« Entre affections et violences. Visiteurs et animaux de zoo du XIXe siècle à nos jours », dans : Revue semestrielle de droit animalier (Université de Limoges-Université de Montpellier), 2015, 2, p. 309-325. (original) (raw)
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Etrange destinée en effet que celle de ces nobles quadrupèdes, nés aux dernières limites de l'Orient, puis trainés de maître en maître, de contrée en contrée, jusque dans un monde nouveau où, après les avoir pris pour des boeufs et éprouvé à leur vue une extrême terreur, on finit par les faire servir de jouet à une populace ignorante et grossière. » (Pier Damiano Armandi, Histoire militaire des éléphants, Paris, 1843, p. 129) D'un point de vue étymologique, le terme de « cirque » est emprunté au latin circulus (cercle), lui-même dérivé de circus, pour désigner « l'enceinte circulaire où on célèbre les jeux » 1 . D'emblée, ce sont deux éléments qui retiennent notre attention : un rassemblement humain festif, autour d'une arène. Cette scénographie ancienne est devenue l'une des spécificités d'un spectacle qui, par ailleurs, fait intervenir des animaux. Si le cirque fait spontanément penser aux jeux romains, le sens courant d'aujourd'hui désigne une forme de spectacle qui, d'un point de vue cette fois-ci historique, trouve son origine dans les exercices hippiques sur piste produits par les cavaliers anglais et par la suite agrémentés d'intermèdes comiques. L'histoire du cirque, tel qu'on le connaît aujourd'hui, se trouverait donc directement en lien avec l'art équestre anglais de l'époque moderne. Cependant, sans tisser une généalogie artificielle entre les jeux du cirque romain et le cirque contemporain, il n'est pas interdit de les rapprocher pour réfléchir au sens de cette mise en scène si spécifique qui s'inscrit, au-delà de ses diverses concrétisations, dans la longue tradition des spectacles animaliers.
L'article revient sur deux aspects admis depuis trente ans sur l'histoire de la protection animale en France : le peu d'intérêt pour la souffrance animale elle-même pendant longtemps; une longue focalisation sur des arguments humains, politiques et culturels, avant que le sort des animaux ne prenne assez récemment la première place. Une relecture précise des documents du XIX e siècle montre que l'argument de la souffrance animale est bel et bien présent dès les origines de la protection animale mais qu'il a longtemps une dimension individuelle, non collective, et qu'il est souvent mis en arrière-plan au profit d'arguments plus convenables et plus recevables auprès de l'opinion ou des décideurs politiques. D'autre part, l'importance de la souffrance comme motivation des protecteurs, dès les origines, doit inciter à revoir les analyses à leur égard. Ils ne procèdent pas à de simples projections anthropomorphiques sur des animaux-objets, mais ils sont sensibles aux vécus d'êtres vivants qui sentent, souffrent et réagissent comme les sciences zoologiques le montrent. En croisant histoire, éthologie, sociologie, psychologie, neurobiologie, etc., il faut donner plus de complexité à ces interactions entre des animaux souffrants et des hommes émotionnés, pour mieux les comprendre et mieux appréhender les actions militantes qui en découlent. This article comes back on two recognized aspects for thirty years in the history of animal protection in France : the long-dated lack of interest towards animal suffering itself; a lengthy focus on human, political and cultural arguments before the fate of animals recently takes first place. A specific re-reading of 19 th century documents shows that the argument of animal suffering was really present since the origins of animal protection, but under a non-collective, individual, approach often put in background to the advantage of more conceivable and more receivable arguments for public opinion and political decision-makers. On the other hand, the importance of sufferance as a motivation of protectors, since its origin, must incite to review the analyses on the subject. They do no not proceed simple anthropomorphic projection on animals as objects, but are sensitive to experiences of living organisms that feel, suffer and react, as zoological sciences showed. Throughout the scope of history, ethnology, sociology, psychology, neurobiology, etc., it is necessary to confer more complexity to these interactions between suffering animals and emotional man to better understand and better seize the activist actions that result from it.
« Taupes et mulots, sors de mon clos, ou je te casse les os ; Barbassione ! Si tu viens dans mon clos, je te brûle la barbe jusqu'aux os. » (Chant populaire, vestige d'anciennes imprécations, cité par J. Desnoyers, Recherches sur la coutume d'exorciser et d'excommunier les insectes, p. 7) « Je vous ai conféré le pouvoir de piétiner les serpents, les scorpions et toute la puissance de l'ennemi. Rien ne pourra vous nuire » (Lc 10,19) Barthélémy de Chasseneuz 1 , juriste du XVI e siècle, consacre les premières pages de ses Consilia 2 à la question de « l'excommunication des insectes 3 ». La consultation, longue d'une vingtaine de folios, obéit aux règles du genre : enchaînements d'arguments pro et contra, opinions de l'auteur égrenées tout au long du développement, multiplicité des autorités 4 , raisonnements à tiroirs qui visent à traiter tous les points susceptibles d'être soulevés, en droit – à la fois en théorie et en pratique – par la question posée 5. Autant dire que la lecture de la consultation nous entraîne parfois loin du champ et des ravages des animaux nuisibles 6 , dans des méandres juridiques, théologiques, historiques, voire philosophiques ou zoologiques, qui attirent notre attention sur la complexité du sujet. A partir des lumières et jusqu'au XIXe siècle, les procès d'animaux ont constitué un poncif visant à disqualifier une justice médiévale imbue de superstition 7, tout au moins contraire à la raison et à la foi8. C'est pourtant la foi, la raison – plus exactement la raison juridique – et le pragmatisme qui fondent le raisonnement de Chasseneuz. Si les arguments sont parfois contradictoires, au moins ne sont-ils jamais dénués de logique.
LA VISITE AU ZOO Regards sur l'animal sauvage captif au XIXe siècle et dans l'entre-deux-guerres
La visite au zoo. Regards sur l'animal captif 1793-1950 Éric Baratay À partir de 1793 à Paris et en 1828 à Londres sont créés les premiers jardins zoologiques, constitués de bâtiments et d'enclos dispersés dans un jardin à l'anglaise. Ces « zoos », qui se diff érencient des anciennes ménageries princières par leur statut (national ou municipal ou privé en nom collectif) et par cette dispersion dans un jardin tenant lieu de décor, se multiplient au XIXe siècle dans toute l'Europe, aux périphéries des grandes villes¹. Avec le primat peu à peu donné à la distraction aux dépens des mobiles scientifi ques initiaux, ces zoos deviennent des vitrines de la nature sauvage pour des populations qui s'y pressent de plus en plus. En eff et, si les jardins privés, très majoritaires en Europe, avaient d'abord réservé les entrées à leurs sociétaires ou leurs actionnaires et pratiqué des tarifs élevés pour sélectionner les visiteurs², les diffi cultés fi nancières
A l'heure où le parc zoologique de Vincennes, « une nouvelle espèce de zoo », a fait peau neuve et communique sur les murs de la capitale à grand renfort d'affiches présentant lions et autres animaux exotiques, le parc zoologique de Beauval réplique, en louant les écrans mobiles du métro parisien pour montrer des hippopotames et des pandas, et proposer au public de « parrainer » un animal. Voilà le visiteur invité à participer aux « programmes de conservation » via le versement d'une contribution (annuelle et renouvelable) tout en établissant « un lien fort avec [son] animal préféré ». Le rôle actif des parcs zoologiques en matière de conservation de la faune sauvage est un poncif de la communication : même si les investissements sont indéniables et que les intentions sont à première vue louables, il s'agit néanmoins de légitimer la captivité de l'animal exotique, de donner du sens à un déracinement originel sans jamais l'évoquer, de même que sont occultées les implications de cette patrimonialisation du monde animal, notamment les pratiques d'eugénisme que cette dernière suppose. Jean Estebanez a raison de rappeler que « le zoo est un espace de spectacle payant où le public vient découvrir une collection d'animaux essentiellement exotiques et, à l'origine, sauvages dans leur décor. » 3 Mais puisque les jardins zoologiques travaillent leur communication – pour détourner l'attention de cette définition dont l'aridité met en relief des caractéristiques qui incitent au jugement négatif – nous porterons nous aussi une attention particulière au vocabulaire. Sur ce premier point introductif, il semble ainsi que l'animal exotique captif soit davantage conservé que préservé, offert aux regards comme un spécimen dont la rareté suscite l'intérêt, voire fait la valeur. La conservation ajoute, à l'idée de protection qu'elle partage sans doute avec la préservation, l'idée de possession, l'idée d'une garde qui ne profite pas uniquement à l'animal. On conserve l'animal pour soi, on préserve l'animal pour lui-même. La conservation est intéressée là où la préservation semble plus neutre. Observé par des milliers de visiteurs, l'animal exotique conservé en captivité – conservé grâce à sa captivité puisque c'est dans cette perspective que s'inscrivent les parcs zoologiques contemporains, à la suite des jardins d'acclimatation du XIX e siècle – témoigne de l'appétit de l'homme moderne, ici occidental, pour la conquête du monde : il s'agit non seulement d'étendre le territoire de sa souveraineté mais aussi le domaine de sa domination : le sol, le minéral, le végétal, l'animé… L'animal exotique est depuis lors un butin exhibé et le matériau vivant d'expérimentations, hier au titre de la connaissance de la nature, aujourd'hui au titre de la conservation des espèces.
Interweaving animal, cultural, colonial, and environmental history insights, this synthesis chapter addresses the long-term evolution of the modern zoo, considered as a microcosm the study of which sheds light on the evolving nature of human-animal relationships. The latter were marked, from the late 18th century onwards, by new forms of wildlife commodification, the development of which intersected with the maturation of modern zoos. However, since their development, moral concerns about the confinement of animals have played a decisive role in (re)framing zoos. From the 1960s onwards, rising criticism induced zoo managers to develop reform programs. The associated development of captive breeding sheds light on the rise of conservationist programs which remain shaped by an understanding of animals marked by extraction and close human supervision, with deep historical roots. (English translation available)
2019
Du XIIIe au XVIIIe siècle, des dizaines de tribunaux laïques et ecclésiastiques ont mené des poursuites judiciaires à l'encontre d'animaux domestiques, d'insectes et de parasites divers, à travers de nombreuses régions d'Europe. Contrairement à ce que suggère l'intuition, ces procès ne témoignent pas d'une barbarie médiévale à l'égard des animaux, mais attestent d'une hésitation philosophico-théologique entre visions anthropocentrique et anthropomorphique de la nature et des animaux. Dans la conception anthropocentrique, les êtres humains sont considérés comme ontologiquement distincts et supérieurs aux animaux. Dans la conception anthropomorphique, au contraire, une place est accordée aux animaux dans la Création aux côtés de l'être humain, et un certain nombre de droits et privilèges leur sont reconnus en tant qu’êtres vivants et dotés d’une âme. Cette vision anthropomorphique, non majoritaire mais bien attestée dans l'Occident médiéval, sera exclue de la pensée moderne par la théorie de l’animal-machine due à René Descartes, vision purement anthropocentrique qui trouvera son actualisation ultime dans le capitalisme utilitariste de la Révolution industrielle, où la nature, les animaux et même les hommes sont mis au service de la production de richesses. À partir de la fin du XVIIIe siècle cependant, l'émergence d'une sensibilité nouvelle à la nature, née dans le contexte du mouvement romantique, permet une revivification progressive du courant anthropomorphique. Aujourd'hui, cette vision empathique et humanisante des animaux commence à s'immiscer dans les discours politiques et intellectuels – entre autres à travers le mouvement connu sous le nom d'antispécisme –, face à la gravité de l'urgence écologique et à la cruauté industrialisée que l'homme contemporain manifeste à l'égard des bêtes. Les procès d'animaux au Moyen Âge constituent donc une grille de lecture extrêmement fertile pour analyser, dans la longue diachronie, l'évolution des rapports de l'homme à l'animal et à la nature, et interroger les comportements que les sociétés contemporaines adoptent à l’égard du vivant non-humain. Thibaut Radomme, "Des animaux et des hommes. Les procès d'animaux au Moyen Âge et la conception occidentale de l'animalité", in Florence Dossche (éd.), Le droit des animaux. Perspectives d'avenir, Bruxelles, Larcier, 2019, p. 17-40.