiète tant de ce qu’il reflète de ce que nous sommes ? Qu’est-ce qui fait que nous ne soyons pas terrifiés, effondrés, non pas seulement de la mort de vingt d’entre nous, mais du fait qu’une part de nous, cette petite fraction dérivante et monstrueuse née en nous, nous en rende responsable ?
ll y a quelques années, Jean-Luc Godard évoquait publiquement son affection pour le livre de Jacq... more ll y a quelques années, Jean-Luc Godard évoquait publiquement son affection pour le livre de Jacques Rancière, le Maître ignorant. Le postulat de l’égalité des intelligences qui y est présenté fait écho à la confiance que JLG a toujours eue en l’«intelligence» de ses interlocuteurs, en leur répartie, leur capacité tennistique à renvoyer la balle. Ainsi Godard s’est-il toujours contenté, en entretien comme dans ses films, de dire sans expliquer. Parole pensive et sacerdotale. Au spectateur de saisir ou de laisser passer.
On aurait pu penser que les nouvelles technologies, offrant une réticularité beaucoup plus importante que les médias traditionnels, donneraient à ce jeu une nouvelle dimension. La polémique de ces derniers jours vient prouver le contraire. Accaparés par des médias dominants en manque chronique de spectres et d’audience, les réseaux sociaux ont en effet ouvert une troisième voie : arracher la parole au cheminement de la pensée, écraser et triturer sans effort la balle qui venait d’être lancée. En d’autres mots, instrumentaliser pour faire peur, s’indigner pour se rendre populaire, sans en avoir l’air.
Godard donc, dans un entretien au Monde se félicite de la victoire de Marine Le Pen aux élections européennes, ajoutant qu’il l’aurait souhaitée Premier ministre. Dans une hystérie qui fait signe, l’effusion est immédiate. L’Obs affirme sans ambages qu’il s’agit là d’un clair soutien du réalisateur au parti. Twitter s’enflamme. Le général est plusieurs fois convoqué - «vieillir est un naufrage» - et c’est de sénilité que Godard est accusé. Voilà Twitter, source potentiellement infinie de jaillissements et d’aphorismes, réduit à un terrain de jeu minable. Voilà Godard identifié à un fasciste au pire, à un provocateur au mieux. Con, de toute façon.
Cela n’est pas nouveau : déjà en 68 il était, pour les staliniens, «le plus con des Suisses prochinois». Révélatrice, la parole de Godard l’a toujours été de son époque et des sombres obsessions de ses contemporains. Qu’importe que dans le même entretien au Monde il rende hommage à Sartre et Malraux, deux combattants antifascistes, piliers de sa bibliothèque imaginaire que l’on sait depuis longtemps peuplée par un humanisme parfois un peu suranné ; qu’importe qu’il y rappelle son inimitié pluridécennale avec le FN (Le Pen père le voulant hors de France au moment de la sortie du Petit soldat) ou qu’il dénonce les illusions du culte du chef. Le propos est tronçonné et vendu à la découpe. La nouvelle se répand comme la poudre. Le voilà con, fasciste. Perdu à jamais. Une nouvelle fois.
Une sociologie historique des Intelligents ayant con-chié Godard reste à faire. Les voilà pourtant qui tous ont un temps de retard sur celui qu’ils attaquent. Dans Film Socialisme revenait comme un refrain entêtant une phrase actualisant la philosophie politique sartrienne : «Aujourd’hui les salauds sont sincères.» Aussi ne faut-il pas douter de la sincérité sans ombre de la petite armée de soldats citoyens modèles et de leurs généraux, les penseurs médiatiques, trop heureux de cette occasion : pouvoir enfin remettre à sa place de dangereux «anarchiste de droite» le «dieu des pseudo-intellos», le «con qu’on prend à tort pour un génie» - et dont on n’est même pas tout à fait sûr qu’il soit un citoyen français (#SwissGoHome, tweete non sans audace Aude Lancelin). Sincérité presque touchante, bonne foi en la Démocratie occidentale, en la Liberté d’expression, celle utilisée pour étouffer les voix qui gênent.
Là encore, ils ont un train de retard, eux qui manient l’insulte et fétichisent leur liberté d’expression pour mieux rejeter la parole. La liberté d’expression, derrière laquelle avancent plus ou moins masqués idéologues de tous bords, Godard lui a déjà fait le sort qu’elle mérite depuis longtemps : «Sans intérêt ni utilité ; ce qui m’intéresse, disait-il, c’est la liberté d’impression.» (Facilité de l’expression, cache-sexe du pire ; difficulté de l’impression, révélateur patient et sans jugement d’une réalité donnée.) Puissant aphorisme faisant sens aussi bien dans le champ esthétique (les films publicitaires, à message, expriment tandis qu’impriment ceux qui tendent un miroir au réel) que politique ou social - produisant les grandes ou petites déchirures nécessaires, dans le tissu con-sensuel de notre époque.
Aujourd’hui les salauds sont donc sincères et, alors qu’ils ne font que s’exprimer, se croient aussi imprimants, car imprimés - Twitter mêlant dans cette illusion énonciateurs et énoncés. Cette perturbation de l’échange, cette mascarade illusoire, le vieux con ne l’avait pas prévue. Brusquement exposée, exprimée comme on exprime le jus d’un citron, et certainement de façon inattendue, la parole de Godard n’en demeure pas moins précieuse. Prise de position sartrienne radicale, son propos sur le FN ne fait que reprendre au vol une réalité palpable par tous pour, enfin, la cristalliser : la France, sa classe politique en tête, secondée par les médiatiques «libres de s’exprimer», s’est soumise au spectre du FN avec bonheur.
Tous s’indignent sans frais, pour mieux justifier leur immobilisme, tout en réclamant du mouvement. Il y a déjà un certain temps, le philosophe Giorgio Agamben rappelait que la télévision fabriquait des Indignés mais dans le même temps les rendait impuissants : les indignés de Twitter, malgré leurs prétentions intellectuelles, ne sont pas autre chose que les indignés du journal de 20 heures. Laissant croître le monstre en l’alimentant, les bien heureux impotents s’en trouvent confortés : jusqu’au plus haut de l’Etat, leur racisme ordinaire, leurs trahisons permanentes sont immédiatement relativisées et protégées par le ravage qu’impliquerait leur dénonciation, leur départ au profit de l’autre infernal.
Godard, lui, n’a pas peur de rompre. On dira que c’est facile pour qui vit reclus dans un village du canton de Vaud, en zone neutre. Dans la marge : «celle qui fait tenir les pages». Il n’empêche, c’est peut-être là, aujourd’hui, la condition de possibilité d’un engagement qui, dans un espace politique saturé par le chantage moral, n’est plus possible que par l’appel à la rupture. En nous appelant à ne pas craindre cette dernière, fut-elle cruelle, à en faire le révélateur qui s’impose enfin à cette époque morne et immobile pour mettre tout un chacun face à sa conscience, aujourd’hui, introuvable, Godard ouvre enfin la voie à une sortie des incantations creuses.
Nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’Occupation. Nous ne le serons jamais autant que sous le FN, ce FN qu’à force de faire semblant de fuir, nous ne faisons que renforcer. C’est en quelque sorte l’énonciation, avant tout le monde, d’une évidence devenue incontestable : il ne semble y avoir aujourd’hui plus d’autre façon de retirer le pouvoir au FN que celle de lui donner. Généreux, JLG n’a pas pointé les responsables qui nous ont menés à cette aporie. Mais ceux-ci, d’eux-mêmes, comprenant qu’ils étaient visés, ont déversé leur outrance, et se sont ainsi révélés. La boucle est bouclée.
En redonnant un sens à la parole à l’heure de son évidement, Jean-Luc Godard n’a fait que se livrer à un énième contre-pied : agir comme un révélateur qui n’exprime rien, se contentant d’imprimer le réel.
Esprit - Janvier 2015 - Non accessible sur ce site
Esprit - Décembre 2014 - Non accessible sur ce site.
Un demi-million de réfugiés depuis le mois de mai Qui veut vraiment la paix au Congo ?
Propositions de réforme du mode de financement du cinéma français
Lettre d'opposition à la loi Hadopi, signée par une cinquantaine de personnalités du milieu du ci... more Lettre d'opposition à la loi Hadopi, signée par une cinquantaine de personnalités du milieu du cinéma, regroupées par la suite au sein du collectif Pour le cinéma (http://pourlecinema.over-blog.fr/) et de la plateforme Création Public Internet (http://www.wikiwand.com/fr/Cr%C3%A9ation,_Public,_Internet)
Lettre ouverte aux spectateurs citoyens
Par Chantal Akerman , Christophe Honoré , Gael Morel , Jean-Pierre Limosin , Zina Modiano , Victoria Abril , Catherine Deneuve , Louis Garrel , Yann Gonzalez , Clotilde Hesme , Chiara Mastroianni , Agathe Berman et Paulo Branco — 7 avril 2009 à 06:51
Artistes et producteurs engagés, nous nous sommes dévoués tout au long de notre carrière à la promotion d’un cinéma différent, un cinéma ouvert et exigeant.
Vous avez fait vivre nos œuvres, les portant, les reconnaissant ou les rejetant. Tout au long de notre carrière, nous avons poursuivi la même ambition : diffuser notre travail et le partager avec vous. Tout au long de notre carrière, mille obstacles se sont présentés à nous, qu’ils aient été techniques, matériels ou économiques.
Aujourd’hui, nous avons la chance de vivre une révolution numérique qui nous permettra, dans un futur très proche, de lever nombre de ces obstacles et d’ouvrir notre cinéma à toutes et à tous.
Aujourd’hui, certains craignent cette révolution et craignent pour leur monopole. La loi Création et Internet répond à une angoisse légitime, que nous partageons : celle de voir les œuvres dévalorisées et dégradées par leur diffusion piratée sur Internet.
Pourtant, cette loi, qui prétend se poser en défenseur de la création, ne fait qu’instaurer un mécanisme de sanctions à la constitutionnalité douteuse et au fonctionnement fumeux.
Fruit d’un lobbying massif, fondée sur la présomption de culpabilité, la loi Création et Internet crée l’Hadopi, une haute autorité contrôlée par l’exécutif et qui pourra, sans qu’aucune preuve fiable ne soit apportée et sans qu’aucun recours gracieux ne soit possible, couper durant une durée extensible à l’infini la connexion Internet d’un usager.
Pis, et contrairement à ce qui a été écrit ici et là, aucune disposition législative ne prévoit que cette procédure se substitue aux poursuites pénales et civiles, faisant de la double peine une réalité envisageable.
Alors que le Parlement européen vient, pour la troisième fois en quelques mois et à la quasi-unanimité, de qualifier l’accès à Internet de droit fondamental, alors qu’aux Etats-Unis le modèle de riposte «graduée» se fissure et que le reste du monde met l’accent sur la poursuite de ceux qui font commerce du piratage, le gouvernement français s’obstine à voir dans les utilisateurs, dans les spectateurs, des enfants immatures à l’origine de tous les maux de l’industrie cinématographique.
Démagogique, techniquement inapplicable, bêtement ignorante des nouveaux procédés de téléchargement et purement répressive, cette loi est aussi un rendez-vous manqué. Ne prévoyant aucune forme de rétribution nouvelle pour les ayants droit, la loi Création et Internet ne s’adresse ni au cinéma dans sa diversité, ni aux spectateurs. Ne constituant qu’une ultime et vaine tentative d’éradiquer le piratage par la sanction, sans se soucier de créer une offre de téléchargement légale, abordable et ouverte sur Internet, elle ne répond à aucun des défis aujourd’hui posés par les nouvelles technologies, alors même qu’une réaction créative et forte de l’industrie cinématographique et des autorités de tutelle dans leur ensemble s’imposait.
Nous ne nous reconnaissons pas dans cette démarche, et appelons à un changement des mentalités. Craindre Internet est une erreur que nous ne nous pouvons plus nous permettre de faire. Il est temps d’accepter et de nous adapter à ce «nouveau monde» où l’accès à la culture perd son caractère discriminatoire et cesser de vouloir en faire une société virtuelle de surveillance où tout un chacun se sentirait traqué.
Que ce soit par un système de licence globale ou par le développement d’une plateforme unifiée de téléchargement des œuvres à prix accessibles et sans DRM, il faut dès aujourd’hui des réponses positives à ce nouveau défi, et se montrer à la hauteur des attentes des spectateurs. L’heure est à la réinvention et à l’émerveillement, et non pas à l’instauration d’un énième dispositif répressif.
Conscients de la nécessité qu’éprouvent les ayants droit, dont nous sommes, à trouver de nouveaux modes de rétribution et d’en finir avec le piratage.
Confrontés à un dispositif essentiellement conservateur, liberticide et démagogique qui ne s’attaque à aucun des enjeux réels de la révolution numérique et ignore volontairement les intérêts du cinéma d’auteur.
Et en réaction aux nombreuses tribunes rédigées par des institutions et des lobbies s’exprimant au nom d’une profession qu’ils ne représentent que partiellement.
Nous, cinéastes, producteurs et acteurs, marquons avec cette adresse notre refus du dispositif Hadopi et de la loi création et Internet.
Nous appelons tous les amoureux du cinéma et des libertés, de la création et de la diversité à faire entendre leur voix auprès de leurs représentants afin d’abandonner tant qu’il est encore temps le dispositif Hadopi et de mettre en place un système plus juste, équilibré et prenant en compte les intérêts de tous.
Contact : brancojuan@gmail.com
Le contractualisme à l'échelle globale 2012 - 8 séances.
2014/2015 Introduction aux relations internationales et au droit international public
2013/2014 Cours de civilisation française et de langue
A paraître, 2016. Chapitre: "Les reconnaissances juridiques des afrodescendants"
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"""La bataille Hadopi" dessine les prémices d'une guerre qui ne fait que commencer. La Haute Auto... more """La bataille Hadopi" dessine les prémices d'une guerre qui ne fait que commencer. La Haute Autorité pour la Diffusion des Ouvres et la Protection des droits sur Internet est devenue plus que l'acronyme d'une propagande, c'est désormais un symbole. Le symbole d'une entreprise de contrôle des techniques et des usages d'Internet.
Les technologies numériques sont en effet au cour de nos vies : apprentissage, échange, travail, amour, participation démocratique..., nos sociétés sont transformées de fond en comble. Nous sommes aujourd'hui tous acteurs de ce bouleversement, dont le point nodal est la liberté d'expression et la liberté d'acces a Internet. Blogs, réseaux sociaux et autres sites participatifs sont désormais au centre du processus démocratique, et du plein exercice de la citoyenneté.
Face a l'autodiffusion et l'autopromotion sur Internet d'artistes talentueux dans tous les domaines de l'Art (musique, cinéma, littérature, art plastique.) on nous oppose l'image stéréotypée du "pirate", alors que nous sommes de plain-pied dans les nouvelles pratiques de contribution et de dissémination des ouvres en libre échange, basées sur le modele du copyleft.
La guerre déclarée pour contrôler Internet se déroule en France, en Europe et dans le monde. Le syndrome Hadopi le montre parfaitement, les lobbies menés par les industries culturelles, prétextant la défense de la création, veulent transformer Internet en minitel et imposer une société fondamentalement injuste ou le partage serait criminalisé.
La loi Hadopi élude les questions de rémunération des auteurs, propose un arsenal de répression couteux qui ne rapportera pas un centime supplémentaire aux créateurs et plongera l'internaute dans une insécurité juridique totale. Seuls les anti-Hadopi auront proposé des solutions concretes visant a améliorer les revenus des artistes et garantissant le respect des droits fondamentaux des internautes avec la Licence Créative ou le Mécénat Global.
Hadopi est un sujet vaste et complexe, recouvrant de nombreux domaines. C'est pourquoi 40 auteurs, opposés a cette loi, ont décidé de participer a la rédaction de ce livre (politiques, sociologues, enseignants, militants associatifs, journalistes, artistes, auteurs, juristes, poetes, etc.).
Cet ouvrage, document sociologique et politique rare, vous propose leurs réponses, points de vue complémentaires et analyses. Une autre vision de demain, loin de l'erreur Hadopi.
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Église Saint-Sulpice, 11 avril 2012 Souvent le pouvoir sert-il à masquer les hommes. Utilisée com... more Église Saint-Sulpice, 11 avril 2012 Souvent le pouvoir sert-il à masquer les hommes. Utilisée comme une carapace, la fonction éloigne progressivement son titulaire de ceux qu'il est censés diriger, jusqu'à l'étourdir et le dévorer.
Minutes, diffusées via Twitter, du procès des policiers accusés d'avoir provoqué la mort de Zyed ... more Minutes, diffusées via Twitter, du procès des policiers accusés d'avoir provoqué la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, morts qui avaient enclenché le début des émeutes. Après une longue odyssée judiciaire, le procès s'est déroulé du 16 au 20 mars 2015 devant le Tribunal correctionnel de Rennes.
Une adaptation vidéo a été menée par différentes personnalités: https://www.youtube.com/watch?v=nqoXGqj5fdc&list=PL5TpqZauQ5Ic1AR0EWit05HSTK2_V10Dd
Décembre 2013 Janvier 2014 - Pages 86 à 90
Ce sont deux corps qui tiennent. Dans la masse informationnelle d’un monde où la matière circule ... more Ce sont deux corps qui tiennent. Dans la masse informationnelle d’un monde où la matière circule à la vitesse de la lumière, se décharnant et se recomposant à chaque millième de seconde, deux corps qui tiennent et, par là-même, par leur simple refus d’un mouvement qui n’est pas le leur, nous montrent le chemin de la résistance. Vigies solitaires d’un espace politique sinistré, ils avancent par touches de lumière, sortant du flux et de l’ombre pour soudain révéler ici et là des données censées rester invisibles, immatérielles, avant de refluer et de disparaître aussitôt dans leur gracieuse solitude. Leur spectacle est éphémère, éclat de soleil brièvement reflété ; mais l’effet de leurs impulsions est comme celui d’un grain de lumière soudainement diffracté à la rencontre d’un corps, infini. Julian Assange et Edward Snowden sont des corps qui appartiennent à l’Histoire.
Le premier, Julian Assange, est l’un des meilleurs hackers de sa génération. Un technicien hors pair qui a su comprendre le logos de ses outils, construire un discours à partir de son génie pratique, pour tenter de le transmettre à qui voudrait bien l’entendre. En avance sur son temps, il a été condamné pour la première fois à 16 ans pour avoir pénétré, des mois durant, l’intranet du Pentagone, par amusement, et est devenu depuis journaliste. Pour avoir révélé certains des plus grands scandales de notre temps, il est poursuivi pour espionnage, conspiration et tant d’autres crimes inventés par le politique, et a trouvé refuge dans une petite ambassade sud-américaine à Londres. Révolté existentiel, guidé par une insoutenable exigence éthique, passionné de physique quantique, il est comme une minuscule particule craignant la moindre interaction, et pourtant capable, par son irradiation naturelle, d’en agiter des millions d’autres pour changer le monde.
Le second, Edward Snowden, est un citoyen. Un simple citoyen, comme vous et moi, qui a longtemps cru à la technostructure qui l’employait, à ses idéaux, à ses grands discours. Cru en elle, en cet État américain qui s’est toujours promis la vertu, cru jusqu’à s’engager en lui et pénétrer dans ses appareils les plus secrets comme employé de la NSA. Un simple humain, qui n’a très rapidement pas supporté de frayer au quotidien avec les corps déchiquetés par les drones, les peaux nues exposées dans toute leur crudité, les conversations de millions de personnes aléatoirement surveillées.
Un simple humain qui a eu le courage, à un moment où tout le portait à l’abandon, de se saisir de cette humanité. Edward Snowden, simple vous et moi, particule soeur, activée à distance par un frottement incontrôlé, et dont les jeunes mains ont révélé le plus ample dispositif de surveillance que l’Histoire n’ait jamais enfanté.
On m’avait demandé d’écrire sur les écoutes effectuées par les États-Unis d’Amérique contre trois de nos présidents et révélées par l’une de ces deux particules, Julian Assange. Un texte qui permettrait à tout un chacun de comprendre, de faire la lumière sur ce qui, je m’en suis progressivement rendu compte, est une lumineuse évidence et ne mérite pas un mot de plus. On me l’a demandé dans le dernier journal de la Résistance. Dans ce fin reflet d’une glorieuse nuit que nous ne réussissons pas à retrouver. Alors j’ai préféré écrire sur ces deux particules qui, par leur éclat, nous ont permis de voir.
Les révélations de Wikileaks et de Julian Assange ont suscité de graves questions. L’une d’entre elles a trait à ces deux corps, et à l’accueil qui devrait leur être fait. Peut-on se confier à ces étoiles noires, en faire nos hôtes, malgré leurs inquiétants mystères ? Leur attitude n’a pas aidé : Julian Assange s’est empressé d’annoncer de nouvelles révélations pour bientôt, Edward Snowden est resté silencieux.
Que savent-ils d’autre ? Quand nous le diront-ils ? Qu’attendent-ils ? Leur attitude n’a pas aidé, ou peut être qu’au contraire, elle nous a ouvert la voie. Privilège des braves, l’ombre, ou plutôt la contre-ombre, reproduit les mécanismes contre lesquelles elle se bat, sans jamais trahir les principes qui la guident.
Melville avait formidablement filmé ces hommes qui naissent et se reproduisent lentement à l’écart du visible avant de mourir dans une étincelle spectaculaire, sans parfois s’être révélés à eux-mêmes dans leur véritable nature. Leurs silences dans l’horreur constituaient une promesse d’une espérance, d’un bientôt retrouvé.
Bientôt, nous ont-ils promis. Alors attendons en silence et préparons-nous simplement à ce que, lorsque ce bientôt adviendra, nous soyons en mesure de l’accueillir et de le faire nôtre. Ces deux particules rendues errantes par la marche du monde nous ont amplement démontré qu’ils méritent notre patience. Fions-nous à leur ombre et à cette résistance qui, à partir d’une lame, d’une simple particule agitée dans le néant du monde, suffit à troubler le paisible renoncement de milliards d’autres. La physique ne distingue pas les corps de l’esprit, et ne voit la vie que dans l’agitation insensée de particules isolées. Soyons-lui fidèles, et déposons-y notre croyance. Car c’est seulement à partir d’elle que nous pourrons nous sauver de nous-mêmes.
To be published, january 2018, éditions divergences