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Pratique et culture de l’écriture dans la Moldavie d’Étienne le Grand L’auteur remarque que la classification des sources écrites sous le règne d’Étienne le Grand (1457–1504) du point de vue de l’origine, de l’objet, du contenu ou de la... more
Pratique et culture de l’écriture dans la Moldavie d’Étienne le Grand
L’auteur remarque que la classification des sources écrites sous le règne d’Étienne le Grand (1457–1504) du point de vue de l’origine, de l’objet, du contenu ou de la forme – utilisée jusqu’à aujourd’hui – n’est pas tout à fait satisfaisante. Par conséquent, elle propose une autre classification: 1. Écrire pour Dieu (les manuscrits religieux; les obituaires; les citations des textes liturgiques accompagnant les inscriptions des objets et des broderies; les inscriptions explicatives des fresques, des miniatures, des pièces d’orfèvrerie, des tissus et des sculptures en bois); 2. Écrire pour des raisons pratiques (les chartes princières; les actes des boyards et des hiérarques; les documents des villes; une seule lettre privée; les manuscrits juridiques; les inscriptions de possession sur les objets personnels); 3. Écrire pour garantir l’authenticité (les légendes des monnaies; les légendes des sceaux); 4. Écrire pour préserver la mémoire (les chroniques; les colophons des manuscrits; les inscriptions funéraires; les inscriptions en pierre; les inscriptions en métal; les inscriptions sur des tissus liturgiques; une seule inscription peinte; les inscriptions sur des pots en céramique). Le nombre de ceux qui écrivaient n’était pas égal au nombre de ceux qui lisaient. Les auteurs des divers types d’écriture étaient, d’une part, les lettrés laïques ou ecclésiastiques qui ont composé les chroniques et, d’autre part, tous ceux qui copiaient les manuscrits, rédigeaient les documents, gravaient, brodaient, peignaient, incisaient, sculptaient. Seulement ceux de la première catégorie étaient en même temps des créateurs; les autres suivaient des modèles. Le contenu des manuscrits religieux de cette époque n’a pas été analysé d’une manière approfondie, donc on ne peut pas savoir dans quelle mesure leurs rédacteurs étaient des érudits ou bien de simples artistes qui copiaient mécaniquement un texte (quasi pictores). Pour les artisans expérimentés, peindre, graver, broder ou sculpter une inscription n’impliquait pas la connaissance d’une langue ou d’un alphabet. Dans ce cas, il faut aussi admettre l’utilisation des modèles qui étaient copiés avec fidélité. La tentative d’identifier dans les sources du temps ceux qui ont composé ou ont simplement reproduit un texte est très difficile. Les recherches ont relevé les noms de seulement 25 copistes des manuscrits et un peu plus de 30 scribes de chancellerie. Des détails prosopographiques n’existent que pour quelques-uns d’entre eux. Les textes eux-mêmes ne dévoilent pas des détails sur leurs auteurs ou rédacteurs. Une petite partie des écritures de l’époque était destinée à la lecture des contemporains. Certains textes s’adressaient à des éventuels lecteurs de l’avenir, censés être intéressés par des personnes et des choses du passé, d’autres avaient Dieu lui-même comme destinataire. Lettrés n’étaient que ceux qui en avaient besoin: les prêtres des monastères, quelques fonctionnaires de l’administration centrale et locale, quelques artisans, marchands et membres des communautés catholiques des villes. Des notaires publics n’existaient pas. Puisque ni le prince, ni aucun fonctionnaire ne signaient les chartes, il est impossible d’apprécier leur niveau d’instruction. L’écriture répondait exclusivement aux besoins sociaux et non personnels. Dans un monde dominé par l’oralité, la communication s’est matérialisée plutôt dans l’image que dans le texte, peut-être parce que l’accès au message transmis par les images a été toujours plus facile. Pour la grande masse analphabète, l’écriture devait avoir une dimension mystique et mystérieuse, parce qu’elle n’était familière qu’à un petit nombre d’initiés. À l’époque d’Étienne le Grand, le texte écrit était perçu par ses caractères extérieurs. L’aspect, que tout le monde percevait, était plus important que le contenu, que les gens ne comprenaient pas sans l’aide des lettrés capables de le lire. La matérialité du texte le rendait palpable, crédible et incontestable, le passait de l’abstrait au concret. Les supports précieux suggéraient l’idée de majesté, de puissance, de prestige et de richesse. Entourés par l’écriture, dont l’autorité était reconnue et respectée, les habitants de la Moldavie, dans leur écrasante majorité, vivaient en réalité en dehors de sa civilisation.