Fiction et révélation : Vous les entendez ? De Nathalie Sarraute (original) (raw)

De la fiction à la réalité dan le Nouveau Roman : la saisie du tropisme chez Nathalie Sarraute

ACTA IASSYENSIA COMPARATIONIS

Les bouleversements sociaux de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème en Europe ont favorisé le rejet de l'esthétique traditionnelle. En effet, le processus de changement de la réalité historique n'a pas épargné l'univers de la littérature. Dans la majeure partie des genres littéraires, on assiste à un rejet de l'esthétique traditionnelle et le roman n'a pas été en reste. Aussi, assiste-ton à un passage du roman classique au roman moderne. Ce passage a connu beaucoup d'acteurs allant des avant-gardistes aux surréalistes. Ces derniers ont beaucoup influencé les néo-romanciers, qui ont cherché à déconstruire le roman dit traditionnel en s'attaquant à ses piliers : le narrateur, les personnages, l'intrigue, l'espace et le temps. Toutefois, cette déconstruction n'est pas gratuite, car elle va de pair avec une construction, voire une création d'une nouvelle esthétique. S'inscrivant dans cette logique, Nathalie Sarraute a su, à travers ses écrits, participer au renouvellement de l'esthétique tout en restant originale. Cette originalité est due, pour beaucoup, à une monomanie dans l'esthétique sarrautienne : la saisie du tropisme 1. La spécificité de l'écriture sarrautienne semble aller au-delà d'un passage du roman classique au roman moderne. Tout porte à croire que son écriture mène de la fiction à la réalité. La fiction n'est, dès lors, plus une fin en soi, mais un moyen, dans l'écriture sarrautienne, d'accéder au réel. En effet, le seul impératif du nouveau romancier en général, de Nathalie Sarraute en particulier, était de s'éloigner, de se défaire de la fiction, pour s'intéresser à l'écriture, à la réalité de l'écriture. Car, si chez les néo-romanciers, la fiction équivaut au roman balzacien avec ses histoires, ses personnages..., dire non au roman, c'est donc affirmer son refus de la fiction. Mais comment rejeter la fiction en écrivant une fiction ? Est-ce en écrivant entre objectivité et subjectivité ? Réussir un tel défi semble relever de l'impossible, mais à force de s'y investir on s'en approche. C'est peut-être dans cette optique que Sarraute, loin de faire part de ses états d'âme et de ceux de ses personnages, comme dans le roman traditionnel, livre un univers romanesque en adéquation avec le réel. Cependant, ce désir d'objectivité est à chaque fois menacé par la subjectivité du tropisme. Cette oscillation place, dès lors, le monde sarrautien aux limites de la réalité et du rêve. Ce monde devient, dès lors, celui du tropisme, de la sous-conversation. La seule réalité devient et reste ainsi la réalité de l'écriture, du langage et surtout de la sensation qui l'a fait naître. Le nouvel art romanesque de Nathalie Sarraute semble transparaître dans le franchissement des limites traditionnelles du roman comme représentation du monde. C'est une opération, voire une stratégie qui va en guerre contre le monde fictionnel, pour participer à l'avènement de la réalité. La remise en cause du modernisme et de l'humanisme, consécutive aux deux Guerres mondiales, entraîne un bouleversement du roman. Le grand roman immanent et monumental disparaît au profit de récits plus personnels, plus irréels ou plus formels. Les romanciers tels que Nathalie Sarraute sont alors confrontés à une double impossibilité : celle d'un récit objectif d'une part, et celle d'une transmission de l'expérience individuelle d'autre part. C'est entre ces deux limites que se construit une oeuvre romanesque dominée par l'angoisse et l'interrogation.

Nathalie Sarraute, du tropisme à la phrase

2003

Par leur caractère toujours plus affirmé d'" exploration du langage ", les textes de Nathalie Sarraute constituent pour l'analyse stylistique un objet d'élection. L'uvre est gouvernée par une " idée fixe " d'essence dynamique : les tropismes, mouvements intérieurs qu'il s'agit d'exprimer par une " forme sensible ". Alors que la résistance opposée au langage par le " non-nommé " de l'expérience voue le discours à une référence opaque ou instable, la phrase se porte au secours du mot, déployée en un processus d'explication. Elle impose dans l'écrit une élasticité caractéristique de l'oral, s'affranchissant de la norme syntaxique pour mettre en scène un tropisme-phrase soumis aux déterminations pragmatiques de l'énonciation. La distension et la stratification de l'énoncé posent le problème de sa délimitation et de sa hiérarchisation : jusqu'à quel point y a-t-il phrase ? La perturbation de la linéarité fait saillir l'armature prédicative du discours, tandis que s'affiche le pouvoir structurant et signifiant de la ponctuation. L'écriture invente ainsi une prosodie susceptible de " capter cela, ce mouvement ".

Parodie, Emprunts, Réécritures dans Le Planétarium de Nathalie Sarraute: l'héritage moderne d'un Nouveau Roman

HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe), 2012

« Tout texte est un tissu nouveau de citations révolues » : cette affirmation de Barthes (Barthes, 1973, 451), qui définit l'intertextualité, déplace sans résoudre la question de l'influence, du rapport problématique entre l'emprunt et l'empreinte en littérature, qui trouve dans le Nouveau Roman un exemple opportunément ambigu. Dénonçant en l'illusion mimétique le vecteur du réalisme, la parodie permet d'engager le lecteur dans une expérimentation de la communication romanesque des plus pertinentes pour déjouer ses propres conditionnements à l'effet de réel de la fiction 1. Mais qu'en est-il des Modernes, qui ont profondément influencé le Nouveau Roman, puisqu'il applique leurs techniques les plus visibles? La désaffection actuelle qui frappe cruellement cette Ecole tendrait à réduire les nouveaux romanciers à des épigones de leurs Maîtres : ont-ils su, au contraire, imprimer leur propre sceau à des textes où s'opère sous nos yeux « la fusion de quelques redites comptées » 2 ? C'est le pari de toute réécriture.

« Là, c'est-à-dire là-bas et ici. Elle est là, de Nathalie Sarraute »

dans Le Souffleur. Association des amis du TPR – Centre neuchâtelois des arts vivants, n°47, Numéro double. Elle est là de Nathalie Sarraute, mise en scène Anne Bisang. Le Direktør d’après Lars von Trier, mise en scène Oscar Gómez Mata, 2017, p. 16-17.

Présentation d'Elle est là, de Nathalie Sarraute, à l'occasion de la mise en scène d'Anne Bisang au TPR – Centre neuchâtelois des arts vivants à La Chaux-de-Fonds, du 25 au 29 octobre 2017.

Nathalie Sarraute et l’usage de la parole. De l’oralité pure

Revue Sciences/Lettres

est un écrivain et un dramaturge de l'oralité, on peut répondre tout d'abord par un détour et une évidence : ce n'est à coup sûr pas un écrivain du visible, voire de la visibilité, et du coup sans doute pas un écrivain de théâtre (si l'on veut ramener ce terme à son étymologie, que rappelait volontiers Barthes). Il n'y a, dans tous les cas, jamais rien à voir dans son « théâtre » : pas de lieu, pas d'espace (autre que sonore), quasiment jamais d'objet (sauf la « gravure » de C'est beau, mais que précisément l'on ne voit pas). Elle disait elle-même, ou plutôt elle répétait inlassablement : « Je ne vois rien quand j'écris », au point d'avoir été longtemps rétive à l'idée d'écrire pour la scène et à la vision directe que celle-ci impliquait ; de son côté Claude Régy, qui reste pourtant l'artiste qu'elle respecta le plus, estimait n'avoir pas su mettre en scène les textes de son amie, faute d'avoir osé plaquer ses acteurs contre les murs et les plonger dans le noir le plus complet. C'est d'ailleurs parce qu'il avait le sentiment d'avoir échoué dans ses mises en scène des oeuvres de Nathalie Sarraute qu'il n'en a pas parlé dans Espaces perdus, alors que c'est, avec Marguerite Duras, l'écrivain dont il s'est lui-même toujours senti le plus proche ; inversement, s'il n'a pas parlé d'elle dans Espaces perdus, il a voulu, symptomatiquement, lui donner la parole dans le seul « film » qu'il ait jamais réalisé : Conversations avec Claude Régy. À défaut, donc, et toujours selon lui, de parvenir à faire voir sur scène son univers, il choisit de la faire parler elle-même, et de la faire lire devant la caméra. Rien que ça. Comme si tout était là, donné dans l'écriture et dans la parole vive de l'écrivain. Et de fait tout repose, chez elle, sur cet « usage de la parole » dont elle a fait le titre d'une de ses oeuvres. 2 Est-ce, pour autant, que Sarraute fut un écrivain de l'oreille, pour reprendre une expression que Robert Pinget s'appliquait à lui-même (et il le faisait pour sa part en réaction à la réduction que l'on faisait de ses oeuvres à une supposée « école du regard 1 »). On pourrait le penser, à condition de préciser ce que par là il faut entendre (si l'on peut dire sans jeu de mots…), et affirmer dès à présent que tous les écrivains de l'oreille ne sont pas des Nathalie Sarraute et l'usage de la parole. De l'oralité pure Revue Sciences/Lettres, 6 | 2019 10 Tenter seulement de lire ces lignes pour soi amène à comprendre comment Nathalie Sarraute réclame de son lecteur qu'il soit d'abord un acteur, c'est-à-dire quelqu'un qui lit Nathalie Sarraute et l'usage de la parole. De l'oralité pure Revue Sciences/Lettres, 6 | 2019

"La fiction pour réveiller les consciences"

Quels jeux et instruments de pouvoir existent dans nos sociétés? Jusqu’à quel point un système exercerait-il sur nous un contrôle déterminant nos actions ? Vers où les abus d’un tel système nous mèneraient-ils? Par le biais de la fiction, nous sommes parfois amenés à envisager le pire des futurs possibles, dans le but de ne jamais avoir à le croiser. Même s’il est imaginé comme nous étant destiné. De Foucault à Deleuze en passant par Burroughs, d’Orwell à Garfinkel, ou en évoquant Bye Bye Belgium, Frédéric Claisse analyse la philosophie du contrôle pour se pencher sur l’influence des récits de fiction catastrophistes sur notre manière d’appréhender le monde. Ces récits tissent un mode de connaissance particulier, ont des vertus analytiques du réel et constituent donc un objet à envisager avec sérieux. Ces anti-utopies, il les nomme les futurs antérieurs.

Pluralité des voix et repentirs autobiographiques : une lecture d’Enfance de Nathalie Sarraute

Études françaises, 2000

Résumé Enfant, infans : celui « qui ne parle pas ». Qui ne se laisse pas écrire. C’est vers ce mutisme et cette résistance que Nathalie Sarraute procède, péniblement, à écrire son récit d’enfance, « une enfance qui n’est pas un âge de la vie et qui ne passe pas. Elle hante le discours » (Lyotard). C’est un discours rapporté par la voix narratrice. L’enfance de « Natacha » est déjà tortillée, déchirée, donc loin de cette image de « pureté », d’« innocence » ; la narration de cette enfance devient ainsi plurielle, ramifiée, morcelée. D’où les repentirs : d’une part, le sentiment d’impuissance, d’échec, de culpabilité ; d’autre part, dans la terminologie de peinture, ce mot désigne « changement apporté, correction faite en cours d’exécution », donc entreprise toujours à reprendre, à repenser, à corriger et à défaire. L’écriture, en devenir, en mouvement, en transformation, laisse voir sa texture, son processus. Le procédé du repentir est souvent opéré par cette seconde voix dérangeante...